Mark Cavendish. |
De la pluie, un soupçon de froidure matinale (de 13 à 17 degrés) qui reste accroché aux cuissards toute la journée, du vent à plier les âmes fortes et des éclaircies bien normandes jusqu’à irradier les regards au cœur d’un après-midi vaguement d’été: le départ de la Grande Boucle, samedi 2 juillet, a déjà tracé le chemin. Celui d’une diversité toute poétique qui confère aux suiveurs une envie certaine d’en découdre au plus vite. D’autant que les spectateurs, entre le Mont-Saint-Michel et Utah Beach (188 km), étaient si nombreux d’est en ouest sur la pointe du Cotentin, que n’importe quel promeneur solitaire aurait aimé se perdre dans cette foule aux regards joyeux retrouvés. Le Tour est toujours le Tour. Dès ses premières heures. Dès son esprit revisité. Dès les cris en prémices. Le paysage, entre ciel et mer, avait même ce petit air à la fois rafistolé et prospère qu’ont si souvent les villages de la Manche.
Le chronicoeur doit quand même l’avouer. Au départ le matin, tandis que nous prenions à témoin l’Archange (redoré à souhait) et que nous regardions le Mont jaillir de la mer, colossal comme le tranchant d’une pierre polie par les siècles, nous avions une pensée émue pour les « petites mains » du lieu, salariés des restaurants, des hôtels et des commerces qui bordent l’accès à la merveille des merveilles, transformé en « Disneyland », comme ils le disent sans se cacher. Les évolutions de leur Mont-Saint-Michel ne passent pas. Entre les nouveaux aménagements (d’hideux immeubles) et la privatisation d’espaces publics par Veolia, les Montois ne s’y retrouvent plus et se sentent comme étrangers chez eux, presque maintenus à distance de l’îlot rocheux granitique unique au monde. «On aurait bien voulu refaire grève, comme il y a trois ans, lors du dernier passage du Tour, mais cette fois, c’était impossible…», nous racontait une serveuse désabusée. Avant d’ajouter: «Mais on recommencera un jour ou l’autre. Le temps est à la lutte ces temps-ci, ça fait du bien!»
Laissant derrière eux le sanctuaire dressé comme un miracle au-dessus de la baie sablonneuse, les 198 coureurs de la cent- troisième édition du Tour s’élancèrent donc dans leur aventure de trois semaines. Le premier fait notable ne fut pas l’échappée du jour (cinq coureur partis dès le drapeau abaissé), mais bien la chute de l’Espagnol Alberto Contador (Tinkoff), après 107 kilomètres, victime d’un îlot directionnel. L’ex-vainqueur, touché au côté droit (épaule, coude, hanche), put repartir et reprendre sa place, mais son maillot largement déchiré au niveau de l'épaule qui donnait à voir une belle plaie nécessitant l’assistance des médecins motorisés. Agé de 33 ans, le Madrilène devait broyer du noir et se remémorer ses précédentes cabrioles: en 2011, il était déjà tombé dès la première étape dans le final vers le Mont des Alouettes, prenant malgré tout la 4e place du classement final à Paris; en 2014, en revanche, il avait été contraint à l'abandon après une culbute dans les Vosges, lors de la 10e étape menant à La Planche des Belles Filles… L’un des favoris est-il diminué physiquement d’entrée de jeu, voire en sursis?
La suite fut conforme – hélas – au scénario prévisible. Les échappés du matin (l'Australien Leigh Howard, le Tchèque Jan Barta, l'Allemand Paul Voss, le «local» Anthony Delaplace et l'Américain Alex Howes) avaient été mangés depuis longtemps quand le peloton déboula sur la plage d’Utah Beach, à deux pas du musée du Débarquement, qui rend hommage aux 830.000 hommes arrivés par la mer en juin 1944. Au terme d’un sprint mouvementé, qui laissa plusieurs coureurs sur l’asphalte et coupa la troupe en deux avant le grand large, Mark Cavendish (Dimension Data) remporta la première étape devant l'Allemand Marcel Kittel et le champion du monde slovaque Peter Sagan.
Au passage, le Britannique endossa le premier maillot jaune de sa carrière, devenant un peu plus l’ogre de l’épreuve: il s’agissait de sa vingtième-septième victoire d'étape. De quoi rehausser le moral des Anglais, tout à leur bonheur. Il leur fallut attendre juillet pour s'envoler un peu vers le bleu profond du ciel et vers les nuages très blancs ourlés de plomb, entre lesquels la route se fraye parfois un chemin moins sombre qu'il n'y paraît. La magie du Tour...
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