vendredi 28 janvier 2022

Inhumanité(s)

Est-ce ainsi que les vieux meurent ? 

Cash. Et nous traversons un paysage de limbes en nous rappelant Baudelaire: «La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur d’un mortel.» La semaine écoulée se résume donc d’une question riche en mots nus : est-ce ainsi que meurent les vieux? Autant l’écrire en préambule, il serait pour le moins déplacé, sinon partial, de réduire les Fossoyeurs (Fayard) à la brutalité de son titre pourtant bien choisi. Depuis la publication des «bonnes feuilles» par le Monde, chacun se précipite sur l’ouvrage de Victor Castanet, une espèce de somme considérable qui dépasse, de loin, le simple brûlot accusateur. L’enquête du journaliste indépendant sur le «business» des maisons de retraite privées va bien au-delà, comme en témoigne la vague d’émotion suscitée par son contenu, sans parler de la panique de tout ce secteur d’activité comme celle du gouvernement, sommé de réagir aussi vite que possible face au trouble de l’opinion publique. À quelques encablures des élections, ce livre a le mérite de remettre le sujet – majeur – sur le devant de la scène. Car nous sortons bouleversés et broyés par la lecture de ces pages révoltantes et sordides qui narrent, dans le détail, le quotidien de nos aïeux, martyrisés, humiliés, abandonnés à leur solitude dans des conditions infâmes. Mais pas de méprise. Les «fossoyeurs» dont il s’agit ne sont pas les employés exploités et autres petites mains de ce monde si particulier (auxiliaires de vie, soignants, etc.), mais bien les dirigeants (et leurs kapos) des grands groupes pour lesquels la fin de vie est devenue un filon lucratif, une machine à cash, un système à déshumaniser.

Privé. Une société qui traite ses vieux de la sorte n’est plus très digne de son organisation collective. Alors que salariés des Ehpad se battent depuis des années pour dénoncer leurs conditions de travail (sous-effectifs, surrégime) et ce à quoi ils sont soumis par leur hiérarchie, autant le dire, il n’a pas fallu attendre cette publication choc pour connaître la situation réelle. Réduction des coûts et profits reste l’alpha et l’oméga de ce business financé en grande partie par l’État et sur lequel la pandémie a jeté une lumière crue. Sur les 7520 Ehpad, un quart appartient déjà au privé à but «commercial». Une loi les autorise d’ailleurs à bénéficier d’aides publiques. Les privatisations s’accélèrent et leur nombre ne cesse de croître, prenant le pas sur le secteur associatif. Inutile de préciser qu’une totale opacité règne sur la distribution directe de deniers publics aux 1820 Ehpad en question. Des centaines de millions d’euros, pour des groupes qui s’engraissent: Orpea (visé par les Fossoyeurs), Korian, Colisée, le Noble Age, Domidep, DomusVi, etc. Le bloc-noteur ne citera que trois exemples scandaleux qui illustrent la mécanique en place. Le groupe Korian redistribue, chaque année, environ 50 millions d’euros à ses actionnaires, parmi lesquels le Crédit agricole, la BNP ou JPMorgan. Orpea, le leader européen, possède comme premier actionnaire CPPIB, le plus gros fonds de pension canadien, mentionné dans l’enquête journalistique internationale «Paradise Papers» pour ses activités aux Bermudes. Quant à DomusVi, il émarge sur l’île de Jersey, dans un paradis fiscal!

Honte. Un ami du bloc-noteur, lui-même employé dans un Ehpad Orpea, raconte crûment: «De l’extérieur, les familles voient les lustres dans la salle de restaurant, mais, en vrai, quand on sert les belles assiettes, il n’y a rien à bouffer dedans, et dans les chambres, les patients vivent dans leurs excréments.» Et il résume: «Ce qui compte, ce n’est pas l’humain, c’est l’argent, rien que l’argent. J’ai honte…» La vie n’est qu’un souvenir, rehaussé ou hanté par nos combats. Eux-mêmes tissés de ce que le souvenir peut avoir d’impalpable, de flou… et surtout d’injuste.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 29 janvier 2022.]

mardi 25 janvier 2022

Projet de société

PCF-MEDEF : le choc des idées et, bien au-delà, deux visions du monde.

