lundi 27 juillet 2009

Pourquoi lutte-t-on contre le dopage ?

Je dois vous dire mon trouble, mon grand trouble, à la lecture de Libération, ce lundi d’après-Tour. Comme vous le savez, chers internautes, nous n’avons, à l’Humanité, aucune leçon de lutte contre le dopage à recevoir de qui que ce soit. Tout notre travail depuis bien avant « l’affaire Festina » (les archives en attestent) témoigne de notre fidélité à une certaine idée du sport. Mais ce matin, en lisant l’éditorial de Laurent Joffrin dans Libé, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que la pire des solutions étaient bel et bien de répondre par le cynisme au cynisme de certains personnages du cyclisme (ils existent toujours en nombre). Or, je suis désolé d'avoir à l'écrire, mais j’ai eu ce sentiment ce matin.

Petits extraits de Joffrin : « A moins d’avoir créé un spécimen d’homme nouveau, le Superman à roulettes, le cyclisme ne peut expliquer ces performances surnaturelles que par l’usage d’adjuvants chimiques. » Avec Joffrin nous revoilà donc dix ans en arrière : tout le monde dans le même sac !!! La réalité, croyez-nous, est toute autre désormais. Il y a dix ans, en effet, nous pouvions dire que sur 180 coureurs du Tour il y avait environ 140 gros tricheurs. Aujourd’hui, sur 180 coureurs, nous pouvons sérieusement dénombrer entre 20 et 40 gros tricheurs, des bandits qu'il faudra éradiquer coûte que coûte. Cette statistique n’est pas scientifique : elle est juste le fruit de mon expérience personnelle et des différentes discussions que j’ai pu avoir au fil des jours, en coulisses, avec des observateurs privilégiés.

L’amalgame à la Joffrin - le "tous pourris - a donc un relent de populisme. J'ose donc le dire. Car Joffrin s'attaque aussi à la chair du Tour : « Le public répugne, au fond, à jeter un regard lucide sur ces géants de la route qui sont en fait des géants du shoot. Les compétitions de cyclisme sont d’abord des courses au cynisme. » Ne vous y trompez pas. Je suis l’inventeur d’une formule choc, qui, en son temps, avait pu surprendre : « les Néants de la Route ». Difficile d'être plus violent... Je persiste et je signe, dans la dénonciation des abus en tout genre. Mais pas au point de tout oublier, les efforts d’une grande majorité des coureurs d’un côté, le formidable témoignage d’amour du « peuple du Tour » d’un autre côté. La dialectique devrait nous inciter à un peu d’intelligence dans les commentaires. Même si le cyclisme a beaucoup déçu, l'exigence à son égard est parfois plus sévère - et plus sincère ? - venant de ceux qui veulent vraiment le sauver des pires mafieux.

Alors oui, mille fois oui, pour dénoncer les salauds du vélo (je ne les appelle pas autrement). Mais à une condition : qu'on accepte que certains le fassent également par amour du cyclisme, ce qui est mon cas. Jamais aveugle. Mais toujours passionné, impliqué, acteur aux côtés de ceux qui veulent que les choses changent...

Telle est ma différence.
Telle est notre différence.

Ce pourrait être le mot de la fin, non ?

A plus tard…

Le gigantisme, l’autre plaie du Tour ?

Vous l’avez donc compris. Malgré la pression de tous les instants et les contrôles inopinés (certains seraient encore en cours d’analyse…), pour la première fois depuis 2006 et le passage de témoin de son prédécesseur Jean-Marie Leblanc, Christian Prudhomme a vécu un Tour de France sans « affaire » de dopage.

Si le scénario de la course a manqué parfois d'équilibre, le directeur du Tour de France dresse un bilan plutôt positif de cette édition gagnée par l'Espagnol Alberto Contador. Interrogé dimanche soir par plusieurs journalistes, Christian Prudhomme a redit le « succès populaire du Tour », principalement samedi sur les pentes du Mont-Ventoux.

