jeudi 30 mai 2019

Duopole(s)

Emmanuel Macron, vainqueur caché des élections européennes?  

OPA. «Le vainqueur caché des européennes? Inutile de le chercher… il est à l’Élysée!» Au téléphone, ce mardi 28 mai, un conseiller d’État qui maîtrise les arcanes du pouvoir au point d’avoir trusté les cabinets ministériels socialistes jusqu’à Matignon décide de secouer les certitudes du bloc-noteur, contredisant avec véhémence en forme de désespoir son constat d’après-scrutin européen. «C’est tout sauf une défaite. C’est même, d’un certain point de vue, une sorte de victoire qui entretient l’illusion d’une demi-défaite…» La parole tombe, le constat avec. Mac Macron, vainqueur caché, alors que la liste LaREM pour laquelle il a tant mouillé la chemise n’arrive que deuxième, comme un désaveu apparent? «Avec la menace de l’extrême droite, il maintient le pays crispé, poursuit notre homme. Et il réussit un exploit, que nous ne percevons pas bien pour l’instant et que moi-même je n’imaginais pas possible: après sept mois de crise sociale inédite, qui aurait pu imaginer que sa candidate affidée réussirait plus de 22% à des élections jamais favorables au pouvoir?» En somme, Mac Macron aurait obtenu ce qu’il était venu chercher. Primo: maintenir le parti de Fifille-la-voilà assez haut, de quoi perpétuer ce mortifère face-à-face et profiter, d’ici à 2022, de l’«idiot utile» du système, à savoir le Rassemblement nationaliste. Secundo: après avoir entériné son OPA sur les sociaux-démocrates du pays, il entérine cette fois celle sur la droite, renvoyée, avec le candidat Bellamy, à moins de 10% – un score historiquement bas. Tertio: son premier ministre, l’Édouard, accusé dans certains cercles élyséens d’avoir imposé le choix de Nathalie Loiseau à une partie de «l’appareil» LaREM, sort renforcé des batailles d’ego et des équilibres (anciennement) droite-gauche de sa majorité, renvoyant au rencart toutes les rumeurs de remaniement de grande ampleur. Quarto: la gauche dite radicale, qui avait flirté avec le second tour de la présidentielle en 2017 avec Jean-Luc Mélenchon, est renvoyée à ses chères études en désunion, flirtant désormais avec les scores des socialistes. Notre conseiller d’État ne tourne donc pas autour du pot: «La stratégie de Macron est validée. En s’engageant comme il l’a fait dans cette campagne, il a non seulement sauvé les meubles mais préservé, pour le moment, son socle électoral, à défaut d’emporter l’adhésion des Français. Surtout, il installe, avec un certain cynisme, le duopole RN/LaREM dans la durée…»


mardi 28 mai 2019

Gâchis d'Etat

La saignée sociale annoncée par General Electric (ex Alstom) contredit la parole d'Emmanuel Macron. Ce gâchis monumental illustre l’absence de stratégie industrielle de l’État et les conséquences dévastatrices qu’entraîne un tel renoncement.

 

Et pendant ce temps-là, les grandes manœuvres de l’industrie capitaliste se poursuivent, sans susciter le moindre émoi du côté du pouvoir – pourtant impliqué jusqu’au cou. Les dirigeants du géant américain General Electric (GE) ont donc confirmé qu’ils envisageaient la suppression de plus de 1.000 postes en France, essentiellement sur le site emblématique de Belfort, ex-fleuron d’Alstom, une nouvelle fois martyrisé. Cette véritable saignée, qui concerne plus de la moitié des salariés de l’activité gaz, vient contredire la parole d’Emmanuel Macron. Début mai, le président avait assuré dans un courrier aux élus locaux que le dossier GE Belfort faisait l’objet de «la plus grande vigilance de la part de l’État»… Curieux, n’est-ce pas, comme la mémoire chauffe parfois? Car, dans cette histoire tragique, où est passé «l’État actionnaire», celui que, jadis, nous nommions «l’État stratège»?

