jeudi 25 février 2021

Pétainiste(s)

Zemmour, candidat de l’Action française ?

Convergence. Il se rêve depuis longtemps en «Trump français», sauf que, cette fois, la rumeur n’en est plus une et tout pousse à croire que l’histrion préféré de CNews ambitionne quelque chose. L’odieux Éric Zemmour va-t-il tenter de se porter candidat à la présidentielle de 2022 ? Ou constitue-t-il, d’ores et déjà, une sorte de «chiffon rouge» dans le but non avoué de ratisser large pour Fifille-la-voilà ? Difficile, en vérité, de connaître les réelles motivations du polémiste. D’autres s’en chargent pour lui. Cette semaine, plusieurs de ses soutiens ont en effet créé une plateforme en ligne pour lancer l’idée. Jacques Bompard, maire d’extrême droite d’Orange, se trouve à la manœuvre. Pour ce dernier, Zemmour serait le seul capable d’inventer sur le plan «pratique et théorique» une «convergence» entre droite dure et droite extrême, ayant pour but d’éliminer Fifille-la-voilà, qui aurait le désavantage de «faire partie du système» et de ne pas «être à la hauteur du débat». Tout un programme, plus ou moins partagé par l’ineffable maire de Béziers, Robert Ménard, qui aurait personnellement dit à la cheffe du RN tout le bien qu’il pensait du chroniqueur du Figaro. Tous les artisans de l’Action française revisitée sont donc là, jadis tapis dans l’ombre, passés depuis en pleine lumière, persuadés désormais que le fameux «plafond de verre» a tellement été fissuré qu’il suffirait d’une pichenette de l’histoire pour qu’il explose au pays de Voltaire et d’Hugo.

Râteau. Les scores de Fifille-la-voilà dans les sondages laissent songeur autant qu’ils nous incitent à prendre conscience du danger d’accoutumance à cette possibilité même. Nous le savons : le tête-à-tête mortifère entre Mac Macron et le RN risque de mal finir. L’accident devient donc potentiellement crédible. Au moins pour une raison structurante. Ce que nous appelons la «réaction néonationaliste» dans notre pays nous parvient en effet par tous les bouts, à commencer par le bas, sans toutefois dénominateur commun. Nous ne sommes pas confrontés à «un» vote mais à «des» votes d’extrême droite. Ils s’additionnent. Il y a les déçus de tout, qui s’inventent un discours pseudo-social. Il y a les ultralibéraux catho-identitaires ségrégationnistes de la droite traditionnelle, héritière du poujado-pétainiste colonialiste. Et il y a les ultraréacs plus ou moins ouvertement pétainistes et fascisants. La «famille» de l’extrême droite et de la droite extrême dispose d’un râteau multiforme. Qui eût cru cela envisageable, il y a vingt ans à peine ?

Horreur. Zemmour a déjà refusé une investiture RN pour les européennes ? Qu’à cela ne tienne. Depuis plusieurs années, l’homme croit en la prédiction de l’ancien conseiller occulte de Nicoléon, Patrick Buisson, qui a toujours vu en lui la «figure providentielle pour donner une base doctrinale à la droite, susceptible de rallier LR et le RN… et bien au-delà». Admettons-le : malgré ses multicondamnations (provocation à la discrimination raciale, à la haine contre les musulmans), Zemmour jouit d’une importante popularité. Il vend des livres : 500.000 exemplaires du Suicide français, puis 110.000 environ du Destin français. Il réalise de bons scores avec son émission quotidienne sur CNews : environ 800.000 téléspectateurs en moyenne. Se sentant porté par des vents crépusculaires, identitaires et xénophobes dont il cherche à attiser la puissance – avec tous ses relais –, le nouveau porte-parole des nationalistes et de l’extrême droite aspirait naguère au statut de «Maurras du XXIe siècle», abusant de tous les codes mis à sa disposition, en particulier quand il publie un livre. Zemmour incarne l’extrême droite dans toute son horreur à peine ripolinée. Sa vieille quête fanatique du n’importe quoi historique en est la marque ; tout comme ses propos sur l’immigration ou les femmes ; ou quand il ose exalter la figure de Pétain au point de le réhabiliter entre les lignes ; sans parler de sa sortie verbale, après la reconnaissance par Mac Macron du rôle de la France dans la mort du mathématicien communiste Maurice Audin, affirmant que ce dernier était «un traître et méritait 12 balles dans la peau»… 

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 26 février 2021.]

mercredi 24 février 2021

Éradication

Au-delà de l’Iran, la question centrale demeure la même : quand stopperons-nous l’escalade du nucléaire militaire dans le monde ?

