Montpellier (Hérault), envoyé spécial.
Sagan et Froome. |
Et que dire alors de cette foule compacte. Mais quelle foule mon dieu (celui du vélo), amassée telle une haie d’honneur de bout en bout. Prodigieux Peuple du Tour, dont on ne sait plus bien ce qu’il vient chercher sur les bords de routes – peut-être se regarde-t-il lui-même d’ailleurs –, à tendre des mains pour choper le moindre présent de la caravane, à crier sa joie d’y être, simplement d’y être, la banane aux lèvres, en famille, en groupe ou en solo. Croyez-nous: une rangée de milliers et de milliers d’yeux dans l’inextricable réseau de fils des regards très mobiles, tant et tant qu’ils finissent presque par lasser le chauffeur, pourtant peu avare en émotions dans ces moments-là. Dans ces chaleureuses ambiances de kermesse ensoleillée, ultra populaire, dispendieuse d’un amour incertain, nous entendions l’affection du peuple à l’heure de la sieste. Et aussi, trop rarement sans doute, une forme d’engagement. Ce fut cet homme, au village-départ, traînant une immense croix en bois sur son dos, une inscription figurant à sa base: «Ci-gît la loi travail.» Ou un peu plus loin, vers le kilomètre 80, une banderole tendue par une femme: «Contre le 49-3, ça va Bardet!», du nom du grimpeur français. Quelquefois, nous eûmes des éléments de langage plus prosaïques, moins idéologiques, au passage d’une femme ensoleillée à la portière d’un véhicule: «Oh, sexy les pieds!» Ou encore: «Pas mal.» Le Tour dans ses emportements, par sa respiration des congés payés, libre et expressive.
Mais revenons au souffle mortel qui balaya le peloton durant
toute l’après-midi, par une «simple» étape de plat. La tenaille de
la souffrance et de la crainte des bordures fut telle, que les grosses équipes
machinèrent des tas de stratagèmes pour à la fois se protéger d’éventuels
pièges, mais surtout pour éprouver la concurrence. L’animation s’avéra totale. Presque
crispante. Les cassures rythmèrent toute la course et nous crûmes à plusieurs
reprises que quelques leaders allaient tout perdre. Mais, à la faveur des villages
enchaînés, qui brisèrent souvent l’allure des groupes successifs en raison de
leur exigüité et de la présence croissance de ralentisseurs (la plaie des
cyclistes professionnels !), l’essentiel de la troupe des favoris se regroupa dans
les trente dernières bornes. Du moins jusqu’à douze kilomètres du but. Là, le
diable Peter Sagan, détenteur du maillot vert, décida de dynamiter la course et
se montra le plus offensif, sinon le plus «intelligent». Accompagné
de son coéquipier Maciej Bodnar, il accéléra la cadence et s'échappa. Le seul
qui put le suivre dans un premier temps portait un nom bien connu: Christopher
Froome. Le maillot jaune en personne se joignit au champion du monde pour
tenter de grappiller quelques secondes, vite rejoints par Geraint Thomas,
équipier de Froome. Nous vîmes alors un spectacle assez surréaliste. Deux coureurs
Tinkoff jouaient l'étape. Deux coureurs Sky pensaient au classement général. L’écart
monta jusqu'à 20 secondes. Mais à l’arrière, grâce aux de sprinteurs, certains
leaders comme Nairo Quintana parvinrent à limiter la casse, ne perdant au final
qu’une dizaine de secondes. Tout ça pour ça… Sagan s'imposa au sprint, justement
devant Froome, venu chercher les bonifications. Qui l’eut cru? Dès lors,
le chroniqueur se posa la seule question valable concernant Froome:
était-ce un acte de force ou de faiblesse? Nous le saurons vite.
Les perdants du jour furent Joaquin Rodriguez et Pierre
Rolland, qui lâchèrent 1'10’’ sur le maillot jaune. Chris Froome compte désormais
28 secondes d'avance sur Yates, 31 sur Dan Martin et 35 sur Quintana. Signalons
enfin que le patron du Tour, Christian Prudhomme annonça, peu après l’arrivée,
que la 12e étape, jeudi 14, se terminera finalement au Chalet Reynard, à 6,5
kilomètres du sommet du Mont Ventoux, en raison des conditions météo. L'arrivée
devait initialement être jugée au sommet du Géant de Provence, mais les
violentes rafales de vent – toujours le vent! – prévues par Météo France ont
amené les organisateurs à prendre cette décision à la veille de l'étape. Quelques
rares ténors devaient l’avoir mauvaise. L’ultra-majorité des autres sabrait déjà
le champagne. Le «Mont Chauve» se dressera malgré tout sous les
roues des rescapés, qu’ils escaladeront jusqu’à la sortie de la forêt. Evitant
les 6500 derniers mètres, dans un paysage de désolation. Echappant à l’angoissant
théâtre pierreux où l'air se raréfie. Sachez-le: le chronicoeur renifla
un bon coup.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire