Toutes les victoires du monde valent-elles qu’on dépouille l’homme de son esprit, de sa morale, de son libre arbitre? Et que dire d’une performance quand elle se mesure dans le sang?
Vélo. Nous n’entrons jamais par effraction dans la sacristie du vélo, les yeux embués par l’émotion trahie, titubant mais cherchant çà et là, épars parmi nos propres convulsions, quelques traces de notre sport aimé, de notre Tour chéri, nous disant que, toute foi devenue impossible, il nous fallait cheminer parmi les ombres en préservant l’Idée par laquelle nous refusons l’exécution. Les initiés le savent : le cyclisme a toujours été
un cercle de feu que les mots seuls peuvent verbaliser. Las. Mangé par le temps (celui de la globalisation) et le dopage (celui de la biochimie sanguine et génétique), le vélo a cessé d’être cet art figuratif que le chronicœur de Juillet a croisé trop brièvement lors de ses toutes premières Grandes Boucles
– déjà 23 au compteur… Pourtant, en tendant bien l’oreille, nous percevons la rumeur du siècle dernier, le sifflement des roues sur l’asphalte et les cris du peuple du Tour. Mieux, en chaussant des lunettes grand braquet, le nez dans les Saintes Écritures, nous dénichons dans le livre des Illustres de quoi nous consoler les yeux. Des histoires à veiller à la chandelle. Pour ne pas avoir à nous rouler comme un bidon dans le fossé.
Armstrong. Écœurés par la métamorphose des corps et la perversion des esprits au service du biopouvoir, que pouvons-nous dire qui n’ait été jamais énoncé ou suggéré, à défaut de nous trouver une place, une petite, en intelligence et en raison? Croyez-nous, par sa vérité nue qu’aucune tricherie
ne peut aliéner totalement, le vélo permet de sonder les âmes.
vendredi 26 octobre 2012
mardi 23 octobre 2012
Armstrong : enfin, la roue tourne
Célébré par Bush et Sarkozy, l'ex-septuple vainqueur du Tour désormais déchu de tous ses titres, fut le symbole du catéchisme marchand.
«Armstrong n’a aucune place dans le cyclisme. Il mérite d’être oublié.» En entendant ces mots, hier, dans la bouche du président de l’Union cycliste internationale, Pat McQuaid, il nous fallut un long moment d’introspection pour mesurer à sa juste valeur le poids des années endurées comme l’ampleur du cataclysme annoncé. Comprendre ne va jamais sans tremblements, surtout quand il s’agit du plus grand scandale du sport moderne. Depuis la lecture du rapport de l’agence antidopage américaine (Usada) et ce qu’elle appelle «une conspiration du dopage le plus sophistiqué jamais révélé dans l’histoire», il ne pouvait en être autrement. Exit l’ex-idole de juillet. Enfin!
Acteur cynique d’une époque née de la métamorphose des corps par le sang et la génétique, Lance Armstrong avait mis en place «un système mafieux» pour «assurer le secret» sur une organisation gigantesque, au service d’une icône incomparable et inégalée. Souvenons-nous.
Acteur cynique d’une époque née de la métamorphose des corps par le sang et la génétique, Lance Armstrong avait mis en place «un système mafieux» pour «assurer le secret» sur une organisation gigantesque, au service d’une icône incomparable et inégalée. Souvenons-nous.
lundi 22 octobre 2012
Poilu(s) : Jean Echenoz réinvente 14-18 par les mots
Avec son dernier livre, l'écrivain réussit le tour de force de nous faire pénétrer dans l’horreur vécue, avec son concret, sa déchéance, ses états d’âme et même la souffrance et la mort au combat, sans jamais s’embourber dans la grande fresque guerrière.
Echenoz. L’enfer est à venir – dans pas longtemps. Et avec lui une certaine banalisation du non-pensable – en tant qu’imaginaire enfoncé. Pour l’instant, les croyances de l’amour se brûlent d’elles-mêmes comme un mystère déchiffrable à mesure que s’élancent ou se résignent les incitations aux grâces de la vie. Dans les toutes premières pages de 14 (éditions de Minuit), le dernier roman de Jean Echenoz, une certaine Blanche est amoureuse de Charles et celui-ci parade, comme les autres, avant de partir au front, fleur au fusil et joie aux lèvres. Nous sommes en août 1914. Charles, jeune mobilisé, sur lequel Blanche porte «un sourire fier de son maintien martial», traîne avec lui une bande de copains. Ils s’appellent Anthime, Padioleau, Bossis et Arcenel, autant de patronymes qui éveillent l’imagination à leur simple lecture, sûrement dénichés sur quelques monuments aux morts. Témoins privilégiés des réalités d’une histoire mondiale racontée à hauteur d’homme.
