jeudi 28 janvier 2021

Caricature(s)

La liberté d’expression, jusqu’où ?

Fidèles. La sacro-sainte «liberté d’expression» justifie-t-elle tout et n’importe quoi, que ce soit par la parole, l’écrit ou le dessin ? Abrupte et moins conjoncturelle que philosophique, revoilà donc dans le débat public la fameuse question casse-tête qui hante toutes les têtes de ceux que nous appelons les « émetteurs » d’information, et qui devraient penser avant tout aux récepteurs – autrement dit les citoyens, que nous ne saurions balayer d’un revers de main au prétexte que nous détenons, nous autres, la vérité supposée sur ce qui est ­admissible ou non. Albert Camus écrivait : «Un journal libre se mesure autant à ce qu’il dit qu’à ce qu’il ne dit pas.» Dans un autre genre, l’ami François Morel convoque «l’humour et la nuance», ce qui n’exclut en rien la liberté. Une nouvelle « affaire » vient en effet d’éclabousser le paysage médiatique. En annonçant son départ du journal le Monde, après avoir provoqué une vaste polémique en publiant un dessin inexplicable sinon inqualifiable sur l’inceste et les transsexuels, le dessinateur Xavier Gorce a réveillé les réactions d’indignation sur le thème : «censure idéologique», «régression démocratique», «liberté chérie assassinée», etc. Logique, ce débat récurrent mérite sa place et prend de l’épaisseur à chaque évocation. D’autant que la direction du journal le Monde n’a pas tardé à s’excuser, sans pour autant supprimer ledit dessin. Son directeur, Jérôme Fenoglio, expliquait dans une mise au point : «Nous persisterons à défendre ce genre particulier de liberté d’expression, y compris quand il nous dérange et nous bouscule, tout en restant vigilants sur notre liberté de publier en demeurant fidèles à nos valeurs.» En toute responsabilité, comment le dire mieux ?


Prudence. Ne tournons pas autour du pot. Un journal diffuse un dessin qui choque. Et quelles que soient les explications, ce dessin offusque pour de bonnes raisons ! Est-ce « drôle » ou « comique » de définir l’inceste dans les familles recomposées par une évocation gratuite et scandaleuse de l’homo­parentalité et des transgenres ? D’ailleurs, nous, à l’Humanité, aurions-nous publié ce dessin ? Certainement pas, bien que la tâche soit difficile, pour la direction d’une rédaction, d’admettre qu’un dessin puisse révulser et qu’une forme de « prudence » s’impose dès lors. D’où une autre question compliquée : qui est la «victime», dans cette histoire, puisque le dessinateur incriminé, et on le comprend, s’est immédiatement paré d’une posture victimaire ? Lui ? Ou ceux qui osent prétendre polémiquer contre les polémistes, partant du principe assez élémentaire que ces derniers n’ont pas le monopole de la liberté d’expression ? Vaste controverse…


Boussole. «Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire», nous assignait Jean Jaurès. Le bloc-noteur, qui n’en est pas moins chronicœur sur les routes du Tour de France, sait de quoi il parle. En septembre 2020, lors de l’épreuve, nous avions été contraints de cesser notre collaboration avec Espé, après la publication par erreur, sur notre site, d’un dessin dégradant et sexiste de l’auteur, à l’opposé de l’orientation éditoriale et des combats qui sont nôtres. Répétons-le tranquillement : ce dessin, incompatible avec nos valeurs, notre éthique et nos principes fondamentaux, ne pouvait avoir sa place dans l’Humanité. Devrions-nous accepter pour autant la place peu envieuse de «censeurs», nous qui comptions parmi nos collaborateurs la plupart des martyrs de Charlie Hebdo ? Absurde référence, admettons-le, sauf à verser dans la culture de l’irresponsabilité qu’aucun journal, oui, aucun journal, n’est tenu d’embrasser. Encore une fois, la bonne boussole reste très proche de celle de Camus : «Un journal libre se mesure autant à ce qu’il dit qu’à ce qu’il ne dit pas.»


[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 29 janvier 2021.]

mardi 26 janvier 2021

McDo fait du gras

McDonald’s est passé maître dans l’art de solliciter les subventions publiques, sans pour autant tenir ses promesses de créations d’emplois. 

