Continuons – du moins essayons – d’appréhender le Tour pour
ce qu’il reste, malgré son évolution récente: «Une fable à morale ambiguë, l’expression d’une vaste utopie», au
sens où l’entendait Roland Barthes. Comme l’écrivait hier matin dans l’Equipe notre confrère Philippe Brunel,
qui consacrait un sublime portrait de notre prestigieux prédécesseur Pierre
Chany, «la vérité, c’est qu’il y a deux
Tours, celui que l’on regarde à la télé, et l’autre, qu’on se raconte et qui
ravaude un rêve collectif, avec ses légendes vraies ou falsifiées». Cette
fable aménage dans le recours de ses propres lois une épopée qui nous renseigne
sur nos désenchantements. Et nos attachements aussi. De ce côté-là, une
certitude intangible nous tient par la passion absolue: la course. Et la course
dans toutes ses composantes, pour ce qu’elles nous disent du cyclisme actuel,
de notre époque.
Hier, entre Le Puy-en-Velay et Romans-sur-Isère, étape remportée par l’Australien Michael Matthews (Sunweb), quelque chose de «transitoire» flottait dans l’air torride de la vallée du Rhône, joyeusement balayée par les vents, propices aux bordures. Nous vîmes d’ailleurs les Sky tenter l’offensive dans le final. De la passe d’armes sortit une cassure, dont la principale victime fut Dan Martin (QST), qui concéda 50 secondes. Nous ressentîmes alors comme une impression électrique, de celles qui précèdent les grandes heures quand nos regards se portent vers l’horizon… C’était, en effet, la dernière transhumance avant les Alpes, qui concentreront, aujourd’hui et demain, des difficultés immenses avec une succession de cols historiques et monumentaux: Croix de Fer, Télégraphe, Galibier, Vars et Izoard, sachant que quatre d’entre eux culminent à plus de 2000 mètres d’altitude. Toutes les faiblesses, masquées jusque-là, s’y dévoileront immanquablement.
Hier, entre Le Puy-en-Velay et Romans-sur-Isère, étape remportée par l’Australien Michael Matthews (Sunweb), quelque chose de «transitoire» flottait dans l’air torride de la vallée du Rhône, joyeusement balayée par les vents, propices aux bordures. Nous vîmes d’ailleurs les Sky tenter l’offensive dans le final. De la passe d’armes sortit une cassure, dont la principale victime fut Dan Martin (QST), qui concéda 50 secondes. Nous ressentîmes alors comme une impression électrique, de celles qui précèdent les grandes heures quand nos regards se portent vers l’horizon… C’était, en effet, la dernière transhumance avant les Alpes, qui concentreront, aujourd’hui et demain, des difficultés immenses avec une succession de cols historiques et monumentaux: Croix de Fer, Télégraphe, Galibier, Vars et Izoard, sachant que quatre d’entre eux culminent à plus de 2000 mètres d’altitude. Toutes les faiblesses, masquées jusque-là, s’y dévoileront immanquablement.
«Le
juge de paix, où personne ne pourra bluffer, ou faire semblant, ni même se
cacher», racontait lundi, Nicolas Portal, le directeur sportif des Sky. Phrases
banalisées? Pas tant que cela. Pour comprendre la tension chez les favoris, due
autant à la faiblesse des écarts en troisième semaine qu’à l’ampleur des tâches
physiques à venir, l’armada britannique avait de nouveau réduit le temps de
parole de Chris Froome, lors de la journée de repos et la «traditionnelle»
conférence de presse. Quelques minutes, et il tourna les talons, peu après un
violent incident avec un journaliste anglais, accusé par Dail Brailsford, le
manager et mentor des Sky, d’«avoir écrit
de la merde sur lui», signifiant à l’envoyé spécial de Cyclingnews qu’il n’était «pas
invité». En cause, un article rappelant les «gamelles» de l’équipe
britannique révélées cette année, l’épisode du paquet livré à Bradley Wiggins
sur le Dauphiné 2011, l’enquête d’une commission parlementaire, etc. En somme,
ce que nous avons (presque) tous narré avant le départ de ce Tour. Etrange
moment, que celui de se croire revenu une décennie en arrière, quand le patron
de l’équipe d’Armstrong, Johan Bruyneel, sélectionnait les journalistes en
fonction de ses têtes ou de ses humeurs…
Ne soyons pas naïfs, ce point de cristallisation ne venait
pas de nulle part. Le team Sky, sous pression, paraît fébrile. Comme si ces hommes
forts et sûrs, formés d’ordinaire en cohorte bien rangée, doutaient cette fois
de leur toute puissance. Les voici acculés à la fois par des soucis internes et
par la concurrence, plus forte en 2017. «Ils
ont vraiment peur de l’équipe de Bardet», témoignait Alain Gallopin, le
directeur sportif de la formation Trek. Et il ajoutait: «C’est un Tour taillé cette année pour un poids plume, comme Bardet.
Sur ce qu’on a vu, le Français peut trouver l’ouverture. Il faut qu’il en
profite, car ça ne sera pas le cas tous les ans.» Chez Sky, du coup, on se
rassure comme on peut. «Dimanche, on
pensait que Bardet et Aru attaqueraient à fond quand Chris a eu ses ennuis
mécaniques, mais ils ne l’ont pas fait, ce qui prouve qu’ils n’en avaient
peut-être pas la force», racontait Mikel Landa, le coéquipier de Froome.
Le principal concerné, Romain Bardet (ALM), ne partageait
pas ce point de vue, durant le repos. Le Français entamait à vingt-six ans la
semaine la plus décisive de sa carrière à la conquête du maillot jaune. Et il
demeurait lucide: «Les Sky sont
très, très durs à surprendre, mais je veux jouer crânement ma chance. Je vais
courir les deux étapes des Alpes comme deux classiques. Je pense que la
victoire dans le Tour se disputera dans l’Izoard. Ca va se gagner à pas
grand-chose…» Le chronicoeur pensait déjà à Louis Aragon, qui avait
compris, lui, que le Tour domine ceux qui l’incarnent. «Il y a un étrange moment, dans la haute montagne, quand les dernières
voitures passent et s'époumone le dernier coureur malheureux... le moment du
retour au silence, quand la montagne reprend le dessus sur les hommes.» Il
y a bien deux Tours. Celui d’une morale ambiguë? Ou celui d’une vaste utopie?
[ARTICLE publié dans l’Humanité du 19 juillet 2017.]
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