jeudi 27 février 2020

Démocratie(s)

L’égalité, c’est la République. La seule démocratie se moque de l'égalité.

Mépris. La violence démocratique du gouvernement – comme si Mac Macron épousait jusque dans le détail les manières thatchériennes – appelle un examen de conscience politique d’autant plus impérieux qu’il révèle la forme autoritaire de l’exercice du pouvoir. Prenons bien la mesure du moment qui est le nôtre; et des conséquences sur la vie publique en devenir. Après le mépris absolu de la contestation sociale – qui a pris l’ampleur d’une bataille de civilisation afin de sauvegarder l’à-venir de nos retraites –, le comportement de l’exécutif visant désormais à annihiler le combat parlementaire a quelque chose de mortifère. Les artisans de cette destruction démocratique en règle ne prennent pas la mesure du mal cumulatif qu’ils imposent au pays et qui enclenchera immanquablement une réaction en chaîne aussi inédite qu’imprévisible. Qui n’a pas compris la richesse historique du mouvement social en cours, comme sa diversité exemplaire, n’a rien compris en vérité à la lame de fond qui secoue les tréfonds de la société. On ne dira jamais assez la puissance symbolique des arrêts de travail des «roulants», les jets des robes d’avocats, des blouses de médecin, des cartables de profs, des outils des artisans d’art du Mobilier national, sans parler des danseuses de Garnier, de l’orchestre de l’Opéra, du chœur de Radio France, etc. Tout cela pour quoi? Frédéric Lordon l’expliquait récemment: «Ce sont des merveilles de la politique contre le management des forcenés. Ici les forcenés ne sont pas ceux qui sont managés mais ceux qui managent, lesquels par ailleurs pensent que les ''forcenés '', les '' fous''», comme tout le reste, sont à manager. De la politique quasi-anthropologique, où l’on voit, par différence, l’essence des forcenés qui managent et, à leur propos, surgir la question vertigineuse: mais qui sont ces gens? Qu’est-ce que c’est que cette humanité-làOui, de la même manière qu’elle pourrait dire qu’elle n’est pas à vendre, la société aujourd’hui dit qu’elle n’est pas à manager. 

Désordre. Mais revenons au sujet essentiel, quand nous (re)découvrons toutes les conditions de possibilité cachées de la démocratie, sans lesquelles, rappelle Frédéric Lordon, il n’y a que « la-démocratie » dépourvue du sens de «la décence». Une question hante donc le bloc-noteur, celle qui commande à tous les débats du jour l’identité d’une République, par quoi notre pays fait, en Europe et dans le monde, exception. Qui que nous soyons, nous payons tous collectivement, et par un indéniable désordre mental, la confusion intellectuelle entre l’idée de République issue de la Révolution française, et l’idée de démocratie, telle que la modèle l’histoire anglo-saxonne. Nous les croyons synonymes, nous les mélangeons, les fusionnons sans discernement, commettant l’erreur de ne pas les distinguer. La société libérale et consumériste n’est pourtant qu’une figure parmi d’autres de la démocratie, mais elle s’avère si dominante et communicative qu’on la croit obligatoire, y compris dans les pays où la démocratie a pris d’autres visages. Le conflit pour les retraites en est emblématique. Quand tout ce qui a pu être dit, puis crié, puis hurlé ne rencontre que le silence abruti de la caste supérieure, qui s’étonnera que les moyens changent, tôt ou tard? N’oublions jamais que la République aime l’égalité. Or, l’égalité sociale ne figure pas au programme de la démocratie, par laquelle on parle d’autant plus haut et fort des libertés publiques et individuelles qu’on veut surmonter l’embarras suscité par les inégalités économiques. Sous le terme d’«égalité», le démocrate se contentera toujours de l’égalité juridique devant la loi; le Républicain, lui, y ajoute obligatoirement l’équité des conditions matérielles et une vision pour les générations futures, sans lesquelles le pacte civique devient, à ses yeux, un faux-semblant léonin. Dans ce contexte, la trompeuse morale politique du «courage des réformes» n’a qu’une définition, empruntée aux self-services d’outre-Atlantique: violenter le plus grand nombre comme indice de valeur personnelle. En somme, le contraire de la République – qui ne dissocie jamais l’homme du citoyen… 

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 28 février 2020.]

jeudi 20 février 2020

Intime(s)


Ce que révèle «l'affaire Griveaux»... 

