jeudi 25 juin 2015

La dignité des Grecs

Le peuple grec tient bon. L’heure est grave. Car cette bataille courageuse et historique au sein de l’UE peut permettre de renverser la logique délétère de l’austérité pour l’austérité.
 
N’écoutez pas les eurocrates, ils n’ont à la bouche que les mots «renoncements» et «concessions», ce qui masque mal leur volonté d’humiliation et de régression sociale. À les entendre s’époumoner, Alexis Tsipras aurait donc «plié» face aux usuriers qui saignent la Grèce depuis des années, au point de laisser cette fois la «porte ouverte» à un accord. Si le premier ministre grec a en effet formulé des propositions concrètes –qui devront être acceptées par son Parlement–, n’importe quel observateur sérieux doit reconnaître que le ton de ceux qui veulent mettre à genou le peuple hellène vient de changer. Une brèche vient-elle de s’ouvrir? Alors que depuis cinq mois les institutions européennes, au mépris de toute logique, refusaient de négocier vraiment avec le gouvernement grec élu démocratiquement, essayant de le faire capituler et de le contraindre à renoncer à son programme, Alexis Tsipras a tenu ferme sur des exigences qui constituaient autant de lignes rouges à ne pas dépasser, comme le refus d’augmenter la TVA sur les produits de première nécessité ou de l’énergie, un souhait du FMI.

vendredi 19 juin 2015

L'article de "Lirelesport" sur mon dernier livre

Article invité, par Saraypaco.

Bernard, François, Paul et les autres (éditions Anne Carrière).

1985, c’est un peu la fin de tout, et le début d’une ère nouvelle. 1985, c’est l’année où l’on a retrouvé l’épave du Titanic, c’est l’ouverture des Restos du Coeur par Coluche, c’est l’année où Michel Audiard nous a quitté et où Bernard Hinault a remporté son cinquième Tour de France. 985, c’est aussi l’année où Jean Emmanuel Ducoin et son grand-père ont suivi le Blaireau en Simca 1000 sur toutes les routes de France. Un voyage initiatique ou le rêve s’est confronté à la réalité, où l’homme a décidé de devenir journaliste et où la France a perdu certains de ses idéaux.
«Pour les champions d’exception, l’exploit n’est pas de réaliser ce que les autres les croient incapables de faire, mais de réaliser ce qu’eux-mêmes pensent ne jamais pouvoir réaliser.» 

Pense-bête(s): l'homme sans étiquette

Nous voudrions ne donner qu’à lire. Mais cela n’impressionne plus guère.

Passé. Dans notre rêverie imagée – où Julien Gracq croiserait un Maurice Blanchot qui lirait du Paul Valéry en écoutant du Brassens –, nous cherchons l’air à grandes bouffées comme si nous voulions aspirer le soleil de notre enfance tout en essayant de répondre à l’un des sujets du bac philo de cette semaine: «Suis-je ce que mon passé a fait de moi?» Nous sommes tous semblables. Forts en apparence, jamais avares de représentation pour nous conjurer nous-mêmes ; faibles à l’intérieur ; toujours à la merci des soubresauts tempétueux qui animent nos tourments dans le déroulé des jours en fuite. Creuser le passé, c’est creuser l’imagination. Marteler l’actualité, c’est marteler les consciences. Demander comment va le monde, c’est demander l’impossible. Et puis déchiffrer la langue, inlassablement, c’est déchiffrer notre propre mystère…

mardi 16 juin 2015

49-3, la force des faibles

En bâillonnant le Parlement et en imposant ce procédé grossier du 49-3, l’exécutif vient de montrer à ceux qui en doutaient son échec et son extrême faiblesse, symbolisée par la perte d’une majorité assurée.
 
Les vrais traîtres, ça ose tout; c’est même souvent à ça qu’on les reconnaît. Voici donc la démocratie parlementaire, selon Manuel Valls. Il était 14h25 à l’horloge de la représentation nationale, hier, quand le premier ministre a annoncé aux députés qu’il recourait à l’article 49-3 de la Constitution, tuant dès le premier jour toute possibilité de discussions sur le projet de loi Macron. Si l’affaire était, hélas, entendue, elle n’enlève rien au caractère à la fois surréaliste et gravissime de l’acte en lui-même. Non seulement il entrave l’esprit républicain censément incarné à l’Assemblée nationale, mais il creuse un peu plus le fossé entre les citoyens et la légitimité de la parole publique. Manuel Valls, qui parle «d’efficacité pour l’économie» afin de justifier l’injustifiable, confond une fois de plus autorité et autoritarisme.
 

vendredi 12 juin 2015

Déshumanisation(s): Vincent Lindon en incarnation de la chair à canon du libéralisme

La Loi du Marché de Stéphane Brizé : une plongée sociale, radicale et expérimentale.
 