Au monde merveilleux de McDonald’s, derrière le double cheese et le royal bacon, il n’y a pas que les consommateurs qui s’engraissent et font du gras. Les actionnaires aussi. Et pas n’importe comment. Les conclusions d’un rapport de l’ONG ReAct donnent des frissons de machiavélisme capitalistique. En France, les pratiques du roi du fast-food confinent, en effet, au génie de l’optimisation de toutes les aides possibles et imaginables, sans parler de l’accaparement des subventions publiques, art dans lequel McDo est passé maître-étalon !


Dans le détail, ReAct nous apprend que le géant bénéficie depuis des années d’une réduction générale des cotisations sociales patronales dite «réduction Fillon» pour les bas salaires et, bien sûr, du trop fameux Cice, dans des proportions si impressionnantes que McDo a «économisé» entre 290 et 400 millions d’euros sur six ans, l’équivalent de 200 000 à 300 000 euros par restaurant. À quoi a servi cette manne financière ? À augmenter les salaires ? À améliorer les conditions de travail des salariés, sachant que 80% sont à temps partiel ? Non, juste à baisser le « coût du travail » et à gonfler les bénéfices : plus de 2,3 milliards d’euros entre 2011 et 2019…


Adossé à toutes ces aides, jamais McDonald’s France ne s’est si bien porté. Rappelons que l’enseigne emploie plus de 75 000 salariés dans l’Hexagone, dans près de 1 500 restaurants, soit le deuxième marché mondial en matière de chiffre d’affaires derrière les États-Unis. Et qui en profite ? Les actionnaires, pardi ! En 2020, le groupe leur a reversé 3,8 milliards d’euros. Vertigineux. À deux détails près. Dans notre pays, non seulement la loi interdit d’utiliser le Cice pour augmenter la distribution de dividendes – l’entreprise refuse de donner le détail de ses comptes sur ce plan-là –, mais, de plus, elle s’était engagée à créer 20 000 nouveaux emplois entre 2011 et 2019. À ce jour, moins de 10 000 ont été réalisés. Vous avez dit crise ?


[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 27 janvier 2021.]

jeudi 21 janvier 2021

Disparition(s)

Repenser la question de la mort ? Vite dit… 

Famille. La mort des figures engagées et familières nous hante – sans doute encore plus par temps de Covid, tandis que notre rapport aux noirceurs du monde s’aiguise en s’accumulant. Et maintenant ? Jean-Pierre Bacri, rien de moins, qui vient allonger une liste de « célébrités » pour lesquelles nous avions, quoi que nous en pensions, des attachements particuliers, au moins dans notre manière d’entrevoir notre vie parmi les ombres. Se rend-on compte à quel point un bout de nos âmes vives vient à s’effacer quand, devant nos yeux déjà embués, le surgissement de la disparition se transforme en événement (im)prévisible, douloureux, destructeur de quelque chose d’irrépressible ? Croit-on néanmoins que tous ces morts ne nous parlent pas, qu’ils ne témoignent pas en grand et en symbolique, dans la continuité et le temps-long, d’aspects fondamentaux qui nous construisirent et nous chavireront encore ? Bien sûr que si ! D’où l’importance des moments de séparation, qu’ils soient intimes ou collectifs. En l’espèce, les derniers mois nous éclairent autant qu’ils nous accablent. Excusez du peu : de Michel Piccoli à Juliette Gréco, de Daniel Cordier à Anne Sylvestre, de Cécile Rol-Tanguy à Pape Diouf, de Guy Bedos à Albert Uderzo, de Robert Herbin à Christophe Dominici, de Jean-Loup Dabadie à Gisèle Halimi, d’Alain Rey à Ivry Gitlis… voilà la liste très sélective propre au bloc-noteur. Nous avons tous, comme un fil d’Ariane, une dette d’engagement envers ces personnalités-là. Avec eux, ricochant de groupe en groupe, tout était affaire de regard et d’implication. Chacun dans son genre nous a nourris, grandis, avec pour seul but d’éviter que des crocs de boucher continuent de pendre à nos pensées. En un mot : eux et tant d’autres auparavant ont traversé nos existences en complicité. Et, de loin en proche, ils constituaient une espèce de «famille» assez unique et rare, donc précieuse.


