dimanche 28 septembre 2014

Chrétien-athée(s): ce que l'écrivain peut encore nous dire

Emmanuel Carrère est accusé, dans le Royaume, d’abuser du « je».
 
Ils. Rassurez-vous, le bloc-noteur ne défendra pas ici toutes les excroissances de la littérature en tant qu’exception (culturelle) totale sinon définitive, même si le romancier seul possède sans doute cet art coutumier d’utiliser la «clé des portes closes» (Louis Aragon), aptes à dévoiler la réalité, puisque, chacun devrait le savoir, «il n’y a pas de vérité, il n’y a que des histoires» (Jim Harrison). Pour répondre à la question, à laquelle il ne s’était peut-être pas assigné : où est la frontière entre la littérature et le réel?, Emmanuel Carrère a donc décidé, dans le Royaume (POL), d’entretenir l’ambiguïté. S’agit-il d’un roman? D’un essai? D’une enquête? La réponse importe peu, sauf pour de nombreux commentateurs qui souhaitent absolument faire la distinction entre ce que l’auteur «imagine», verbe fréquemment usité dans le livre, ce qu’il pense, et son souci, presque comme «un historien», de «démonter les rouages d’une œuvre littéraire», comme l’écrit Emmanuel Carrère lui-même.  

dimanche 21 septembre 2014

Ami(s): éloge des artistes de la Fête

La compagnie Lubat et tous ceux qui l’accompagnent anticipent cette mémoire collective d’un monde réinventé qui universalise l’écoute.
 
Vérité. Quelque chose dans l’air avait cette transparence et notre goût du bonheur partagé séchait nos larmes, tant et tant que nous savions, déjà, que cette abondance au cœur de l’essentiel coulerait aussi longtemps que possible, tel un ruisseau. La Fête de l’Humanité, qui n’entretient pas le culte du patrimoine mais l’art majuscule d’être-des-vivants-ici-maintenant, n’est jamais l’étude d’un passé tôt regretté (encore que), mais celle des hommes dans leur durée, ceux qui patiemment s’attellent à leur propre dépassement… Chers lecteurs, vous l’avez compris. Les lendemains de Fêtes se prêtent volontiers aux boursouflures de style rehaussées du soupçon légitime d’en rajouter dans l’allégresse et le pathos. Non, l’esprit laudateur ne nous habite pas. Si le bloc-noteur s’arroge le droit – et pour le coup le devoir – d’user de phrases pour dire sa passion du «peuple de la Fête» et de ceux qui s’y produisent, c’est que l’heure de vérité a sonné. Car, voyez-vous, l’effort librement consenti rend libre.

mardi 16 septembre 2014

Déliquescence(s): doit-on parler de socialistes non-socialistes?

Avec certains socialistes, il y a tricherie autant sur l’intime-en-politique que sur l’idée-en-politique.

Vice. Lorsque les puissants – les vrais, ceux qui se considèrent au cœur et aux commandes du monde – acquièrent la certitude, consciemment ou non, qu’ils ont perdu en centralité une partie de leur pouvoir, ils procèdent souvent eux-mêmes à un étonnant tête-à-queue: ils donnent des leçons à la terre entière alors qu’ils ont définitivement épuisé tout sens de l’intérêt général. La plupart des socialistes au pouvoir nous donnent cette impression. Chaque semaine qui passe offre le spectacle écœurant d’une déliquescence d’autant plus spectaculaire qu’elle révèle un double vice de forme: il y a tricherie autant sur l’intime-en-politique que sur l’idée-en-politique, de sorte que la nature même de l’engagement paraît, sinon suspecte, du moins problématique. Ainsi pouvons-nous sérieusement nous interroger sur les raisons qui, un jour, en ont poussé certains à devenir «socialistes», à le revendiquer, à prendre une carte estampillée PS, puis, c’est souvent là l’essentiel, à vouloir coûte que coûte représenter le peuple, à devenir élu sous cette étiquette «de gauche» et un jour pourquoi pas ministre. Être socialiste ne serait donc qu’une affaire d’aiguillage? Quel bon quai faut-il prendre? Tiens, pourquoi pas le PS? Comme le dit souvent Régis Debray «Jadis on voulait faire quelque chose, aujourd’hui on veut être quelqu’un.» De quoi expliquer qu’on puisse être premier ministre «socialiste» et préférer Clemenceau à Jaurès…


La confiance, mais quelle confiance?