Cauchemar. Nous voilà avec un garçon boucher, un équarrisseur, un bourrelier, un contremaître. Des camarades de pêche et de bistros. Ils «partent» à la guerre. Et nous partons avec eux ; nous les accompagnons, plutôt ; et chemin faisant nous tentons d’imaginer ce que ces hommes, ces gamins, pouvaient ressentir et penser alors que le chaos allait s’abattre sur eux, transformant l’insouciance de leur existence en cauchemar absolu.
Jean Echenoz. |
Cauchemar. Nous voilà avec un garçon boucher, un équarrisseur, un bourrelier, un contremaître. Des camarades de pêche et de bistros. Ils «partent» à la guerre. Et nous partons avec eux ; nous les accompagnons, plutôt ; et chemin faisant nous tentons d’imaginer ce que ces hommes, ces gamins, pouvaient ressentir et penser alors que le chaos allait s’abattre sur eux, transformant l’insouciance de leur existence en cauchemar absolu.
vendredi 19 octobre 2012
Cyclisme et dopage : le système Ferrari mis à jour
La Gazzetta Dello Sport vient de révéler les rouages du système mis en place par le docteur italien Michele Ferrari. Un vaste système de comptes bancaires en Suisse, de faux contrats et d'évasion fiscale pour financer le dopage...
L'Espagne avait l'affaire Puerto, une vaste organisation de dopage autour du tristement célèbre docteur Fuentes. L'Italie découvre (sans vraiment le découvrir d'ailleurs) le système Ferrari. Déjà abondamment cité dans le rapport de l'USADA sur Lance Armstrong, le médecin italien de 59 ans a pendant des années régné sur un réseau à grande échelle de dopage: voilà ce que vient de révéler la Gazzetta dello Sport, jeudi 18 octobre, en s'appuyant sur l'enquête judiciaire de Padoue mené depuis 2 ans. Les juges ont carrément démasqué une entreprise qui pesait "un chiffre d'affaires de 30 millions d'euros", impliquant, tenez-vous bien, vingt équipes professionnelles entre 2008 et 2011... Michele Ferrari est ainsi poursuivi pour "association pour contrebande", "vente et administration de produits dopants", "blanchiment d'argent" et "évasion fiscale". N'en jetez plus!
Le médecin Michele Ferrari. |
jeudi 18 octobre 2012
Armstrong abandonné de tous
Après son sponsor Nike, au tour de Trek, du brasseur Anheuser-Busch et d'autres encore, de lâcher le cycliste américain.
Lance Armstrong, de plus en plus seul. Pour un peu, un soupçon d'émotion se cacherait derrière l'écriture de ces quelques mots... mais n'exagérons pas, tout de même! L'ex-septuple vainqueur du Tour a en effet été brutalement lâché, mercredi 17 octobre, par l'un de ses plus solides soutiens, l'équipementier Nike, puis par Trek, le fabricant des cycles avec lesquels il a gagné tous ses titres de gloire, par le brasseur Anheuser-Busch, par une société de boisson énergétique (FRS), par une compagnie de nutrition sportive (Honey Stinger) et même par le fabricant des casques Giro… Tout cela en quelques heures. Comme si l’opération «débarrassons-nous d’Armstrong» avait été concertée par toutes les sociétés qui s’étaient associées à lui durant si longtemps.
Une semaine après le rapport accablant de l'Agence américaine antidopage (Usada), qui a détaillé son rôle dans «le programme de dopage le plus sophistiqué jamais vu dans l'histoire du sport» (et que je raconterai ici-même dans quelques jours sous la forme d’un feuilleton), l'Américain de 41 ans a également annoncé qu'il démissionnait de la présidence de Livestrong, l'association de lutte contre le cancer qu'il avait fondée en 1997 sous le nom de «Lance Armstrong Fondation», peu après avoir vaincu la maladie. Ainsi donc, cerné de toutes parts, Armstrong a choisi de s'éloigner de sa fondation afin, déclare-t-il, de la préserver des dommages collatéraux et lui «épargner les effets négatifs liés à la controverse entourant (s)a carrière de cycliste».
