Les étapes dites de «transition», au profil d’une platitude
exemplaire, ont le privilège d’offrir à la fois un panorama sur cette France
alanguie de juillet et, pour les suiveurs attentifs au futur de l’épreuve comme
s’ils attendaient un heureux événement à partager, de regarder d’un peu de haut
ce que nous appelons «les forces en présence». Hier, néanmoins, entre Vesoul et
Troyes – dont un passage inutilement mémoriel à Colombey-les-Deux-Eglises –, il
fallut d’abord se concentrer sur l’arrivée au sprint, de peur qu’un événement ne
vienne de nouveau la perturber. Celui-ci fut d’une limpidité sauvage. Nous
crûmes un instant que le Français Arnaud Démare, porteur du maillot vert,
allait se glisser le long des barrières – non sans risque – pour expectorer sa
puissance, mais l’Allemand Marcel Kittel (QST), comme à Liège, domina les
débats assez aisément. Rien à signaler de notoire.
Ensuite, à l’évocation de l’échappée du jour qualifiée de
«publicitaire» – les trois baroudeurs de service, Laengen,
Quemeneur et Backaert purent en effet «montrer le maillot» durant toute
l’après-midi –, il convenait de répondre à une question récurrente: pourquoi
les étapes sont-elles cette année retransmises intégralement alors que la
tradition voulait que cette préséance soit réservée uniquement aux «grandes»
étapes de montagne? Vous vous dites, chers lecteurs, que France Télévision a
usé de son monopole au seul bénéfice des performances, sinon des coureurs, accordant
ce surcroît de temps d’antenne pour l’unique gloire de la course? Vous
avez tout faux. C’est bien ASO qui a œuvré en coulisse pour convaincre le
groupe public de rallonger la sauce afin de permettre une meilleure exposition
télévisée… aux villes organisant les départs! Rien d’altruiste là-dedans.
Dans cette perspective, négociée de longue date, ASO a déjà augmenté le coût
payé par les collectivités pour un «simple» départ d’étape. Et il progressera
encore l’an prochain, pour se rapprocher, nous dit-on, des tarifs réclamés aux
villes qui accueillent les arrivées. Le cyclisme n’échappe pas à la règle: le
sport ne pédale plus dans le vide, il est devenu un formidable enjeu économique
et un vecteur de communication hors norme. Qu’importe si le petit écran
banalise l’effort, gomme les reliefs des pentes et ne rend pas vraiment hommage
aux forçats de la route, effacés derrière leurs statistiques, leurs classements...
Mais attention: ce serait paraît-il une aubaine pour les «petites»
équipes, qui peuvent donc, au prix de sacrifices physiques dès le kilomètre
zéro, valoriser les couleurs de leurs sponsors. D’où la formule méprisante: «Une échappée publicitaire.» Et par
rapport à avant, cela change quoi? «Rien»,
pour Marc Madiot, le patron de la FdJ. Yvon Ledanois, le directeur sportif
de l'équipe BMC, ne cache pourtant pas cette vieille vérité: «Il y a toujours des équipes invitées qui
n'ont pas de leader, qui ont une chance sur dix de gagner une étape et qui ont,
un peu plus qu’avant, la possibilité de se montrer et d'avoir un retour
d'investissement pour leur partenaire.» Et pour les téléspectateurs? «Une course ne peut pas être intéressante du
départ à l'arrivée, à une exception près, Paris-Roubaix, tranche Alain
Gallopin, directeur sportif de Trek. Les
coureurs ne sont pas des machines, il y a forcément des temps morts qui peuvent
être très longs.» L’éventuel attrait serait-il publicitaire avant d’être sportif?
«On ne va pas se mentir, l'exposition à
la télé pour certaines équipes est très importante, cela prouve qu’on l'on est
acteur, répond Yvan Sanquer, manager chez Cofidis. Mais, au-delà de l'exposition médiatique, il faut des résultats
concrets pour les équipes qui ont une stratégie sportive. Si on ne pense qu’au
minutage télé, ça ne dure qu’un moment…»
Le temps d’y réfléchir, revenons, comme promis, à nos
favoris du Tour, laissés en jachère hier à la faveur de la torpeur (jusqu’à 40 degrés).
Résumons d’un trait de plume la situation, sachant que ne serons peut-être définitivement
fixés dès ce week-end avec les arrivées à la station des Rousses, samedi, puis
l’énorme confrontation avec les montagnes jurassiennes, dimanche (trois cols
hors catégorie, La Biche, le Grand Colombier et le Mont du Chat): que d’heures
de télé en perspective... La montée de La Planche des Belles Filles, mercredi,
a déjà dessiné une première hiérarchie. Chris Froome a retrouvé le maillot jaune,
son équipe a plutôt brillée: la routine. Le Britannique reste le maître du
temps et des stratégies à venir, un énorme avantage. Richie Porte (BMC) et
Romain Bardet (ALM) pointent en embusque: quelque chose nous dit que seul le
Français peut encore renverser des montagnes s’il parvient à calquer ses envies
sur ceux de l’Italien Fabio Aru (Astana), qui peut s’avérer un allié de
circonstances de luxe, du moins s’il ne flanche pas avant ou pendant la
troisième semaine, comme l’an dernier (treizième au général). En revanche, le
chronicoeur prend le risque d’annoncer qu’il raye de sa liste les Quintana,
Contador, Fulgsang et autres Uran ou Majka. Quitte, en cas de déroute
prévisionnelle, à partir lui-même en «transition»…
[ARTICLE publié dans l’Humanité du 7 juillet 2017.]
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