OPA. «Le vainqueur caché des européennes? Inutile de le chercher… il est à l’Élysée!» Au téléphone, ce mardi 28 mai, un conseiller d’État qui maîtrise les arcanes du pouvoir au point d’avoir trusté les cabinets ministériels socialistes jusqu’à Matignon décide de secouer les certitudes du bloc-noteur, contredisant avec véhémence en forme de désespoir son constat d’après-scrutin européen. «C’est tout sauf une défaite. C’est même, d’un certain point de vue, une sorte de victoire qui entretient l’illusion d’une demi-défaite…» La parole tombe, le constat avec. Mac Macron, vainqueur caché, alors que la liste LaREM pour laquelle il a tant mouillé la chemise n’arrive que deuxième, comme un désaveu apparent? «Avec la menace de l’extrême droite, il maintient le pays crispé, poursuit notre homme. Et il réussit un exploit, que nous ne percevons pas bien pour l’instant et que moi-même je n’imaginais pas possible: après sept mois de crise sociale inédite, qui aurait pu imaginer que sa candidate affidée réussirait plus de 22% à des élections jamais favorables au pouvoir?» En somme, Mac Macron aurait obtenu ce qu’il était venu chercher. Primo: maintenir le parti de Fifille-la-voilà assez haut, de quoi perpétuer ce mortifère face-à-face et profiter, d’ici à 2022, de l’«idiot utile» du système, à savoir le Rassemblement nationaliste. Secundo: après avoir entériné son OPA sur les sociaux-démocrates du pays, il entérine cette fois celle sur la droite, renvoyée, avec le candidat Bellamy, à moins de 10% – un score historiquement bas. Tertio: son premier ministre, l’Édouard, accusé dans certains cercles élyséens d’avoir imposé le choix de Nathalie Loiseau à une partie de «l’appareil» LaREM, sort renforcé des batailles d’ego et des équilibres (anciennement) droite-gauche de sa majorité, renvoyant au rencart toutes les rumeurs de remaniement de grande ampleur. Quarto: la gauche dite radicale, qui avait flirté avec le second tour de la présidentielle en 2017 avec Jean-Luc Mélenchon, est renvoyée à ses chères études en désunion, flirtant désormais avec les scores des socialistes. Notre conseiller d’État ne tourne donc pas autour du pot: «La stratégie de Macron est validée. En s’engageant comme il l’a fait dans cette campagne, il a non seulement sauvé les meubles mais préservé, pour le moment, son socle électoral, à défaut d’emporter l’adhésion des Français. Surtout, il installe, avec un certain cynisme, le duopole RN/LaREM dans la durée…»
Gauche. La fin présumée du clivage de la droite et de la gauche a, sans surprise, exténué le balancier: il penche définitivement à droite. Inutile de le cacher, d’autant que le bloc-noteur l’avait déjà suggéré, l’un des mouvements populaires les plus originaux des dernières années – celui des gilets jaunes– se traduit, vu le contexte à gauche, par une victoire totale de l’extrême droite française. Résumons la situation. La crise politique est (encore) devant nous, sans que nous puissions imaginer dans quel mur elle nous conduira. La division des forces de transformation sociale bénéficie pleinement au pouvoir, tandis que Fifille-la-voilà offre des triangulations impossibles à ses adversaires (imbéciles!) en continuant d’imposer ses thématiques. Bref, le peuple est divisé, «éparpillé territorialement en un archipel que seul le “récit’’ d’exclusion de l’extrême droite est capable de réunir politiquement», comme l’écrit l’historien Roger Martelli. Si l’on osait, on penserait que ce champ de ruines ressemble à s’y méprendre aux fractures nées de l’élection de Trump aux États-Unis, où l’éclatement entre «deux mondes» semble irréconciliable. Tel est le pari de Mac Macron. Que cette faille dure… pour servir non pas seulement ses intérêts, mais ceux de sa classe. «Il ne faudrait pas que la gauche, a fortiori sa part la plus à gauche, s’imagine qu’elle pourra en faire autant avec l’air du temps imposé par l’extrême droite», résume Roger Martelli. Comment le dire mieux? Mac Macron, vainqueur caché des européennes?
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 31 mai 2019.]
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