dimanche 30 octobre 2016

Fait(s): croyances historiques et réalités religieuses...

Quand Régis Debray décide d'inquiéter nombre de lieux communs. "Parce que, dit-il, nous nous berçons de mots, toujours les mêmes, et que ces mots nous trompent, surtout quand on s’évite de les définir."
 
Clarifier. Attention: chef-d’œuvre. Il n’est pas rare que le bloc-noteur fasse la promotion enflammée d’un livre de Régis Debray. Ne lire dans ces mots aucun mea culpa ni acte de faiblesse emprunte d’amitié et d’admiration, puisqu’il s’agit, une fois encore, de promouvoir des idées et toujours des idées. Par les temps qui courent… L’été dernier, les auditeurs de France Culture ont découvert, ébahis, les prestations du philosophe et médiologue, invité au micro pour deux séries de conférences, l’une sur l’histoire, l’autre sur la religion. «Cela m’a permis, écrit Régis Debray, de résumer et clarifier les travaux un peu compliqués que je mène depuis quelques décennies sur nos affaires temporelles et spirituelles.» L’ouvrage que publient les éditions Gallimard, intitulé "Allons aux faits" (244 pages, 18 euros), transcrit pour l’essentiel ces heures d’écoute prodigieuses. Le but: «Inquiéter nombre de lieux communs, ce qui n’est jamais plaisant. Pourquoi? Parce que nous nous berçons de mots, toujours les mêmes, et que ces mots nous trompent, surtout quand on s’évite de les définir.» Ainsi, «La fable historique» et «Le fait religieux» s’en trouvent déconstruits à l’aune de perspectives quelque peu renversées. «L’histoire, ultime recours et ­suprême pensée? se demande-t-il. Oui, mais quelle histoire? à quelle fin? et avec quels a priori?» Quand Nietzsche distinguait, à son époque, trois sortes d’histoire – la monumentale, celle des pères ; l’antiquaire, celle des érudits ; la critique, celle qui libère du passé –, Debray en ajoute au moins deux autres: «L’aînée de la famille, l’histoire comme “objet d’étude”, pointilleuse et patiente, celle des fouilleurs d’archives, de Thucydide à Fernand Braudel, l’histoire-science des professeurs. Nous connaissons, par ouï-dire, ses oublis et ses lacunes. (…) Il y a une autre histoire encore plus altière, qui regarde nos vicissitudes du haut d’un belvédère, c’est l’histoire “objet de médiation”, celle dont on attend des leçons, des oracles, et même un sens de la vie. Celle des philosophes, de Vico à Karl Marx en passant par Hegel. C’est l’histoire de “l’humanité comme un seul peuple”, “la grande journée de l’Esprit” qui va d’est en ouest, la Bible de l’humanité.»
 

Interrogations sur le climat politique

Chacun aura compris que la tâche historique qui nous incombe reste de reconstruire la gauche, si possible en un temps record, de renverser la table, d’en finir avec l’hégémonie du Parti socialiste...

Juppé-Sarkozy, Hollande-Valls, primaires à gogo dont l’une d’elles serait, nous dit-on, jouée d’avance, sans parler de ces controverses sécuritaires nourries par une actualité «police» et «migrants» abondante, et nous voilà mangés par trois interrogations au moins. Primo: à qui profite la course quotidienne aux sondages? Secundo: qui a intérêt à l’hystérisation idéologique du débat public? Tertio: les polémiques concernant le président de la République à la suite de ses confidences au long cours – pour certaines accablantes – faites à deux journalistes sont-elles factices ou tactiques, ce qui, en tous les cas, accable l’action politique? La plupart des commentateurs semblent tellement accaparés par l’écume des politicailleries du moment qu’il y a tout lieu de penser qu’ils en oublient une quatrième question, peut-être la plus fondamentale: et si les Français étaient moins sensibles qu’on ne le croit aux discours dominants et se préoccupaient plus des thèmes économiques et sociaux, du chômage et de leurs conditions de vie de plus en plus précaires, et moins aux battages médiatiques incessants qui ignorent les vraies souffrances du peuple?
 

vendredi 21 octobre 2016

Fasciste(s): à la source des dérives actuelles

Grâce aux éditions Demopolis, nous pouvons revisiter le texte de Mussolini, "Le Fascisme", pour comprendre l’histoire et aujourd’hui...
 