Bagage. Ces fils d’Ariane deviennent dès lors des fils dans la nuit. Ils continuent de gronder, par nous et avec nous, puisque l’horreur de notre époque n’est pas rachetable et que personne, pas même ces morts-là, ne trouvent la paix de voir où nos sociétés sont tombées. Ont-ils déjà honte des vivants, comme il nous arrive d’avoir honte de nous autres ? «Il y a des êtres trop beaux, trop intelligents pour la vie. Leur beauté, leur intelligence les désaxent, elles constituent des anomalies», écrivait Jean-Marc Parisis dans la Recherche de la couleur (Stock). Nostalgique et désabusé, ne narrant au passé, il ajoutait : «L’amour faisait partie du bagage qu’on devait porter un jour ou des années avant de le poser pour franchir d’autres frontières. Mieux valait accepter les conditions du voyage, ne pas insister, s’acharner, mentir – ceux qui n’avaient jamais aimé étaient mal partis.» Et nous, comment allons-nous ?


Unique. En pleine pandémie, alors que paraît rôder la mort, les disparus se croisent aux disparus sans qu’ils se confondent. Nous nous habituons à cette litanie macabre, sans forcément y réfléchir. On nous invite donc, comme Roger-Pol Droit, philosophe et écrivain, à «repenser la mort, sans fascination, sans grandiloquence, sans esquive, sans indifférence». Cette mort, dit-il, que «nous avions presque oubliée, à force de la rendre invisible, de la reléguer dans l’ombre et le silence». Et voilà que «le spectre insiste, comme surgi d’ailleurs, revenant d’un autre âge », mieux, « sa puissance sidère». Comment se préparer autrement ? Par la fermeté d’âme et l’absence de regret ? En apprenant à mourir, jusqu’à l’indifférence ? Absurde, non ? Jacques Derrida écrivait : «La mort déclare chaque fois “la fin du monde en totalité”, la fin de tout monde possible, et “chaque fois la fin du monde comme totalité unique, donc irremplaçable et donc infinie”.» Son livre s’intitulait Chaque fois unique, la fin du monde (Galilée). Dès lors une évidence s’impose, sinon une vérité. Ces morts nous tendent leurs mains. Comment les saisir ? Telle est la seule question…


[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 22 janvier 2021.]

jeudi 14 janvier 2021

Domination(s)

Olivier Duhamel, le silence et l’omerta…

Cercle. Quand nous assistons à des histoires d’agonie, qui insistent et s’acharnent sur l’esprit collectif, nous ne savons plus bien où se situe l’ampleur de la décomposition et jusqu’à quel point elle reste soutenable. Les révélations de Camille Kouchner concernant les agissements d’Olivier Duhamel – qui n’a pas cherché à nier ou à minimiser les faits, selon des «proches» – nous renversent par leur laideur et offrent la possibilité à toutes les interprétations, sans parler de cette revanche inévitable contre l’entre-soi de ces réseaux de pouvoir qui ont servi et servent encore de décor aux lambris de la République. Feu ! sur les «intellectuels» de cette gauche si morale que l’expression même semble avoir perdu tout son sens. Au pouvoir s’engrène le pouvoir du pouvoir, déclenchant trop souvent des comportements de précautions. Sauf que, en l’espèce, le principe de réalité, lui, saccage tout. L’onde de choc est considérable, dans la mesure où l’intéressé disposait de tous les ronds de serviette possibles et imaginables dans les rouages des hautes sphères, de Science-Po au club du Siècle, le cercle d’influence de «l’élite française» qu’il présidait jusqu’à sa démission, le 4 janvier. «Olivier Duhamel, que l’on peut étiqueter au centre gauche, est un pur produit de la famille centriste, ce qui explique à ses yeux l’importance de ce club où convergent centre gauche et centre droit», raconte un membre influent de ce qu’il nomme en personne le «carré VIP des élitaires français». En résumé, nous venons d’assister à la chute d’un faiseur de princes, qui avait bénéficié d’une omerta assez bien organisée et plus vaste que nous ne l’imaginions. D’où certaines questions légitimes. La tonitruante affaire Duhamel se résume-t-elle à une histoire de famille? Ou concerne-t-elle tous les citoyens attachés à préserver l’État?