 

Emmanuel Macron connaît bien Alstom. Alors ministre de l’Économie, c’est lui qui avait autorisé, en 2014, la vente des activités énergie du groupe français à l’américain General Electric (GE), dossier qu’il avait également suivi à l’Élysée lorsqu’il conseillait François Hollande. Depuis cette cession, l’ancien banquier d’affaires est accusé d’avoir bradé le champion tricolore. Plus grave. À l’époque, GE s’était engagé à créer plus de 1 000 emplois en France… Résultat, ce gâchis monumental illustre l’absence de stratégie industrielle de l’État et les conséquences dévastatrices qu’entraîne un tel renoncement. D’ailleurs, ce qui se trame chez Renault doit également nous alerter. Si l’entreprise automobile fomente un projet de fusion avec Fiat-Chrysler, nous en connaissons désormais les risques: il s’agirait en vérité d’une prise de contrôle par les capitaux italiens, puisque la famille Agnelli et sa holding Exor, propriétaires de Fiat, deviendraient le premier actionnaire, loin devant l’État français, qui perdrait ainsi sa minorité de blocage. Tout est dit. Et on voudrait encore nous convaincre que le «nouveau monde» est synonyme de «nouvelle politique industrielle»?

 

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 29 mai 2019.]

jeudi 23 mai 2019

Espérance(s)

Le retour de l’idée communiste dérange…

 

Passé? Le père du bloc-noteur répétait souvent: «Une grande idée ne meurt jamais, à condition de la faire vivre.» Héritiers d’une longue tradition politique, comme poussés dans le dos par des forces que rien, pas même les trahisons à l’Idée, n’a pu abattre, nous conservons, nous innovons, avec en tête notre fil d’Ariane – la lutte pour la justice sociale et la dignité des plus faibles – reposant sur l’union sacrée du populaire et du régalien, la moins mauvaise des définitions possibles, sur le long terme, de «notre» gauche. Telle est notre aventure collective, la nuque raide, quand des brouillons de vie deviennent des copies au propre, quels que soient les mécomptes et la rouille déposée sur Billancourt qui n’en finit pas de désespérer ceux qui espèrent encore... Curieux moment, n’est-ce pas, pour nous autres, souvent considérés comme «hommes et femmes du passé», certainement pas du «passif»? Alors qu’un certain candidat issu des seuls rangs communistes casse la baraque au point de susciter un engouement médiatique nouveau, dans l’attente de son score définitif qui enverra ou non des députés européens de combat, voilà que ressurgit cette peur ancrée dans les classes du haut, jamais avares d’injures à l’heure des étincelles. Cette semaine, dans l’Humanité, l’écrivain Pierre-Louis Basse, qui a de la mémoire et des Lettres de noblesse à n’en plus finir, lui le biographe de Guy Môquet, déclarait avec fierté qu’il voterait, ce dimanche, Ian Brossat «avec les deux mains». Et il ajoutait ce que nous ne saurions mieux dire, comme pour contresigner son acte d’engagement, qu’il agirait ainsi au nom d’une idée qu’il qualifie de «retour», une idée que même les tyrans ne sont pas parvenus à défigurer: «L’idée communiste, figurez-vous, ça n’est rien d’autre que le rappel d’un combat et d’une espérance pour les plus démunis, pour la culture, la santé, l’éducation de nos enfants et petits-enfants. Plus que jamais, l’idée communiste épouse la cause des premiers chrétiens précipités dans la fosse aux lions. Je vais y aller franco.»

 

mercredi 22 mai 2019

Macron joue gros

A vouloir réduire cette élection européenne à un duel entre lui-même et Marine Le Pen, allant jusqu’à usurper l’expression de «progressiste», le président est en partie responsable de sa situation et assez comptable de l’ampleur de l’abstention qui se profile à l’horizon.