Nationalisme. Fascisme, fascistes, fachos. Des sombres «matins bruns» aux «retours aux années 1930» ressassés çà et là périodiquement, hurlons-nous trop aux loups? Ces mots ont-ils encore un sens exact, précis, référencé? En somme, qu’est-ce que le fascisme? Quelle en fut la doctrine politique? Dans quelles circonstances historiques émergea-t-il? Et surtout, quel rapprochement opérer avec aujourd’hui? Les livres de salubrité publique sont trop rares pour les passer sous silence. Les éditions Demopolis publient cette semaine, non sans courage, l’intégralité du tristement célèbre texte de Mussolini "le Fascisme" (104 pages, 12 euros), écrit en 1932 pour "la Nouvelle Encyclopédie italienne". Il constituait à l’époque le début de l’article «Fascisme», paru en France en 1933 chez Denoël, l’éditeur du "Voyage au bout de la nuit" de Louis-Ferdinand Céline et d’auteurs comme Rebatet ou Brasillach. Pour la présente publication, Demopolis ne nous laisse pas sans repères. Outre un «avertissement aux lecteurs», dans lequel nous sommes invités à ne jamais oublier que «des crimes contre l’humanité ont été commis en application de cet ouvrage» et que «les manifestations actuelles de haine et de xénophobie participent de son esprit», deux spécialistes ont été requis pour commenter, en préface et en postface, ces lignes qui ont accouché du pire au XXe siècle: Gérard Mordillat, écrivain et cinéaste, et Hélène Marchal, historienne et traductrice. «La publication de ce livre, écrivent-ils en préambule, doit permettre aux lectrices et lecteurs curieux, et parfois inquiets des évolutions du monde contemporain, de se forger leur propre opinion.» Voilà bien le défi. Et l’importance de savoir de quoi il s’agit précisément. Ainsi, le fascisme est une forme particulière de nationalisme, car «il n’y a pas de fascisme sans nationalisme mais il y a différentes formes de nationalisme qui ne sont pas du fascisme». De même, attention aux contresens: contrairement au libéralisme, le fascisme selon Benito Mussolini est une forme de nationalisme qui exalte le rôle central de l’Etat («l’État fasciste est une force, mais une force spirituelle qui résume toutes les formes de la vie morale et intellectuelle de l’homme», écrivait le dictateur), tout en affichant un programme social et en se prétendant «ni de droite ni de gauche», ce qui ne manque pas de nous rappeler beaucoup de débats en cours. Vous suivez notre regard? 
 

samedi 15 octobre 2016

Lettre(s): l'amour et ses secrets...

Le grand destin de François Mitterrand: son amour absolu pour Anne Pingeot. De 1962 à 1995, il lui a déclaré sa flamme, dans plus de 1 200 lettres. Celles-ci paraissent aux éditions Gallimard.


Talent. Il convient parfois de commencer par la fin, bien que cette fin s’inscrive dans un continuum éternel, non quantifiable: «Tu as été ma chance de vie. Comment ne pas t’aimer davantage?», écrit François Mitterrand, le 22 septembre 1995, à Anne Pingeot. Cette «chance de vie» et ce verbe «aimer», l’un et l’autre déclinés durant plus de trente ans, sont inaliénables par-delà le temps, à peine mangés au seuil de la mort, quand l’incandescence d’une relation inatteignable redevint ce qu’elle fut: une union absolue, mais, à bien des égards, impossible à assumer pleinement, sauf dans le secret de l’Amour même, que nous découvrons, stupéfaits, en ampleur, en persistance, en continuité et en unicité… De 1962 à 1995, François Mitterrand a déclaré sa flamme à Anne Pingeot, de vingt-sept ans sa cadette, dans plus de 1 200 lettres. Celles-ci paraissent cette semaine aux éditions Gallimard. S’y jeter à corps perdu, les yeux souvent humides, s’avère un acte de foi en littérature autant qu’en politique. Aussi étrange que cela soit, aussi dérangeant, l’homme Mitterrand avait le goût des Lettres en majuscules et la passion du cœur qui manqua si fréquemment au président. Entendez-nous bien, juste pour ce que cela vaut: cette correspondance amoureuse, par sa longévité, son exclusivité et surtout sa qualité littéraire, défie au-delà de tout la raison politique, tout en lui donnant un relief singulier, une motricité propre et ambiguë. Comment, en effet, l’animal politique Mitterrand, que nous avons tant détesté (et pour cause!), pouvait-il cacher à ce point son talent pour l’amour, et les mots pour le dire? L’écrivain Mitterrand s’y lit, magistralement. Comme si nous devions, sur le tard, et improprement, de manière segmentée, le réévaluer à la hausse, au moins par comparaison avec ses successeurs, lui qui vénérait la langue française à s’en damner.

mardi 11 octobre 2016

Les quartiers populaires ont besoin d’un choc de dignité

Nous parlons là de territoires de la République en décrochage, où la grande pauvreté et les conditions d’existence atteignent un tel degré d’atomisation sociale que les faits et gestes élémentaires de la vie quotidienne sont empêchés ou laminés.
 