Posséder. Bien sûr, la description sans pitié de la Familia Grande, le livre de Camille Kouchner, laisse place aux commentaires destructeurs. Ainsi entendons-nous dire qu’il s’agissait d’une famille «disloquée», «dysfonctionnelle», «hypersexualisée» et, au final, «totalement déstructurée par l’idéologie libertaire». Duhamel, symbole et incarnation à lui tout seul de ces individus que le pouvoir protège, tandis que la société – que les mêmes critiquent par ailleurs en se délectant de bonne conscience – leur octroie tous les avantages. De sorte qu’il leur faudrait tout posséder, tout : l’argent, la domination, l’ostracisme idéologique, le sexe, ce qui les conduirait à une sorte d’arrogance de classe, puis aux déviances et, au bout, forcément, au sentiment d’impunité que leur confèrent leurs positions.


Mécaniques. Au fond, la démarche de Camille Kouchner se résume à une intention : rompre avec le silence. Silence imposé à la victime, son frère, et à elle-même. Silence assumé des autres. Pour toutes les victimes d’inceste incapables de parler pour ne pas briser ce que l’on nomme «la famille», ce livre a grande valeur. Et une vertu. Sortir du cauchemar de la honte et de la culpabilité. Et enfin fissurer les structurations quasi mécaniques de la société. Il y a un an, le Consentement, de Vanessa Springora, avait déjà narré dans le détail les liens de domination entre un enfant et un adulte. Cette domination prend racine soit dans la violence, soit dans le charisme. Le cas qui importe le bloc-noteur se range dans la seconde catégorie. Car, n’oublions jamais deux choses. Primo : nous traversons précisément une époque où les rapports de domination – le plupart du temps entre classes – expliquent en grande partie les fracturations humaines. Secundo : sachant que, en France, 10 % des citoyens avouent avoir été victimes d’inceste, circonscrire ce tragique épisode à un clan ou à un milieu social serait pour le moins réducteur, mais aussi, de toute évidence, une injustice envers toutes les victimes. 


[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 15 janvier 2021.]

jeudi 7 janvier 2021

Déclin(s)

Macron et le déclassement français.


Pouvoir. Les conflits forgent les caractères et changent les paradigmes – à condition d’en théoriser les buts comme les conséquences, faute de quoi, les cloches des morts jettent leur chanson aux corbeaux qui s’envolent, la brise murmure aux cyprès des chants funèbres. Face à la crise (et toutes les crises cumulées), Mac Macron se révèle bien plus qu’un simple prince-président choisi par une oligarchie au service de la caste supérieure: il est désormais le symptôme d’une certaine idée du déclin français, son incarnation absolue. Ci-devant, un chef de l’État plus confusionniste que visionnaire, à l’image de ce «macronisme» impossible à définir en vérité. Sauf sur un point essentiel qui n’a rien d’énigmatique. Mac Macron semble en effet parachever un cycle entamé bien plus tôt par ses prédécesseurs et toutes les lignées qui les entouraient, consistant à ce que la France ne soit plus gouvernée au sens de la planification politique, mais juste administrée par une brochette de technocrates arrogants qui regardent le pays comme une entreprise, ruinant par là-même les derniers appareils régaliens de l’État dans le seul but d’asseoir leur propre pouvoir.


Failles. Ce qui se passe sous nos yeux est tellement déchirant et destructeur que nous ne savons plus comment réagir. Pourtant, le principal intéressé, qui ne passe pas pour un inculte en stratégie, remarque depuis des mois que «les Français ont réaffirmé leur volonté de prendre leur destin en main, de reprendre possession de leur existence, de leur nation». Constat commun. Sans aucune traduction concrète. Au contraire, la gestion de la pandémie a révélé de si lourdes failles et faiblesses que la République est bel et bien tombée de son piédestal. Une désillusion globale. Ou pour le formuler autrement: une forme de déclassement. Pénurie de moyens et de matériels, hôpitaux sous tension, industries laminées, absence totale ou partielle de souveraineté sanitaire et économique, retard dans la création d’un vaccin: France, pays d’Hugo et de Pasteur, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, es-tu vraiment la sixième puissance mondiale, ou n’affiches-tu symboliquement que ses derniers oripeaux?


