Thibaut Pinot. |
Quand nuages et grisaille cohabitent avec une certaine chaleur et s’invitent sur les premiers escarpements des Pyrénées, le grondement de la course ne tonne jamais bien loin, comme si l’imminence de quelque-chose de puissant allait se produire au moindre lacet. Hier, entre L’Isle-Jourdain (dans le Gers) et le Lac de Payolle (162,5 km), qui domine Saint-Marie-de-Campan et les contreforts du Pic du Midi de Bigorre, le chronicoeur, qui continue de lutter contre une conception atterrée de la course, attendait avec gourmandise l’ascension éthérée du col d’Aspin (première catégorie, 1490 m), avec douze kilomètres de montée à 6,5% de moyenne. Il l’attendait d’autant plus qu’une forme de désolation a gagné la caravane depuis une semaine, tant les scénarios quotidiens ont déçu notre ambition de frénésie.
L’impression de déception, ce vendredi, fut quelque peu identique, même si l’émotion d’Aspin possède toujours une saveur particulière. Il fallut pourtant attendre la descente vers le Lac de Payolle, la course étant déjà entendue, pour connaître un événement inattendu. Ce fut l’image du jour, tellement insolite et surréaliste qu’elle nous tira (pardon) un rictus d’amusement. Car soudain l’arche gonflable du dernier kilomètre tomba sur la tête du groupe des favoris, avec, pour conséquence principale, de provoquer la chute du Britannique Adam Yates (menton en sang). Ce n’était plus le Tour de France, mais l’arche dénouée ! Mais pas de panique. « Les temps, pour calculer les écarts, ont été pris aux 3 kilomètres », précisa immédiatement le commentateur sur Radio-Tour. Une information confirmée par le directeur de course, Thierry Gouvenou, qui évoqua, dieu merci, « un incident majeur ».
Mais revenons à la course, en mode mineur. La première
journée dans les Pyrénées a en effet consacré un Britannique, Stephen Cummings,
35 ans, vainqueur en solitaire, qui faussa compagnie au groupe d’échappés à 27
kilomètres de l'arrivée, adjugé à sept kilomètres du sommet d’Aspin. Parmi les
attaquants, notons la présence d’un revenant: l'Italien Vincenzo Nibali, finalement
débordé dans le final d'Aspin (quatrième place). Signalons également que le Belge
Greg Van Avermaet a non seulement conservé le maillot jaune après ce premier
volet du triptyque pyrénéen, mais, lui aussi présent dans l’escapade du matin,
il a encore augmenté son avance sur les Froome et autre Quintana… Le Belge
semble n’effrayer personne, malgré ses six minutes d’avance au général sur tous
les favoris, tous sauvés de l’arche et parvenus groupés (même si Warren Barguil
donna des signes inquiétants de lassitude). Question: parlerons-nous
encore de Van Avermaet dans quarante-huit heures, après le franchissement de
neuf cols majeurs?
En revanche, nous n’oublierons pas de sitôt une autre image
du col d’Aspin. Celle du Français Thibaut Pinot, d’abord décramponné, puis
irrémédiablement lâché par les meilleurs dans Aspin. Le leader de la FDJ
ambitionnait un podium à Paris, voire meilleur destin encore, mais nous ne vîmes
qu’un bloc de marbre alourdir son visage en dedans, qu’il soulevait à peine sous
l’effort, en perdition, avant de le laisser retomber dans un bruit sourd entre
ses tempes finement veinées et crénelées de sueur. Une vraie défaillance !
Sans doute pensait-il, à ce moment précis, à ce poids sourd, central et
magnétique, dont la lourdeur devait lui dire intérieurement, «le
Tour est fini, le Tour est fini»… Sur la ligne, le Français accusa un
passif de trois minutes. Sans doute insurmontable.
Devant le bus de son équipe, ce fut un homme presque piteux,
mais lucide, capable du moins d’assumer sa défaillance, qui évoqua sa détresse.
«Je n’avais pas de jambes, déclara-t-il.
Je n’ai rien d’autre à dire, il n’y a aucune
excuse à chercher. C’est presque tout
le travail d’une année qui s’envole dans un seul col…»
Thibaut Pinot vaincu. L’arche dénouée. Drôle de journée.
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