Lance Armstrong, de plus en plus seul. Pour un peu, un soupçon d'émotion se cacherait derrière l'écriture de ces quelques mots... mais n'exagérons pas, tout de même! L'ex-septuple vainqueur du Tour a en effet été brutalement lâché, mercredi 17 octobre, par l'un de ses plus solides soutiens, l'équipementier Nike, puis par Trek, le fabricant des cycles avec lesquels il a gagné tous ses titres de gloire, par le brasseur Anheuser-Busch, par une société de boisson énergétique (FRS), par une compagnie de nutrition sportive (Honey Stinger) et même par le fabricant des casques Giro… Tout cela en quelques heures. Comme si l’opération «débarrassons-nous d’Armstrong» avait été concertée par toutes les sociétés qui s’étaient associées à lui durant si longtemps.
Une semaine après le rapport accablant de l'Agence américaine antidopage (Usada), qui a détaillé son rôle dans «le programme de dopage le plus sophistiqué jamais vu dans l'histoire du sport» (et que je raconterai ici-même dans quelques jours sous la forme d’un feuilleton), l'Américain de 41 ans a également annoncé qu'il démissionnait de la présidence de Livestrong, l'association de lutte contre le cancer qu'il avait fondée en 1997 sous le nom de «Lance Armstrong Fondation», peu après avoir vaincu la maladie. Ainsi donc, cerné de toutes parts, Armstrong a choisi de s'éloigner de sa fondation afin, déclare-t-il, de la préserver des dommages collatéraux et lui «épargner les effets négatifs liés à la controverse entourant (s)a carrière de cycliste».
Le poison eurocrate : quand Bruxelles veut privatiser la Sécu !
Livrer notre Sécurité sociale
à la concurrence transformerait notre système public en un marché d’assurances privées.
Les monstres modernes agissent avec la froideur implacable de leur époque. La preuve, nous ne nous méfions jamais assez des eurocrates de Bruxelles. Toujours à l’affût d’une occasion pour tenter de constitutionnaliser le libéralisme dans les moindres interstices de leurs directives, ils ont l’art d’immiscer leur poison sous la forme de mots obscurs, en apparence indolores, mais qui, inoculés par surprise, ont la puissance des venins mortels. Ainsi, quelle ne fut pas la surprise de quelques députés européens en découvrant l’une des annexes d’une proposition de directive sur la «passation des marchés publics». Maître d’œuvre, l’ineffable Michel Barnier, alias commissaire européen au Marché intérieur et aux Services. Ce projet propose ni plus moins que de livrer la Sécurité sociale à la concurrence. Par le biais d’appels d’offres, notre actuel système public se transformerait en un marché d’assurances privées.
L’affaire est sérieuse. Introduire des mécanismes dits de «concurrence» au sein d’un secteur jusque-là sanctuarisé autour des principes sacrés de solidarité signifierait la fin d’un des derniers piliers de notre pacte social. La possibilité de soigner gratuitement, quelle que soit la gravité du mal et quel que soit le niveau de vie du malade, reste une prérogative fondamentale de la République que nous ont léguée les membres du Conseil national de la Résistance.
Les monstres modernes agissent avec la froideur implacable de leur époque. La preuve, nous ne nous méfions jamais assez des eurocrates de Bruxelles. Toujours à l’affût d’une occasion pour tenter de constitutionnaliser le libéralisme dans les moindres interstices de leurs directives, ils ont l’art d’immiscer leur poison sous la forme de mots obscurs, en apparence indolores, mais qui, inoculés par surprise, ont la puissance des venins mortels. Ainsi, quelle ne fut pas la surprise de quelques députés européens en découvrant l’une des annexes d’une proposition de directive sur la «passation des marchés publics». Maître d’œuvre, l’ineffable Michel Barnier, alias commissaire européen au Marché intérieur et aux Services. Ce projet propose ni plus moins que de livrer la Sécurité sociale à la concurrence. Par le biais d’appels d’offres, notre actuel système public se transformerait en un marché d’assurances privées.
L’affaire est sérieuse. Introduire des mécanismes dits de «concurrence» au sein d’un secteur jusque-là sanctuarisé autour des principes sacrés de solidarité signifierait la fin d’un des derniers piliers de notre pacte social. La possibilité de soigner gratuitement, quelle que soit la gravité du mal et quel que soit le niveau de vie du malade, reste une prérogative fondamentale de la République que nous ont léguée les membres du Conseil national de la Résistance.
mardi 16 octobre 2012
Mordillat : «Un écrivain sert à ne jamais renoncer à l’esprit critique»
Pour la rentrée littéraire, l’écrivain et réalisateur Gérard Mordillat, toujours résolument engagé, frappe un grand coup avec Ce que savait Jennie (Calmann-Lévy), un roman qui emprunte à l’opéra pour sa construction, au conte philosophique pour le récit romanesque – plus que jamais aux prises avec le réel. Le personnage de Jennie vous hantera longtemps après lecture… Voici l'entretien que j'ai réalisé avec lui.