Les hasards du calendrier s’avèrent parfois facétieux, sinon taquins. Ainsi donc, ce lundi 24 janvier, à la même heure, deux hommes donnaient une conférence de presse. D’un côté, le candidat communiste Fabien Roussel exposait les grandes lignes de son programme. D’un autre côté, Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, détaillait les propositions du patronat pour la présidentielle. Vous l’avez compris : le choc des idées. Et, bien au-delà, deux projets de société absolument frontaux. Deux visions du monde, en quelque sorte.

Salaires, emploi, retraites, fiscalité, temps de travail, aides aux entreprises, rôle de l’État, etc. Les sujets de débat et de discorde ne manquent pas, au moment où se profile une séquence électorale décisive pour l’avenir du pays. Nous connaissons le dilemme. Est-il possible, oui ou non, de rompre avec le libéralisme politique et économique par lequel toute visée de développement authentiquement humaniste se confronte à la sauvagerie de l’argent, des profits et de la haute finance du capitalisme globalisé. Avec la droite et son extrême, sans oublier Emmanuel Macron bien sûr, le système n’a rien à craindre. Ce qu’ils nomment tous «réformes» ne sont rien d’autre que la continuation de la contre-révolution néolibérale qui atomise le monde du travail et continue de creuser les inégalités.

Soyons clairs: l’ambition programmatique des «jours heureux» n’est pas un rêve désincarné. Les propositions, concrètes, disent «quelque chose» de l’ampleur de la tâche en tant qu’exigence de gauche. Le Smic à 1 500 euros net; 500 000 emplois en plus dans les services publics; un revenu étudiant à partir de 850 euros; la nationalisation d’EDF; le triplement de l’ISF. Les exemples foisonnent et participent désormais du débat public – avec d’autres –, sachant que les Français placent largement en tête de leurs préoccupations la crise sociale et le pouvoir d’achat, comme en témoigne un sondage Ipsos pour France Inter.

Un petit rappel, comme pour s’en inspirer. Le geste que posèrent les révolutionnaires de 1946 en créant le régime général consistait à socialiser une part importante de la valeur dans un régime unique qu’ils gérèrent eux-mêmes pour produire une autre valeur que la valeur capitalistique. Au XXIe siècle, l’enjeu se situe au moins au même niveau! 

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 25 janvier 2022.]

vendredi 21 janvier 2022

Héritage(s)

Vingt ans après, l’histoire a tranché. Même mort, Pierre Bourdieu continue de faire peur aux puissants. 

Action. «Il n’est sans doute pas faux de considérer la sociologie comme une conquête sociale», écrivait Pierre Bourdieu dans un texte inédit que nous avions publié en 2012. Sans accorder une confiance excessive au pouvoir des discours, il avait cependant la conviction que la connaissance sociologique pouvait produire des raisons et des moyens d’agir sur la réalité sociale. De quoi l’œuvre de Bourdieu est-elle le nom? Lors de la publication de la Misère du monde (1993), il emprunta à Spinoza cette formule qui tenait lieu sinon de définition du moins de ligne conductrice: «Ne pas déplorer, ne pas rire, ne pas détester, mais comprendre…» De quoi son héritage intellectuel est-il le signe? Dans Méditations pascaliennes (1997), le professeur au Collège de France évoquait «la pression ou l’oppression, continues et souvent inaperçues, de l’ordre ordinaire des choses, les conditionnements imposés par les conditions matérielles d’existence» et il mettait à nu ce qu’il nommait «violence symbolique» comme pour nous rappeler que l’un de ses soucis constants fut bien sûr de participer de l’action, mais que, si urgente soit-elle, celle-ci ne saurait se passer de l’effort théorique et de l’analyse des mécanismes de «domination». Domination: le maître-mot bourdieusien par excellence…

Engagé. Le bloc-noteur réalise à peine: vingt ans, déjà, que Pierre Bourdieu a succombé à un cancer et nous ne nous lassons pas – moins que jamais – de puiser à la source du sociologue et de «l’intellectuel critique», dont il acceptait et assumait toutes les acceptions. Le meilleur penseur n’est-il pas celui qui pense d’abord contre lui-même? Et à quoi sert l’intellectuel, sinon à déconstruire le discours dominant et permettre la production d’utopies réalistes? Car la révolution Bourdieu restera cette manière nouvelle de voir le monde social qui accorde une fonction majeure aux structures symboliques. L’éducation, la culture, la littérature, l’art, les médias et, bien sûr, la politique appartiennent à cet univers. Il disait: «Il faut, pour être un vrai savant engagé, légitimement engagé, engager un savoir.» C’est sans doute pour en avoir tiré les conséquences et avoir participé, plus que n’importe quel autre intellectuel, aux luttes symboliques et politiques de son temps qu’il fut considéré comme l’ennemi numéro un, unanimement reconnu et ouvertement désigné, de tous les défenseurs de l’ordre néolibéral.

