Pinot a attaqué... en vain. |
Sous un soleil de plomb, débuta un long mano à mano avec la fébrilité des cimes. Les 198 coureurs du Tour s’étaient élancés peu après midi – il n’y avait toujours pas d’abandon après une semaine, un événement (1) – pour cette huitième étape qui franchissait quatre cols pyrénéens entre Pau et Bagnères-de-Luchon (184 km). De quoi rehausser l’ambition d’une course passablement décevante jusqu’ici? Le tracé débutait par le Tourmalet, seule ascension classée hors catégorie du jour, escaladé pour la quatre-vingt-troisième fois sur les routes de la Grande Boucle, un record absolu. Le «Géant», grimpé par le versant de Barèges (19 km à 7,4%), culmine à 2115 mètres. Suivait une longue descente jusqu'à Sainte-Marie-de-Campan, par la route qu'Eugène Christophe parcourut à pied en 1913 sur quatorze kilomètres, le vélo sur l'épaule, pour aller réparer lui-même sa fourche, à la forge du village. Anecdote mille fois répertoriée…
Ce fut là, ensuqués par la chaleur, juste après les rampes mortifères du Tourmalet, que nous nous frottâmes très fort les yeux pour être sûr du spectacle qui s’agitait devant nous. Thibaut Pinot, plus orgueilleux que jamais, avait décidé de passer à l’essentiel, de tout bazarder par-dessus bord, à commencer par sa supposée prudence et sa psychologie défaillante, pour venir tutoyer le déraisonnable – cette valeur chère au cœur du chronicoeur de Juillet. Mais à quoi donc jouait le leader de la FDJ, attaquant magnifique en compagnie de Martin et Majka, comptant jusqu’à plus de deux minutes d’avance, mais si défaillant la veille, que le matin même Cyrille Guimard en personne nous parlait d’un «problème de mental récurent qu’il devra vaincre faute de lourdes, très lourdes déconvenues»… L’attaque, pour éviter d’avoir à se défendre? Bref, cette stratégie du courage allait-elle s’avérer payante, puisqu’elle était déjà honorifique? Le dilemme était d’ailleurs simple pour les autres ténors du peloton : Pinot représentait-il encore un danger pour le général, malgré ses trois minutes concédées dans Aspin, vendredi? Nous eûmes la réponse dès la montée du col de La Hourquette d'Ancizan (8,2 km à 4,9 %), avant de basculer vers Saint-Lary-Soulan. L’armada Sky de Christopher Froome, au complet, prit les devants et entama son long travail de sape, façon usure temporelle. Comme pour signifier au clan Pinot que l’audace avait ses limites, qu’elle ne dépasserait pas les frontières de l’acceptable.
L’écart fondit, à la manière de tous les astres solaires, tôt ou tard. Dans l’ascension du col de Val Louron-Azet (10,7 km à 6,8 %), par 31 degrés au thermomètre de nos brûlures, Thibaut Pinot fut rappelé à l’ordre par les tout-puissants. Irrémédiablement. Dès lors, il rentra dans un rang qui lui était désormais assigné de force. Celui de faire-valoir, aspiré par l’arrière, tel un vulgaire pis-aller (16 minutes perdues). Les bravaches n’ont plus leur place dans le cyclisme moderne.
Après? Les Sky insistèrent en métronomes impassibles. Il y eut l’ultime pente vers les contreforts de Peyresourde (7,1 km à 7,8%), distant de 15,5 kilomètres de la ligne, par une descente large et rapide. Les grands perdants s’appelaient Greg Van Avermaet, le Belge, qui lâchait définitivement son maillot jaune, et un autre Français, Julian Alaphilippe, perdu en défaillance par l’arrière. Notons qu’Alberto Contador montra de nouveau des signes de lassitude, sans parler de Warren Braguil, décramponné à quatre kilomètres du sommet, et de Pierre Rolland, un peu juste pour assumer les changements de rythme (et surtout victime d’une demi-chute, à savoir un raclement contre un muret dans la descente, peu avant l’arrivée)…
Froome déjà en jaune... |
Peu avant, Froome en personne avait accéléré au franchissement du col. Il prit une trentaine de mètres sur ses prétendants et se jeta à corps perdu dans la descente, seul, dans un exercice d’équilibriste qu’on ne lui connaissait pas jusqu’alors, à cheval sur son cadre, moulinant dans le vide comme le ferait un gamin sur un tricycle lancé à pleine vitesse par un père indélicat. Une prise de risque étonnante. Le Britannique, tenant du titre, obtint ce qu’il venait chercher. A savoir sa première victoire cette année, non pas dans un final en altitude, comme de coutume avec lui, mais dans une étape de montagne tout de même. Coup double : à la faveur de cette escapade inattendue, il endossa son maillot jaune annuel, avec treize secondes à son actif sur ses principaux concurrents (Quintana, Rodriguez, Bardet, Kreuziger, Aru, Mollema, Porte…).
Sans doute voudra-t-il assommer l’épreuve, dès ce dimanche 10 juillet. Le Tour rejoindra en effet sa plus haute arrivée, à l'altitude de 2240 mètres, au terme de la 9e étape qui relie la petite ville espagnole de Vielha à la station andorrane d'Arcalis. Deux cols de première catégorie (Port de la Bonaigua, Port del Canto), plutôt roulants, figureront sur la partie du parcours qui traverse le Val d'Aran. A partir du 132e kilomètre, la course entrera dans la Principauté d'Andorre et attaquera les trois dernières ascensions, dont la montée d'abord douce puis prononcée en direction d'Arcalis. Les 10,1 kilomètres de l'ascension sur une route large et bien revêtue mènera à la station d'altitude, située sous la crête frontalière avec la vallée française du Vicdessos. Le Tour arrivera à Arcalis pour la troisième fois. En 1997, l'Allemand Jan Ullrich avait endossé le maillot jaune qu'il allait porter jusqu'à Paris. En 2009, Brice Feillu avait mené à bien une longue échappée – la seule ligne figurant depuis à son palmarès. Mais c’était une victoire française…
(1) Le premier abandon se déroula pendant l’étape. Il s’agit du Danois Michael Morkov (Katusha).
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