Limoges (Haute-Vienne), envoyé spécial.
Il y eut, entre Saumur et Limoges (237,5 km), à savoir la plus longue étape de l’édition 2016, comme un moment d’aphasie dû autant au surgissement d’un soleil rageur qu’à la toute première procession vers le sud, vécue par beaucoup de suiveurs comme un exode bénéfique et psychologiquement attendu, lassés des prises d’air et d’eau. Sans parler des coureurs. Laissant derrière eux le Cadre noir saumurois et ses chevaux rutilants exposés dans de prospères propriétés assoupies le long de la Loire, ils ont ainsi pu goûter à d’éparses températures dignes de juillet (jusqu’à 28 degrés), maraudant quelques splendeurs de ciel bleu dans une palette chromatique assez pastelle. Autour d’eux, le paysage n’avait plus ce petit air à la fois rafistolé et précaire, mais bien, avec éclat, un parfum d’été que rehaussaient les murs de spectateurs érigés, barrières humaines aux touches de couleurs sophistiquées.
De quoi provoquer un peu de bagarres inattendues ? Nous avions tous en mémoire ce qui s’était passé lundi, vers Angers, et la longue, très longue promenade de santé du peloton que seul Thomas Voeckler, le capitaine de route de l’équipe Direct Energie, avait décidé de dynamiter, ce qui lui fut reproché par une poignée de managers stupides.
Dieu merci pourtant, sans notre «Titi» national, et sachant que le sprint se déroula ce soir-là peu avant 18 heures, nous aurions sûrement rejoué «Retiens la nuit» en salle de presse. «Je suis parti parce que c’était ennuyeux pour tout le monde, expliquait-il hier matin. Ca a mis un peu d’action et je n’ai jamais pensé que ça pouvait aller au bout. C’était un petit coup de panache. Vous savez, il n’est écrit nulle part qu’on est obligé d’attendre sagement dans le peloton.»
Donc, vers Limoges, nous attendions les audacieux, sinon les tempéraments de feu. Nous n’assistâmes qu’à un scénario plombant. Les traditionnels échappés (Gougeard, Naesen, Irizar et Schillinger), courageux en diable, furent dévorés par la bête en troupe bien avant la ligne d’arrivée. Singularité du jour, leur escapade trouva son issue inévitable lorsque les Direct Energie, Voeckler en tête, vinrent prêter main-forte aux habituels leaders du peloton (Etixx, Lotto Soudal, Tinkoff et autres Dimension Data). Mais l’audace était peut-être là, nichée dans l’ironie: la formation de Jean-René Bernaudeau voulait en effet jouer un rôle majeur dans le final, dont la topographie en faux-plat montant semblait propice aux qualités de leur jeune sprinter, Bryan Coquard, 24 ans.
Hélas, ce dernier se souviendra longtemps de la cruauté de
l’instant fatal. Remontant centimètre par centimètre sur le géant allemand
Marcel Kittel dans les ultimes mètres, il crut, et nous aussi, que son talent avait
enfin trouvé sa récompense. Les images se révélèrent même trompeuses; et nos
applaudissements déplacés. Kittel, qui oscillait sans harmonie dans l’effort,
avait malgré tout préservé un souffle d’avance, invisible à l’œil et meurtrier.
Battu en millimètres, Coquard expliquait: «Je suis évidemment très déçu, mais fier de mon équipe, qui
aurait mérité ce cadeau.» Avant recension, le chronicoeur pestait
déjà contre le hurlement du sort. De quoi retomber dans l’aphasie.
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 6 juillet 2016.]
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