jeudi 18 février 2021

Atome(s)

Le tournant écologique sera-t-il nucléaire ?

Horizon. La jugeote d’abord. Partant du principe assez élémentaire que, en toutes choses, il convient toujours de partir des réalités, nous faisons nôtre la «philosophie de la praxis» du Rouge Gramsci : «Pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté.» Un cliché ? Dommage. Il est d’ailleurs un sujet qui, depuis quelques années, n’autorise quasiment plus aucun débat dépassionné, singulièrement dans la grande famille dite de « gauche ». Résumons ce sujet maudit par une question provocante : le tournant écologique sera-t-il nucléaire, au moins pour un certain temps ? Nous entendons déjà les polémiques. Mais que les choses soient claires : le bloc-noteur n’écrira pas ici-et-maintenant que l’énergie nucléaire est l’horizon indépassable de l’humanité. Mieux : la conviction s’impose qu’un jour – quand ? – l’atome sera devenu obsolète, sauf à considérer que la fusion nucléaire soit totalement maîtrisée et révolutionne le genre pour les générations futures.

Appel. La lutte contre le réchauffement climatique mérite sérieux et controverses raisonnées. L’affaire est si brûlante qu’un comité d’une cinquantaine de personnalités, composé de scientifiques, d’élus et d’anciens ministres de droite comme de gauche, vient de se constituer afin de dénoncer la logique antinucléaire de la France, qui serait antinomique avec la visée écologiste. Le comité porte un nom : l’Association de défense du patrimoine nucléaire et du climat (PNC-France). Parmi les signataires ? À gauche : Hubert Védrine, Jean-Pierre Chevènement, Arnaud Montebourg, David Habib, mais aussi les communistes André Chassaigne et Sébastien Jumel. À droite : Bernard Accoyer, Hervé Mariton, ou le gaulliste Julien Aubert. Des scientifiques : Claude Cohen-Tannoudji, prix Nobel de physique, Yves Bréchet, membre de l’Académie des sciences… Et même des patrons, comme Louis Gallois. Vous l’avez compris, cet appel intervient au moment où la filière se trouve face à des défis majeurs : obtenir la prolongation d’une partie des réacteurs et persuader les pouvoirs publics d’engager de nouveaux chantiers au plus vite. PNC-France fustige ainsi ceux qui «cèdent à une idéologie antinucléaire d’un autre âge, relayée par de puissants lobbies», orientation «d’autant plus paradoxale que la France, grâce au nucléaire, est le seul grand pays dont la production d’électricité est déjà décarbonée».

Raison. Ne nous mentons pas. La question du devenir énergétique de la planète reste au cœur des enjeux fondamentaux, sociaux, scientifiques et politiques, à l’horizon de la fin du siècle. D’où la responsabilité qui nous incombe d’agir pour que le futur de la Terre se conjugue, au sein d’une biodiversité maintenue, avec le développement de l’espèce humaine. L’obligation de diversifier les sources de production d’énergie ne se pose plus. Un examen des rendements réels conduit toutefois au verdict suivant : si l’on vise à développer des filières de production protégeant notre environnement, et suffisamment efficaces pour ne pas buter sur des problèmes d’approvisionnement, pouvons-nous nous passer, pour les quelques décennies qui viennent, de l’utilisation de l’énergie nucléaire ? Si « oui », une telle posture ne reviendrait-elle pas à pérenniser un statut quo planétaire où seule une minorité de pays développés gérerait la planète, en utilisant l’ensemble des moyens de domination militaires, économiques et idéologiques dont elle s’est dotée, et sans jamais nous demander : quand sortirons-nous du nucléaire militaire, qui continue de se déployer sans aucun contrôle populaire ? Le nucléaire civil, lui, nécessite encore des investissements, sur des principes physiques connus, au service de l’homme et de la planète, sans minimiser les problèmes spécifiques et essentiels découlant de son utilisation. Proposer l’arrêt de tout développement ne serait-il pas perdre plusieurs années critiques ? Au terme desquelles la raison et la réalité imposeront de reprendre le travail… mais avec un retard qui pourrait s’avérer catastrophique. 

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 19 février 2021.]

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