Le premier ministre Manuel Valls va donc réclamer la «confiance», lors d’un vote qui ne devrait réserver aucune surprise. Pressions et basses manœuvres n’ont pas manqué depuis des jours pour empêcher que la défiance, écrasante dans tout le pays, s’exprime pleinement jusqu’au Parlement.

Parce qu’il diffuse de la mémoire vigilante et du «partage» qui nous hisse au-delà de nous-mêmes, l’après-Fête est notre meilleur allié pour trouver la force du grand retournement de la conscience collective. Trois jours de succès populaire et d’espoir revisité, durant lesquels la liberté, l’authentique liberté, a tenté de chasser la paralysie et la peur. Dans le contexte de désarroi dramatique du peuple de gauche, sidéré et exaspéré par la politique libérale de Hollande-Valls, le rendez-vous de La Courneuve, terre défrichée du «nulle part ailleurs où il faut être», a peut-être marqué un tournant politique.

jeudi 11 septembre 2014

Pauvreté, miroir des échecs politiques

Méfions-nous de certains chiffres. Et plus encore de leur éventuelle interprétation. Selon des statistiques publiées hier par l’Insee, la pauvreté toucherait légèrement moins de Français. Il y aurait tout lieu de croire que la situation s’améliore. Grave erreur ! Cette statistique n’est qu’un trompe-l’œil. Entre 2008 et 2011, près d’un million de personnes supplémentaires étaient passées en dessous du seuil de pauvreté. Si cette tendance a subi une «pause» en 2012, les auteurs du rapport ne cachent pas que la pauvreté «gagne en intensité», d’autant que le niveau de vie médian a, une nouvelle fois, baissé de 1%. Les plus pauvres sont de plus en plus pauvres ; les plus riches, de plus en plus riches. Quant au principal chiffre, il donne le vertige: 8,5 millions de Français, près de 14% de la population, vivaient avec moins de 987 euros par mois en 2012. Comment ne pas croire que, depuis, cette situation s’est encore aggravée? Résumons donc la réalité d’une simple formule: la majorité des Français continue de s’appauvrir, dans des proportions qui signent l’état d’urgence absolue.

vendredi 5 septembre 2014

Anachronisme(s) : à propos d'un ministre banquier

Avec Emmanuel Macron, le libéral reste d’abord libéral. Socialiste ou non. Ou plutôt non-socialiste.
 
Macron. Surtout, n’y voir aucune improvisation. Si la nomination à Bercy d’Emmanuel Macron fut accouchée lors d’une crise gouvernementale d’été aussi imprévue que spectaculaire, son atterrissage à l’un des postes clés, l’économie, n’a rien d’un anachronisme dans la Hollandie quinquennale. Énarque comme son mentor, proche de Jacques Attali et de Jean-Pierre Jouyet, pour lequel «c’est le meilleur d’entre nous» (sic), l’ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée, qui se rêvait, à trente-six ans, en secrétaire d’État au Budget, arrive donc comme un point d’exclamation au milieu du sauve-qui-peut, répondant, par son seul profil, à l’une des interrogations des socialistes concernant l’identité de l’exécutif: le social-libéralisme de Normal Ier a bel et bien choisi son camp. Sans doute définitivement. Celui de la finance, des banquiers, du libéralisme à tout-va, du pacte avec le patronat, bref, de cette gauche dite «de gauche» et qui se prétend encore «de gauche» en se targuant de « modernité » pour justifier la régression sociale et la réduction constante du périmètre de la République dans ses prérogatives jadis sacrées. Emmanuel Macron explique qu’il «n’est pas interdit d’être de gauche et de bon sens». 

mardi 2 septembre 2014

Autoritarisme social, la porte à droite

Quand François Rebsamen, le ministre de Travail, stigmatise les chômeurs...

Mais à quoi est donc due cette morbide dérive qui signe la trahison à chaque répétition? Il y a, dans les éclats crépusculaires d’un été finissant, quelque chose qui procède de la clarification. Dans le rôle du factotum libéral décrispé, demandez cette fois François Rebsamen, ci-devant ministre du Travail, poste qui, jadis, enivrait d’ambitions sociales n’importe quelle personnalité de gauche. Les temps changent, car voyez-vous, si le chômage continue de progresser, c’est sûrement que les chômeurs eux-mêmes portent une responsabilité. Voilà ce que pense M. Rebsamen, pour lequel la priorité serait de « renforcer le contrôle des chômeurs », puis de radier à tour de bras. Le problème n’est plus le chômage mais les chômeurs. C’est donc ça, un ministre socialiste? Stigmatiser, sanctionner pour faire baisser les courbes, utiliser une rhétorique thatchérienne?