Un peu plus d’un mois après le début de son mandat et malgré sa promesse, Joe Biden n’a toujours pas clairement déclaré que son pays réintégrait le précieux accord de paix sur le nucléaire iranien, signé à Vienne en 2015. Pourquoi le président américain avance-t-il plus lentement que prévu, alors que le choix de la désescalade est un impératif absolu pour la stabilité du golfe Persique ? Sans doute parce que l’équation n’est pas simple avec les meilleurs alliés des États-Unis dans la région, Israël, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, farouchement opposés à tout accord avec l’Iran. Souvenons-nous que, en 2018, à la tête d’une coalition israélo-saoudienne qui voulait en découdre militairement et asphyxier le régime, Donald Trump avait rompu unilatéralement l’accord. Outre qu’il s’agissait d’une décision irresponsable et lourde de menaces, elle rendait possible la relance du programme nucléaire militaire iranien…

Ce fut d’ailleurs un camouflet pour l’Union européenne et Emmanuel Macron en particulier, qui, en dépit de son opposition verbale aux sanctions de Trump, les avait néanmoins respectées en mettant fin à la quasi-totalité des échanges commerciaux avec l’Iran. Trois ans plus tard, les dirigeants de Téhéran ne comptent plus sur l’Europe, qu’ils considèrent comme dépendante des États-Unis. Beau gâchis, tandis que les gouvernements français et européens pourraient rejouer un rôle majeur à l’heure de réactiver l’accord de Vienne, le renforcer en l’étendant à d’autres pays, et aider à repenser l’avenir du nucléaire militaire d’une humanité nouvelle.

Car, au-delà de l’Iran, la question centrale demeure la même : quand stopperons-nous l’escalade du nucléaire militaire dans le monde, qui, singulièrement en France, se développe sans aucun contrôle populaire, ni parlementaire ? Le 22 janvier dernier, le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (Tian) entrait en vigueur, sous l’égide de l’ONU. Ratifié par 54 pays, mais par aucune des 9 puissances disposant de la bombe (États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France, Chine, Inde, Pakistan, Corée du Nord, Israël), ce texte vise à interdire purement et simplement cet arsenal sur la planète. Depuis 1968, l’idée de la non-prolifération avait fait son chemin. Celle de l’éradication revient dans le débat public. Il était temps.

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 25 février 2021.]

jeudi 18 février 2021

Atome(s)

Le tournant écologique sera-t-il nucléaire ?

Horizon. La jugeote d’abord. Partant du principe assez élémentaire que, en toutes choses, il convient toujours de partir des réalités, nous faisons nôtre la «philosophie de la praxis» du Rouge Gramsci : «Pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté.» Un cliché ? Dommage. Il est d’ailleurs un sujet qui, depuis quelques années, n’autorise quasiment plus aucun débat dépassionné, singulièrement dans la grande famille dite de « gauche ». Résumons ce sujet maudit par une question provocante : le tournant écologique sera-t-il nucléaire, au moins pour un certain temps ? Nous entendons déjà les polémiques. Mais que les choses soient claires : le bloc-noteur n’écrira pas ici-et-maintenant que l’énergie nucléaire est l’horizon indépassable de l’humanité. Mieux : la conviction s’impose qu’un jour – quand ? – l’atome sera devenu obsolète, sauf à considérer que la fusion nucléaire soit totalement maîtrisée et révolutionne le genre pour les générations futures.

