Lilian Calmejane. |
Quand certains noms locaux de notre France trompettent au passage du Tour ces sonorités locales qui disent les ampleurs enfouies, nous sentons pleinement en nous, telle une communion phrasée, la mélancolie historique autant que géographique d’une mythologie chaque année réinventée. Ainsi, au moment où l’avant-garde du peloton commençait à lécher la montée de la Combe de Laisia Les Molunes (première catégorie, 11,7 km à 6,4%, 1202m), conduisant, après 11 kilomètres de replat, à la station des Rousses, au-dessus de Saint-Claude, nous nous sommes demandé sans rire comment cette appellation ancestrale, d’une francité insolente, s’était empilée pour former cet ensemble dithyrambe. Sans doute l’assemblage des bourgs et des pâturages, dans un bel endroit planté dans le parc naturel régional du Jura où les activités agricoles, de fermes et de chalets restent une dominante. Assises sur leurs pliants, dressées sur les talus ou agrippées aux bastingages des engins de champs, les joyeuses cohortes de spectateurs s’épanouissaient, fières, dans leur bonheur de « regarder » passer les coureurs. Comme une douce dichotomie. Quelque chose du quiproquo. Car les héros du jour ne pédalaient pas dans le plaisir, eux.
Depuis le départ, en effet, cette huitième étape menait grand train, par une chaleur étouffante, jusqu’à 38 degrés. Le parcours, qualifié à raison de «moyenne montagne», se prêtait à toutes les folies pour baroudeurs. Ainsi, dès le kilomètre zéro, à des vitesses impressionnantes, les tentatives se multiplièrent et il fallut plusieurs dizaines de bornes pour que le peloton ne se disloquent en trois, puis quatre parties. Deux groupes d’échappés – sans aucun favori pour le général – prirent la poudre d’escampette, l’un formé de seize coureurs, l’autre de trente unités. Il était 14h30. Et avant même la montée (presque) finale de la Combe de Laisia Les Molunes – trop beau à écrire –, deux premières difficultés allaient se dresser sous les roues des forçats, le col de la Joux (troisième catégorie, 6,1 km à 4,7%) et la côte de Viry (deuxième catégorie, 7,6 km à 5,2%). Bref, pas le temps de somnoler. Contrairement aux jours précédents.
Une preuve? Après
le col de la Joux, à 104 kilomètres du but, un gruppetto s’était déjà constitué
à l’arrière, dans lequel ne figurait même pas l’ancien porteur du maillot vert,
le champion de France Arnaud Démare, malade et littéralement à la dérive. A cet
instant précis, le leader de la FdJ, vainqueur d’étape à Vittel, cumulait plus
de dix-sept minutes de retard… Son agonie au ralentit avait eu quelque
chose d’imparable. Un seul défi pour lui: rentrer dans les délais.
Et puis, comme si un coup de vent insensé soufflait sur la
route du Tour, tout s’accéléra encore. Façon baston généralisée. Les échappés
bombardaient toujours drus, quoique de plus en plus éparpillés, réduits à une
dizaine d’éléments, puis quatre, trois… mais ce n’était rien comparé au groupe
maillot jaune, pris d’une frénésie soudaine à l’amorce de la dernière rampe,
vers la Combe de Laisia Les Molunes (trop bon). Après que Chris Froome eut visité
le bas-côté dans une légère embardée – sans aucun dommage –, les Sky appuyèrent
sauvagement sur les pédales. Conséquence, l’avance des fuyards devint quantité
négligeable, du moins en apparence, en apparence seulement. Car en tête, un
homme sortit de sa boite: l’imprévu de service. Pour son premier Tour, Lilian Calmejane, 24 ans, le protégé de
Jean-René Bernaudeau chez Direct Energie (qui fêtait ce samedi ses 61 ans!), plaça
une attaque si sèche qu’il se retrouva seul face à son destin. Et ce ne fut pas
une mince affaire. A cinq kilomètres de la ligne d’arrivée, nous assistâmes ainsi
à une scène si improbable que sa rareté même nous enjôla. Se livrant aux
tortures de plus en plus désordonnées de son calvaire, Lilian Calmejane se redressa sur sa bécane, sembla reprendre souffle, s’installa
dans ce petit dodelinement anxieux qui signe l’imminence de l’instant fatal, ce
moment où la force d’un homme s’amenuise, puis il s’arrêta carrément de pédaler (vous avez bien lu), et enfin oscilla,
vacilla tant et tant que nous crûmes qu’il allait poser pied à terre. Diagnostic visible :
crampe à la jambe droite. Une séquence ahurissante! Au prix d’un effort
impitoyable et mesurable à ses rictus d’extrêmes douleurs, langue pendante, il allégea
son braquet, procéda à quelques étirements improvisés, et repartit de plus
belle avant de voler vers la victoire. Courage, abnégation, exploit: les mots nous
manquaient. Jamais son poursuivant immédiat, Robert Gesink, ne le reverrait…
Passé professionnel
en septembre 2015, Lilian Calmejane n’en est pas à son premier coup de maître. En
2016, ses remarquables performances avaient convaincu Bernaudeau de le
tester sur un grand Tour, la Vuelta. Il y décrocha sa première victoire chez
les professionnels, remportant en solitaire la quatrième étape, après s'être
extirpé du groupe de tête à neuf kilomètres du but. «Je n’arrive pas à y croire, déclarait la nouvelle gloire du
cyclisme français après l’arrivée. Je me
suis fait une belle frayeur avec cette terrible crampe. Ce n'est pas
passé loin de la catastrophe.
Je
me suis fait mal comme jamais. C'était mon jour…»
Signalons trois choses.
Primo, aucune véritable attaque ne fut à répertorier entre les favoris.
Secundo, Calmejane coupa la ligne à 16h50, soit dix minutes avant le meilleur
horaire prévu, à plus 41 km/h de moyenne. Tertio, Arnaud Démare, avec 39
minutes de retard, rentra bien dans les délais. Mais cela durera-t-il?
Car attention: dimanche 9 juillet, entre Nantua et Chambéry,
le Tour 2017 connaîtra l’une de ses étapes les plus difficiles, et pourquoi pas
une journée décisive. L’énorme confrontation avec les montagnes jurassiennes se
soldera par ce que nous pouvons nommer une
trilogie d'ascensions classées hors catégorie. La première des sept montées du
parcours (côte des Neyrolles, 2e catégorie) sera programmée dès la sortie de
Nantua. Le col de la Biche, très pentu (HC, 10,5 km à 9 %), se situera au km
67,5 et précèdera une descente technique qui conduira au spectaculaire Grand
Colombier, escaladé cette fois par sa voie la plus raide, dite la « directissime »
(HC, 8,5 km à 9,9 %). Au bas de la descente, le Tour passera à Culoz, où le
Colombien Jarlinson Pantano s'était imposé l'an passé, et traversera la vallée
pour s'attaquer à la troisième ascension, le Mont du Chat, abordé par le
marchepied de Jongieux (3,9 km à 4,2 %). Le col du Chat, emprunté par le récent
Dauphiné, grimpe jusqu'à 1.504 mètres d'altitude, un belvédère juché au-dessus
du lac du Bourget, au bout des 8,7 kilomètres de montée (HC, 10,3 %). La
descente, sinueuse et rapide, et la partie de plat terminale, sur les 13
derniers kilomètres, conduiront les rescapés à Chambéry. Le chronicoeur peut l’annoncer
sans ciller: nous en saurons alors beaucoup plus...
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