« Je suis sous le coup de cette ascension, dit-il. Tant en journaliste qu'en directeur du Tour, je n'avais jamais vu une telle foule. Il y avait des centaines de milliers de personnes faisant preuve d'un enthousiasme indescriptible. C'était une vraie finale et s'il n'y avait plus de suspense pour la victoire finale, il en restait beaucoup pour le podium. Ce n'était pas mal. »

Néanmoins, Christian Prudhomme n’oublie pas l'accident mortel d'une femme fauchée par la moto d'un garde républicain durant l'étape Colmar-Besançon. « Le garde républicain est un professionnel de la sécurité mais il ne pouvait rien faire, assure-t-il. Le Tour est une fête populaire et notre priorité absolue est la sécurité. Chacun sur le bord des routes doit comprendre et obéir. On voit des gamins, pas seulement des adultes, courir dans les cols. Que font ceux qui en ont la charge ? »

Et Prudhomme d’utiliser les mêmes mots que ceux de Jean-Marie Leblanc, il y a au moins quinze ans… « Le Tour de France est grand, sans doute trop. Il va falloir réduire son gigantisme parce que je ne veux pas être parfait dans les zones industrielles, plutôt arriver et repartir du coeur des villes. »

Eternel dilemme. La logique du tiroir-caisse ? ou un visage plus humain ? Rappelons que, selon nos sources, la Grande Boucle rapporte annuellement au groupe Amaury la bagatelle de cinquante millions d’euros, environ. Les décideurs du groupe Amaury sont connus et leurs options stratégiques, année après année, ne vont évidemment pas dans le sens d'une humanisation de l'organisation, où les sponsors règnent en rois. Pour eux le choix est vite fait, comme en attestent leurs nouvelles relations avec l'Union cycliste internationale, non ?

A plus tard…

L'hymne n'a pas la joie...

Un gros gag. Avec des conséquences diplomatiques… Comme vous le savez sans doute, la victoire de l'Espagnol Alberto Contador a été saluée, hier sur les Champs-Elysées, par l'hymne... danois. Une invraisemblable bourde qui a été accueillie avec sympathie… au Danemark. Pas du tout en Espagne… mais pas du tout.

Donc, au cours de la cérémonie de remise des prix dimanche, devant des dizaines de milliers de spectateurs et des centaines de millions de téléspectateurs, Contador a pu voir le drapeau espagnol s'élever sur les Champs, mais l'hymne qui l'accompagnait n’était autre que « Der er et yndigt land ». Traduction : « Il est un doux pays. » Comme en atteste les images, le coureur a lui-même remarqué cette anomalie et l'a signalé à Bernard Hinault, ancien vainqueur du Tour, qui se trouvait à côté de lui... Evidemment, tous les commentateurs de la télévision espagnole ont immédiatement dénoncé une « grave erreur » de l'organisation, de la France, de la présidence, que sais-je encore !

« La marche royale », l'hymne espagnol, a finalement été jouée un peu plus tard. Même Contador en a rigolé. Pas l'ambassadeur espagnol, qui aurait fait part de sa "plus vive émotion" aux autorités françaises.

Mais le plus drôle est ailleurs. Car à ce jour, l'hymne danois n'a retenti qu'une seule fois auparavant à l’arrivée d’un Tour de France. C’était, de triste mémoire, pour célébrer la victoire en 1996 de Bjarne Riis. Or ce dernier, n’est autre que l'actuel manageur de l'équipe Saxo Bank, qui, durant trois semaines, fut, avec les frères Schleck, la grande rivale des Astana de Contador…

Moralité : même quand il n'y est pour rien, Bjarne Riis est toujours, en coulisses, un entremetteur hors normes…

A plus tard…

Cohn Bendit au café du commerce...