 

Ainsi, plus d’un Français sur deux qui s’exprimera dans les urnes, dimanche 26 mai, aura pour première motivation de «sanctionner» Emmanuel Macron. Peine perdue: campagne ratée. Non seulement Jupiter n’a rien résolu à l’ambiguïté de ses deux premières années de mandat née d’une «effraction», selon son propre mot, mais sa liste «Renaissance» pour laquelle il s’implique tant est devenue une sorte de chiffon rouge qui pourrait se solder par un «carton rouge». Tout dans la dernière séquence le démontre: à vouloir réduire cette élection européenne à un duel entre lui-même et Marine Le Pen, allant jusqu’à usurper l’expression de «progressiste», le président est en partie responsable de cette situation et assez comptable de l’ampleur de l’abstention qui se profile à l’horizon. À quoi joue-t-il? À utiliser l’idiot utile du système: l’extrême droite. Que joue-t-il? Sans doute le reste de son quinquennat et le peu de légitimité politique encore à son crédit. D’autant que ce scrutin s’avère rarement favorable au pouvoir en place. Une simple vérité s’impose donc: si «sa» candidate, Nathalie Loiseau, n’arrive pas en tête, l’échec rejaillira sur lui. Il en sera personnellement responsable. Son ministre Bruno Le Maire ne l’a pas caché: seule une victoire de la majorité «permettra de redonner un élan à la politique du gouvernement»…

 

Rappelons que les mesures de Macron pour tenter d’éteindre le feu des gilets jaunes ont été si dérisoires qu’elles n’ont en rien calmé l’hystérisation de la vie politique, due à ce sentiment que le pouvoir n’a pour seul objectif que de décourager le mouvement social. N’oublions donc pas la désillusion du « grand débat » et le risque considérable pris par le président vis-à-vis d’une opinion incandescente. Pas seulement pour lui, mais pour la démocratie, puisqu’une logique mortifère peut toujours jaillir du chaos. Ian Brossat, à la tête d’une vraie liste «carton rouge» à Macron, a bien raison quand il déclare souhaiter que la gauche retrouve vite «le chemin de l’unité et du rassemblement», sur des bases fermes et sociales, pour que «le débat politique ne se limite pas à un affrontement entre les fachos d’un côté, les libéraux d’autre part». Il faudra un peu de temps, c’est certain. Mais cela peut commencer dès ce dimanche.

 

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 23 mai 2019.]

jeudi 16 mai 2019

Mirage(s)

Le bilan économique des États-Unis en Trump-l’œil…

 

«Bilan». Entendez-vous la petite musique, entretenue savamment par ceux qui, au-delà de leurs opinions idéologiques, laissent parfois la moralité aux orties? Ainsi donc, le «bilan» de Donald Trump, alias président de la première puissance mondiale, serait «éblouissant», à dix-huit mois du prochain scrutin prévu le 3 novembre 2020. Au point que, l’autre jour sur RMC, le journaliste bateleur du libéralisme et du conservatisme réunis, Éric Brunet, posait dans son émission la question suivante: «Trump est-il déjà l’un des plus grands présidents américains de tous les temps?» Sachant que deux auditeurs sur trois lui donnèrent raison en conclusion du «Brunetmétrie» (organisé chaque jour, sur tout et n’importe quoi), nous eûmes droit aux arguments entendus çà et là depuis quelques semaines : chômage au plus bas, profits au plus haut, croissance autour de 3%, salaires des plus modestes en hausse, reprise de l’emploi dans les bastions ouvriers qui firent l’élection de Trump, etc. «Ce n’est pas seulement un bon bilan, s’esclaffa Brunet, c’est un miracle économique!» N’en jetez plus… En admettant, pourquoi pas, que la cote de popularité de l’hôte de la Maison-Blanche soit à son zénith (quoique stable depuis son élection, dans un pays plus clivé que jamais) et que, en effet, l’économie semble tourner à plein régime, n’oublions pas que, contrairement aux discours ambiants, de nombreux spécialistes des États-Unis affirment que l’essentiel de la «performance» actuelle est directement dû au «bilan» de son prédécesseur, Barack Obama, sans pour autant nier la façon dont Donald Trump a stimulé la croissance au début de son mandat. Pour mémoire, alors que les signaux économiques donnaient des signes de «reprise» après les catastrophes en cascade depuis 2008, rappelons que le nouveau boss du monde avait choisi une relance budgétaire par une baisse drastique de la fiscalité en faveur des entreprises, dont les profits étaient déjà très élevés, et du 1% les plus riches dans l’un des pays les plus inégalitaires du monde. Un chroniqueur du Monde, cette semaine, s’interrogeait lui aussi sur le mode ironique: «Depuis s’installe l’idée que l’iconoclaste président aurait trouvé une martingale, au moment où tout le monde disserte sur la stagnation séculaire.» La méthode Trump ressemble d’ailleurs à ce que certains de ses aïeux purent pratiquer. Doubler le déficit budgétaire, par exemple, ce qui ferait presque rêver tout Européen opposé aux carcans austéritaires. Miracle ou mirage américain? Les États-Unis disposent de la monnaie de réserve dominante, ce qui leur permet, dixit le Monde, «de faire financer leurs déficits par le reste de la planète»

