jeudi 21 juillet 2011

Tour : à Pinerolo, la Cavalerie se prépare à l'obstacle...

En Italie, le Norvégien Edvald Boasson Hagen (Sky) remporte la 17e étape. Thomas Voeckler reste en jaune. Aujourd’hui, place à la grande étape du Tour avec trois cols au-dessus de 2000 mètres et l’arrivée au sommet du Galibier !
Depuis Pinerolo (Italie).
Quand les cimes les appellent et les attirent, ils aspirent tous à être la démonstration même. Et puisque le vélo répugne aux petitesses d’esprit, qu’ils soient en position d’élever la course ou de la subir, leur degré de souffrance définit toujours leur grandeur. Avec l’arrivée tonitruante des Alpes, le chronicœur a retrouvé force et vigueur et profite de son observatoire pour admirer comme au premier jour la «multitude du Tour» avec ce brin de poésie qui sied si bien à semblable théâtre. Mais pas le temps, hélas ! de s’attendrir sur les sommets qui, au loin, dessinaient l’horizon de contours abrupts. En débarquant en Italie, hier, par le col frontière de Montgenèvre (2e catégorie, 8 km à 6,1 %), tous les suiveurs se demandaient si l’épisode de l’arrivée à Gap, mardi, pourrait se reproduire. Et surtout si Alberto Contador poursuivrait sa folle révolte…
 le Norvégien Edvald Boasson Hagen.
Avant même la suite des événements, avouons que le leader des Saxo-Bank a au moins renversé une première montagne, celle de l’incompréhension, qui, jusque-là, jetait comme une ombre portée sur son statut d’invincibilité. Les ennuis physiques dus aux chutes expliquaient sans doute son apathie dans les Pyrénées. Hier matin, l’Espagnol Carlos Sastre, ancien vainqueur du Tour, analysait bien la situation: «On disait Contador battu. Il a été piqué au vif. Je crois, surtout, qu’il n’a plus peur de perdre…» En langage cycliste, le littérateur traduirait par: ne «plus avoir peur de perdre» signifie que le coureur en question sait désormais qu’il peut gagner dès qu’il le décidera, qu’importent la nature et la violence de l’affrontement, qu’importent même les adversaires qui se glisseront en travers de sa route… Voilà bien l’énigme Contador, dont le chronicœur, avec ses grosses lunettes d’archiviste, se souvient qu’il ne fut longtemps qu’un grimpeur frénétique rescapé du coma et d’un œdème cérébral, et un ancien disciple de Manolo Saiz, le principal accusé de l’affaire Puerto… Depuis, l’Espagnol s’est bâti un palmarès et même un semblant de respectabilité auprès de ses congénères. Ces derniers savent de quel bois l’Ibère se chauffe et quel feu consume ses dedans. Quant à nous, comment oublier sa traçabilité, ancienne ou récente?

Voilà ce à quoi nous songions sur le coup 16 heures, quand le peloton des favoris franchissait le sommet du col de Sestrières (2 035 m, 11 km à 6,3 %), troisième difficulté du jour. Déjà installé dans le centre équestre de Pinerolo transformé en salle de presse, au cœur de la province de Turin où le vaste buffet et les cafés serrés furent à la hauteur de leur réputation, le suiveur se régalait à la vue des militaires locaux qui régentaient ces hauts lieux de la Cavalerie dont la ville perpétue religieusement la tradition. Pendant ce temps-là, à l’avant de la course, dix-sept coursiers déboulaient dans l’ultime difficulté, la côte de Pramartino (6,7 km à 6 %), placée à huit bornes du but, avant une dégringolade vertigineuse vers la cité piémontaise. Du côté des échappées, à tombeau ouvert, le Norvégien Edvald Boasson Hagen (Sky) remporta en solitaire sa deuxième victoire d’étape. Du côté de la cavalerie des pur-sang, Contador montra sa singularité retrouvée et la hardiesse de sa pédalée. Mieux, dans la descente finale, il osa tenter – en vain cette fois – le même coup que la veille, avec son compatriote et allié Samuel Sanchez (Euskaltel). Notre Voeckler national, lui, se fit des frayeurs façon sorties de route, dont une, s’achevant dans un parking privé en béton, fut spectaculaire et miraculeusement contrôlée. Sur la ligne, le porteur du maillot jaune ne concédait que vingt-quatre secondes dans cette mésaventure (1). Rien à côté de ce qui va survenir aujourd’hui…

Mirage ou miracle du Tour? Quand la solitude des Géants de la Route conduit à plus d’isolement encore, et, partant, à plus d’erreurs, à plus de fureurs, donc à plus d’exploits potentiellement dramatiques. Avec ses mains d’équarrisseur sur un corps chétif, avec son tempérament de nerveux sous des mâtures faibles, Contador est-il de ceux-là ?
Hier soir, le triple vainqueur confessait: «Cette fois, j’ai eu de bonnes sensations.» Tout le monde est prévenu. Ce jeudi, la Grande Boucle va tutoyer les anges. Les cols d’Agnel (2 744 m, toit du Tour), de l’Izoard (2 360 m) et du Galibier (2 645 m), comme ascension terminale, se dresseront sous les roues de nos héros de juillet. Voici la grande, très grande étape de cette édition 2011. Et, espérons-le, un espace protégé pour le conflit entre quelques héros supposés et la grandeur de leur confrontation. Comme le disait Roland Barthes, le Tour reste bien cette «image utopique d’un monde qui cherche obstinément à se réconcilier par le spectacle d’une clarté totale des rapports entre l’homme, les hommes et la Nature». Les cimes. Et la démonstration même.

(1) Petite statistique. Depuis 1990, tous les coureurs qui occupaient la tête du général après la 17e étape ont conservé le maillot jaune jusqu’à Paris… hormis lors de l’édition 2006, suite au contrôle positif de Floyd Landis.
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 21 juillet 2011.]
 
(A plus tard...)

2 commentaires:

Goasmat a dit…

Le trés manichéen Ducoin doit être heureux. Le méchant Contador s'est fait larguer, hier. 2 possibilités s'offrent au chroniqueur:

-Cracher une fois de plus son mépris, en soulignant que les flics de l'anti-dopage font enfin bien leur travail

-Souligner que l'enchainement Giro-Tour devient de plus en plus délicat à réaliser, comme l'avaient déjà constaté Basso et Evans l'an dernier

Je me demande laquelle il choisira...Par contre, on peut aisément deviner la teneur du commentaire qui aurait été tenu si le méchant ibérique avait réalisé l'exloit:

-Dopage, Puerto, Batteries rechargées, Pas bien, Contrôles inefficaces

Concernant Saint Thomas, il serait intéressant de comparer ses montées de Beille 2004 et 2011. Il y aurait 3 ou 4' de différence ( malgré le vent de face , cette année )que ça ne me choquerait pas...lui qui a déjà franchi un sacré palier en rendant un trés joli 426 Watts, dans la montée d'Allevard, sur le récent Dauphiné. Pour quelqu'un qui atteignait son plafond à 390 Watts, la progression est remarquable, à 32 ans révolus.

On peut regretter la tendinite de Christophe Kern. Un trio Voeckler, Rolland, Kern, ça aurait eu de la gueule...

Anonyme a dit…

Visiblement, l'internaute précédent n'a pas beaucoup lu les articles de Ducoin depuis le départ du Tour, car, au contraire, je trouve pour ma part que Ducoin écrit des choses admirables sur l'Espagnol, qu'il est l'un des rares à ne pas avoir enterré, appuyant son argumentation sur la psychologie du personnage. Il n'y a rien de manichéen là-dedans, au contraire !!!
MICHEL