Radicalité. Deux décennies ont filé sous nos yeux et une question s’impose: l’injonction politique et l’engagement total sont-ils victimes de notre temps? Chacun peut en témoigner : attention à l’éventuelle tentation – pourtant impossible – de domestication de l’Idée et des concepts bourdieusiens. À la faveur d’un anniversaire tout rond, certains ne manqueront pas de le revisiter à leur plus grand profit, nous imposant un Bourdieu inoffensif, tentant même une neutralisation de son œuvre interprétée comme une soumission aux déterminismes sociaux, alors qu’elle ne fut qu’un chemin de libération dans le processus de compréhension de l’émancipation humaine. Sa radicalité intrusive en aura exaspéré plus d’un, parfois même chez ceux qui louaient son travail et s’employaient publiquement à l’honorer, à le diffuser, à le transmettre. Sa radicalité d’homme libre, portée au plus haut degré de l’intelligence, nous manque aujourd’hui. Comme nous manque son invitation à ce que «la gauche officielle» sache «entendre et exprimer» les aspirations de «la gauche de base». Il était une sorte d’ennemi numéro un de tous les libéraux qui, depuis sa disparition, tirent à boulet rouge sur la sociologie et la mémoire bourdieusienne. Les «gestionnaires», de gauche comme de droite, ne l’aimaient pas. Vingt ans après, l’histoire a tranché : même mort, Pierre Bourdieu continue de faire peur aux puissants !

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 21 janvier 2022.]

dimanche 16 janvier 2022

Et les milliardaires se gavent...

Selon Oxfam, la fortune des riches de la planète a plus augmenté en dix-neuf mois de pandémie qu’au cours de la dernière décennie.

Les mots, parfois, ne traduisent qu’imparfaitement la sidération, les colères… Tel fut notre sentiment, après la lecture du dernier rapport d’Oxfam sur les inégalités mondiales. Tout se résume en une phrase: la fortune des milliardaires de la planète a plus augmenté en dix-neuf mois de pandémie qu’au cours de la dernière décennie. Vous avez bien lu. Il s’agit même de la plus forte augmentation depuis que ce type de données est recensé. Les plus riches des riches se portent d’ailleurs tellement bien qu’il a fallu récemment inventer un nouveau terme, celui de centimilliardaires, afin de les différencier de leurs «petits» congénères, tant certains se situent désormais en orbite du capitalisme globalisé. On ne présente plus les Elon Musk, Jeff Bezos et autres Mark Zuckerberg, qui pèsent à eux trois les PIB de la Finlande et de la Norvège réunis. Les maîtres du monde se gavent.

La solide performance des Bourses en 2021 a largement profité aux plus grandes fortunes. Les 500 personnes les plus riches ont vu leur patrimoine s’accroître de plus de 1000 milliards de dollars en un an. Dorénavant, il faut «valoir» plus de 100 milliards pour espérer entrer dans le top 10 mondial… La crise, mais quelle crise? Depuis l’apparition du Covid, un nouveau milliardaire apparaît toutes les vingt-six heures, tandis que 160 millions de personnes sont tombées dans la pauvreté. L’humanité semble plus polarisée que jamais: 10% des adultes les plus riches concentrent 55% des revenus. Du jamais-vu. Rappelons au passage que, depuis 2013, le rythme de la réduction de la pauvreté ralentit – c’est inédit – et que près de la moitié de la population mondiale vit avec moins de 5 euros par jour.

L’explosion des inégalités sévit partout et les milliardaires français ne sont pas en reste. Tenez-vous bien: leur fortune a augmenté de 86% dans la même période. Comme l’écrit Oxfam, «avec les 236 milliards supplémentaires engrangés» par les Arnault, Pinault et consorts, «on pourrait quadrupler le budget de l’hôpital public ou distribuer un chèque de 3500 euros à chaque Français». Un beau sujet pour la séquence électorale, non?