Cas. «La liberté est ce qu’il y a de plus intime, et c’est à partir d’elle que s’élève tout l’édifice du monde de l’esprit.» Cette phrase, prononcée par Hegel quelques jours avant sa mort, résume à elle seule tout le projet du philosophe allemand: penser ensemble la liberté de l’individu et le monde des institutions. Vaste sujet, n’est-ce pas, à l’heure où un candidat à la mairie de Paris, certes arriviste et arrogant, se voit contraint de démissionner à la défaveur d’une affaire de sexe scabreuse, qui en dit plus sur notre histoire politique contemporaine qu’on ne l’imagine. Le «cas Griveaux», qui crée dans notre pays une sorte de précédent, révèle-t-il une étape supplémentaire dans l’inflation de la communication au détriment «de la» politique? De deux choses l’une. Soit nous considérons la faute morale du proche de Mac Macron comme grave – celle d’avoir bâti une partie de son discours sur un mensonge en organisant sa campagne sur lui-même et en se présentant à longueur d’interviews en bon père de famille, etc. – et il devait en effet démissionner. Soit ladite faute nous semble disproportionnée par rapport aux conséquences sur la vie publique, et rien, absolument rien, ni son honneur ni les circonstances qui accablent ses proches, n’aurait dû le pousser à abandonner. Quel message a-t-il envoyé en renonçant? Que la morale privée ne regarde plus chacun d’entre nous, adultes et responsables, et que nous n’en sommes plus comptables seulement envers nous-mêmes, mais dorénavant aux yeux de tous, quelles qu’en soient les raisons. Terrible aveu en vérité.

Exhibition. De là naissent des interrogations qui dépassent le douloureux problème de «sincérité» des hommes publics. Nous ne sommes pas juges mais, avec le recul, n’oublions pas que les «années Nicoléon» sont passées par là, et avec elles, un autre rapport à la politique a émergé de manière brutale. Les modèles, désormais, ne sortent pas vraiment des livres d’histoire, ou alors les très mauvais. Depuis plus d’une décennie, le chaland est invité à s’identifier à des héros faciles, auxquels tout réussit, et à regarder la comédie humaine du pouvoir non plus comme dans les grands romans mais comme un simple roman-photo. Le vote, dès lors, ne dépend que de la force d’identification. À qui la faute, quand «des» politiciens fondent leur stratégie sur l’exhibition de leur intimité, quand ils demandent à être regardés, et donc évalués, à l’aune de ce critère, et plus rarement au nom de leurs idées? Ce que Marx appelait «la résurrection des morts» – les références historiques – servait à sacraliser la politique et les élus, qui ne sont pas des stars mais des représentants du peuple. Dérive fatale, ce modèle imposé qui ne cesse de personnifier à outrance, effaçant le clivage des idées derrière le choc des individus disséqués. Cette instrumentalisation de l’intime devient bien plus que le simple revers d’une société médiatique. Qu’est-ce que l’intime pour que la démocratie elle-même se trouve fragilisée par son dévoiement?

Ego. La société libérale est-elle par nature hostile à l’intimité? Cette question peut sembler étrange, tant la valorisation de l’intime apparaît indissociable de la montée en puissance de l’individualisme. Dès 2008, dans la Privation de l’intime (Seuil), le philosophe Michaël Foessel s’interrogeait en ces termes: «Le libéralisme transforme en choix conscient ce qui s’apparentait à un destin social: l’ensemble des liens qu’il est légitime de nouer ou de défaire dans une vie. L’intime serait donc assimilable à une promesse libérale, tout comme l’égalité juridique entre les individus qui est sa condition institutionnelle.» D’où le privilège accordé au «privé», qui regroupe indistinctement la vie sociale et la vie amoureuse, évaluées toutes deux à l’aune du même critère: celui de la performance. Comme si nous ne parvenions jamais à faire abstraction des normes de la réussite décrétées par la société marchande. Résumons : la médiatisation du pouvoir, perçu comme une aventure personnelle au fil de débats d’ego, dépolitise, tétanise, dégrade. Et la démocratie dans tout cela… 


[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 21 février 2020.]

lundi 17 février 2020

La bataille


Les députés communistes, insoumis et socialistes ont lancé le combat contre la réforme des retraites de manière spectaculaire, déterminés à actionner tous les leviers législatifs possibles et imaginables...  

