dimanche 29 mai 2016

Hollande-Valls : le mépris, la honte...

L’exécutif, dit-on, voudrait catégoriser des négociations, sans rapport avec la loi travail. Une nouvelle stratégie de mépris…
 
Ainsi, à en croire du moins certaines indiscrétions du week-end, la tactique du gouvernement serait au troc catégoriel. Beaucoup de vinaigre ici, un peu d’huile là, et une sauce acceptable sortirait du grand saladier fourre-tout qui leur sert de cerveau par temps de chauffe. Partant du principe autoritaire qu’il n’y a rien à céder sur la loi travail, le couple Hollande et Valls réfléchirait, secteur par secteur, à lâcher du lest pour ne pas «désespérer les grévistes», comme le dit un conseiller élyséen, ces derniers devant «obtenir quelque chose, même si cela n’a rien à voir avec la loi El Khomri». Vous avez bien lu. L’affaire qui secoue la France sociale concerne une révision historique du Code du travail, moins de droits pour les salariés, une scandaleuse inversion des normes contre laquelle se dressent les Français, mais qu’importe, parlons des dockers, de la RAPT, de la SNCF, d’Air France, etc., catégorisons et morcelons le débat et, ni vu ni connu, tout ira bien! À la vérité, il ne s’agit pas d’une tentative de sortie de crise, puisque l’usage de la force tous azimuts ne suffit pas, mais bien une nouvelle stratégie de mépris. Ou le début d’un sauve-qui-peut que Valls en personne exprime par une phrase empruntée aux pires droitiers: «Je ne veux pas rejoindre la longue liste de tous ceux qui ont reculé et ont fait perdre du temps à la France.» La honte.
 

vendredi 27 mai 2016

Festival(s): le système et Ken Loach

À l’heure des remerciements, le cinéaste britannique n’a pas parlé de lui, mais de ceux qu’ils aiment: les exploités.

Contradictions. L’ambivalence des sentiments a parfois quelque chose de délicieux sinon de réconfortant, comme si la tentation d’attiser nos sourdes contradictions se révélait plus prégnante qu’évidente en une époque où l’uniformité globalisée nous est soumise comme norme. Prenons le Festival de Cannes comme exemple emblématique. A priori, cette grand-messe en mutation accélérée, qui a viré bling-bling pour jet-setteurs m’as-tu-vu en mal de reconnaissance médiacratique, dont l’alibi n’est plus toujours le cinéma mais l’apparence face caméras, a tout pour éloigner nos regards, souvent écœurés par cette orgie de mauvais goût prévisible et déplacée. Au royaume de la planète people, où tout est permis et relayé en mondovision, il arrive même parfois que la compassion calculée voisine avec l’intérêt des sponsors. Au point que, au fond de nous, en voyant s’agiter certains membres du jury surpayés et ripolinés à outrance, nous nous disions sans avoir peur de nous tromper qu’il leur arrive de se donner bonne conscience, une fois l’an, en assumant un soutien actif, par et pour le 7e art, envers un «engagement citoyen», qu’il soit «pour» la défense de l’environnement, «pour» la reconnaissance des minorités, et même, audace des audaces, «contre» certaines formes du capitalisme mondialisé. Tremblez sur vos bases, chers lecteurs! Le cinéma cannois n’a pas de frontières, comme en témoigne son histoire. La vie des simples mortels, pauvres et dominés, intéresse le Festival. Le Saint Graal de la palme touche ainsi périodiquement les cœurs. De quoi se réchauffer devant l’âtre d’une humanité temporairement reconstituée, à force d’être mutilée le reste du temps. Le grand écran prend ses aises, ses libertés, se joue de toutes les subversions. C’est d’ailleurs sa fonction première. Et vous savez quoi? Tant mieux.
 
Système. Eu égard à ce «contexte», et à entendre certains, Ken Loach, qui s’est vu décerner la deuxième palme d’or de sa carrière, ne serait donc qu’un Tartuffe perdu au milieu d’un théâtre piétiné par des contrebandiers en mission humanitaire, ne connaissant rien de la «vie des gens d’en bas», tellement rien qu’ils lâcheraient volontiers une larme devant des longs métrages racontant la misère jusqu’à les honorer de leurs votes, entre deux cuillères de caviar et un toast de précieux foie gras.

jeudi 19 mai 2016

Ordre(s): à quoi joue le gouvernement avec sa police ?

