Chris Froome. |
La montagne d’ordinaire se prête à la poétisation des circonstances, plus rarement à leur soumission. Comme pour revisiter l’idée que le Tour ne dépend pas uniquement de ses champions, qu’il continue malgré tout de créer des mythologies et qu’il domine ceux qui l’incarnent. Il était environ 15h30, hier, quand le long vertige avec le silence des hauts-lieux débuta dans les lacets du mythique Tourmalet (HC, 17,1 km, à 7,3%), emprunté par La Mongie et placé juste après l’ascension du col d’Aspin (première cat.). Etait-ce dans ce curieux plaisir de la souffrance vue et acceptée qui provoquent le tremblement des corps sous l’épreuve d’une pédalée saccadée, que le chronicoeur tenta, en vain, d’oublier la «stupéfaction Froome» de la veille?
Chacun attendait la grande bataille, observant d’un coin de
l’œil le porteur du maillot jaune, dégingandé par sa carcasse voûtée dont
l’extrême maigreur, sous la peau diaphane, laisse une impression de fragilité
extrême. Las, nous n’assistâmes qu’à une course au train, une forme
d’escamotage du géant Tourmalet (un affront) par les principaux favoris. Exit Péraud,
Bardet, Pinot et consorts. Devant, il fallut attendre la montée terminale vers
Cauterets, (6,4 km à 5%) pour une impossible régalade. Victoire du Polonais
Rafal Majka, rescapé de l’échappée du matin. Et ballade de santé pour Chris
Froome, qui contrôla sans se forcer ses adversaires (Quitana et Contador),
reprenant même des secondes à Nibali dans le final. D’où la question :
pourra-t-il seulement être attaqué dans les jours qui viennent?
Car depuis deux jours, nous n’entendons qu’explosions
d’étonnements et une irrépressible envie de s’amuser. Un coureur Sky n’avance
plus? «Panne de moteur»,
entend-on. Même Cédric Vasseur, l’ancien coureur et consultant, se demandait si
le vélo de Froome ne pédalait «pas
tout seul», allusion à un éventuel dispositif électrique, et
réclamait que toutes les bicyclettes soient «contrôlées
comme le sont les voitures en Formule 1». Dans le genre «La
Brigade du rire» se lâche, un certain Lance Armstrong avait déjà entamé
la partie de rigolade, dès le matin à Pau, par le truchement de son compte Twitter.
Avant de débarquer sur le Tour ce jeudi et vendredi au profit d’une association
caritative, l’ex-boss du peloton, qui en connaît un rayon, a délivré les bons
et les mauvais points comme s’il était encore le maître d’un jeu au sein duquel
il n’a toutefois plus sa place, puisqu’il en a été banni. Usant de peu de mots mais
de beaucoup de sens critique, le Texan a déclaré: «Je me pose beaucoup de questions. Clairement, Froome, Porte
et Sky sont très forts. Trop forts pour être propres? Ne me posez pas la
question. Je n’ai pas d’indice.»
Car nous n’avons pas fini d’échafauder toutes les hypothèses
sur la puissance dégagée par l’équipe britannique Sky. D’autant que le maillot
jaune pourrait s’inquiéter d’un fait rare dans l’histoire récente du
«cyclisme scientifique»: certaines de ses données
d’entraînement auraient été dérobées par un pirate informatique. Allons-nous
vivre une sorte de WikiLeaks avec scandale(s) à la clef? Ou, au
contraire, la fuite de ces informations classées «top secret»
contribuerait-elle à démontrer qu’il n’a rien à se reprocher? Quoi qu’il
en soit, la rumeur se diffuse comme une trainée poudre depuis la mise en ligne
d’une étrange vidéo anonyme sur Youtube (1), visiblement accusatrice, qui
divulguerait des révélations physiologiques du cycliste, accompagnées d’images
de l’ascension du Mont Ventoux, lors du Tour 2013, où Froome s’était imposé de
manière assez surréaliste. L’obtention et l’exploitation de ces renseignements
(la puissance, la fréquence cardiaque, la vitesse, etc.) seraient bien sûr susceptible
de signaler une performance suspecte, donc la prise de produits dopants. Un
jour sans doute saurons-nous, peut-être plus vite que prévu. Ce qui, une fois
encore, nous permettra d’appréhender le Tour tel qu’il est, une «fable unique où les impostures
traditionnelles se mêlent à des formes d’intérêt positif», comme
l’écrivait Roland Barthes dans ses Mythologies.
A propos de mythologies. Laissons les mots de la fin à Lance
Armstrong en personne, auquel nous accorderons au moins le bénéfice de
l’audace: «Je n'accuse
personne. En fait, c'est l'inverse, cela ne m'intéresse pas… et je n'ai pas la
crédibilité non plus… de donner ici mon avis.» Le chronicoeur eut soudain
la douloureuse impression de se trouver très loin de son Tour – et pourtant en
son cœur même.
(1) Cette vidéo
a été immédiatement retirée lundi soir. Nous n’avons pu la consulter.
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 16 juillet 2015.]
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