 

Boomerang. Vous l’avez compris, Trump aurait donc réussi le «stress test» de sa propre personne, honnie par un États-Unien sur deux au moins. 

mardi 14 mai 2019

Moins-disant

Nathalie Loiseau, l’ineffable tête de liste LaREM, a provoqué une belle polémique en évoquant la possibilité d’un Smic européen, fixant son montant à la moitié du revenu médian… 

 

Les fausses bonnes idées sont vieilles comme le monde: elles cachent toujours quelque chose. Ainsi en est-il du Smic européen proposé par certains, pourtant censé devenir l’une des pierres angulaires de toute politique sociale qui se respecte dans l’UE, et que tout citoyen authentiquement de gauche rêve bien sûr de voir mettre en place… mais pas à n’importe quelle condition! Nathalie Loiseau, l’ineffable tête de liste LaREM, a provoqué une belle polémique en évoquant la possibilité d’une telle idée, fixant son montant à la moitié du revenu médian… Nous n’accuserons pas l’affidée de Macron de vouloir absolument diminuer du jour au lendemain le Smic des Français, mais l’intention avouée révèle l’état d’esprit. Rappelons que 50% du salaire médian représenterait, en France, un Smic à 900 euros par mois, soit l’équivalent du seuil de pauvreté. L’idée est là, posée sur la table, dans toute sa logique: un nivellement par le bas.

 

Souvenons-nous que Jean-Claude Juncker, l’actuel président de la Commission européenne, proposait la même chose, en 2014, pendant la campagne électorale des précédentes européennes. Vu les résultats – nuls – obtenus sous sa présidence, la proposition de Mme Loiseau, qui s’inscrit dans sa stricte filiation, provoque la crainte. D’autant qu’il n’est pas vain – sans aucune démagogie – de rappeler que M. Juncker perçoit un salaire de 32 000 euros mensuels, soit deux fois plus que le salaire moyen annuel d’un travailleur européen!

 

Afin de permettre à chacun de vivre décemment de son travail, notons que les économistes de gauche arrivent à un consensus concernant ce fameux Smic européen : au minimum 60% du salaire moyen, auquel il conviendrait d’ajouter une clause de non-régression sociale permettant à un État membre de s’opposer à toute décision de l’UE qui dégraderait les conditions de vie et de travail. Telles seraient les conditions d’une vraie réforme. Rien à voir avec celle que proposent les amis d’Emmanuel Macron. Quand ces gens-là parlent de «réforme», c’est toujours le mot détourné pour dire contre-réforme, voire contre-révolution. À chaque fois, il ne s’agit que d’un déplacement de la répartition de la valeur au bénéfice du capital: dérégulation, austérité, baisse du pouvoir d’achat, recul de la solidarité et des droits des travailleurs. En sémantique, les libéraux aiment les faux amis…

 

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 15 mai 2019.]

jeudi 9 mai 2019

Violence(s)

France Télécom, l’exemple emblématique.

 

