vendredi 26 mai 2017

Reconnaissance(s)

Au Havre, tout le monde n’est pas amnésique et personne n’a oublié André Duroméa.
 
Duteurtre. Les hasards n’en sont jamais vraiment. Tandis que le bloc-noteur s’en revenait d’une escapade normande – avec un arrêt obligatoire au Havre afin de humer l’air du large tout en se laissant bercer par l’architecture géométrique du cœur de ville, édifié sur les ruines de la guerre par Auguste Perret –, la lecture du Monde daté du 23 mai attira l’attention. Et plus encore. L’écrivain Benoît Duteurtre, Havrais de naissance et fidèle, dans ses écrits, à cette ville étonnante dont on ne revient jamais, y donnait une tribune intitulée «L’inspiration havraise d’Édouard Philippe», dans laquelle il narre quelques souvenirs intimes et son amour intarissable de sa cité, devenue «à la mode», croit-il, lorsque les visiteurs «admirent la baie grandiose et les buildings dressés en bordure du port, un peu comme sur les quais de l’Hudson River». Du début des grandes crises économiques, quand «Le Havre était une cité du bout du monde, malgré son trafic marchand et ses raffineries», jusqu’à son classement au patrimoine de l’Unesco en 2005, sans oublier la fin de l’épopée des transatlantiques, symbolisée par le paquebot France, qui «commençait à rouiller dans un canal près des nouveaux terminaux à conteneurs», Benoît Duteurtre tente, avec le talent que nous lui connaissons, de ne rien omettre de ses sentiments profonds pour capter la réalité de la seule ville de l’Hexagone, hors Paris, qui ait donné à notre République deux présidents, Félix Faure et René Coty (arrière-grand-père de l’écrivain). Et désormais un premier ministre…
 
André Duroméa, maire PCF du Havre.
Duroméa. Si Duteurtre convoque Dufy, Monet, Boudin, Braque ou Dubuffet, Gide, Sartre ou Queneau, Arsène Lupin et Alphonse Allais, et quelques chefs-d’œuvre du cinéma (Quai des brumes de Marcel Carné, Le Havre d’Aki Kaurismäki, la Bête humaine de Jean Renoir), il n’oublie pas que, «politiquement aussi (…), cette ville est indissociable de son histoire sociale, ouvrière, commerçante». 

jeudi 25 mai 2017

La vraie vie...

La nouvelle ministre du Travail ne dira rien des chiffres du chômage. Silence dans les rangs. Moins on parle, mieux on se porte. Les quelque six millions de chômeurs répertoriés dans toutes les catégories apprécieront. Sans parler des quatre millions d’«invisibles», radiés et autres laissés à l’abandon, qui n’entrent pas ou plus dans les données officielles...
 
C’est bien connu: les coups de com ne servent qu’à détourner l’attention. Comment interpréter autrement la décision de la nouvelle ministre du Travail, Muriel Pénicaud, de ne plus commenter chaque mois les chiffres du chômage? Au trompe-l’œil des statistiques qui viennent d’être données pour avril – quel crédit accorder à la baisse en demi-teinte annoncée par Pôle emploi pour la seule catégorie A? – s’en ajoute donc un autre, imposé par le chef de l’État en personne. Silence dans les rangs. Moins on parle, mieux on se porte. Les quelque six millions de chômeurs répertoriés dans toutes les catégories apprécieront. Sans parler des quatre millions d’«invisibles», radiés et autres laissés à l’abandon, qui n’entrent pas ou plus dans les données officielles. C’est vrai, quoi, qu’y a-t-il à dire de dix millions de sans-emploi en France, dont l’essentiel viennent grossir les rangs des neuf millions de pauvres recensés…
 

jeudi 18 mai 2017

Anguille(s)

L’Édouard aux mains de droite vient du Havre, il est un proche de Juppé et aime la boxe... Mais que sait-on vraiment de lui? 