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 17 janvier 2022.]

jeudi 13 janvier 2022

Enfer(s)

Quand Stromae tord la «loi» d’un JT…

Génie. Et soudain, après un long silence aussi improbable que calculé, des notes de musique résonnent sur le plateau d’un JT et l’interviewé, toujours assis, se met à chanter en direct d’une voix placée, intense et magistrale. Le choc. Tandis que le temps en lui-même se suspend au-delà de l’attention, tout devient affaire de regard, d’écoute, de captation absolue. Prodigieuses minutes de stupéfaction inouïe. Comme un moment de bascule. Une plongée dans un monde nouveau de l’information, en quelque sorte. À cet instant précis, le bloc-noteur sait pourquoi il apprécie l’artiste et ses façons peu ordinaires. Stromae a du génie: trop pour ne pas s’en servir, jusqu’à tordre ceux à qui il reste des yeux pour voir, des oreilles pour entendre et un minimum de réflexion pour comprendre ce qui se joue d’exceptionnel et d’incongru. En pleine promotion de son troisième album, Multitude, qui sortira le 4 mars, le Belge Paul Van Haver, alias Stromae, voulait donc partager sa nouvelle chanson, intitulée l’Enfer. Au départ, il n’y eut rien d’anormal, et un peu plus de sept millions de téléspectateurs assistaient à un entretien en bonne et due forme. L’homme répondait aux questions de la présentatrice ­Anne-Claire Coudray. Après un long échange (ses influences, la perte du père, la solitude, la gloire, les failles, etc.), cette dernière lui demanda finalement comment il était parvenu à se dépatouiller d’un état dépressif, si la musique l’avait aidé. Il ne répondit pas. Il chanta l’Enfer et ses aveux de pensées suicidaires. Stromae excelle dans l’art de donner de la lumière à l’ombre. Dès lors, plus rien ne ressemblait à rien dans cette séquence –déjà– entrée dans l’histoire. Toutes les normes d’un journal télévisé venaient de valdinguer…

Spectacle. La prestation – éblouissante – n’est pas en cause. Les paroles non plus: «Oui, j’ai parfois eu des pensées suicidaires, et j’en suis peu fier. On croit parfois que c’est la seule manière de les faire taire, ces pensées qui me font vivre un enfer.» Sauf que, durant trois minutes, nous crûmes avoir été plongés de force dans une réalité alternée, un étrange mélange des genres, entre merchandising et infotainment. Du jamais-vu à un JT. Mais que venait-il de se passer, exactement? «Ils nous ont fait part de leur envie de casser un peu les ­codes du JT et d’interpréter un titre dans notre édition. On a été très flattés. Nous avons ensuite discuté pour voir quel était le meilleur moyen de le faire», a expliqué Cyril Auffret, rédacteur en chef du 20 heures. Ainsi, durant un mois, les équipes du chanteur et de la chaîne ont échangé sur la manière de réaliser cette séquence pour le moins embarrassante. Information? Divertissement? Où se situe désormais la frontière? Où se trouve la fameuse déontologie journalistique, cornérisée l’espace d’une interprétation, fût-elle monumentale d’émotion? Que devient l’éthique, négociable à souhait au profit de la société du spectacle? Qu’est-ce qui a poussé la rédaction de TF1 à franchir cette espèce de ligne rouge? Grand moment de télévision ou coup marketing?

Sens. Certains diront que nous intellectualisons tout, que nous ne voyons plus dans l’art qu’une technique de contournement, juste une coupable industrie où prospèrent manipulateurs, truqueurs et frustrés. Subsiste néanmoins cette ligne de front, cette préparation à l’exil, douteuse et attendrie sans être artificielle. D’autant que, par son audace et la nudité renversante de cet exercice peu commun, dans le flux bruyant atténué par le marteau de nos pas et la forge de nos souffles, Stromae a aussi voulu mettre en lumière la santé mentale. Bref, le côté sombre en chacun d’entre nous. Beaucoup lui rendent hommage pour ce geste ultime, celui d’avoir tordu la «loi» d’un JT. La polémique va durer. Tout flotte, tout s’étiole, tout se noie dans le sens – ou sa perte. Ce que nous ignorons n’existe pas, mais ce qui se voit, et se décide en conscience, nous détermine…

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 14 janvier 2022.]

mardi 11 janvier 2022

Surenchère

Macron vante son «bilan» en matière de sécurité dans la bonne ville de Nice. Le mano a mano avec la droite et son extrême se poursuit, s’intensifie.