-Quelle est la situation de Jennie?
Gérard Mordillat. Sa situation familiale est éclatée. Jennie vit avec Olga, sa mère, et Mike, le compagnon de celle-ci. Mike n’est pas son père, il est celui de Malorie, une autre fille, qu’il a eue avec Olga. Jennie considère Malorie comme sa sœur et plus encore comme son enfant puisque c’est elle qui s’en occupe du matin au soir. Sur le plan géographique et affectif, je dirais que Jennie vit dans une grande solitude et un grand isolement. Mike travaille dans le bâtiment, part tôt et rentre tard, Olga travaille en usine, la maison qu’ils habitent est à peu près au milieu de nulle part, entre une route et une voie de chemin de fer. Pour autant, nous ne sommes pas dans le quart-monde. Tout le monde travaille, la famille est logée, ils ont de quoi manger, de quoi s’habiller, Jennie et Malorie sont scolarisées. C’est une situation modeste, celle de bien des familles en France ; une situation que certains, à droite, n’hésiteraient pas, j’en fais le pari, à décrire comme «privilégiée»…
-Quelle a été la construction de ce livre?
Gérard Mordillat. En écrivant ce livre, j’avais en tête un opéra en quatre actes ou un chant à plusieurs voix, la Force du destin, de Verdi, ou les Kindertottenlieders (le Chant des enfants morts), de Mahler. Acte I. Juillet 2000, Mike, le beau-père de Jennie, fête ses quarante ans avec ceux du chantier et sa famille.
-Le titre de votre dernier livre, Ce que savait Jennie, porte l’écho d’une œuvre célèbre d’Henry James, Ce que savait Maisie…
Gérard Mordillat. De Maisie, Henry James écrit, je cite de mémoire: «Le destin de cette petite fille était de comprendre bien plus que toute autre petite fille n’avait jamais compris avant elle.» Je dirai exactement la même chose de Jennie. De treize ans à vingt-trois ans, c’est cette extraordinaire compréhension du monde que le livre raconte à travers les aventures de sa vie…-Quelle est la situation de Jennie?
Gérard Mordillat. Sa situation familiale est éclatée. Jennie vit avec Olga, sa mère, et Mike, le compagnon de celle-ci. Mike n’est pas son père, il est celui de Malorie, une autre fille, qu’il a eue avec Olga. Jennie considère Malorie comme sa sœur et plus encore comme son enfant puisque c’est elle qui s’en occupe du matin au soir. Sur le plan géographique et affectif, je dirais que Jennie vit dans une grande solitude et un grand isolement. Mike travaille dans le bâtiment, part tôt et rentre tard, Olga travaille en usine, la maison qu’ils habitent est à peu près au milieu de nulle part, entre une route et une voie de chemin de fer. Pour autant, nous ne sommes pas dans le quart-monde. Tout le monde travaille, la famille est logée, ils ont de quoi manger, de quoi s’habiller, Jennie et Malorie sont scolarisées. C’est une situation modeste, celle de bien des familles en France ; une situation que certains, à droite, n’hésiteraient pas, j’en fais le pari, à décrire comme «privilégiée»…
-Quelle a été la construction de ce livre?
Gérard Mordillat. En écrivant ce livre, j’avais en tête un opéra en quatre actes ou un chant à plusieurs voix, la Force du destin, de Verdi, ou les Kindertottenlieders (le Chant des enfants morts), de Mahler. Acte I. Juillet 2000, Mike, le beau-père de Jennie, fête ses quarante ans avec ceux du chantier et sa famille.
lundi 15 octobre 2012
Héritier(s) : l'aspiration à l'égalité des enfants de l'immigration
Le savez-vous? 97% des enfants d’immigrés sont de nationalité française. Conclusion? Rien ne sépare les héritiers de l’immigration du reste de la société.