Pistes. Méfions-nous des élans spontanés de sympathie. Tandis qu’une litanie de portraits se succède cette semaine afin d’examiner les curriculum vitæ et les caractères des personnages formant cette Arche de Noé gouvernementale inédite, le «Juppé-boy» de Matignon, alias Édouard Philippe, du haut de son 1,94 mètre, attire toutes les lumières comme de vulgaires champs gravitationnels. L’homme, admettons-le sans façon, a tout pour séduire les crédules en quête de destins singuliers propres à certains récits nationaux qui hantent périodiquement les consciences. Pensez donc. Si le député maire LR du Havre s’accommode bien du caractère disruptif de Mac Macron au point qu’il soit jugé «macroncompatible» au dernier degré depuis qu’il s’est transformé en premier de cordée pour «casser les clivages» et «renouveler la politique française» (sic), il possède en effet tous les atours d’une auberge espagnole à lui tout seul. Chacun y apporte à boire et à manger. Tout le monde pourrait presque s’y retrouver. Par bouts… Vous repérez le piège? Énarque sorti «dans la botte» des quinze premiers de sa promotion, ce qui lui valut les grands corps (il opta pour le Conseil d’État), avant d’aller pantoufler chez Areva comme directeur des affaires publiques (entre 2007 et 2010), adjoint et maire du Havre (en 2010) quand la figure tutélaire locale, Antoine Rufenacht, lui laissa le flambeau, et bien sûr proche, très proche d’Alain Juppé duquel il ne se détacha jamais depuis 2002 et la création de l’UMP, le nouveau premier ministre se classe d’abord et avant à droite, dans la pure tradition des élites de ce calibre ayant bûché leurs valeurs cardinales : la finance, la liberté et l’autorité, le triptyque fondamental. Seulement voilà, ce grand commis de l’État cultivé, qui aurait vécu une véritable mutation à la mairie du Havre, né à Rouen et fils d’enseignants de français, s’avère un cauchemar pour les biographes, même expérimentés. Car l’Édouard aux mains de droite, outre qu’il se montre fidèle avec ses amis, toujours partant pour boire le verre, blagueur et brillant, revendique une autre filiation moins conforme à son «camp».

mercredi 17 mai 2017

Saints sacrements

Pierre Gattaz fait l'éloge du couple Macron-Philippe. Qui s'en étonnera ? 

Même en politique, chacun recueille son dû à la hauteur des espérances placées en lui. Ainsi en est-il d’Emmanuel Macron, qui a reçu hier les saints sacrements de Pierre Gattaz, jamais avare de mots dans les grands moments de réjouissance. Pour le bien de la finance et du libéralisme, le monseigneur du Medef ne peut jamais s’empêcher de pousser dans le dos ceux qu’il a contribué à installer, quitte à leur rappeler le droit chemin de sa bénédiction. Que voulez-vous, le patron des patrons ne tarit pas d’éloges à l’évocation du tandem Macron-Philippe. Qui s’en étonnera? Pour M. Gattaz, le «souci d’ouverture» du nouvel attelage permettrait de «retrouver de l’espoir». Mieux, il s’agirait carrément d’«une chance pour la France de se redresser par des réformes». Sous-entendu: de vraies réformes… Si certains s’interrogent encore – mais qui? – sur le sens profond du macronisme et de ses affidés, les paroles de Gattaz ont au moins le mérite de sonner comme une alerte. Souvenons-nous que l’homme avait soutenu, sans réelle préférence d’ailleurs, ou bien François Fillon ou bien Emmanuel Macron, les deux en somme… Le ni de gauche ni de gauche du nouveau président convient parfaitement à l’héritier des barons et des maîtres de forges.  Les affaires sont les affaires. Bientôt nous parlerons de reconnaissance du ventre!

jeudi 11 mai 2017

Age(s)

La priorité donnée à l’individu reste la matrice de Mac Macron. Son point faible. La question des «classes», sans parler de «la lutte des classes», n’a jamais été son affaire. 
 
Surnom. Comme de tradition dans cette chronique, qui tient pour symbolique les hauts lieux de cette satanée monarchie républicaine toujours pas abattue (ça viendra), un nouveau président mérite son surnom, qu’il traînera jusqu’à prochaine révolution ou épuisement de la fonction. Après dix ans de Nicoléon et de Normal Ier (Jacques Chirac fut épargné, en son temps, allez savoir pourquoi), voici donc l’arrivée fracassante du prince Mac Macron. Ce sobriquet tient moins du mépris dogmatique que de l’astuce stylistique… Mais d’abord, puisqu’il convient de retourner toute biographie pour en saisir les sens cachés, que savons-nous de l’ex-ministre de l’Économie, devenu en moins de trois ans l’un des plus fascinants personnages de la Ve République? Banquier et prodige de la prise de pouvoir par les urnes, on dit de lui, depuis le 7 mai, qu’il «a fait barrage » au Front nationaliste, mais tout le monde a bien compris que c’est le barrage au FN qui lui a permis d’endosser les habits (version 3.0) du monarque républicain. Son âge, 39 ans, qui annonce peut-être un nouvel âge du pouvoir, doit déjà nous mettre en garde : toute sous-estimation de l’homme serait une double faute, intellectuelle et politique. Rendez-vous compte. Le jeune Mac Macron, fils d’une famille de médecins, étudiait encore chez les jésuites quand Mitterrand était chef de l’État. Et si cet enfant d’Amiens, héritier de la bourgeoisie libérale plutôt éclairée, possède un goût certain pour quelques conventions traditionnelles, tous ceux qui le côtoient depuis l’ENA le répètent: l’homme, qui mêle modernité dans sa vie privée et manipulation des concepts de la cybernétique sur le bout des doigts, serait en avance sur son époque. Une idée là, une autre ici, capable, selon des témoins, d’une désinvolture confondante, maniant toujours deux téléphones à la fois, surfant sur Internet, répondant à ses textos sans même lever la tête alors qu’il poursuit une conversation… D’où cette impression de passage de témoin qui saute à pieds joints au-dessus d’une génération. L’âge, le sien, tiendrait lieu d’unique explication. Ce serait oublier un peu vite le logiciel propre au XXIe siècle qui lui sert de cerveau, intégralement au service d’une cause qu’il ne cache même pas: s’il incarne le nouvel âge de la politique, il a raflé la présidence pour honorer l’avènement d’un nouvel âge capitaliste. Une histoire d’âge en somme. Un alignement des âges.
 