Pour la bonne bouche, presque comme une parabole de fin, il fallait lire, dans le Journal du Dimanche, le point de vue de Daniel Cohn Bendit sur Lance Armstrong. Nous savions que l’homme politique, depuis ses renoncements successifs aux fondamentaux de Mai-68, possédait un don peu commun pour se fondre dans le moule libéral actuel, mais pas au point de perdre tout sens critique. Vous en doutez ? Voici quelques extraits, digne des pires cafés du commerce qu’ils vous arrivent probablement de fréquenter de temps à autre…

« Voir Lance Armstrong et ses 37 ans revenir comme un minot sur les premiers dans le col du Petit-Saint-Bernard, j'ai trouvé ça marrant, déclare l’ex-idole des jeunes. Je n'y crois pas mais ça me fait bien sourire. Le problème du sport, c'est qu'on ne peut plus jouir d'un exploit sans suspecter immédiatement son auteur. »

Et Cohn Bendit poursuit : « Alors voici ma position : chapeau Armstrong et arrêtons de pleurnicher ! Moi je m'en fous qu'un vieux croulant comme lui soit dopé et même un plus jeune coureur comme Contador. Parce qu'on s'extasie sur le retour d'Armstrong, mais l'Espagnol a largué tout le monde sur un kilomètre en grimpant vers Arcalis... Ce jour-là quel exemple a-t-il donné ? »

Besoin d’une respiration avant de lire la suite. Car Cohn Bendit propose ni plus ni moins une perspective quasi « philosophique » au problème du dopage. Jugez par vous-mêmes : « La société qui développe une idéologie de la compétition est complètement hypocrite par rapport au dopage, dit-il. Regardez Laurent Fignon : son livre fascine tout le monde - avec raison - mais lui aussi était dopé. Du coup, je ne trouve la présence d'Armstrong ni positive ni négative. Etait-il drogué à son apogée ? Oui, mais les autres aussi. Donc le plus fort, c'était lui. Après, tracer un Tour comme celui-ci, où on enchaîne les Alpes et un contre-la-montre en trois jours, c'est aussi pousser les gars à se doper. Mais pourquoi ne dénoncer que les cyclistes ? Et les combinaisons des nageurs, alors ? »

Outre que je suis bien placé pour savoir que le dopage de Laurent Fignon (un peu de cortisone dans les grandes compétitions et des amphétamines sur certaines épreuves) a peu à voir avec celui des cyclistes depuis quinze ans, le profil d'un Tour, comme sa longueur finale, n'ont jamais incité au dopage, ni le contraire...
Quant à la référence aux combinaisons des nageurs, franchement, elle se passe de commentaire...

Mais bon. Cohn Bendit a parlé. Place au grand penseur qui sait tout sur tout. Après, à chacun de faire son tri dans ce galimatias idéologique où tout se vaut, même les évidences qui ne conduisent à rien...

Cela étant, ces mots de Cohn Bendit nous incitent à poser une question sérieuse : après avoir renoncé à changer le monde, l’homme a-t-il également renoncé à s’attaquer aux puissants du monde capitaliste actuel, dont Lance Armstrong est l'une des pièces avancées ?

A plus tard…

samedi 25 juillet 2009

1989-2009 : mes détours du tour (chapitre 10 – et FIN)

Donc, l’environnement du Tour me tendit les bras comme une amante à aimer. Mes premières années, disons jusqu’à la fin du règne de Miguel Indurain (1996), le mythe se solidifia en moi et m’offrait toutes les raisons de le choyer et de lui revendiquer une place unique en mon cœur. Ce à quoi j’allais assister néanmoins porte un nom : la captation d’héritage. Avant dilapidation pour le plus grand profits des petits marchands de commerce.

Le Tour acceptait non pas sa révolution mais son affaissement. Dans le même temps, nous vivions, nous, les passionnés aux âmes sensibles, la fin de notre Tour d’enfance.