Depuis des semaines, l’attitude des policiers ressemble à un scandale d’État. Un ex-des RG n’est pas loin de le penser…

Examen. «Tout malheur national, écrivait Marc Bloch, appelle d’abord un examen de conscience.» La France va mal. Tellement mal que, non contente de refermer toutes les perspectives alternatives au libéralisme destructeur, elle cogne désormais sur ses enfants. Et pas n’importe comment: avec un acharnement si frappé d’impunité qu’elle fera rougir de honte les historiens du futur quand ils se pencheront sur cette période singulière qui a vu cette gauche dite «de gouvernement» passer définitivement à droite, même du côté de la répression. Il s’opère à vue un changement de régime affectif et politique, une espèce de mutation d’attitude «envers» la politique et «par» la politique –à moins qu’il ne s’agisse d’un retour en arrière brutal, digne des années 1950 ou 1960, quand les ministres de l’Intérieur et leurs services affidés disposaient de tous les moyens pour maintenir l’«ordre», vous savez, cet «ordre» qui ne dit pas son nom mais signifie bien autre chose que la «sécurité» des citoyens dans un État de droit. L’«ordre», ce mot jouissif rabâché en boucle par le premier sinistre, signe d’un effondrement sémantique. Au fond, l’«examen de conscience» dont parlait Bloch se double d’un examen d’émotion. Quand un gouvernement de ce genre lève la main sur nos enfants, il irradie l’intimité même de nos engagements.

mercredi 11 mai 2016

Harcèlement(s): ce que femmes vivent...

En parlant, les victimes agressées par les hommes changent la nature même du combat contre ces agissements insupportables et, hélas, trop souvent enfouis.

Miroir. Omerta. Parthénogenèse. Tabou. Peurs. Pressions. Autoprotection. Autocensure… Les mots se bousculent à l’évocation de «l’affaire» Denis Baupin, homme politique de premier plan, désormais ex-vice-président de l’Assemblée nationale, soupçonné de harcèlement et dénoncé publiquement par de nombreuses femmes, dont nous louerons l’ampleur du courage, probablement puisé loin en elles tant il s’avère difficile –en ce domaine si particulier– de parvenir à libérer sa propre parole, de chasser ses doutes, ses craintes de répercussions pour ses proches ou sa carrière. Bien au-delà du cas particulier de cet homme que tout semble accabler et qui projette, de nouveau, sur un certain monde politique un miroir sans tain, prenons ces cris de dignité pour ce qu’ils sont, cinq ans après le cataclysme DSK: en parlant, ces femmes changent la nature même du combat contre ces agissements insupportables et, hélas, trop souvent enfouis. L’une d’elles dit d’ailleurs: «Le silence me rendait complice.» Elle ajoute: «Non seulement nous sommes des victimes, mais nous évoluons dans un milieu où le pouvoir est associé à la notion de force, où il ne faut jamais avoir l’air faible.» Et une autre précise: «Je savais que si je parlais, non seulement je serais discréditée,mais je donnerais une mauvaise image de mon parti.» Pour ceux qui connaissent un peu les coulisses de ce pouvoir-là, la parole ainsi libre et libérée –enfin!– brise l’«interdit», à savoir dire, alors que l’interdit, le vrai interdit, est évidemment ce qui a été subi et devrait être, à chaque fois, réglé par les tribunaux. Or, nous savons que dans les affaires de délits sexuels les délais de prescription sont trop courts pour permettre aux victimes de porter plainte. En général, et nous comprenons pourquoi, celles-ci ne sont capables d’aller devant la justice que lorsqu’elles ont déjà entamé un travail thérapeutique. D’où ce sentiment d’impunité: les comportements des hommes se modifient peu, et ce sont les femmes qui continuent de s’adapter à ces comportements révoltants.
 

Deux... il n'a manqué que deux députés pour une motion de censure "de" gauche

Il faudra que ceux qui ne souhaitaient pas voter cette loi travail –qu’ils soient «frondeurs», «aubrystes», écologistes ou autres– sans pour autant franchir le rubicond d’une censure de gauche réfléchissent bien au sens de leur grave manquement
 