Cité de la Grande Borne.
C’est toujours la même histoire, la même dialectique: s’indigner sans stigmatiser, tout en regardant la réalité de face, dans toute sa brutalité, en chassant autant que possible cette part d’émotionnel médiatique et politique qui ruine souvent toute pensée raisonnée. Trois jours après l’attaque terrifiante contre des policiers à deux pas de la Grande Borne, cité à cheval entre Viry-Châtillon et Grigny, les interrogations s’enchâssent tellement les unes dans les autres qu’il faudrait revenir à la source de tous les maux pour y comprendre quoi que ce soit. Car, enfin, que se passe-t-il vraiment pour que des enfants de la République – attendons les résultats de l’enquête – en viennent non pas à caillasser de loin un véhicule par colère ou haine, mais tentent, par des moyens odieux, d’assassiner des fonctionnaires dans l’exercice de leurs missions? Nous parlons là de territoires de la République en décrochage, où la grande pauvreté et les conditions d’existence atteignent un tel degré d’atomisation sociale que les faits et gestes élémentaires de la vie quotidienne sont empêchés ou laminés. Chômage de masse, précarité, paupérisation, destructions des services publics… Que deviennent dès lors nos jeunes – qu’ils soient héritiers de l’immigration ou non – au gré d’une société inégalitaire, d’une éducation à la dérive et d’un monde où seul est glorifié le culte du fric de rue et des trafics?
 

2017: idées de campagne

Du point de vue des communistes, qui n’entreront donc pas en campagne comme tout le monde, une formule résume leur état d'esprit: «Notre candidat, c’est le programme.»
 
Les Français de la gauche de transformation, engagés corps et âme pour qu’un véritable changement de paradigme politique et social voie enfin le jour, disposent d’une ample mémoire, d’une immense fidélité. Ils savent même se fixer un horizon. Et ils le disent. Du moins une partie d’entre eux, qui viennent d’exprimer jusque dans le détail ce qu’ils souhaitent profondément pour notre pays en vue de la séquence électorale. 65.000 de ces irascibles qui, de près ou de loin, sont attachés aux idées communistes et à l’avenir – conceptuel et pratique – du Front de gauche en tant que rassemblement possible des forces alternatives ont ainsi répondu à un vaste questionnaire, intitulé «Que demande le peuple?», qui foisonne de sens commun dont les traits forts (reprendre le pouvoir sur la finance, une autre République, égalité, une France protectrice et solidaire, produire autrement, changer l’Europe) devraient résonner dans le cœur de tous les progressistes.
 

jeudi 6 octobre 2016

Mort(s): ces douleurs extrêmes si tenaces...

Quatre Français sur dix se sentent «en deuil». En deuil de quoi ?

Deuil. La mélancolie est parfois une œuvre d’art: la seule dont soit capable un individu dans ses aliénations, celles enfantées par ses douleurs extrêmes. Que nous sachions l’accepter ou non, nous sommes tous dans la souffrance de quelque chose, plus ou moins inconsidérément, orphelin de quelqu’un, d’un amour impossible, d’une quête incertaine, d’un Graal qui, pour mille raisons, s’évapora peu à peu de nos esprits. Nous croyons-nous responsables de ces tourments? Comment les juguler? À peu près sur le même thème, un article de la Croix, cette semaine, a jeté le bloc-noteur dans un profond désarroi. Le saviez-vous? Quatre Français sur dix se sentent «en deuil». Notre étonnement ne provient pas de la statistique elle-même, révélée par le Credoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie), mais du fait que cette réalité est largement passée sous silence. Le sociologue Tanguy Châtel l’explique au journal: «Si les effets psychiques du deuil sont bien documentés, les études sociologiques sont rares et les pouvoirs publics ne semblent guère s’y intéresser. Souvent, l’item n’est pas reconnu comme tel dans ces bases de données statistiques.» Une sorte d’indifférence. Que nous vivons nous-mêmes, incapables que nous sommes à admettre nos propres peines, à les regarder en face, à les traiter. D’autant que ces deuils – quels qu’ils soient! – peuvent durer longtemps. «Un tiers des deuils considérés comme en début de processus datent de plus de cinq ans», note le Credoc. Des maladies longues. Pathologiques. «Le survivre est un concept qui ne se dérive pas», expliquait Jacques Derrida ("Sur parole. Instantanés philosophiques", éditions de l’Aube, 1999). 

mardi 4 octobre 2016

Alstom : l’Etat loin du compte…

L’impression de bricolage de ce plan conçu à la va-vite nous donne un sentiment de médiocrité et de sauvetage temporaire, comme si l’urgence électorale constituait l’unique boussole.
 