lundi 8 mai 2017

Combattre

Avec Macron, les rendez-vous cruciaux pour le monde du travail vont s’accumuler à la vitesse grand V. À commencer par le plus emblématique de tous, annoncé comme la promesse de sang et de larmes: une sorte de loi travail XXL, taillée sur mesure pour le Medef… 
 
Alors que se profile l’élection la plus importante qui installera au Parlement celles et ceux qui voteront les lois de la République, difficile de croire que tout soit déjà joué, plié comme du papier mâché. Le nouveau chef de l’État peut parader autant qu’il veut dans les pas de son mentor François Hollande, la lisibilité de ce qui se passera dans six semaines est à peu près aussi limpide qu’un marc de café aux petits matins brumeux. Au moins, une chose s’affirme très clairement après cette séquence politique digne d’un tremblement de terre: les rendez-vous cruciaux pour le monde du travail vont s’accumuler à la vitesse grand V. À commencer par le plus emblématique de tous, annoncé comme la promesse de sang et de larmes: une sorte de loi travail XXL, taillée sur mesure pour le Medef… Vous avez détesté le dispositif El Khomri? Vous allez honnir ce que prépare l’élu de la finance. Et c’est peu dire: inversion généralisée de la hiérarchie des normes, priorité absolue laissée à la négociation par entreprise, référendum à l’initiative des employeurs, refonte de l’assurance-chômage, plafonnement des indemnités prud’homales, etc. Le futur hôte de l’Élysée entend aller beaucoup plus loin dans la casse de ce qu’il reste du Code du travail. Et très vite, puisqu’il compte user d’ordonnances dès cet été. Nous rêvons légitimement d’une VIe République ; nous revoilà dans le plein exercice de la monarchie de la Ve. Peut-être en pire…
 

vendredi 5 mai 2017

Responsabilité(s)

Le dilemme? Trancher la tête de qui nous semble insupportable pour la France.
 
Circonstances. Dans le cas présent, autant le dire sincèrement, tout discours «moral» nous apparaît nul et non avenu, car totalement inefficace et assurément contre-productif à maints égards. À quelques heures de voter – ou pas – pour ce second tour si désolant, seule la politique, seul l’avenir doivent se tenir à nos côtés comme ferments de nos réflexions, sinon de notre sagesse. Et encore, à ce point de radicalité des échanges que nous avons chacun autour de nous en tant que preuves palpables d’un moment si particulier de notre histoire et du mode de crispation qui l’accompagne, pourquoi faudrait-il inviter la sagesse dans cette affaire quand, la plupart du temps, il ne s’agit que de réactions épidermiques et de savoir gérer – ou non – l’intelligence des circonstances comme l’unique réalité de ce qui nous est proposé ici-et-maintenant. Ce réel-là, aussi abrupte et absurde soit-il, nous commande a priori de réagir en deux temps. D’abord penser sérieusement au 7 mai et au danger qu’il constitue: s’exprimer dans les urnes, comment, pourquoi et au nom de quoi. Ensuite imaginer ce qui va suivre avec lucidité: tout mettre en œuvre pour consolider le nouvel état de fait que signifie le score de Jean-Luc Mélenchon au premier tour, dans un contexte de trouble profond de l’opinion et de prévisible recomposition de la totalité de l’espace politique, à gauche comme à droite. En somme, et pour résumer: prendre les choses dans le bon ordre et s’en tenir strictement à cela, faute de mieux. Le bloc-noteur, en pleine conscience, n’agira donc pas comme la majorité des Insoumis qui se sont exprimés lors du vote souhaité par Jean-Luc Mélenchon et glissera dans l’urne un bulletin anti-Front nationaliste, sans état d’âme. Notons au passage que le candidat Mélenchon, si souvent accusé d’autocratie par les éditocrates qui ne comprennent rien au processus en cours, a laissé s’exprimer la démocratie jusqu’au bout, sans jouer les gourous ou les donneurs de leçons, ce qui revient plutôt à son crédit. Néanmoins, s’il convient de respecter le résultat de cette consultation, qui n’est pas négligeable, loin s’en faut, ce choix peut apparaître comme le refus de prioriser l’événement. De jouer avec le feu, en quelque sorte…