dimanche 8 mai 2016

Quelle histoire ?

Plus les projets collectifs sont affaiblis, plus les vendeurs de nostalgie cherche un public. Macron, avec sa Jeanne d’Arc, n’échappe pas à cette duperie. 

Emprunter les pas de l’Histoire, un 8 Mai de surcroît, requiert talent, prudence et légitimité –sauf à sombrer dans le banal et le consensuel, ou pire, à vouloir récupérer ladite Histoire. Dans ce vieux pays de mémoire et de disputes centenaires, il n’est jamais anodin ni innocent de jouer de la corde sensible avec les legs et les passifs qui constituèrent la France. Les pouvoirs en place, même les plus républicains, en ont fait un large usage, au moins pour fortifier le sentiment d’appartenance de leurs citoyens. Mais voici qu’à la faveur d’un jour de capitulation, un ministre de l’Économie en exercice –on aura décidément tout vu avec ce gouvernement!– se permet de pratiquer, en déplacement à Orléans, ce que nous pourrions nommer «le retour du récit national». Casse-gueule, n’est-ce pas, de prétendre parler de cette Jeanne d’Arc qui entendait des voix et bouta les Anglais en compagnie de soudards? Oui, cette pucelle sortie du purgatoire par un historien du XIXe siècle, Michelet, qui fut à l’origine, avec d’autres, du mysticisme républicain et de l’exaltation de quelques figures symboliques qui courent encore légitimement dans nos esprits. On louera une partie du geste macronien: celui de ne pas laisser la Jeanne définitivement à l’extrême droite. Mais une question nous hante: à quel point en sommes-nous précisément de l’histoire de France, si ce n’est pas là un non-sujet actuel? Suggérons une réponse: plus les projets collectifs sont affaiblis, plus les vendeurs de nostalgie cherchent un public. Macron n’échappe pas à cette duperie.  

Il paraît que Paul Ricoeur était son maître, qu’il l’aurait «rééduqué sur le plan philosophique». Ce «maître» disait: «Quand on parle du passé, soit on oublie, soit on rabâche.» Ajoutons que, pour certains, les grandes dates sont des fourre-tout dignes des vulgaires supermarchés, un mélange infâme où tout s’entrechoque volontairement, sans repères ni sens.

Quand Nicolas Sarkozy glorifie Guy Môquet. Quand Marine Le Pen ose puiser ses références verbales chez Jaurès et de Gaulle. Quand Manuel Valls se compare à Clemenceau. Quand François Hollande se permet de modifier la nature même des commémorations du 11 Novembre. Ou quand Macron s’empare de Jeanne à des fins très personnelles. Attention danger: ce genre de mésusages des faits historiques qui promeuvent l’apologie d’une France éternelle d’hier nous éloigne souvent de la République de demain.

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 9 mai 2016.]

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