La monumentale bataille parlementaire, qui a donc débuté, n’a rien de symbolique. Avec les moyens dont ils disposent, les députés communistes, insoumis et socialistes ont lancé le combat de manière spectaculaire, déterminés à actionner tous les leviers législatifs possibles et imaginables, avec un double but à l’esprit, comme ferment du moment historique. Primo: ne jamais perdre de vue les questions de fond de cette maudite réforme des retraites. Secundo: poursuivre le marathon social jusqu’au Palais Bourbon, en y faisant pénétrer la volonté du peuple. Face à une loi si fondamentale et scélérate qu’elle menace de modifier en profondeur la vie et l’après-vie professionnelle des futures générations, ces députés sont partis à l’assaut d’une forteresse en apparence imprenable… afin que les intérêts populaires cruciaux ne restent pas à la porte de la représentation nationale. Avec honneur et responsabilité, ils appuient, à leur manière, le mouvement social en cours. Car répétons-le: rien n’est fini!

En tentant d’imposer en force un projet que plus personne ne souhaite vraiment, pas même le Conseil d’Etat, et en menaçant de bouleverser les équilibres de la société en déchirant notre modèle social, l’exécutif continue de braquer le pays tout entier et aggrave la défiance à l’encontre d’une démocratie organisée comme représentative du seul pouvoir! Raison pour laquelle les députés de gauche ont réclamé une motion référendaire. Quand 61% des citoyens refusent toujours la destruction du système de retraite solidaire, quand 67% d’entre eux se déclarent favorables à l’organisation d’un référendum, comment ne pas les écouter, sinon humilier un peu plus cette France du refus qui se mobilise depuis plus de trois mois? L’heure est grave. Hier, le nouveau ministre Olivier Véran a osé rendre hommage aux «pères fondateurs de la Sécurité sociale», lui qui voulait supprimer les mots «sécurité sociale» de la Constitution, l’été dernier! Ces odieux-là ne veulent pas d’une vraie délibération collective. Il en ont peur. Rien ne dit pourtant que leur loi n’aura pas le même destin que le CPE…

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 18 février 2020.]

jeudi 13 février 2020

Péril(s)

Mac Macron balise-t-il la voie à Fifille-là-Voilà?

Dyspeptique. L’attaque – pour le moins brutale – nous vient d’un éditorial du Financial Times, l’imposant journal économique et financier britannique que nous aurions grand peine à classer parmi les publications gauchistes de notre Vieux Continent. La cible de cette longue diatribe n’est autre que Mac Macron en personne, que ledit quotidien encensa lors de son élection – et longtemps après d’ailleurs, puisque nous avions pu y lire un éloge éloquent du «grand débat» lors du mouvement des gilets jaunes. Cette fois, changement de ton: «Ses manières impériales et son manque d’intelligence émotionnelle le rendent vulnérable», peut-on lire. Pour le Financial Times, la France serait «devenue très peu joyeuse» et cette «humeur» néfaste se révélerait «particulièrement dyspeptique». En cause, «le mépris de la France métropolitaine à l’égard des provinces», incarné par Mac Macron, ce qui expliquerait la persistance de «profondes rancunes», d’autant que «les syndicats, les enseignants, les infirmiers, les avocats occupent désormais l’espace» dans la bataille contre la réforme des retraites. L’éditorialiste, qui assure lui aussi que Mac Macron donne «le sentiment qu’il vit sur une autre planète», poursuit en ces termes: «Ses chances se réduisent. Les concessions ont certes fini par désamorcer l’opposition qui compte quelques syndicalistes modérés, cependant, si Macron peut gagner, ce sera à quel prix?» 