Appel. La lutte contre le réchauffement climatique mérite sérieux et controverses raisonnées. L’affaire est si brûlante qu’un comité d’une cinquantaine de personnalités, composé de scientifiques, d’élus et d’anciens ministres de droite comme de gauche, vient de se constituer afin de dénoncer la logique antinucléaire de la France, qui serait antinomique avec la visée écologiste. Le comité porte un nom : l’Association de défense du patrimoine nucléaire et du climat (PNC-France). Parmi les signataires ? À gauche : Hubert Védrine, Jean-Pierre Chevènement, Arnaud Montebourg, David Habib, mais aussi les communistes André Chassaigne et Sébastien Jumel. À droite : Bernard Accoyer, Hervé Mariton, ou le gaulliste Julien Aubert. Des scientifiques : Claude Cohen-Tannoudji, prix Nobel de physique, Yves Bréchet, membre de l’Académie des sciences… Et même des patrons, comme Louis Gallois. Vous l’avez compris, cet appel intervient au moment où la filière se trouve face à des défis majeurs : obtenir la prolongation d’une partie des réacteurs et persuader les pouvoirs publics d’engager de nouveaux chantiers au plus vite. PNC-France fustige ainsi ceux qui «cèdent à une idéologie antinucléaire d’un autre âge, relayée par de puissants lobbies», orientation «d’autant plus paradoxale que la France, grâce au nucléaire, est le seul grand pays dont la production d’électricité est déjà décarbonée».

Raison. Ne nous mentons pas. La question du devenir énergétique de la planète reste au cœur des enjeux fondamentaux, sociaux, scientifiques et politiques, à l’horizon de la fin du siècle. D’où la responsabilité qui nous incombe d’agir pour que le futur de la Terre se conjugue, au sein d’une biodiversité maintenue, avec le développement de l’espèce humaine. L’obligation de diversifier les sources de production d’énergie ne se pose plus. Un examen des rendements réels conduit toutefois au verdict suivant : si l’on vise à développer des filières de production protégeant notre environnement, et suffisamment efficaces pour ne pas buter sur des problèmes d’approvisionnement, pouvons-nous nous passer, pour les quelques décennies qui viennent, de l’utilisation de l’énergie nucléaire ? Si « oui », une telle posture ne reviendrait-elle pas à pérenniser un statut quo planétaire où seule une minorité de pays développés gérerait la planète, en utilisant l’ensemble des moyens de domination militaires, économiques et idéologiques dont elle s’est dotée, et sans jamais nous demander : quand sortirons-nous du nucléaire militaire, qui continue de se déployer sans aucun contrôle populaire ? Le nucléaire civil, lui, nécessite encore des investissements, sur des principes physiques connus, au service de l’homme et de la planète, sans minimiser les problèmes spécifiques et essentiels découlant de son utilisation. Proposer l’arrêt de tout développement ne serait-il pas perdre plusieurs années critiques ? Au terme desquelles la raison et la réalité imposeront de reprendre le travail… mais avec un retard qui pourrait s’avérer catastrophique. 

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 19 février 2021.]

mardi 16 février 2021

Scandaleux contrats

L'opacité pèse sur les contrats passés entre l'Union européenne et firmes pharmaceutiques... 

Vous avez détesté les retards de livraison, la production insuffisante des sérums ? Vous allez haïr l’opacité des contrats vaccinaux signés entre l’Union européenne et les firmes pharmaceutiques ! Tandis que la campagne de vaccination contre le Covid-19 laisse apparaître des défaillances béantes, les documents que nous publions sont sans ambiguïté : la Commission européenne, qui s’est pourtant lancée dans une stratégie ambitieuse aboutissant à la conclusion de contrats de préachats avec six groupes, s’est bel et bien couchée devant les Big Pharma. Mystères, secrets. Un véritable scandale.

Le manque de transparence, pointé par de nombreux eurodéputés, ne laisse aucune place au doute. Les versions expurgées des publications montrent ainsi que les éléments essentiels – les prix, les questions de responsabilité en cas d’effets secondaires renvoyées aux États – et les délais de livraison ont été noircis à la demande des Big Pharma. La Commission s’est pliée à ces exigences surréalistes. En vérité, dans le secret des alcôves, nos chers «négociateurs» ont lâché du lest, alors qu’ils devaient remporter un défi titanesque : vacciner plus de 450 millions de personnes dans 27 pays en un temps record, afin d’atteindre une forme d’immunité collective, seule manière de lutter efficacement contre la pandémie. Rappelons que le virus a déjà tué près de 500 000 personnes sur le continent…

Les documents révèlent une évidence, la pire de toutes. Alors que la prouesse scientifique de la découverte des vaccins a été soutenue par plus de 8 milliards d’euros d’investissement public des États et, au sein de l’Union européenne, par 2,3 milliards d’euros pour le développement des capacités de production, les entreprises pharmaceutiques ont profité de l’urgence de la crise sanitaire pour maximiser leurs profits. Pour ne prendre que la firme Pfizer, n’oublions pas qu’elle annonce déjà 13 milliards d’euros de chiffre d’affaires lié au vaccin, en 2021…

À l’heure où des vies sont encore en jeu, ces « normes » de confidentialité – seconde nature des Big Pharma – s’apparentent à du cynisme. Il en est de même avec les brevets, bien protégés, donc ultra-rentables et source d’inégalités entre pays riches et pauvres. L’Europe avait un impératif moral ; elle a toujours rendez-vous avec l’histoire. Déjà manqué ? 

