Utrecht (Pays-Bas), envoyé spécial.
La fournaise n’annonce pas toujours le pire. «Quand l’extrême chaleur s’invite au départ d’un Tour de France, c’est toujours la marque des grandes années, une bénédiction des cieux!» Le légendaire Cyrille Guimard, revenant d’un footing matinal par plus de trente degrés à l’ombre, s’anime déjà comme un théâtre ambulant et prédit «l’enfer pour les coureurs, le paradis pour les suiveurs… et pour les autres, c’est leur problème». Les températures harassantes écrasent Utrecht mais le grand barnum du Tour, installé dans un gigantesque et luxuriant Parc des expositions, ne fonctionne pas au ralentit contrairement à la population locale, si peu habituée au climat saharien qu’elle semble fléchir sous le poids de l’air saturé. «Ah! le Tour, le Tour… vive le Tour!» Toutes les bouches irradient de bonheur. Pensez donc, inscrire le nom de la ville des Traités Louis-quatorzien dans l’histoire du cyclisme, ça vaut toutes les promotions! C’est un peu comme si chaque habitant se devait de justifier les six millions d’euros –un record– déboursés par la communauté d’agglomération pour accueillir ce Grand Départ. Peu importe le prix, le Tour est un soleil autour duquel il convient de tourner.
Ici, il y a heureusement comme une évidence. Le pays aux millions de vélos et aux centaines de kilomètres de pistes cyclables aime tellement la Petite Reine qu’il aurait, presque, mérité de l’inventer. Pas un geste quotidien, urbain ou non, n’échappe à l’imaginaire des deux roues. Le Tour s’y sent donc comme chez lui. Et nous aussi par la force des choses, d’autant que la 102e édition s’annonce grandiose. Tous les grands leaders en quête du paletot jaune se jettent dans l’aventure, contrairement aux précédentes années. Le tenant du titre, l’Italien Vicenzo Nibali, candidat sérieux à sa succession, doit cette fois compter avec une concurrence hors norme. Citons les trois principaux: le sulfureux espagnol Alberto Contador, récent vainqueur du Giro ; le mystérieux anglais Chris Froome, vainqueur du Tour en 2013 et vaincu l’an dernier sur abandon ; l’énigmatique Colombien Nairo Quintana, aérien sur le Giro 2014 et qui, sauf surprise, s’envolera sans se retourner dans les cols. Citons également trois Français, dont l’un pourrait entrer dans la légende, trente ans après Bernard Hinault : Thibaut Pinot, Romain Bardet, Pierre Rolland.
La géographie de l’épreuve, propre à tous les scénarios rêvés ou fantasmés, risque d’enfiévrer nos dernières traces de romantisme. Dix jours dans le nord des Pays-Bas à la Bretagne à se jouer des monts et des murs, des pavés et du vent ; puis dix jours en très haute montagne, avec cinq arrivées au sommet, dont l’ultime, dans l’Alpe d’Huez, à la veille des Champs Elysées… Pour écrire en énorme caractère l’épure tragique ou la grandiloquence mythifiée, les coureurs ont le chemin dégagé. Même du côté de la lutte antidopage. Il nous est annoncé «des contrôles mieux ciblés chaque jour, mais pas de tests possibles la nuit». En cause, la non-application pour l’instant du nouveau code mondial. «Il ne faut rien s’interdire… sauf le déraisonnable», dit Christian Prudhomme, le patron du Tour, à propos des innovations topographiques du tracé. Une phrase appliquée à la lettre. Dans tous les domaines.
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 3 juillet 2015.]
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