mercredi 22 septembre 2010

Retraites : fièvre de la jeunesse...

«C’est la fièvre de la jeunesse qui maintient le reste du monde à la température normale. Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents.» Lors de ses longs et dispendieux week-ends à la Lanterne, Nicolas Sarkozy doit souvent espérer que Georges Bernanos se soit trompé… En 2010, dans une société de l’excès marchand et de l’insécurité sociale, où les rares contestations doivent être canalisées pour les temps de cerveaux encore disponibles, des jeunes muets et dociles feraient bien l’affaire. Pourquoi diable s’occuperaient-ils du dossier des retraites, alors qu’ils peinent à entrer sur le «marché du travail ?»  La page 
de Mai 68 n’est-elle pas définitivement tournée ?

Sarkozy n’a décidément pas de chance. Non seulement les jeunes refusent l’inexorabilité du monde qu’on leur promet, mais ils se mêlent du chantier des retraites. Et pour cause ! Ils seront bel et bien les premières victimes des choix du gouvernement. Une seule statistique résume la situation : une personne née en 1935 touchait plus de 80% de son dernier salaire en partant en retraite ; une personne née en 1985 n’en toucherait qu’à peine 60%. A-t-on réfléchi assez à cette éventuelle régression générationnelle ? Prend-on assez conscience de ce que signifierait symboliquement ce recul de civilisation pour nos jeunes, déjà frappés par une insertion professionnelle tardive, par le chômage, la précarité et l’intérim, affectés par une société sans répit qui transforme l’espérance de vie en handicap ? N’oublions jamais que le taux de pauvreté des 18-29 ans est passé en huit ans de 9% à 12%. Fatalement, le dernier baromètre annuel Ipsos pour le Secours populaire, publié lundi, est éloquent. Quand ils pensent à leur situation actuelle et à leur avenir, 50% des jeunes se déclarent «angoissés» et 38% «en colère». Trimer tard pour une retraite à peine décente ;
ou devenir trader… Est-ce ça, le monde de demain ?

Certains ne se gênent pas pour caricaturer ces jeunes aux espoirs précaires. Ils seraient
«désenchantés», «tétanisés», «apolitiques congénitaux», comme l’écrivait récemment le Figaro, puisque «les idéologies de transformations sociales» ne les «séduisent plus». Quand le mépris de classe s’additionne à une haine générationnelle, toutes les démagogies sont possibles. Et de ce côté-là, le pouvoir n’a pas son pareil. À en croire la communication officielle du Palais, la loi Woerth serait non seulement une «nécessité» pour les prochaines générations, mais elle aurait été conçue «pour» les jeunes…

Seulement voilà, 74% des 18-24 ans se déclarent opposés au report de l’âge de départ, selon un sondage CSA pour la CGT. Une injustice contre laquelle ils ont décidé de se mobiliser au sein d’un collectif d’organisations baptisé «La retraite, une affaire de jeunes». Preuve que cette jeunesse est plus combative et impatiente qu’on ne le croit. Et cette impatience a au moins un avantage, elle devrait nous prémunir d’une tentation mortifère : attendre un changement en 2012. Même François Chérèque ne cesse de le répéter depuis des semaines : «Nourrir des illusions sur 2012, c’est se condamner à l’impuissance aujourd’hui.» Beaucoup de jeunes ont ainsi choisi la bonne philosophie : «On s’engage à fond pendant qu’il en est encore temps», disait l’un d’eux lors des grandes manifestations du 7 septembre. Le mouvement social a toujours besoin de la fièvre de la jeunesse.

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 22 septembre 2010.]

(A plus tard...)

5 commentaires:

Desgrange a dit…

Merci pour ce bel édito que je vais m'empresser de relayer et commenter sur mon blog...
Une question me vient à l'esprit. Dans tout ce marasme, où les jeunes vont ils trouver le salut ?
>en se projetant vers des univers virtuels ?
>en s'atomisant la tête dans l'acool fort et les drogues dures ?
>en retournant vers des cultes ?
>en se mobilisant politiquement ?
>en créant ?
>en surconsommant ?

C'est schématique, mais quelles sont les grandes tendances ?
Desgrange s'inquiète !

DESGRANGE

Anonyme a dit…

Je suis bien d'accord avec la personne au-dessus: voilà un texte magnifique de JED, qui a bien raison de croire en la jeunesse, c'est si rare de nos jours. Moi aussi j'avais été frappé lors des dernièrs manifs de voir autant de jeunes dans les rues, j'espère qu'aujourd'hui ça sera kif-kif !!! D'ailleurs j'y vais : bonne manifs à tous!
(Impossible de laisser des commmentaires sur le site de l'Huma, oh secours !!!)

Anonyme a dit…

Moi je crois même que si la jeunesse s'en melait un tout petit peu plus, ça ferait vraiment la bascule avec le monde du travail. Ducoin à raison : "Le mouvement social a toujours besoin de la fièvre de la jeunesse."
DANAT

DESGRANGE a dit…

Finalement, vous aviez vu juste... La mobilisation des jeunes était, paraît il, beaucoup plus forte aujourd'hui !
En même temps, une personne qui reste deux ans de plus à son poste, c'est un jeune qui ne pourra pas avoir ce poste pendant ces deux années.
DESGRANGE

andré martin a dit…

Vous trouverez sur le site http://www.retraites-enjeux-debats.org/ des analyses, des argumentaires, des informations pratiques (lieu des rassemblements, meetings, manifestations, liens vers d’autres sites utiles …) et du matériel militant pour les manifestations à venir (slogans, pancartes à imprimer, tracts …)

Par exemple une Lettre ouverte aux jeunes : « Dénoncez ces réformes qui vous ferment les portes de l’emploi et des entreprises ! » sur http://www.retraites-enjeux-debats.org/spip.php?article322 … et une Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy : "Les Français n’ont pas besoin de travailler plus longtemps, mais de travailler tous !" sur http://www.retraites-enjeux-debats.org/spip.php?article316" … ainsi que la réponse de la Présidence de la République.