Triangulation. Nous y voilà. Comme le bloc-noteur il y a quelques semaines en arrière, le Financial Times met en garde: «Il a balisé la voie de l’Élysée à Le Pen.» Nous aurions tort de prendre cette hypothèse à la légère, dans un contexte d’exaspération si impressionnant que le pire n’est pas inenvisageable, malgré la destruction méthodique de notre contrat social. «Il a dévasté les partis traditionnels de gauche et de droite en 2017 en plaçant la présidentielle dans le cadre d’une compétition entre progressistes, pro-européens et nationalistes réactionnaires. L’extrême droite pourrait, quant à elle, redessiner les lignes comme étant celles d’une confrontation entre le mondialisme et le nationalisme. C’est un combat qu’elle pense pouvoir gagner.» Et lisons bien ceci: «Elle continue de pêcher davantage d’électeurs de gauche, suivant à peu près le même modèle que celui de Boris Johnson en Grande-Bretagne.» Nous avons le droit de ne pas être d’accord – dieu merci! – avec cette mise en garde à l’emporte-pièce, néanmoins, depuis l’odieux débat sur l’immigration et des décisions qui ont accrédité les politiques migratoires souhaitées par la droite extrême, ne perdons pas de vue que la stratégie mortifère de Mac Macron se résume en quelques mots: en vue de 2022, il a en effet définitivement choisi son assurance-vie, Fifille-la-voilà. Le pense-t-il du moins. Car cette volonté de rester en tête-à-tête avec les nationalistes, à l’image des dernières européennes, ressemble à un piège tendu à toute la société pouvant mettre en péril la démocratie, sinon la République elle-même. Une sorte de marchepied au Rassemblement national et aux réactions identitaires – dont on ne parle plus beaucoup, ces temps-ci, à la faveur des contestations. Rendez-vous compte: Mac Macron, qui se permet d’invoquer Maurras devant les députés LaREM, continue de se présenter comme l’ultime fortification contre l’extrême droite, mais, à la vérité, il en est le pont-levis. Sa triangulation idéologique, se placer «au-dessus et entre» la droite et la gauche de l’échiquier, se retourne contre lui. Car l’ultradroitisation économique et policière est à l’œuvre. Au point de donner raison à ceux qui osent dire que nous sommes saturés par le duo «Marine Macron et Emmanuel Le Pen». 

Tâche. Souvenons-nous. Les grandes grèves de 1995 avaient enclenché un cycle politique plutôt vertueux (schématisons). À la gauche de se saisir du mouvement social actuel, en s’assignant une tâche absolument historique. Elle est désormais au pied du mur. Le temps presse. Les colères transformées en peurs nourrissent souvent l’effroi ; les jacqueries qui mutent en espoir débouchent toujours sur un processus révolutionnaire.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 14 février 2020.]

lundi 10 février 2020

Le legs de Croizat

Nous ne venons pas de nulle part. Ce 11 février, anniversaire de la mort d’Ambroise Croizat (en 1951), un hommage sera rendu à l’Assemblée nationale au créateur de la Sécurité sociale et du système des retraites. 

Les arriérations de l’époque voudraient nous inciter à croire que la lutte sociale – pour ne pas dire la lutte des classes – serait devenue vieille lune. La belle affaire. Le mouvement de contestation en cours contre la réforme des retraites nous prouve tout le contraire et nous éclaire sur un point fondamental. Quand un mouvement ouvrier populaire redevient central, la caste nihiliste peut être repoussée dans les cordes. Le point de retraite a joué en point d’accroche, révélant une colère profonde et légitime: l’inaltérable exigence d’égalité, celle qui secoue l’âme de notre pays, et élève les foules comme les consciences.

Nous ne venons pas de nulle part. Ce 11 février, anniversaire de la mort d’Ambroise Croizat (en 1951), un hommage sera rendu à l’Assemblée nationale au créateur de la Sécurité sociale et du système des retraites. Cette initiative des députés communistes ne consiste pas à se gargariser de nostalgie, mais bien à réfléchir et à s’engager pour que cet héritage et cette «vision» de la société nous inspirent encore. Il est en effet question, ici-et-maintenant, de politique, de philosophie, de vie commune et du sens profond que ses mots recouvrent pour notre à-venir. Exprimons-le clairement: il y a soixante-quinze ans, nos aïeux du CNR, communistes, gaullistes, syndicalistes, réinventaient à la Libération un pays ruiné par des années de guerre. Une idée centrale prévalait, qui les dépassait tous et qu’incarnait Croizat à lui seul: se tourner vers l’horizon, avec la matrice inaliénable de penser à une vie meilleure pour les générations futures – le propre de notre destinée humaine, n’est-ce pas ? En 2020, pourtant, c’est comme si les premiers de cordée réclamaient tout le contraire et envoyaient un message mortifère à nos enfants et à leurs descendants: «Après nous, le déluge!»

Nous ne l’acceptons pas. Non seulement nous devons préserver l’œuvre de Croizat, mais les propositions ne manquent pas pour améliorer le système actuel des retraites, le seul pouvant garantir cette «universalité» dont se gobergent les plus éminents membres de l’exécutif. Ces derniers ne manquent d’ailleurs pas une occasion pour se revendiquer de Croizat et de «l’esprit» du CNR. Honte à eux. Les libéraux veulent supprimer définitivement le collectif concret, cette fameuse répartition qui érige un principe : les choses essentielles de la vie de tous doivent rester la propriété de tous. Tel est le legs de Croizat. Notre bien commun.