Suicides. Certains appellent cela du «management», d’autres «le feu de l’époque», qui témoignait et témoigne encore des souffrances extrêmes du «monde du travail». Comme si nous tendions un miroir spectral sur l’état de nos sociétés et les tréfonds extrêmes de la cruauté. Le procès France Télécom, qui a débuté cette semaine, est l’illustration de ce monde invisible et pourtant si réel pour peu que nous osions encore regarder derrière les murs de beaucoup d’entreprises, quand la pression atteint le supplice, quand le passage à l’acte devient un acte ultime de résistance – idée insupportable. Le suicide est-il toujours, comme le disait Victor Hugo, «cette mystérieuse voie de fait sur l’inconnu»? Mettre fin à ses jours révèle, parfois, une sorte d’état de légitime défense. Alors pourrions-nous presque écrire que le suicidé subit le suicide, quel que soit le «mode opératoire», comme le constatent froidement les cliniciens… Chez France Télécom, il y en eut de nombreux. Le bloc-noteur se souvient même d’une immolation par le feu, à Mérignac, sur le parking d’un des sites de l’opérateur. Un «choix» radicalement choquant pour ses proches, pour ses amis, pour chacun d’entre nous en vérité. Le «choix» d’un homme qui, exténué par des années d’humiliations et d’amères expériences en tous genres, de mission en mission, ballotté ici et là au gré de sa hiérarchie et des instructions managériales imposées par le groupe, avait préféré se retirer de la pire des manières en laissant l’empreinte de sa mort sur un mur à jamais assombri… Cet homme se prénommait Rémi. En repensant à l’horreur de son sacrifice absolu, revinrent à notre mémoire les terribles souvenirs de l’ère Didier Lombard, dont la gestion des «ressources humaines» fut dénoncée à la suite de la vague de suicides au sein de ce fleuron national que le monde entier, jadis, nous enviait.

 

Travail. Au seuil de la tristesse et du recueillement, quand toutes les frontières de la douleur ont cédé sous les assauts de l’injustice, que dire encore de la course à la rentabilité, des ambiances délétères, du «time to move»? Figure là tout ce que nous connaissons de l’évolution du travail au sein de l’économie dite «libérale», la pression, la précarisation, la subordination, la concurrence entre salariés, l’individualisation croissante des responsabilités, la désaffiliation, la sauvagerie du chacun-pour-soi… Les racines du mal sont connues, prêtes à ruiner les êtres les plus solides. Quand le travail tue. Comment expliquer, sinon, la dramatique multiplication des actes désespérés depuis des années, dans tous les secteurs, Renault, France Télécom, HSBC, BNP Paribas, La Poste, EDF, Sodexo, Ed, IBM, etc.? Répétons-le une bonne fois pour toutes: ceux qui se suicident au travail ne sont pas toujours des jean-foutre insouciants ou des bras cassés, des personnes dépressives ou mélancoliques, mais plutôt ceux qui aiment leur travail et se sont dévoués sans compter. Les salariés d’Orange, ex-France Télécom, en savent quelque chose. Comment s’étonner que les salariés de cette entreprise soient particulièrement concernés, eux dont les missions de service public s’incarnaient dans le savoir-faire, heureux et fiers de participer à ce bien commun que la République exalte tant. Orange a connu toutes les dérives des nouveaux modes de gestion par le stress, la rentabilité à tous les échelons, les mobilités forcées, la fixation d’objectifs irréalisables, les restructurations, les changements de métiers, sans parler de la détérioration des rapports entre salariés visant à briser tout esprit de corps. Les remaniements de l’identité exigés, relevant de l’injonction à trahir les règles de l’art puis l’éthique personnelle, ont conduit les salariés, consciemment ou non, à se trahir eux-mêmes pour satisfaire les exigences des directions. Jusqu’au pire: le non-sens au travail. D’où cette question: travailler, est-ce seulement produire de la richesse pour des actionnaires invisibles, sans horizon d’épanouissement ni possibilité de se transformer soi-même, au service des autres?

 

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 10 mai 2019.]

jeudi 2 mai 2019

Productivité(s)

Les Français ne travaillent pas moins que leurs voisins…

 