Quartier. «La douleur de la banlieue… déborde, éclabousse et perturbe… La promiscuité, l’échec scolaire, le chômage sécrètent cet ennui qui égare et expulse ceux qui en souffrent vers la marge.» Relisant l’autre jour ces quelques mots de Tahar Ben Jelloun, nous avancions, à tâtons, au milieu de souvenirs épars jusqu’aux heures avancées de la nuit en écoutant, çà et là, le quartier hurler à en vivre. Des gémissements de voiture au loin. En bas, la rumeur trop pleine d’une infatigable jeunesse. Et puis dessus, dessous, le bruit lassant et répétitif de vies désœuvrées qui ne cessent de déraper faute de routes tracées. Vous voulez du vécu, de la matière à réalité? En voici, terrible et troublante, re-belle, repoussante et aimante. «Comment agir encore pour que cela change?» dit un voisin sans y croire. «La cité n’est pas un territoire étranger, c’est la France», affirme Abd Al Malik, le poète rappeur, cri du cœur contre cris de haine. Cet inhabitable, cet irrespirable sont autant de recours pour le combat qu’ils épuisent l’idée même de lassitude. Le mystère est là, indéchiffrable. Nulle absence ne touche davantage le bloc-noteur que son quartier populaire éloigné, sa solidarité, sa solidité obtuse, son bouillonnement malgré sa misère, qui adoucissent toute envie d’autres lieux, d’autres immensités humaines.
Pauvreté. Pendant que certains s’affichent dans la Ville lumière, qui scintille aux abords de l’autre côté du périph, d’autres subissent des conditions d’existence que la pudeur nous empêche de décrire. Les sociologues appellent cela «la radicalisation des difficultés socio-économiques» des territoires en question. Banlieue: concentré des tensions françaises?
Quartier. «La douleur de la banlieue… déborde, éclabousse et perturbe… La promiscuité, l’échec scolaire, le chômage sécrètent cet ennui qui égare et expulse ceux qui en souffrent vers la marge.» Relisant l’autre jour ces quelques mots de Tahar Ben Jelloun, nous avancions, à tâtons, au milieu de souvenirs épars jusqu’aux heures avancées de la nuit en écoutant, çà et là, le quartier hurler à en vivre. Des gémissements de voiture au loin. En bas, la rumeur trop pleine d’une infatigable jeunesse. Et puis dessus, dessous, le bruit lassant et répétitif de vies désœuvrées qui ne cessent de déraper faute de routes tracées. Vous voulez du vécu, de la matière à réalité? En voici, terrible et troublante, re-belle, repoussante et aimante. «Comment agir encore pour que cela change?» dit un voisin sans y croire. «La cité n’est pas un territoire étranger, c’est la France», affirme Abd Al Malik, le poète rappeur, cri du cœur contre cris de haine. Cet inhabitable, cet irrespirable sont autant de recours pour le combat qu’ils épuisent l’idée même de lassitude. Le mystère est là, indéchiffrable. Nulle absence ne touche davantage le bloc-noteur que son quartier populaire éloigné, sa solidarité, sa solidité obtuse, son bouillonnement malgré sa misère, qui adoucissent toute envie d’autres lieux, d’autres immensités humaines.
Pauvreté. Pendant que certains s’affichent dans la Ville lumière, qui scintille aux abords de l’autre côté du périph, d’autres subissent des conditions d’existence que la pudeur nous empêche de décrire. Les sociologues appellent cela «la radicalisation des difficultés socio-économiques» des territoires en question. Banlieue: concentré des tensions françaises?
vendredi 12 octobre 2012
Affaire Armstrong : des complicités à l'UCI ?
La lecture du rapport volumineux de l'Agence antidopage américaine laisse apparaître de possibles protections...
Mentir tout le temps, tricher massivement, conspirer, organiser des réseaux et acheter le silence de tous pour parvenir à ce que l’agence antidopage américaine, l’Usada, appelle «une conspiration du dopage le plus sophistiqué jamais révélé dans l’histoire»… Dans les grandes lignes, nous savions à quoi nous attendre. Nous avons désormais les preuves détaillées! Oui, Lance Armstrong et son entourage avaient bien mis en place «un système mafieux» pour «assurer le secret» sur une organisation gigantesque. (LE RAPPEL DES FAITS.)
Mais l’Usada, dans son rapport de plus de mille pages, ne fait pas qu’accabler l’Américain et ses affidés de l’époque. Entre les lignes, elle accuse l’Union cycliste internationale au mieux de complaisance, au pire de complicité. L’enquête révèle en effet que Johan Bruyneel, le directeur sportif, et Lance Armstrong lui-même étaient manifestement au courant des jours et des heures des contrôles antidopage concernant leur équipe. De même, l’Usada explique qu’il «y a moins d’une chance sur un million» pour que les paramètres sanguins du Texan, en 2009, au moment de son come-back, «aient été naturels». Armstrong aurait-il bénéficié de protection(s) au sein même de l’UCI? À l’évidence, le grand déballage ne doit pas s’arrêter là…
Mentir tout le temps, tricher massivement, conspirer, organiser des réseaux et acheter le silence de tous pour parvenir à ce que l’agence antidopage américaine, l’Usada, appelle «une conspiration du dopage le plus sophistiqué jamais révélé dans l’histoire»… Dans les grandes lignes, nous savions à quoi nous attendre. Nous avons désormais les preuves détaillées! Oui, Lance Armstrong et son entourage avaient bien mis en place «un système mafieux» pour «assurer le secret» sur une organisation gigantesque. (LE RAPPEL DES FAITS.)