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 17 février 2021.]

jeudi 11 février 2021

Sacré(s)

Qui se distingue ? Ceux qui se battent pour la dignité des plus faibles…

Citoyen. Malraux lui-même, pour ne pas provoquer une société qui confondait déjà «sacré» et «divin», évoquait non la sacralité mais convoquait souvent l’esprit de la «valeur suprême». Partant du principe que là où il y a du sacré, il y a de l’enclos, de l’interdit mais surtout du dépassement, une question crucifie le bloc-noteur ces temps-ci : la France est-elle encore sacrée ? Au sens par lequel s’engager possède un double sens : se mettre au service d’une cause et bloquer son agenda au profit de l’indicible. Mais quand maintenant, tout est maintenant, broyé par le court-termisme, le « nous » a-t-il encore autorité sur le «moi» ? Que deviennent l’utilité commune, l’avantage de tous, la volonté générale, la nation ? Ces mots étaient à l’honneur chez nos grands révolutionnaires de 1789-1793, qui reconnaissaient des droits aux « membres de la société », aux hommes définis comme citoyens de par leur appartenance à un corps politique. La République selon la France. Comprenez bien la différence : dans le préambule de la charte européenne des droits fondamentaux, la personne se retrouve au centre du monde, tandis que la société a disparu comme sujet. L’individu versus le citoyen. En bas, la pente est au nombril. En haut, au bonapartisme. Deux dictatures menacent de tout temps le bonheur des citoyens : celle du tout sur la partie, et celles des parties sur le tout. Chez Rousseau, Hugo et Jaurès, ce «tout» a-t-il encore valeur suprême ?

Crise. France, l’affaire est entendue. Archipélisée, émiettée. Civisme en berne. Industrie moribonde. Indépendance politique et juridique bafouée. Le pays de Pasteur et du CNR ne sait plus s’imposer et relier ce qui se délite. Même l’espérance dans le pacte commun – cet horizon qui nous dépasse tous – semble avoir disparu. Notre Jean-Jacques doit se retourner dans son Panthéon qu’on ait si peu lu son Contrat social, où tout a été consigné scrupuleusement pour les générations futures, notamment que dans une République, où le droit ne passe pas les bornes de l’utilité publique, il est impossible «d’être un bon citoyen» sans une «profession de foi purement civile». Comme l’écrit Régis Debray dans D’un siècle l’autre (Gallimard) : «On pense beaucoup en France. On constate un trop-plein d’intelligence et un flagrant manque de courage. Crise de la volonté ? Oui et non. Au fond, crise de la croyance. On n’y croit plus. En rien ni en personne. Résultat : dans notre rapport au temps, avenir disparu et futur interdit. Dans notre rapport aux autres, repli sur soi et chien méchant. Et face au risque, la trouille ou l’accusation. La crise de confiance générale soulève une question prioritaire de religiosité, au sens banal du terme : ce qui nous lie à nos semblables. (…) Telle est la situation de la France actuelle. Elle est sans précédent dans notre histoire.»


Mémoire. Recoller les morceaux, unir un peuple désuni, condamner les séparatismes – celui des riches n’est pas moins puissant que ceux des fanatiques de dieux. Manque, en politique, les reliques fondamentales et patrimoniales. L’Internationale ouvrière se transmet de moins en moins, et la Marseillaise se chante en sourdine. Debray demande : «Qu’est-ce qui, en dehors de la famille, n’a pas de prix et ne pourrait s’échanger contre rien d’autre ?» Ici-et-maintenant, dans cet assèchement symbolique, tout est à reconstruire. Au moins, dans la mémoire collective, reste-t-il une place pour la Révolution et la Bastille, pour les luttes, pour la révolte, pour les sacrifices. En politique comme en toutes choses, ceux qui se distinguent et laissent une trace sont toujours les mêmes : ils battent d’abord pour la dignité des plus faibles. Parce que la France est la France, voilà ce qu’il y a de plus sacré.