Ainsi donc, le prince-président-candidat entre en campagne exactement là où nous l’avions laissé la semaine dernière : par la surenchère. Après avoir lancé une pathétique joute contre certains citoyens catégorisés, sinon exclus de l’idée que nous nous faisons de la République, Emmanuel Macron est allé vanter son «bilan» en matière de sécurité dans la bonne ville de Nice, experte hors normes dans l’application de mesures liberticides. Pas de hasard. Le mano a mano avec la droite et son extrême se poursuit, s’intensifie. D’un côté, certains citoyens n’en seraient plus vraiment ; de l’autre, on ressort le Kärcher ; tandis que les néofascisants jubilent dans l’antihumanisme…

Ce déplacement du chef de l’État s’inscrit dans la suite logique de cette infâme course à l’échalote ultrasécuritaire dont Macron, depuis cinq ans, est devenu l’un des thuriféraires exemplaires et actifs. Autant de soudures sur l’arc du temps, entre le discours sur le «séparatisme» ou le «Beauvau de la sécurité», qui témoignent de l’ordolibéralisme assumé de l’hôte de l’Élysée. Et que nous promet-il cette fois? La même chose à l’horizon 2030, en pire.

Cette dérive politico-idéologique puise ses racines loin en arrière, une trentaine d’années d’un processus de droitisation et de libéralisme infernal, plus ou moins lent d’abord, puis vécu en accéléré en raison des crises sociales, du terrorisme, du Covid et de tant d’autres facteurs provoqués par toutes les propagandes démagogiques, loin, très loin des vraies préoccupations, des souffrances populaires, de la situation effarante des services publics. Le but? Étouffer les forces de gauche et progressistes, les organisations syndicales, tous ceux qui savent que «la France qui vient» ne sera pas celle qu’on nous promet.

À trois mois de la présidentielle, la réponse ne viendra que d’en bas, depuis les tréfonds de ces colères dues aux crises successives qui s’accumulent. Si les peurs nourrissent le pire, les luttes, elles, rassurent et rassemblent. «J’ignore où se livrera le combat entre le vieux monde et le nouveau, mais peu importe: j’y serai», disait Louise Michel. Et elle ajoutait: «Et quelque part que ce soit, l’étincelle gagnera le monde ; les foules seront debout, prêtes à secouer les vermines de leurs crinières de lions.» L’espoir ne nous abuse jamais!

[EDITORIAL publié dans l’Humanité du 11 janvier 2022.]

jeudi 6 janvier 2022

Déshonneur(s)

Le candidat Mac Macron et les citoyens…

Mépris. Et maintenant, le prince-président choisit ses Sujets… Depuis son interview donnée au Parisien, le feu roulant de la polémique ne ralentit pas, et pour cause. Beaucoup se sont braqués sur cette fameuse phrase: «Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. Et donc on va continuer de le faire, jusqu’au bout. C’est ça, la stratégie», y voyant à juste titre une forme de catégorisation assez indigne pour un homme assurant les plus hautes fonctions de l’État, nous rappelant quelques-unes de ses fulgurances antérieures affligeantes, «le pognon de dingue», «les gens qui ne sont rien», «les illettrés», ou, le clou du spectacle permanent: «Je traverse la rue et je vous en trouve», du travail. Soit, mais dans le même entretien au Parisien, il y eut plus grave et sérieux: «Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Un irresponsable n’est plus un citoyen.» Dans la bouche de Mac Macron, les mots ont un sens et ne prêtent rien au hasard. Tout procède de la stratégie d’un candidat déjà en campagne («Il n’y a pas de faux suspense, j’ai envie», assure-t-il) aussi disruptif que périlleux, dans un mélange très assumé de mépris, d’arrogance et de division. Qui est donc citoyen? Et qui en décide? Mac Macron en personne, seul, s’octroyant ainsi le droit divin du grand «triage», de la sélection entre les «bons» et les «mauvais», au risque de braquer les Français les uns contre les autres? Déchoir de la citoyenneté, même symboliquement, ne fût-ce que par les mots, reste un acte grave, fondamental, en République. Jupiter s’autorise tout.