Mais l’Usada, dans son rapport de plus de mille pages, ne fait pas qu’accabler l’Américain et ses affidés de l’époque. Entre les lignes, elle accuse l’Union cycliste internationale au mieux de complaisance, au pire de complicité. L’enquête révèle en effet que Johan Bruyneel, le directeur sportif, et Lance Armstrong lui-même étaient manifestement au courant des jours et des heures des contrôles antidopage concernant leur équipe. De même, l’Usada explique qu’il «y a moins d’une chance sur un million» pour que les paramètres sanguins du Texan, en 2009, au moment de son come-back, «aient été naturels». Armstrong aurait-il bénéficié de protection(s) au sein même de l’UCI? À l’évidence, le grand déballage ne doit pas s’arrêter là…
[COMMENTAIRE publié dans l'Humanité du 12 octobre 2012.]
mardi 9 octobre 2012
Intouchable(s) : ce que nous dit le succès d'un film...
Alors que le DVD est sorti récemment, ce triomphe en millions de spectateurs est-il proportionnel à la détresse sociale de ce début de XXIe siècle ?
Succès. «Seul l’amour et l’amitié comblent la solitude de nos jours. Le bonheur n’est pas le droit de chacun, c’est un combat de tous les jours. Je crois qu’il faut savoir le vivre lorsqu’il se présente à nous.» Orson Welles avait le don des choses simples et l’art d’en complexifier le sens. Que dirait-il, ici-et-maintenant, face à ce dilemme très contemporain : comment toucher les cœurs par temps de catastrophe? Et comment se mettre en situation de «s’ouvrir» aux autres sans calcul ni tricherie? Question (à tiroirs) tellement brûlante que chacun, depuis quelques semaines, y va de son petit commentaire plus ou moins savant pour expliquer et décrypter le surprenant et tonitruant succès public du film Intouchables. Déjà dix millions – et presque autant affirmant «vouloir le revoir». De quoi rester tétanisés par l’ampleur du phénomène, dans la mesure où l’analyse de l’objet cinématographie en lui-même ne nous apporte pas de réponses significatives. Le talent des auteurs? Pourquoi pas. La justesse du jeu des acteurs? À l’évidence. L’incroyable histoire d’amitié de deux personnages que tout sépare? Sans doute. Et après, beaucoup de bruit pour rien? Comme avec Titanic ou Bienvenue chez les Ch’tis, qui résistent peu à l’examen critique? Ou beaucoup d’entrées pour de bonnes raisons – évidemment autres qu’artistiques?
Fraternité. La première manière d’entrevoir une partie de la réalité est sans doute de raisonner cul par-dessus tête. Par retournement. En temps de catastrophe globale, donc intime (comme sur le Titanic), l’abolition des classes (sociales) face à l’inéluctabilité du drame se produit d’autant plus symboliquement qu’elle en révèle toutes les injustices (sa condition détermine son rang). Chacun s’y retrouve donc. Intouchables provoque le même effet, en tant qu’il verbalise la catastrophe hors classes tout en jouant avec les classes: la catastrophe personnelle touche n’importe qui, le riche comme le pauvre, le Blanc comme le Black. Et le handicapé côtoie le stigmatisé.
Succès. «Seul l’amour et l’amitié comblent la solitude de nos jours. Le bonheur n’est pas le droit de chacun, c’est un combat de tous les jours. Je crois qu’il faut savoir le vivre lorsqu’il se présente à nous.» Orson Welles avait le don des choses simples et l’art d’en complexifier le sens. Que dirait-il, ici-et-maintenant, face à ce dilemme très contemporain : comment toucher les cœurs par temps de catastrophe? Et comment se mettre en situation de «s’ouvrir» aux autres sans calcul ni tricherie? Question (à tiroirs) tellement brûlante que chacun, depuis quelques semaines, y va de son petit commentaire plus ou moins savant pour expliquer et décrypter le surprenant et tonitruant succès public du film Intouchables. Déjà dix millions – et presque autant affirmant «vouloir le revoir». De quoi rester tétanisés par l’ampleur du phénomène, dans la mesure où l’analyse de l’objet cinématographie en lui-même ne nous apporte pas de réponses significatives. Le talent des auteurs? Pourquoi pas. La justesse du jeu des acteurs? À l’évidence. L’incroyable histoire d’amitié de deux personnages que tout sépare? Sans doute. Et après, beaucoup de bruit pour rien? Comme avec Titanic ou Bienvenue chez les Ch’tis, qui résistent peu à l’examen critique? Ou beaucoup d’entrées pour de bonnes raisons – évidemment autres qu’artistiques?