 

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 12 février 2021.]

jeudi 4 février 2021

Lucidité(s)

Tout dans la crise accuse le capitalisme.

Utopie. Alors que nous sommes quelquefois trop passifs et/ou remplis de crainte, il arrive que des penchants obscurs nous livrent à des ennemis contre notre gré. «La seule chose dont nous devons avoir peur est la peur elle-même», disait Franklin Roosevelt, au cœur d’une guerre mondiale infiniment sanguinaire. L’humain est l’être des lointains qui se projette à rebours, tantôt dans le passé, par la mémoire, tantôt dans l’avenir, par le dessein. Aucun horizon sans traces d’histoire et épaisseur du temps. Notre capacité à nous décentrer, à nous abstraire du présent, permet, par la rêverie, l’espérance ou l’utopie, de supporter l’époque quand celle-ci devient catastrophique. À chaque crise majeure, un monde de certitudes s’effondre, dévoilant l’envers du décor et les failles de nos sociétés, et, avec elles, nous découvrons soit notre naïveté, notre cécité et notre cupidité, soit notre capacité à la déconstruction et à mener des combats. Comme le notait Régis Debray dans Du bon usage des catastrophes, «la» catastrophe est à ce titre un révélateur impitoyable. Mais elle a surtout valeur de pédagogie : «Elle nous enjoint de tirer des leçons qui s’imposent et de rectifier le tir à chaque fois que se découvre une négligence ou une faute de notre part.» Souvenons-nous, c’était il y a un peu moins d’un an. Tout occupés que nous étions alors collectivement à franchir tant bien que mal la période du premier confinement, les bonnes âmes, oublieuses de leurs pratiques libérales en capitalisme appliqué, évoquaient «l’après» avec des mots quasiment révolutionnaires, affirmant que «plus rien» ne serait «comme avant» et que la gestion des «catastrophes» en cours modifierait dans le temps long tous les paradigmes en vigueur. Qui y croyait vraiment que «tout» allait changer, que nous reviendrions «aux fondamentaux» (lesquels ?), que nous redéfinirions en termes de souveraineté «l’indépendance industrielle de la nation» (la bonne blague), que Mac Macron était sincère avec son «quoi qu’il en coûte» et qu’il requalifierait son supposé «progressisme» à l’aune de l’humanité ?


Mutations. Le bloc-noteur, néanmoins, ne doute pas de l’importance historique du «moment» que nous traversons. Les conséquences et les mutations induites par la crise et les crises modifient nos fondations en tant que bouleversements : notre intimité, notre rapport aux autres, nos façons de travailler, et jusqu’à la géopolitique – l’accès aux vaccins étant devenu le nouvel étalon de la puissance. À quoi ressemblera le monde ? Et la France, qu’il conviendra de reconstruire de fond en comble ? Tandis que nous annonçons l’effondrement-Covid du PIB, et qu’il faudra une génération au moins pour s’en remettre, beaucoup oublient encore d’expliquer que, en capitalisme, ledit effondrement vaut effondrement de l’emploi et que ce désastre va s’abattre sur une société rongée de précarité, d’angoisse matérielle et de doutes quasi anthropologiques.


Déclin. Quoi que nous en pensions, sachant que la tâche s’avère rude à tout dirigeant, la gestion globale de la crise épidémique et économique continue de révéler de si lourdes failles et faiblesses que notre nation n’en finit plus de tomber de son piédestal. Voilà la vérité morte de notre «présent» : le déclin français, sur tous les plans. La lucidité, comme forme supérieure de la critique, a semble-t-il gagné l’esprit de nos concitoyens, qui ont découvert peu à peu l’extrême vulnérabilité de notre système de fonctionnement collectif, dépourvu de toute anticipation stratégique. La France est bel et bien atteinte d’une blessure narcissique profonde, durable, mortifère. «L’après» restera devant nous, loin, très loin, si nous n’admettons pas collectivement que tout dans la crise accuse le capitalisme, le néolibéralisme et toutes les politiques conduites depuis des décennies. 


[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 5 février 2021.]