Horizon. Dans une tribune sèche et impitoyable donnée au Figaro, l’économiste Antoine Levy, doctorant au Massachusetts Institute of Technology (MIT), donne aisément la leçon sans que nous ne sachions très bien qui sortira vivant du champ de tir et à qui profite le crime. Mais qu’importe. «L’ampleur surréaliste de l’échec français interroge ; elle ne devrait pourtant pas surprendre», écrit le normalien à propos de la campagne de vaccination. Selon lui, la lenteur de la campagne ne serait «que la suite logique de notre gestion des masques, des tests, du traçage, de l’isolation», le point nodal «d’un déclassement et d’un appauvrissement organisationnel et technologique effarant». Comment lui donner tort? D’autant qu’il ajoute: «C’est aussi le produit de l’arrogance d’un État imbu de lui-même et imperméable à la critique, de la suffisance d’une administration et d’une classe politique autosatisfaites, boursouflées, et incapables de la dose d’humilité. C’est en somme la révélation de la disparition totale de notre “state capacity”, la faculté de l’action publique à agir efficacement tout en préservant les libertés, la simple capacité d’accomplir quelque chose en commun.» La critique, fondée, vient cette fois de tous côtés et pas uniquement des progressistes de la vraie gauche. Dans le pseudo nouveau monde macronien, le Jupiter au petit pied n’est que l’instrument des grandes fortunes et «en-même-temps» (sic) le manipulateur de l’espace politique. L’audit du bloc-noteur est d’une cruauté insondable: nous ne jouons plus dans la cour des grands, incapables que nous sommes de dépasser les incantations. L’examen de conscience sera long. Trop sans doute, pour tous ceux qui préservent l’horizon indépassable d’une certaine idée de la République française, de son indépendance, de son caractère universel… 


[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 8 janvier 2021.]

dimanche 3 janvier 2021

Liberté !

Ce lundi, la justice britannique rendra publique une décision qui marquera l’histoire : décidera-t-elle d’extrader le fondateur de WikiLeaks vers les États-Unis, après onze années de traque et de situation de détention?

Un interminable calvaire… Sous écrou à la prison de Belmarsh depuis le 11 avril 2019, soit 633 jours, Julian Assange connaîtra, ce lundi, les conclusions du procès houleux qui lui a été infligé durant des semaines au tribunal Old Bailey de Londres. Face au monde, la justice britannique rendra publique une décision qui marquera l’histoire : décidera-t-elle d’extrader le fondateur de WikiLeaks vers les États-Unis, après onze années de traque et de situation de détention?

Tous les défenseurs de la liberté d’informer retiennent leur souffle. Et pour cause. La décision pourrait en effet sceller le sort d’un homme qui a rendu possible la divulgation d’informations d’intérêt général les plus massives de notre siècle. Soit la fin des batailles juridiques menées contre un journaliste frappé d’arbitraire. Soit le début d’un scandale international d’une ampleur inédite. Ce 4 janvier deviendrait une date sombre de notre temps si, d’aventure, Washington – indéfectible promoteur du «monde libre», comme l’affirment les crédules – parvenait à réussir cet « enlèvement » prémédité digne d’une persécution politique, puis à récupérer Julian Assange sur son sol et à le juger pour « espionnage ». Ce dernier risquerait alors 175 ans de prison…


Chacun a bien compris l’enjeu. «L’affaire Assange» dépasse l’individu lui-même. Elle concerne l’avenir du droit d’information, y compris contre les États, les puissants, les grandes entreprises, etc., alors que, à ce jour, pas une chancellerie occidentale – à commencer par la France – ne s’est indignée de l’injustice vécue par le journaliste. Plus symbolique encore, pas une seule ne lui a proposé l’asile politique. Ne soyons pas dupes. Les moyens déployés par les États-Unis pour extrader Assange s’avèrent sans précédent et visent à faire un exemple de cruauté pour tous ceux qui songeraient à divulguer des informations en lien avec la sécurité nationale.


Julian Assange doit être libéré. Il en va de nos libertés d’agir pour le bien commun, comme de l’indispensable protection des lanceurs d’alerte au XXIe siècle!


[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 4 janvier 2021.]