Cyril Lemoine. |
«Là, franchement… pas trop envie de parler.» La respiration, les césures, la singularité du timbre unie à celle de l’effort déjà passé, tout ressemblait à une fête noire dans une partition de chair à vif. Et de psychologie plutôt démontée. Dimanche soir, le chronicoeur furetait dans les couloirs d’un hôtel à la recherche d’une équipe: Cofidis. A la vue de Cyril Lemoine, l’un des plus âgés de la formation nordiste du haut de ses 33 ans, la quête paraissait en bonne voie. Mais l’homme, d’ordinaire plutôt affable et proverbial côté confessions, avait la tête de biais et les mots rares. Ambiance. «C’est vrai, nous sommes un peu orphelins de Nacer Bouhanni… il a fallu se remobiliser au dernier moment, quand il a déclaré forfait», raconte Lemoine, sans même prendre le temps de poser ses fesses trois minutes. Avant d’ajouter: «Nous étions dans le brouillard avant le départ de ce Tour, heureusement, nous sommes solidaires entre-nous, la dernière des grandes qualités cyclistes.»
Depuis des semaines, des mois, les équipiers dits «de plaine» de l’équipe s’échinaient au même travail de fond, une répétition de gamme unique: organiser «le train» pour Bouhanni, le mettre en situation au devant des pelotons afin qu’il s’impose dans les sprints. Ce qu’il réalisa avec succès à quatre reprises dans les épreuves du World Tour, cette saison. Et puis tout s’est effondré il y a dix jours, lors des championnats de France. Une altercation de nuit dans un hôtel avec des voisins bruyants et alcoolisés – version officielle -, suivie d’une bagarre, puis d’une blessure à la main fatale. «On peut parler de malédiction, déclare le manager Yvon Sanquer. Cette blessure s’est infectée, le rêve du Tour s’est envolé pour lui, et pour nous, c’était l’heure de revoir tous nos plans. Nasser n’est pas verni, il a déjà abandonné en 2013 et 2015. Ce n’est pas seulement Cofidis qui paie l’addition, mais le cyclisme français lui-même car il pouvait remporter plusieurs étapes…»
La vie «sans» pourrait néanmoins s’apparenter à un chemin de croix. Les grimpeurs Nicolas Edet, Arnold Jeannesson et Daniel Navarro pointent loin, déjà, au général. Quant aux orphelins du «train», à commencer par l’espoir Christophe Laporte, 23 ans, ils doivent se muer en leaders de substitution pour glaner quelque-chose, fussent-ce des cacahuètes. «On reproduit ce qu’on sait faire… sans l’élément moteur», explique Cyril Lemoine, accroché à sa conviction. Laporte lui a donné raison samedi, en se classant sixième. Mais dimanche, le gamin a sombré. «Il ne se sentait vraiment pas bien, assure Lemoine. Je ne m'en suis pas aperçu, j'ai continué à vouloir essayer de le placer mais il avait disparu…»
Hier, dans la petite butée qui menait aux quatre cents derniers mètres de l’étape entre Granville et Angers (223,5 km), où les organisateurs avaient eu la bonne idée d’installer la salle de presse, il n’était pas aisé d’apercevoir un Cofidis dans la masse. Le petit Laporte pointait pourtant au huitième rang. Les scrutateurs désabusés notèrent donc la vingt-huitième victoire du Britannique Mark Cavendish. Ils auraient pu également remarquer, malgré l’incroyable apathie du peloton, qu’aucun Cofidis ne figurait désormais dans les quarante premiers du classement général. Encore dix-huit jours de course.
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 5 juillet 2016.]
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