La politique en campagne est-elle une science ?
Ampleur. La peur active la peur, l’inquiétude nourrit l’inquiétude… Beaucoup y ont intérêt. Ainsi, à trois semaines du premier tour de la présidentielle, nous devrions catégoriser les citoyens en deux blocs, très inégaux par le nombre de leurs représentants. Le premier, ultra-minoritaire, serait celui des commentateurs «politiques» gavés à la sondagerie, forts de leurs analyses, qui auraient la particularité de ne pas croire, ou pas vraiment, que Fifille-la-voilà soit si bas dans les sondages. Si-si, cela se murmure dans les rédactions et parfois s’écrit noir sur blanc, sur le thème: un quart de l’électorat, c’est beaucoup (pour notre pays) mais c’est trop peu (par rapport à la réalité), que cela ne peut pas être vrai, que 25% environ des intentions de vote ne constituent pas un raz-de-marée, mais qu’il reste impossible de ne pas imaginer une possible tsunami, vu le contexte, la crise économique, sociale et morale qui ronge le pays en son âme, etc. Le second bloc, ultra-majoritaire puisqu’il pèse en dizaines de millions, serait celui du peuple lui-même, tapis dans l’ombre, qui préparerait une mauvaise surprise de taille et provoquerait un aveuglement tel aux sondeurs qu’on nous rejouerait les États-Unis ou la Grande-Bretagne. Le danger serait devant nous et nous ne le verrions pas – ce que dément régulièrement cette chronique, ce qui vaut parfois au bloc-noteur des remarques acerbes du genre: «Tu en fais trop sur le FN.» Mais quelquefois, certains disent, comme par esprit de contradiction: «Ne serions-nous pas en train de sous-estimer l’ampleur du vote FN, comme un péché par omission?» Allez comprendre. Quant à savoir où se situe la vérité, il faudrait que nous accordions plus que de raison du crédit auxdits sondages, alors que, à cette heure, la moitié des électeurs potentiels ne savent pas encore s’ils iront voter, ni pour qui, ni pour quoi, ce qui rend les scénarios anticipés très aléatoires, comme si nous étions sommés de n’avoir qu’un seul horizon: se déterminer en fonction du monde-FN.
Calculs. Et voilà qu’un physicien, chercheur au CNRS et membre du Cevipof, Serge Galam, se permet de jeter un pavé dans la mare. Dans une tribune donnée à Libération lundi dernier, le scientifique, qui, entre parenthèses, avait prédit l’élection de Donald Trump dès l’été 2016, nous explique qu’une victoire de Fifille-la-voilà serait passée de «impossible» à «improbable», «improbable voulant dire à envisager». Ses calculs sont formels, sa théorie aussi: «Alors que Le Pen active des électeurs anti-FN quel que soit son challenger, désormais, et c’est nouveau, chaque candidat qualifiable pour le second tour va aussi désactiver des électeurs qui ne pourront pas voter pour lui, même face à Marine Le Pen.» Vous suivez? La fragmentation politique de cette campagne – ajoutée à une faible participation – pourrait accélérer le processus d’étiolement des irréductibles anti-FN. Et le physicien d’annoncer «le grand séisme du 7 mai 2017». Une manière assez grossière, mais efficace, d’appeler à voter utile…
Révolutionnaire. Dans une chronique savoureuse, publiée dans les pages «France» du Monde, ce mercredi, nous apprenons que, dans cette campagne électorale, il y aurait deux «révolutionnaires». Suivez notre regard: Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Les deux renvoyés dos à dos. Outre l’ignominie du procédé – pas la première fois –, c’est bien le candidat de la vraie gauche qui effraie les puissants. Il suffit de lire ceci: «La convocation d’une Constituante fait clairement référence à 1789, première étape d’une longue et sanglante émancipation.» Jean-Luc Mélenchon est d’abord comparé au pire (l’extrême droite), puis insulté (référence au sang). Tous les procédés sont bons. Mais cela prouve au moins une chose: la peur a changé camp.
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 31 mars 2017.]
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