A mesure que les escrocs remplaçaient les cracks (disons pour schématiser : Bjarne Riis plutôt que Laurent Fignon, Johan Bruynel plutôt que Cyrille Guimard) et que les coureurs de talents se voyaient humiliés par de petites frappes shootés jusqu’aux yeux (Evgueni Berzin plutôt qu’Eric Boyer), un décalage mortel se creusait entre la course et les coureurs, délivrant le message le plus mercantile qui soit : un modèle non-politique, violent et libéral à souhait, un monde fermé sur lui-même imposant ses « lois » particulières à tous, refusant le bien commun mais acceptant, parce que ça rapporte, la sélection naturelle des plus forts et la sommation mafieuse, « paie pour te doper, tu gagneras ».

La loi du fric.

La machine à spectacle, dont certains oripeaux étaient déjà en place depuis longtemps, certes, pouvait se donner à plein. Chaque année un peu plus, devant nos yeux délavés, même la caravane publicitaire de notre enfance n’était plus qu’un résidu du mythe.

Le « discours » du rêve, qui jadis était une figure imposée pour tout mendiant du Tour quémandant sa modeste part du gâteau (y participer suffisait, quelle que soit sa place), fut remplacé par la violence de l’utopie sous les feux croisés des caméras du marketing ambiant, triomphe obscène de la pensée de surface régie par la télé-surveillance.

Du coup, on ne « suit » plus le Tour, on « fait » le Tour. Nous ne sommes plus des suiveurs, mais des faiseurs. Les acteurs ont changé de camp. Les coureurs sont un prétexte, la télévision une raison d’être.

Et le Tour ? Un produit. Mais un produit qui rapporte : des dizaines de millions d’euros chaque année dans l’escarcelle du groupe Amaury, éditeur de l’Equipe et du Parisien. Mais pour durer, autrement dit s’installer dans le temps, un produit « efficace » nécessite un résidu mythique qui ne soit pas trop entamer par le produit lui-même, sa structure, son noyau, sa raison d’être.

C’est le cas du Tour. Depuis dix ans, les tourmentes successives auraient dû le terrasser, le renvoyer aux oubliettes de l’Histoire. Mais non. L’aura dont il dispose encore aujourd’hui n’est pas une fabrication de la publicité ou une invention marketing : c’est de l’Histoire, précisément, avec la majuscule qui sied à sa grandeur.

De l’Histoire de surface qui puise loin, très loin même, ses racines dans nos propres entrailles.
C’est notre histoire, en somme.
Qu’on le veuille ou non.

A plus tard...

1989-2009 : mes détours du tour (chapitre 9)

Le Tour ? A la fois émancipé du cyclisme et totalement enchaîné au cyclisme - sa grandeur et sa faiblesse -, l’épreuve fut une telle incarnation de l’idée nationale que sa crise d’identité actuelle est à l’image de sa grandeur passée : immense.

D’où la brutalité et l’ampleur du traumatisme. D’où la rapidité de la chute, aussi. En moins de dix ans, le grand public a franchi le pire des rubiconds, celui menant de l’enfance à l’âge adulte, sans préparation ni examen. D’un coup, l’affaire Festina, qui n’apprenait rien aux suiveurs (dans les grandes lignes), permettait au peuple du Tour, par contre, de rattraper son retard d’informations. La réalité supposée s’effondrait devant les faits avérés. La réalité devenait vraie. Le cyclisme tel qu’il était. C’était, paradoxalement, le saut dans l’inconnu. Un saut qui s’avérerait peut-être mortel.

Jadis, le Tour se rêvait à partir de faits racontés, que ce soit dans les journaux ou à la radio. On pourrait presque dire que le Tour n’était pas fait pour être vu, mais imaginé, envisagé, projeté, conjecturé, exagéré. On allait le voir passer, bien sûr, une fois l’an, en fonction de son lieu de vacances. Devant leurs yeux et dans leurs cœurs, les citoyens des bords de routes prenaient chair par procuration, par l’intermédiaire des exploits pédalant de leurs semblables, hommes du peuples durs à la tâche comme eux, ces « forçats de la route » qui donnaient une épaisseur organique et quasi érotique de la France, de sa géographie, de son histoire et, en quelque sorte, de sa puissance.