Scène I. Un film expérimental à visée sociale est-il réductible à sa seule écriture cinématographique? Doit-on considérer que la pertinence d’une critique puisse se résumer à l’arc narratif d’une œuvre filmée, quelle qu’elle soit, en tant qu’exposition artistique? Un long métrage qui empoigne la réalité sociale dans toute sa brutalité et prétend «montrer quelque chose» à mi-chemin entre la fiction et le documentaire doit-il être descendu en flammes, non précisément pour ce qu’il «montre» ou la manière de le «montrer», mais uniquement pour son genre même, à savoir «un film social à la française», comme on le dit souvent avec condescendance? Ces questions et bien d’autres jaillissent dans vos cerveaux en fusion, après que vous avez assisté à une projection de la Loi du marché, de Stéphane Brizé, qui a valu à son acteur principal, Vincent Lindon, le prix d’interprétation à Cannes – récompense audacieuse et méritée. Vous éprouvez d’abord un malaise de spectateur lambda, un malaise inouï, assez indéfinissable au début, qui se transforme progressivement en fascination au fil des plans fixes et des scènes qui s’accumulent sous vos yeux enfoncés, tandis que vous suivez le parcours de Thierry, 51 ans, chômeur dit de longue durée, au gré des humiliations subies, d’abord dans sa recherche d’emploi, puis après, quand il obtient un poste de vigile dans un supermarché.
 

jeudi 4 juin 2015

Patrick, Jean-Emmanuel, Bernard et le Hareng

L'article de l'écrivain Bernard Chambaz sur mon nouveau livre.
 
Bernard, François, Paul et les autres est un titre qui fleure bon le cinéma français des années soixante-dix, de la crise avant la crise. C'est un récit qui nous plonge au cœur de la décennie suivante.

Bernard, François, Paul et les autres…
De Jean-Emmanuel Ducoin,
éditions Anne Carrière, 210 pages, 18 euros.
 
Ce récit de Jean-Emmanuel Ducoin balance entre plusieurs genres, ce qui contribue à en faire la richesse et la profondeur, le rend différent de son Go Lance (Fayard, 2013, prix Jules Rimet) et, bien entendu, de son Soldat Jaurès (Fayard, 2015). C'est un récit sensible, explorant le feuilleté de la mémoire, individuelle et nationale. Sa dédicace rappelle la rose et le réséda et fait du vélo une espèce de ciel laïc. A ceux qui y croyaient et A ceux qui y croient encore, sans que rien ne nous empêche d'émarger dans les deux camps. Le motif en est le Tour de France qui est le temple de la discipline. Il écrit donc sur le motif, à la façon d'un peintre qui trimbale son chevalet dans la campagne, Cézanne autour de la montagne Sainte-Victoire, ici un adolescent et son grand-père en balade, sur des chemins plus ou moins de traverse, pour suivre le Tour. Pas n'importe lequel, nous embarquons pour celui de 1985, le cinquième gagné par Hinault, le dernier ga­gné par un coureur français.
 

Footballistique(s): éloge impossible

Pourquoi parler encore de football et de philosophie de jeu à l’heure des scandales de la Fifa?
 
Le génie Lionel Messi.
Socialisme. Connaissez-vous John Galbraith? Mort en 2006 à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans, cet économiste américano-canadien, qui se définissait lui-même comme un «keynésien de gauche» – capable de critiquer la théorie néoclassique de la firme tout autant que la souveraineté du consommateur ou le rôle autorégulateur du marché –, s’était non seulement illustré en conseillant Roosevelt ou Kennedy, mais, surtout, dans ses Chroniques d’un libéral impénitent (Gallimard, 1981), il avait trouvé une formule définitive qui nous correspond tellement bien que nous aurions voulu l’inventer. Pour Galbraith, ce qu’il appelait le «socialisme moderne» et pour lequel il avait finalement peu d’empathie était à l’évidence «né d’un goût maladif pour les sports collectifs». En découvrant cette citation au hasard d’une lecture nuitamment avancée, il était impossible au bloc-noteur enfiévré de ne pas penser à Bill Shankly, le légendaire entraîneur de Liverpool (1959-1974), qui avait théorisé jusqu’au terrain sa vision marxiste et progressiste d’entrevoir le monde. Shankly affirmait sans détour: «Le véritable socialisme, c’est celui dans lequel chacun travaille pour tous les autres, et où la récompense finale est partagée équitablement entre tous. C’est ainsi que je vois le football et c’est ainsi que je vois la vie.» 
 

mercredi 3 juin 2015

L'heure de la footballution?

Le football? Une allégorie de notre temps. Un marqueur indissociable de nos sociétés soumises aux mœurs de l’économie globalisée.
 
Le départ annoncé de Joseph Blatter a curieusement jeté le monde du football dans la stupéfaction. La position du grand parrain du sport le plus rentable de la planète business, malgré sa réélection triomphale à la tête de la Fifa, était devenue moralement injuste et intenable. Depuis l’arrestation fracassante de sept hauts dirigeants de l’institution par la police suisse dans le cadre d’une enquête ouverte par la justice américaine, il ne se passe pas un jour sans que des preuves d’«escroquerie», de «racket» ou de «blanchiment d’argent» viennent confirmer ce que nous savions. Sentiments d’impunité totale, tricheries, humiliations: les scandales de la Fifa n’ont pas fini d’éclabousser les bonnes consciences drapées dans leur vertu. Les méfaits de cette pieuvre ont entraîné le football «à la papa» dans le caniveau de toutes les corruptions. Au stade suprême du capitalisme, le foot s’est érigé en laboratoire libéral, l’un des rouages les plus importants de l’industrie du divertissement, à la fois source de profits fabuleux et instrument efficace du soft power marchandisé.