Fraternité. La première manière d’entrevoir une partie de la réalité est sans doute de raisonner cul par-dessus tête. Par retournement. En temps de catastrophe globale, donc intime (comme sur le Titanic), l’abolition des classes (sociales) face à l’inéluctabilité du drame se produit d’autant plus symboliquement qu’elle en révèle toutes les injustices (sa condition détermine son rang). Chacun s’y retrouve donc. Intouchables provoque le même effet, en tant qu’il verbalise la catastrophe hors classes tout en jouant avec les classes: la catastrophe personnelle touche n’importe qui, le riche comme le pauvre, le Blanc comme le Black. Et le handicapé côtoie le stigmatisé.
lundi 8 octobre 2012
Qui sont les pigeons ?
En renonçant à son projet de taxer plus les revenus de cessions d’actifs, le gouvernement adresse un message de soumission à l’égard du patronat.
Jadis, nous apprenions que la vocation suprême «de la» politique consistait à décréter, avec le peuple et contre les intérêts dominants, quelle idée était utile à l’humanité, lesquelles étaient futiles ou malfaisantes. Voilà désormais que certaines des décisions «politiques» se prennent sous la pression de quelque lobby à la vulgarité bien-pensante, sans même prendre le temps d’étudier si l’avidité ne serait pas, par hasard, la source et la ressource de leur envie de prédation ou de négation de l’intérêt général.
Ainsi donc, il aura suffi qu’une poignée d’entrepreneurs, alias «les pigeons», vienne dénoncer les projets fiscaux du gouvernement pour que celui-ci annonce une invraisemblable volte-face. Et pas n’importe laquelle. En assurant que le gouvernement «reverrait sa copie» sur la taxation des revenus de cessions d’actifs, Jérôme Cahuzac, Pierre Moscovici et Fleur Pellerin ont montré des signes de faiblesses, pour ne pas dire de lâcheté, tout en adressant un message de soumission à l’égard du patronat… En moins de quatre jours, le gouvernement Ayrault a cédé à un groupuscule maniant à merveille l’art de la manipulation médiacratique. Que dénoncent en effet, la main sur le cœur et le verbiage haut, ces bons messieurs «entrepreneurs», jamais les derniers à donner des leçons de maintien en néocapitalisme appliqué et choc de compétitivité? Rien d’autre que la fin d’un privilège!
Jadis, nous apprenions que la vocation suprême «de la» politique consistait à décréter, avec le peuple et contre les intérêts dominants, quelle idée était utile à l’humanité, lesquelles étaient futiles ou malfaisantes. Voilà désormais que certaines des décisions «politiques» se prennent sous la pression de quelque lobby à la vulgarité bien-pensante, sans même prendre le temps d’étudier si l’avidité ne serait pas, par hasard, la source et la ressource de leur envie de prédation ou de négation de l’intérêt général.
Ainsi donc, il aura suffi qu’une poignée d’entrepreneurs, alias «les pigeons», vienne dénoncer les projets fiscaux du gouvernement pour que celui-ci annonce une invraisemblable volte-face. Et pas n’importe laquelle. En assurant que le gouvernement «reverrait sa copie» sur la taxation des revenus de cessions d’actifs, Jérôme Cahuzac, Pierre Moscovici et Fleur Pellerin ont montré des signes de faiblesses, pour ne pas dire de lâcheté, tout en adressant un message de soumission à l’égard du patronat… En moins de quatre jours, le gouvernement Ayrault a cédé à un groupuscule maniant à merveille l’art de la manipulation médiacratique. Que dénoncent en effet, la main sur le cœur et le verbiage haut, ces bons messieurs «entrepreneurs», jamais les derniers à donner des leçons de maintien en néocapitalisme appliqué et choc de compétitivité? Rien d’autre que la fin d’un privilège!
vendredi 5 octobre 2012
Pourrissement(s): après le drame d'Echirolles
Comment expliquer les assassinats de deux jeunes par une bande? Comment expliquer ce qui s'apparente parfois à une barbarie ordinaire?