A la maison, l’après-midi, dans le crépitement des longues-ondes, on le vivait de loin et de près en collant l’oreille au vieux poste transistor, on le romantisait ce Tour propre à revendiquer les volontés des masses, on le poétisait, on érigeait ses figures au rang de demi-dieu.

Le soir venu, on en poursuivait l’aventure et les mystères. Et on répétait l’étape avec ses propres petits cyclistes en fer, ceux que la grand-mère nous avait offerts à la Noël et qu’on avait serré sur notre cœur comme s’il s’agissait d’un fabuleux trésor. On utilisait des dés ou des billes, selon l’usage, pour les faire progresser dans l’appartement dont la topographie, soudain, prenait une ampleur démesurée.

Il y avait toujours un vainqueur d’étape, un leader du classement général, un podium improvisé sur un vieux dictionnaire Larousse (de couverture rouge cartonnée), avec la remise officielle des maillots intermédiaires. Dans un râle énigmatique, notre gorge singeait les acclamations de la foule. Nos bras se levaient en V au-dessus de nos têtes. Les poings rageusement serrés.

La journée, ainsi, toujours vécues sans les parents, s’évaporait dans le bonheur rêvé du Tour.

Juste avant l’extinction des feux, on posait religieusement le petit bonhomme en jaune sur sa table de chevet, sachant secrètement qu’il le conserverait le lendemain, son beau paletot doré : c’était notre accommodement à la réalité. Mais c’était le nôtre.

A plus tard...

1989-2009 : mes détours du tour (chapitre 8)

Immuable dans ses grandes lignes, le « milieu » cycliste reste une tradition, un espace balisé – pour le meilleur et pour le pire. Et cette tradition s’est longtemps perpétuée, traversant à son rythme les changements d’époques sans se soucier de son renouvellement, sorte de circuit fermé, comme si le vélo échappait au monde réel en continuant sa propre histoire, répétant sans relâche ses comportements, ses tares et ses vices, acceptant simplement de s’adapter aux rigueurs de la télécratie surgissante – véritable poule aux œufs d’or.

Si le goût du secret confère à ceux qui les détiennent un odieux sentiment de supériorité quand on s’adresse à des profanes, la volonté jusqu’au-boutiste de protéger sa famille, coûte que coûte, impose des contraintes qui abrutissent l’intelligence et poussent les hommes aux mensonges quotidiens, aux accommodements avec la réalité, et pis encore, au déni de soi-même.

Quant une réalité (connue) est volontairement tue et qu’un corps social collectif dans son ensemble décide de la maintenir dans l’ombre, de quoi s’agit-il exactement ? Est-ce la perte de l’innocence ? L’implacable logique d’un esprit mafieux ? Et comment doit-on se comporter en découvrant ce qui se cache derrière le beau rideau des apparences ? Doit-on fuir, tourner le dos ? Ou, de l’intérieur, tenter de modifier ce qui peut l’être ?

Cela étant, l’esprit mafieux du cyclisme – indéniable – n’explique pas à lui seul que le Tour de France soit passé, en moins de vingt ans, du mythe au produit, de la légende à l’ordinaire, de la glorification des Géants de la Route à la raillerie d’hommes-sandwichs sur-vitaminés, à la sauce des Guignols de l’Info par exemple.

De même, l’indécence des pratiques dopantes, sa généralisation, son organisation froidement planifiée avec la complicité et la duplicité de tous (ou presque), ne suffisent pas à régler la question de la possible banalisation d’une épreuve comme le Tour.

Banalisation d’autant moins compréhensible que le dopage n’épargne aucun sport, et que, pour l’instant, ni la magie d’une Coupe du monde de football ni l’universalité des Jeux olympiques ne semblent remises en cause, malgré l’envers du décors, lui aussi connu de tous.

A plus tard...

Les vertiges du Ventoux

(Librement inspiré de Tour de France, une belle histoire ?, aux éditions Michel de Maule, 2008.)

