République. Accumulée dans l’épaisseur des injustices et du cours de l’histoire placé en Bourse, trouve-t-on encore la conscience de nos origines d’émancipation et d’insurrection ? Poser cette question, en apparence saugrenue dans ces colonnes, peut ressembler sinon à de la provocation au moins à un contresens. Elle concerne pourtant chacun d’entre nous, citoyens du premier cercle, sollicités que nous sommes par le goût des autres à nous boucher le nez, les yeux et les oreilles, ou à jouer les Zola au petit pied, voire aux Germanopratins pathétiques capables d’indignations verbales (quand même !) mais forcément stériles (pourquoi se salir les mains?)… Avant de penser à la grande Révolution par les mots, occupons-nous d’abord par les actes de notre précieuse République. Car l’universalité de son objectif n’est pas un avatar des siècles anciens, mais a été à la source de cette conception qui fonde l’État moderne. L’idéal conséquent des Lumières reste en effet le pouvoir de ceux qui peuvent agir au nom de la Raison et de l’Espérance – dépasser le réel pour tendre vers l’impossible, faire plier la réalité à la forme du songe… L’État-nation explose aujourd’hui sous les assauts du capitalisme financier néolibéral, réduisant les citoyens à des individus isolés, ramenés à leur fonction de consommateurs égoïstes, garantie d’une humanité docile… Face à ce défit monumental et à la perte des repères, n’oublions jamais que nous n’avons pas besoin de nouveaux «démocrates» pour refonder notre vieux pays, mais de toujours plus de républicains pour davantage de République !
Peuple. Si l’optimisme naïf ne doit surtout pas avoir de prise sur nous, a-t-on le droit néanmoins de livrer une lecture, en creux, du dernier «message» électoral? Dans le refus de vote qui n’est pas le vote FN, autrement dit dans cet océan d’abstention qui tsunamise la démocratie, ne peut-on voir comme l’expression d’un «signe», d’un «autre chose» qui ne dit pas encore son nom mais qui montra le bout de sa silhouette pendant le mouvement des retraites par exemple? Expliquons-nous. C’est un fait, jamais, depuis la guerre, les Français n’avaient à ce point engendré une logique de peur et d’exclusion dont les relents fascisants nous ramènent, par un mouvement d’involution inquiétant, aux années 1930… Mais précisément : qui aurait parié aux débuts de ces années-là sur l’émergence d’un Front populaire massif, dans la rue comme dans les urnes ? «En France, historiquement, les désarrois de masse se transforment toujours en conflit de classes», écrivions-nous ici même il y a trois semaines. Avions-nous tort de procéder à ce rappel élémentaire? Tétanisée par l’économie mondiale, impuissante pour l’heure à repenser l’avenir avec crédibilité, enfermée dans une spirale du doute et de l’échec historique, la gauche de transformation ne doit pas seulement repenser un projet de société. Face à la menace antirépublicaine incarnée par les lepénistes et une frange non négligeable des umpéistes enfin démasqués, cette gauche républicaine et sociale doit (re)partir au combat sans avoir peur ni de l’affrontement ni de l’ampleur de la tâche. Un combat de tous les instants, sur tous les fronts, condition sine qua non d’un éventuel sursaut citoyen. Une partie du peuple veut se tourner vers la fonction tribunitienne fascisante : il est responsable et coupable. Mais est-il seul coupable, puisqu’il est trompé ? «Comprendre trop tôt expose à n’avoir pas conscience de tout ce qui édifie ou organise le “comprendre”», disait Valéry. Comme un rappel à l’ordre.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 25 mars 2011.]
(A plus tard...)