Échirolles. «L’attaque n’a pas duré plus de deux minutes.» Un témoin raconte et pleure – le vent se lève au loin, les feuilles jaunissent. «Les agresseurs se sont ensuite immédiatement évaporés.» Nous mettons en sourdine nos soupirs assouplis – comme pour encager nos tourments. Devant la douleur exposée, notre fragilité nous accable tant, que nous pourrions croire qu’elle est sa propre fin… Puisque le réel est plus violent que toutes les formules de style, afin de donner la chair
à voir et ne pas se cacher derrière une pudeur devenue inutile, faut-il donc avoir peur de certaines expressions ? De quoi les meurtres de deux jeunes à Échirolles sont-ils le signe, sinon d’une barbarie ordinaire parfois banalisée, minimisée? Mais après le battage médiacratique, lorsqu’un semblant de lucidité nous assaille, une seule question vaut d’être posée: qu’est-ce qui a pu conduire un groupe de jeunes gens à s’adonner à un déferlement de violence si inouï qu’il a provoqué la mort de deux hommes, la stupeur et la désolation de tout un pays?
Effarement. Un mauvais regard suffit ; avant de tuer. Comment? Pourquoi? À moins que ce «pourquoi» ne reste une interrogation si mystérieuse que sa nécessité finisse par se perdre elle-même. Que dire encore, sinon notre effarement devant les faits?
La marche "blanche". |
Effarement. Un mauvais regard suffit ; avant de tuer. Comment? Pourquoi? À moins que ce «pourquoi» ne reste une interrogation si mystérieuse que sa nécessité finisse par se perdre elle-même. Que dire encore, sinon notre effarement devant les faits?
lundi 1 octobre 2012
Malaise(s): le Qatar veut faire l'aumône dans les banlieues...
Le gouvernement a finalement accepté le projet polémique d’un fonds pour les banlieues, financé en grande partie par un émirat omniprésent en France...
Vérité. Heurt de vérité. Connaissez-vous l’ultime cours au Collège de France de Michel Foucault? En parcourant l’intégralité de ce texte dans le Courage de la vérité (Gallimard-Seuil, 2009), il est frappant – pour ne pas dire admirable – de constater comment et pourquoi le philosophe s’assignait à lui-même les risques du «dire-vrai», dévoré, hanté par la vérité, non comme discours ou concept absolu, mais comme acte: ne pas feindre ou taire. Pour lui, dès lors, malgré l’aridité du procédé et les dangers à encourir, le philosophe doit devenir «missionnaire universel du genre humain», «médecin de tous», mais aussi homme du «scandale de la vérité», «agressif», celui qui va «secouer les gens, les convertir», qui veut «changer le monde» plutôt que de rendre les gens heureux.
Qatar. Qu’on se rassure, le bloc-noteur ne joue pas au philosophe enragé… Mais puisque la coïncidence fait genre et que ce texte tomba sous nos yeux précisément cette semaine, ce je-ne-sais-quoi d’appropriation méthodologique fut bien utile pour ne pas réfréner notre colère devant l’officialisation de la perfusion financière qatarienne pour les quartiers populaires. Vous l’avez vu comme nous. Le gouvernement a finalement accepté le projet polémique d’un fonds pour les banlieues, financé en grande partie par un émirat omniprésent en France. Et comme nous, forcément, vous vous êtes longuement interrogés sur l’interprétation à donner à cet étrange «feu vert» de l’État, en hésitant même sur le sens, donc l’ampleur, de votre éventuelle réaction épidermique. Rien de plus logique.
Le PSG, version Qatar. |
Qatar. Qu’on se rassure, le bloc-noteur ne joue pas au philosophe enragé… Mais puisque la coïncidence fait genre et que ce texte tomba sous nos yeux précisément cette semaine, ce je-ne-sais-quoi d’appropriation méthodologique fut bien utile pour ne pas réfréner notre colère devant l’officialisation de la perfusion financière qatarienne pour les quartiers populaires. Vous l’avez vu comme nous. Le gouvernement a finalement accepté le projet polémique d’un fonds pour les banlieues, financé en grande partie par un émirat omniprésent en France. Et comme nous, forcément, vous vous êtes longuement interrogés sur l’interprétation à donner à cet étrange «feu vert» de l’État, en hésitant même sur le sens, donc l’ampleur, de votre éventuelle réaction épidermique. Rien de plus logique.
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