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 11 février 2020.]

jeudi 6 février 2020

Massacre(s)

La République, malmenée par la perversion des usages gouvernementaux.

Honte. Preuve est faite que les gouvernements de la Ve République peuvent toujours tomber plus bas – ce qui ne présage rien de bon en vérité, puisque, en effet, quand les malins dominent, les fidèles en éthique subissent. Le bloc-noteur s’interroge d’autant plus humblement que la cruelle question creuse les visages et mange les âmes: devons-nous continuer de croire encore possible notre présence au forum d’hommes et de femmes épris de justice, de sens de l’honneur et de dignité, capables de rester fidèles à leur intégrité, à leur conscience, à leur histoire, bref, à ce qui compose notre raison d’être? Chimérique, ce rêve? Autant le dire en toute sincérité, la Macronie nous désole, nous révolte et, pour peu que nous analysions froidement la situation, elle nous répugne par son inadaptation à diriger notre République. Oui, nous avons honte de ce personnel politique qui enfonce l’idée même de l’État comme garante de nos règles communes, et qui s’assoit ouvertement sur des principes de «gestion» que nous pensions primordiaux. Certains parlent d’«amateurisme». Mais ce qui s’avère pernicieux, dans cette histoire «En marche» qui s’embourbe dans les bourdes, est autrement plus grave. L’absence de «sens de l’État» ne relève plus seulement de l’«amateurisme» mais bel et bien d’une volonté inconsciente. Vous connaissez la formule: «La forme, c’est du fond qui remonte à la surface.» L’infâme personnel qui sévit autour de Mac Macron, du gouvernement au Palais, en passant par tous les relais technocratiques, ne pèse finalement pas plus lourd que ce qu’il nous montre quotidiennement. À savoir une médiocrité crasse, au service d’intérêts qui tuent la haute ambition que nous nous faisons de la grandeur de la France. Regardez la séquence qui vient de s’écouler sous nos yeux ahuris! Circulaire Castaner et projet de loi retraites taillés en pièces par le Conseil d’État; extension du congé de deuil refusée; liberté de blasphémer chahutée, etc. Mais que se passe-t-il dans ce pays?

Échec. Nous pourrions rire de ces couacs en stock et affirmer, avec le député communiste Sébastien Jumel: «On connaissait les Playmobil (qui lèvent les bras automatiquement pour voter – NDLR). On connaît maintenant les Playmobil sans cœur.» Ajoutons: sans cerveau. À cette étape, affirmons que ce pouvoir n’est pas uniquement coupé des réalités – nous le savions déjà –, mais qu’il s’est carrément sectionné de ses devoirs régaliens les plus élémentaires. Car tout de même ! Imaginait-on possible, il y a quelques jours encore, qu’une garde des Sceaux en exercice puisse déclarer qu’«insulter les religions, c’est porter atteinte à la liberté de conscience»? Devant semblable ineptie, le problème devient pathologiquement politique. Comment cette ministre de haut rang se montre-t-elle explicitement favorable à l’accusation de blasphème, ce qui constitue une entrave grave à la laïcité et à nos lois fondamentales? Madame Belloubet, pour la nommer, fut professeur en droit public et siégea au Conseil constitutionnel. Doit-on dès lors parler de «maladresse»? De «faute»? Dans les deux cas, cette femme aurait été démissionnée en quelques minutes dans n’importe quels gouvernements sous la présidence de François Mitterrand… et sans doute même de Jacques Chirac. Tout cela n’a l’air de rien, mais, en cumulé, les pratiques du pouvoir tournent au jeu de massacre démocratique. Quand notre République est à ce point malmenée par la perversion des usages gouvernementaux, nous sommes en droit de déclarer que le régime a basculé dans l’inconnu, l’arbitraire et l’autoritarisme. La genèse de cette dérive tient en quelques mots. Au nom du «changement», des aventuriers ont pris le pouvoir. Rien à voir avec de «simples citoyens» de la «société civile», comme Mac Macron a voulu nous le vendre. C’est son «milieu», et lui seul, qui est aux commandes. Celui des favorisés et des hauts dirigeants d’entreprises. Ces gens-là n’ont aucune conscience. Ni de qui ils sont, ni de l’échec moral dans lequel ils plongent la France.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 7 février 2020.]