Le revoilà donc, ce Mûr de Bretagne, montagne façon ligne
droite sortie du granit de la Haute Cornouaille. Si le cyclisme a survécu à
toutes les proses de couleurs, celle de cette terre empierrée où le cyclisme est
devenu roi, a pris, samedi 11 juillet, toutes les teintes d’une fabuleuse haie
d’honneur. Une foule considérable de Bretons endiablés a accueilli l’arrivée de
la huitième étape, dans un final unique en son genre, une côte dressée tel un
mont qui offrait aux coureurs de quoi s’affronter à la dure sur deux kilomètres
d’une ascension sèche à 6,9% de moyenne. Le chronicoeur regarda donc cette
bagarre bercée d’antiques ondes de choc avec, à l’esprit, un (petit) avant-goût
des Pyrénées, que le peloton entamera dès mardi prochain après dix jours très
éprouvants.
Nous attendions la bataille des puissants. D’ailleurs Christopher Froome, porteur du maillot jaune, se montra si à l’aise dans l’exercice de la course de côte que nous pensions le voir s’échapper et pourquoi pas triompher (comme l’avait réalisé ici même Cadel Evans en 2001). Le Britannique, leader des Sky, entraîna dans sa roue presque tous les meilleurs (Contador, Quintana, Uran, Barguil, etc.), sauf l’Italien Vincenzo Nibali, légèrement décramponné dans le dernier kilomètre, et encore une fois le Français Thibault Pinot...
Mais la belle surprise vînt d’ailleurs. Sorti de sa boite au pic de l’effort de Froome, autant dire dans le moment d’incandescence des muscles, le Français Alexis Vuillermoz (AG2R) se montra irrésistible et prit une trentaine de mètres d’avance sur l’avant-garde de ce qu’il restait du peloton. Le Jurassien, âgé de 27 ans et spécialiste du VTT, remportait là le plus beau succès de sa carrière professionnelle, entamée depuis 2012. L’homme, qui avait déjà fini troisième au mur de Huy en début de semaine derrière Joaquim Rodriguez et Christopher Froome, offrait à la France sa première victoire d’étape depuis le départ aux Pays-Bas. La Fête nationale, un 11 juillet… "J'avais coché cette étape dans mon calendrier, a expliqué le vainqueur. J'étais dans le dur, mais les derniers quatre cents mètres étaient plus plat et je savais qu'ils me profiteraient. C'est incroyable. Je n'y crois pas. Le bonheur existe."
Un peu plus tôt, la crise de l'élevage s'était même invitée
lors de l’étape, amputée à l'occasion du passage de la course en Bretagne des
véhicules des marques Cochonou et Carrefour, cibles d'actions des agriculteurs,
qui ont bloqué certains camions à l'aide de tracteurs notamment et aux cris de:
«Partagez vos marges, sauvez l'élevage!» Le groupe Cochonou
avait lui carrément choisi, comme la veille lors de l'étape Livarot-Fougères,
de ne pas participer au défilé de la caravane publicitaire avec ses populaires
2 CV à carreaux rouges et blancs, et d’emprunter l’itinéraire «hors
course».
Au petit matin, à Rennes, la caravane avait encore la gueule
de bois de la veille. Il faut dire que les suiveurs venaient de revisiter quelques
démons et se demandaient, ironiquement, s’ils ne s’étaient pas égarés dans les
contrées obscures du passé. Le premier contrôle antidopage avait secoué le
peloton et l’Italien Luca Paolini, le coureur de Katusha âgé de 38 ans, quittait
la Grande Boucle avec un air si penaud qu’il aurait presque fallu le confesser en
la cathédrale Saint-Pierre, située dans le cœur historique de la ville
bretonne. Prévenu en fin de soirée, jeudi, alors que son équipe russe regagnait
son hôtel dans la proche banlieue rennaise, Paolini n’a pas dû être étonné de
savoir qu’il avait été contrôlé positif à la cocaïne. Vous avez bien lu:
à la cocaïne. Ne cherchez pas, dans le «milieu», l’explication est
toute trouvée. L’usage de cette substance n’est pas interdite hors compétition,
mais elle considérée comme un produit stimulant lors des courses. Les traces de
ce produit se conservant assez longtemps dans les urines, rien ne prouve, donc,
que Paolini en ait fait usage à des fins dopantes et il y a tout lieu de penser
qu’il s’agissait plutôt d’une pratique «récréative».
Luca Paolini s’est même expliqué brièvement sur twitter. «Comme pour mes victoires, a-t-il
dit, j'assume mes pleines responsabilités
et je chercherai à faire la lumière sur ce qui m’arrive. Je crois, et j'ai
toujours cru dans les contrôles afin de rendre le sport crédible, de plus en
plus. Je ne suis pas quelqu'un qui crie au scandale et cherche des
échappatoires inutiles.» Une forme d’aveu. D’autant qu’il a poursuivi
en ces termes: «Je
présente mes excuses à tous les autres coureurs et aussi au Tour de France, à
ses organisateurs, en sachant que c'était le moment le moins approprié compte
tenu de tous les médias concentrés sur le Tour. Je présente aussi mes excuses à
mes coéquipiers de la fantastique équipe Katusha et j'espère que mon absence ne
sera pas préjudiciable à un bon résultat final.»
Le coureur italien avait peut-être eu le temps, vendredi
matin au village-départ, de croiser une vieille connaissance des coureurs
cyclistes: Bernard Sainz en personne, alias le «docteur Mabuse»,
plusieurs fois poursuivi dans des affaires de dopage, jamais condamné. Cet homéopathe
et naturopathe de 71 ans, qui fut l’âme damné de génération de coureurs, a tranquillement
pénétré au village départ, au matin de la 7e étape, à Livarot
(Calvados), muni d’un laissez-passer transmis par un ou plusieurs membres
d’Amaury sport organisation (ASO), l’organisateur de l’épreuve, selon les
révélations de notre confrère de Libération,
Pierre Carrey. Muni de ce sauf-conduit, «Mabuse» a circulé comme
peuvent le faire n’importe quel accrédité. L’homme a ainsi pu s’entretenir avec
d’anciens pros et probablement quelques membres d’encadrement d’équipes
actuels. Joint par Libération, Bernard
Sainz a expliqué qu’il conseillait toujours des coureurs du peloton 2015. Mais
pour des raisons médicales, bien sûr: «En traumatologie osseuse,
il m’arrive de voir des cyclistes, des rugbymen, mais ils n’en parlent pas à
leur staff.»
Impayable
cyclisme… Croyez-le ou non, mais parfois la machine à remonter le temps s’y
conjugue au présent.
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