Il aura donc manqué deux députés pour que la gauche puisse déposer une motion de censure «de» gauche. Autrement dit un souffle, un rien. C’eût été pourtant un coup de tonnerre dans cette Assemblée nationale que l’exécutif cherche –par l’ultime forfaiture que constitue l’usage du 49-3– à humilier en la renvoyant à une vulgaire chambre d’enregistrement. C’eût été également une vraie réplique de gauche, visible et compréhensible. Nous parlons là de cette gauche –pardonnez cette tautologie– qui défend vraiment les intérêts du peuple, des salariés, et l’avenir même des droits du travail dans notre pays, cette gauche, en somme, qui refuse de lâcher un lien sacré: l’union du populaire et du régalien. Un lien que s’est employé à sectionner le couple Hollande-Valls avec tant de vergogne que nous sommes en droit de demander aujourd’hui: qui a manqué à l’appel pour que cette motion de censure puisse être déposée? Sachant que la posture critique ne suffit plus en ce moment si crucial, il faudra que ceux qui ne souhaitaient pas voter cette loi travail –qu’ils soient «frondeurs», «aubrystes», écologistes ou autres– sans pour autant franchir le rubicond d’une censure de gauche réfléchissent bien au sens de leur grave manquement…
 

dimanche 8 mai 2016

Quelle histoire ?

Plus les projets collectifs sont affaiblis, plus les vendeurs de nostalgie cherche un public. Macron, avec sa Jeanne d’Arc, n’échappe pas à cette duperie. 

Emprunter les pas de l’Histoire, un 8 Mai de surcroît, requiert talent, prudence et légitimité –sauf à sombrer dans le banal et le consensuel, ou pire, à vouloir récupérer ladite Histoire. Dans ce vieux pays de mémoire et de disputes centenaires, il n’est jamais anodin ni innocent de jouer de la corde sensible avec les legs et les passifs qui constituèrent la France. Les pouvoirs en place, même les plus républicains, en ont fait un large usage, au moins pour fortifier le sentiment d’appartenance de leurs citoyens. Mais voici qu’à la faveur d’un jour de capitulation, un ministre de l’Économie en exercice –on aura décidément tout vu avec ce gouvernement!– se permet de pratiquer, en déplacement à Orléans, ce que nous pourrions nommer «le retour du récit national». Casse-gueule, n’est-ce pas, de prétendre parler de cette Jeanne d’Arc qui entendait des voix et bouta les Anglais en compagnie de soudards? Oui, cette pucelle sortie du purgatoire par un historien du XIXe siècle, Michelet, qui fut à l’origine, avec d’autres, du mysticisme républicain et de l’exaltation de quelques figures symboliques qui courent encore légitimement dans nos esprits. On louera une partie du geste macronien: celui de ne pas laisser la Jeanne définitivement à l’extrême droite. Mais une question nous hante: à quel point en sommes-nous précisément de l’histoire de France, si ce n’est pas là un non-sujet actuel? Suggérons une réponse: plus les projets collectifs sont affaiblis, plus les vendeurs de nostalgie cherchent un public. Macron n’échappe pas à cette duperie.  

jeudi 5 mai 2016

Alternative(s): information low cost?

L’avenir de l’Humanité, une préoccupation démocratique.
 
Information. «Vous savez ce que disait Victor HugoL’aigre sonnerie des fins de pause retentissait à peine qu’il se redressa sans lever les yeux, tapota sa pipe d’écume sur le rebord d’une fenêtre, s’empara de sa serviette de cuir toute ridée et poursuivit. «Hugo disait: “Instruire, c’est construire.” Eh bien, sachez-le, c’est aussi ce que vous faites à l’Humanité: vous informez, donc vous construisez. Vous êtes des bâtisseurs, vous faites partie du patrimoine. Patrimoine, mais pas au sens ancien du mot. Au sens moderne! Car vous êtes différents: vous construisez de l’alternative, en somme, une forme singulière de journalisme critique, donc de l’esprit critique. La plus belle chose au monde, celle que je tente d’enseigner depuis toujours. Restez vivants, par pitié, restez vivantsLe privilège de donner des cours au Collège de France n’exclut en rien la lecture des quotidiens, «l’Huma d’abord, jamais à l’exclusion de certains autres». Derrière la rue des Écoles, au cœur du quartier de la Sorbonne, à Paris, la situation de votre journal, chers lecteurs, préoccupe jusque dans des cercles qui nous paraissent lointains sinon inaccessibles. Et pourtant, ici comme ailleurs, une question hante ceux qui donnent le savoir et ceux qui le reçoivent, une question que résume cet étudiant de jour et nuit-deboutiste de la République: «Le monde des médias est gangrené, plus que jamais. Entre les chaînes d’infos en continu qui distillent de l’anxiété permanente et cette petite musique du discours dominant qui consiste à nous faire avaler le système par tous les trous, comment devons-nous agir? Si l’Huma meurt demain matin, ce sera une voix importante en moins, une voix différente, qui offre précisément un autre ton, une autre manière de voir le monde. Que veut-on à la fin? Plus de démocratie ou plus d’aliénation