Peuple. Vous connaissez la formule: la «forme», c’est du «fond» qui remonte à la surface. Sur la forme, aucune contestation: l’insulte est grossière et brutale. Le bloc-noteur, en réaction, ajoutera juste que lui aussi emmerde les irresponsables et les puissants supposés, ceux qui détruisent l’école, ceux qui ruinent l’hôpital, ceux qui aident les évadés fiscaux, ceux qui détestent les autres. Sur le fond, en revanche, l’affaire se corse quelque peu. À un peu plus de trois mois de l’élection monarchique, Mac Macron choisit résolument la tactique du clivage comme un calcul très pensé, presque réfléchi, quoique décidée au lendemain matin du «blocage» parlementaire par le «coup du rideau». Plutôt malin, instinctif, le côté «moi contre tous» en politique institué, versus le peuple. Car, lui aussi connaît les chiffres: 90% de la population éligible se trouvent désormais vaccinés et une majorité se déclare favorable au passe vaccinal. Par son infâme provocation sur l’atteinte à la citoyenneté, il tente d’inverser le processus en forçant les oppositions à tomber les masques, tout en cornérisant LR, associé de fait aux extrêmes et aux antivax. Quitte à oublier ses promesses à l’endroit des Français, prononcées sur TF1 le 15 décembre 2021: «Dans certains de mes propos, j’ai blessé des gens. Et c’est ça que je ne referai plus…»

Bonapartisme. Les dégâts politiques seront peut-être considérables, d’autant que la séquence, qui en ouvre résolument une autre, survient après une petite phrase – passée inaperçue – lors de ses vœux: «Les devoirs valent avant les droits.» Du Nicoléon dans le texte. Cinq ans après son élection, personne ne sait vraiment qui est Mac Macron, même pas lui. Il se nourrit des situations, des conjonctures, bien plus qu’il ne les crée. Il joue «entre», en télé-évangéliste, comme si sa visibilité médiatique était d’autant plus grande qu’est petite sa visibilité doctrinale. Et pendant que nous nous agitons, le monde file. Et lui, l’accompagne sans état d’âme. De quoi est-il le nom? Celui de l’ubérisation de la société, prenant acte de l’explosion du travail en l’accélérant. Ce «modèle», il le met en œuvre et signe la fin de l’État providence. Mais pas la fin du bonapartisme… 

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 7 janvier 2022.]

dimanche 2 janvier 2022

"Revalorisation" du SMIC : salauds de pauvres…

Alors que les prix continuent de grimper, la hausse automatique du salaire minimum a été fixée à 0,9%. Juste une aumône.  

Ainsi donc, les douceurs hérissées de ce début janvier annoncent déjà des froideurs coupantes pour les plus démunis. Salauds de pauvres: voilà à quoi se résume la pseudo-«revalorisation» du Smic pour la nouvelle année, cadeau amer d’un pouvoir exécutif à mille lieues des préoccupations véritables. Alors que les prix continuent de grimper allègrement et que l’inflation s’affiche à près de 3% en 2021, la hausse automatique du salaire minimum a été fixée à 0,9%. Pas de «coup de pouce». Juste une aumône, qui constitue une fois encore un scandale. Doublé d’une honte: pas un mot d’Emmanuel Macron sur le sujet, lors de ses vœux aux Français. Plus grave, à en croire le chef de l’État, la France se porterait mieux qu’il y a un an, deux ans. Mais de quoi parle-t-il, en dressant un bilan panégyrique «à la cavalcade», tentant benoîtement de dessiner un paysage surréaliste d’«optimisme» et de «tolérance» qui tranche tant et tant avec celui qu’il nous propose depuis cinq ans?

Ah, si ! le prince-président, tout hors-sol soit-il, a des lettres, et il le montre solennellement: «Pour ma part, quelles que soient ma place et les circonstances, je continuerai à vous servir. Et de la France, notre patrie, nul ne saura déraciner mon cœur.» À en croire la dernière expression, M. Macron a lu l’Étrange Défaite, de Marc Bloch. Nous aussi. L’historien français et résistant, torturé puis massacré par la Gestapo en 1944, écrivait également: «Tout malheur national appelle d’abord un examen de conscience.» Non, la France ne se porte pas «mieux» en 2022, et inutile d'imaginer, comme en 1940, que nous disposons de la meilleure armée au monde, avant d’assister à son effondrement, pour comprendre que la crise et toutes les crises que nous traverserons ici-et-maintenant devraient être l’occasion d’une épreuve de vérité. Pour regarder les choses en face.

Car, pendant qu’une grande partie de nos concitoyens crèvent de ne pas boucler les fins de mois, de ne pas se chauffer et de ne pas manger dignement, toute la presse économique vient de sabrer le champagne unanimement. Le CAC 40 a achevé 2021 sur une progression de près de 30%, du jamais-vu depuis plus de vingt ans. Les 500 plus grandes fortunes françaises détiennent désormais 47% du PIB national, contre 6% il y a vingt-cinq ans. Une étrange défaite, assurément. Mais pas pour tout le monde…

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 3 janvier 2022.]