Raisons. Lorsque le peuple s’en mêle vraiment, il arrive parfois que l’or pur se change en plomb vil. Ainsi en est-il, autant de nos institutions que de notre art démocratique républicain d’accommoder ce qu’il subsiste encore de notre «pacte social à la française». Dans un climat idéologique déjà assez lourd, voilà que nos «élites» en rajoutent dans leur démagogie de vouloir classer les riches et les pauvres, occultant volontairement – et pour cause – les rapports de forces entre le capital et le travail, ce que beaucoup, instruits de Marx et de ses héritiers, n’oublient pas à l’heure des mécomptes du capitalisme. Mac Macron et ses affidés n’ont donc pas de mots assez durs pour affirmer que les «Français travaillent moins que leurs voisins». Ridicule et déplacée, cette assertion déclinée à souhait par tous les libéraux patentés est d’abord et avant tout un mensonge éhonté, une mystification révoltante. Parodiant la célèbre réplique du chef-d’œuvre la Règle du jeu (Jean Renoir), nous pourrions dire: «Ce qui est terrible sur cette terre, c’est que tout le monde a ses raisons.» D’autant que nous connaissons parfaitement bien celles de Mac Macron, qui puise ses «références» dans un célèbre institut de recherches économiques proche du patronat, Coe-Rexecode, qui ose évaluer la durée effective annuelle de travail des salariés européens sans tenir compte des temps partiels ni des indépendants, plaçant, de fait, la France dans une position atypique. Un exemple parmi d’autres: aux Pays-Bas, près de la moitié des salariés de 20 à 64 ans sont à temps partiel, contre 21% dans la zone euro, et 19,3% dans l’Hexagone. Même le journal le Monde (eh oui!) signalait cette semaine que les références de Coe-Rexecode étaient trompeuses, titrant sans détour: «Non, les salariés français ne travaillent pas moins que leurs voisins». 

 

Réalité. Ce point de vérité rétablie, et puisqu’il convient de parler des vrais chiffres économiquement démontrés et vérifiables, ceux de l’OCDE s’avéreront incontestables par sa méthodologie, dont nous conviendrons aisément qu’elle s’impose à tous. L’institut français de référence choisit en effet la réalité et retient dans ses statistiques le temps de travail annuel, peu importe que ce soit à temps partiel ou complet, ce qui paraît logique et honnête pour comparer ce qui doit l’être et ne pas se laisser enfermer dans le discours dominant du moins-disant social: «C’est mieux ailleurs.» 

mercredi 1 mai 2019

Travailleur(s)

Malgré les casseurs, une répression policière aveugle et sans aucun discernement, et même un secrétaire général de la CGT gazé, la réussite des cortèges du premier Mai est assez éblouissante. 

Des casseurs, une répression policière aveugle et sans aucun discernement, et même un secrétaire général de la CGT gazé… Tout fut donc entrepris pour tenter de détourner le sens et l’esprit de la Fête des travailleurs, dont le caractère inédit n’aura pourtant échappé à personne en tant que moment privilégié pour notre société en ébullition de soulever le couvercle que veut imposer le pouvoir par la force policière, comme par l’autoritarisme du président. La réussite des cortèges du premier Mai est assez éblouissante. Et il convient, plus que jamais, de distinguer les fauteurs de heurts des citoyens sincères, qui n’entendaient pas que l’on taise leurs revendications au profit des discours éculés que connaissent bien les gilets jaunes depuis six mois. Ces derniers étaient d’ailleurs présents, dans de nombreuses villes (Paris, Lyon, etc.), ouvrant parfois les défilés, appelant avec des syndicalistes, çà et là, à cette «convergence des luttes» si difficile à élaborer concrètement. 

La nouveauté du moment, chacun la connaît et devrait plutôt s’en réjouir. Ce n’étaient pas ces violences détestables, mais bel et bien ce que nous avons vu ou entr’aperçu, partout en France, cette sorte de jonction des colères entre le mouvement syndical et le mouvement spontané qui dure, celui des gilets jaunes, tous portés par des revendications communes fortes, de justice sociale, de dignité. Quel meilleur jour pour réclamer, de nouveau, l’amélioration rapide des fins de mois, l’augmentation du Smic et des salaires, la mise à contribution des ultrariches, des actionnaires, de la finance, le développement des services publics, etc.? Et redire à Emmanuel Macron que ses réponses droitières, en conclusion du grand débat, ne passeront pas! 

D’autant que l’état de la France réelle se niche souvent dans les détails des statistiques. Ainsi venons-nous d’apprendre par l’Insee que la baisse de la consommation des produits alimentaires atteint un taux inégalé dans notre histoire contemporaine: – 1,2 % ! Même durant la crise de 2008, elle n’avait été que de 0,5 %. Et à part ça, il n’y a aucun «problème» de salaires et de pouvoir d’achat dans ce pays…

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 2 mai 2019.]