Morzine (Haute-Savoie), envoyé spécial.
Livré aux tortures de plus en plus désordonnées de leurs efforts après trois semaines à sillonner les routes, les rescapés du Tour, samedi 23 juillet, entre Megève et Morzine (146,5 km), avaient une nouvelle fois à leur disposition un théâtre d’expression sublime pour bousculer les hiérarchies. Quatre cols étaient au programme, les Aravis (Km 21), la Colombière (Km 45,5), la Ramaz (Km 93,5), avant d'attaquer Joux-Plane, seule difficulté classée hors catégorie du jour. Comme la veille, nous attendions beaucoup. Trop sans doute. D’autant qu’une pluie battante et sournoise déchirait les cimes, ce qui, vu ce qui s’était passé samedi et le nombre de chutes en cascade, n’incitait guère aux prises de risque inconsidérées.
Pour le chronicoeur – toujours sur le qui-vive malgré la fin annoncée de son vingt-septième Tour –, il fut donc assez désolant de constater que personne n’osa vraiment bouger, laissant au maillot jaune, Christopher Froome, le loisir de gérer sans se paniquer ses dernières frayeurs potentielles. Etait-il d’ailleurs diminué ou pas, après sa spectaculaire glissade vers Saint-Gervais? Bonne question. Mais nous ne le saurons jamais. Romain Bardet se contenta d’assurer sa place de dauphin acquise magistralement vingt-quatre heures plus tôt: nous ne lui en tiendrons nullement rigueur, bien au contraire, le jeune français, 25 ans, entre de plain-pied dans le gotha des futurs prétendants. Nairo Quintana assura la troisième marche du podium: nous savons qu’il n’espérait plus rien de mieux, qu’il s’agissait même d’un objectif qui lui parut, un temps, impossible. Quant aux autres, admettons habilement qu’ils avaient rendu les armes depuis si longtemps qu’il convenait, pour une fois, de les oublier un peu…
L’étape se résuma donc à une bataille d’avant-garde. Enfin
soyons précis: à l’avant. Conséquence d’une échappée fleuve, le gain de
l'étape revint à Ion Izagirre, un coéquipier de Quintana chez Movistar, qui
avait déjà gagné le mois dernier une étape du Critérium du Dauphiné. L'Espagnol
se détacha dans la descente de Joux-Plane, dans les 12 derniers kilomètres,
distançant ses deux derniers compagnons, le Colombien Jarlinson Pantano et
l'Italien Vincenzo Nibali.
Sur le podium, le chronicoeur regarda longuement Christopher
Froome recevoir son avant-dernier maillot jaune, savourant déjà sa nouvelle
gloire, plus éclatante que jamais, croyons-le. Par mauvais ou bon jour, il
était éclatant de vérité de constater que le professionnalisme reste sa norme. Il
porte même une normalité dont il est le seul à maîtriser les codes, comme si
son corps n’était pour lui qu’une sourde et silencieuse faculté à produire de
l’ordre, même un lendemain de chute aux séquelles visibles qui auraient pu
détruire ses ambitions. Chez lui, nous voyons d’abord et avant tout une sorte
de conscience muette mais plus sûre que la moyenne, une espèce d’entreprise à
faire sens au profit du résultat, qui absorberait tous les écarts et toutes les
agressions qu’il s’inflige et qu’il subit. A le voir triompher de nouveau, nous
nous disons que cette capacité même – ce que d’aucun appellerait à juste titre « le
courage » – se révèle être son talent ultime, son instrument intime, son
totem. Le Tour est sien. Ce sera son troisième (1), ce qui le classe, derrière
Anquetil-Merckx-Hinault-Indurain (cinq victoires), dans la catégorie des
seigneurs à avoir triplé leurs noms au palmarès, avec Philippe Thys, Louison
Bobet et Greg LeMond. Un événement rare. Un vrai de vrai dans l’histoire du
vélo. A célébrer aux Champs-Elysées.
A ce propos. Avant de fêter le Britannique sur la plus belle
avenue du monde, signalons que, évidemment, un dispositif de sécurité «renforcée»
sera déployé ce dimanche à Paris pour l'arrivée de la cent-troisième édition, dix
jours après l’attentat de Nice. L'arrivée de la caravane dans la capitale est
prévue aux alentours de 15h55, celle des coureurs autour de 17h50. Selon la
préfecture de Paris, des policiers jalonneront le parcours emprunté par les
cyclistes, des barrières seront installées pour accueillir les spectateurs, et
les terrasses fermées et vidées sur toute l'avenue. Etat d’urgence oblige, des Officiers
de police judiciaire (OPJ) ainsi que des policiers et des gendarmes sous leur
autorité pourront contrôler toute personne dans les 1er, 8e, 16e et 17e
arrondissements, «quel que soit son
comportement», indique la préfecture. Les supporters anglais n’auront
qu’à bien se tenir. Mais seront-ils seulement déchaînés à l’idée d’honorer leur
Froome, fut-il désormais au Panthéon du cyclisme?
(1) Après 2013 et
2015.
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