Le triomphe de Bardet. |
Au pays des rêves finissants, ce vendredi 22 juillet, il ne restait aux suiveurs qu’à espérer l’apparition d’ondes de chocs propices aux scénarios inattendus, disons de quoi faire mémoire commune, même si cela ne concernait que les accessits, à savoir les deuxièmes et troisièmes places du podium. Entre Albertville et Saint-Gervais Mont Blanc (146 km), le terrain de jeu s’avérait sévère pour que les derniers ascensionnistes du pays en élévation osent s’aventurer dans ce patrimoine montagneux digne d’intérêt. Quatre montées attendaient les 177 rescapés (1). Les deux premières portaient le même nom, la Forclaz (de Montmin tout d'abord, de Queige ensuite). Puis vint celle, inédite, de Bisanne, un col hors catégorie en raison de sa difficulté (12,4 km à 8,2 %) jusqu'à 1723 mètres d'altitude. La victoire, quant à elle, était adjugée au sommet d'un col de première catégorie (9,8 km à 8%) menant au Bettex. «La montée la plus irrégulière de ce Tour», commentait au matin le Français Romain Bardet, cinquième alors du classement général. La petite cité de Haute-Savoie (5800 habitants) de Saint-Gervais Mont Blanc, qui se flatte de posséder le sommet du Mont Blanc (4808 m) sur son territoire communal, accueillait la Grande Boucle pour la troisième fois de son histoire.
Tenter de domestiquer les pentes et d’en braver les
frontières, sans parler d’une météo chancelante et carrément orageuse par
temps lourd : tel fut le programme des irascibles et tempétueux. Ils
étaient d’ailleurs une vingtaine de courageux à prendre l’échappée du jour
(dont les Français Rolland, Vuillermoz, Moinar, Gallopin), sans qu’à aucun
moment nous n’imaginions y trouver le vainqueur de l’étape. Pourtant nous
espérions le bon coup de Pierre Rolland, malchanceux depuis bientôt trois
semaines. Et lorsque, à 45 kilomètres du but, il plaça une brutale
accélération, nous crûmes à l’exploit. Mais à peine percevions-nous le feu
sacré que le leader des Cannondale négocia si mal un virage, dans une descente
en apparence anodine, qu’il perdit le contact de la roue avant. Tout son corps
chavira dans une glissade impressionnante, qui parut ne jamais s’achever sur l’asphalte.
Le Français repartit, brinquebalant. Ses espoirs en berne.
L’essentiel, comme souvent, se déroula à l’arrière. Nous eûmes
rapidement une indication des intentions des uns et des autres en voyant les Astana
de Fabio Aru et les AG2R-LM de Romain Bardet imprimer le rythme du groupe
maillot jaune, réduit à une quarantaine d’unités.
Et puis survint une forme de
déluge temporaire, que nous n’avions pas vu depuis le passage en Andorre. Une
pluie assez battante s’installa, rendant précaire toute tenue de route. Dans la
descente de Bisanne, les chutes succédèrent aux chutes. Il était 16h52 : Christopher
Froome tâta lui aussi du goudron, dans un léger dévers, se releva, s’empara du
vélo d’un équipier, reprit sa chevauchée, mais en très mauvais état. Nous retînmes
notre souffle. Râpé au coude droit et sur le flanc du dos, qui donnait à voir de
profondes ecchymoses sanguinolentes, mal à l’aise sur cette bécane d’emprunt, le
maillot jaune, en souffrance, sembla vaciller dès les premiers pourcentages
du Bettex, transformé en course de côte.
Devant, le Français Romain Bardet, en quête du fameux podium
et parti dans les derniers hectomètres de la descente, profita de ce moment de
chaos collectif pour tenter d’entamer un numéro prestigieux, accompagné un moment
par Rui Costa. La trentaine de secondes d’avance sur les favoris suffirait-elle?
Un torrent d’encouragements dégringola de la foule compacte. Nous tremblions. Pour
rien. L’exploit était là et nulle part ailleurs. Au prix d’un effort violent, Bardet
mangea les pourcentages et son vélo oscilla encore harmonieusement entre ses
jambes, il allait sans trop de heurts, s’appliqua férocement à dissimuler son
supplice au profit d’une de ses plus belles pénitences. Il réalisa le magistral
coup double, celui espéré: non seulement il remporta une victoire d’étape
de prestige, mais il vint s’installer sur la deuxième marche du podium. «Je suis sur un nuage, c'est le vélo à
l'instinct», déclara le jeune auvergnat (25 ans) sur la ligne d’arrivée,
presqu'un an après son succès alpestre à Saint-Jean-de-Maurienne. L’aplomb adossé
au talent. Que demander de mieux?
Les conséquences de la chute de Froome. |
Car derrière, entre les favoris, sachant que Froome tirait
la langue – autant par douleur que par inconfort –, une sorte de bagarre s’engagea,
mais seulement par à-coups. Heureusement pour le Britannique, qui se montra
courageux, mais visiblement très en difficulté. Il concéda une demi-minute à
Bardet et – seulement – une poignée de secondes à ses rivaux. Sans conséquence
pour lui. Du moins pour l’instant. Lorsqu’il monta sur le podium protocolaire
pour recevoir son paletot jaune quotidien, chacun put d’ailleurs constater un
immense bandage à son genou droit. De quoi nourrir des inquiétudes.
Signalons que les grands perdants du jour s’appellent Richie
Porte et Bauke Mollema, respectivement rejetés aux cinquième et onzième places
du général. Quant à Nairo Quintana, il récupère, un peu par miracle, la
troisième marche. Mais ce n’est peut-être pas terminé… Ce samedi, le terrible
et réputé Joux-Plane constituera le dernier grand col du Tour 2016 et se
dressera en conclusion de la 20e étape, avant l'arrivée à Morzine. «Le format est court et dynamique»,
soulignait l’autre jour le directeur de course, Thierry Gouvenou, pour les
146,5 kilomètres comportant quatre ascensions. La course partira de Megève et
franchira trois cols, les Aravis (km 21), la Colombière (km 45,5) et la Ramaz (km
93,5), avant d'attaquer Joux-Plane, seule difficulté classée hors catégorie au
programme. Suivra une descente technique et piégeuse de 12 kilomètres.
Aurons-nous de nouvelles ondes de choc, à la veille des Champs-Elysées? Romain Bardet, qui a déjà tutoyé un petit bout de légende, acceptera-t-il de s’en emparer pleinement? Et pourquoi pas. En écrivant ces mots gorgés d’un soupçon d’émotion, le chronicoeur, qui n’en est pas moins archiviste, lâcha un cri sincère et chaleureux: «Lui, au moins, il a osé!»
Aurons-nous de nouvelles ondes de choc, à la veille des Champs-Elysées? Romain Bardet, qui a déjà tutoyé un petit bout de légende, acceptera-t-il de s’en emparer pleinement? Et pourquoi pas. En écrivant ces mots gorgés d’un soupçon d’émotion, le chronicoeur, qui n’en est pas moins archiviste, lâcha un cri sincère et chaleureux: «Lui, au moins, il a osé!»
(1) N’oublions pas l’abandon
du Néerlandais Tom Dumoulin (deuxième du chrono jeudi derrière Froome), en
raison d’une chute, à 62 kilomètres de l’arrivée.
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