Alstom Belfort respire… pour quelques mois. Disons, jusqu’aux élections du printemps prochain, peut-être jusqu’en 2018, date initiale à laquelle la direction souhaitait sacrifier le site. Prenons acte: cette fois, personne ne pourra reprocher à François Hollande d’avoir lâché son constructeur national, comme il l’avait fait à Florange avec les ArcelorMittal. Accordons un minimum de crédit à l’initiative gouvernementale – comme quoi, cela se peut! – pour remplir les carnets de commandes d’Alstom et maintenir la production de Belfort, sauvant 480 emplois et bloquant pour l’heure la dévitalisation programmée du territoire. Notons au passage que rien ne serait arrivé – ni les quelques reculs des dirigeants du groupe ni ces annonces – sans la forte mobilisation des salariés, de leurs représentants syndicaux, ainsi que de la population, ce qui permit de transformer le dossier en emblème stratégique national. Et c’est bien le cas. Voilà pourquoi l’impression de bricolage de ce plan conçu à la va-vite nous donne un sentiment de médiocrité et de sauvetage temporaire, comme si l’urgence électorale constituait l’unique boussole, comme si l’État actionnaire, qui n’a soi-disant rien vu venir, cédait au chantage à l’emploi honteusement pratiqué par une entreprise roulant sur l’or. L’État est loin du compte. Non seulement il refuse d’utiliser la puissance de son bras séculier, mais ce rafistolage à court terme, qui vise à sauver les apparences, ne constitue en rien une réelle stratégie industrielle.
 

dimanche 2 octobre 2016

Possible(s): mais oui, qui décide de ce qui est possible?

Entre Zola et Cézanne, l'amitié et les conflits furent créatifs, et leur langage eut une coloration propre. Et en politique aujourd'hui? Pour Alain Badiou, il est temps de "se réapproprier un langage de combat pour modifier le contexte".
 
Les deux Guillaume, Gallienne et Canet.
Génies. Qui décide de ce qui est possible? Et comment? Et avec qui ? Quand l’histoire nous enseigne souvent la vérité des choses, quelques personnages de l’histoire nous instruisent, eux, des mystères de la création et des processus qui se mettent en cours au-dedans d’eux et au-delà d’eux-mêmes, poussés par autrui et les orgueils conjugués, comme si les aventures singulières d’hommes hors normes devaient encore nous dorloter avec de fausses croyances immuables, la foi, l’amour, la loyauté, la fidélité, l’amitié. Allez voir à tout prix le dernier film de Danièle Thompson, Cézanne et moi, qui narre l’étonnante relation qui lia, pour le meilleur et pour le pire, deux génies du XIXe siècle, venus l’un et l’autre échouer leurs vies à l’orée du XXe. Paul Cézanne (magistral Guillaume Gallienne) et Émile Zola (admirable Guillaume Canet) se vouèrent un lien si puissant qu’il dura toujours. Presque. Nous le savons: l’amitié se veut supérieure à l’amour dans la mesure où n’y entrent pas des sentiments de jalousie, de rancœur, de calcul d’ego. Foutaise. Paul, fils de riche, et Émile, très tôt orphelin de son père, ne se quittèrent jamais vraiment. Ces deux camarades de collège d’Aix-en-Provence formulèrent des rêves communs. L’un serait peintre, l’autre poète ou écrivain. Cézanne disposa d’une rente familiale, quoique modeste. Zola bouffa les pissenlits jusqu’à la racine. Mais ils étaient heureux. Dès l’adolescence, leur amitié ne cessa de nourrir l’œuvre picturale de l’un, le travail romanesque de l’autre. L’inspiration vint, ou pas, et se prolongera longtemps, ou pas, sur les sentiers conduisant à la montagne Sainte-Victoire, laquelle fut peinte une quarantaine de fois par Cézanne, comme s’il ne lui fallut jamais cesser de la comprendre. Les deux hommes grandirent, se mesurèrent, se comparèrent, ils étaient les mémoires vivantes de l’autre, identiques. Ils s’aimaient. Et le succès vint: pour Zola. Pas pour Cézanne. Chacun traça son sillon. Émile à Paris. Paul dans le Sud. Une correspondance foisonnante s’installa (lire "Lettres croisées", 1858-1887, éditions Gallimard) et, dans le secret de leur intimité, chacun tenta de hisser l’autre. «J’aurais voulu peindre comme tu écris.» «Crois-tu que moi, je ne me lève pas la nuit pour changer une virgule?»