Le ventoux. Un massif calcaire tondu comme un moine sur lequel le soleil s'appesantit. De loin, d'où qu'on vienne, du nord, du sud ou d'ailleurs, on dirait un espace lunaire paradisiaque qui vous tend les bras, offrande des dieux oubliés aux hommes d'en bas. Mais de près, c'est un monde en réduction qui crée des personnages à sa démesure. "J'ai plus souffert dans le Galibier, ou l'Izoard. Mais qui s'en souvient ? ", déclara un jour Miguel Indurain.

Le mont Ventoux n'est ainsi ni plus raide, ni plus long, ni plus haut que bien d'autres sommets dressés pour anéantir le plus courageux des cyclistes.

Il y a quelques années, Bernard Thévenet, double vainqueur du Tour (1975 et 1977), confessait dans nos colonnes : "Je n'y ai pas de souvenir particulier. Je dis ça, mais de cette ascension de 1970, lors de mon premier Tour, comme de celle de 1972, je peux presque jurer que j'ai gardé chaque mètre en tête."

Le "mont chauve" impressionne les mémoires. Les torture. Les éclaire. Dressé au-dessus de Carpentras, dans les odeurs de garrigue et de sécheresse, le " géant de Provence " honore encore et toujours, à chaque passage du Tour de France, le mode onirique et nostalgique.


" On y était. "
" Nous l'avons gravi, si, même que je me suis arrêté quatre fois. "
" C'était avec l'Aronde, en quelle année déjà ? "

Livres d'images-mémoire à destination des peuples, à feuilleter en famille - celle du vélo et les autres. Entre le village de Bédoin, hissé à une centaine de mètres au-dessus du niveau de la mer, et le sommet à 1 909 mètres, 22 kilomètres d'ascension presque ininterrompue avec des raidards à 14 % dans la chaleur du flanc sud.

"Le matin du Ventoux, c'est jamais un matin comme les autres", raconte Lucien Van Impe, vainqueur du Tour en 1976. Et il ajoute, les yeux lumineux, lui le grimpeur originel : "C'est un mélange de peur et d'envie. Le Ventoux est un mythe pour le participant du Tour, et je ne sais pas pourquoi..."

De génération en génération, on se récite les mêmes histoires. Comment, par le versant de Malaucène, celui où, sitôt passé la source de Notre-Dame du Groseau, s'élèvent des rampes sans fin, ou par l'abrupt côté de Bédoin, celui où la route se dresse brutalement au milieu d'une forêt artificielle avant de se perdre dans les éboulis, des coureurs perdent la raison, leurs forces et parfois la vie.

On le dit. Et si, comme l'a écrit Roland Barthes, "le Ventoux est un dieu du Mal auquel il faut sacrifier", alors ce dieu jalousé et aimé n'accepta jamais qu'on lui dispute son aura.

Elle vint pourtant tardivement sur les routes de la Grande Boucle. Le 22 juillet 1951 exactement. Ce jour-là, le mont renvoie Fausto Coppi en personne à son humanité géniale. Dévasté par la mort de son frère, Serse, il mène une course sinon fantomatique, du moins évasive, de l'autre côté du miroir. Et même l'année d'après, alors qu'il s'est joué du Galibier avec l'aisance des seigneurs, corps magnifique, c'est Jean Robic qui le prive des superlatifs et d'une légende dont il ne souffrira pas.

Le vent souffle. L'angoisse monte en dedans quand commence à serpenter la route, au milieu de quelques pins. C'est dans l'un de ces virages d'ombre et de lumière que Ferdi Kubler avait attaqué en 1955. A côté de lui, Geminiani lui a dit : "Attention, Ferdinand, le Ventoux n'est pas un col comme les autres", conte Raymond Poulidor. Kubler lui a répondu : "Ferdi n'est pas non plus un coureur comme les autres !"

Quelques kilomètres plus haut, le Zurichois franchit la crête et c'est dans la descente qu'il perd pied. "Il a posé son vélo, il hennissait et s'insultait tout seul." Le soir, en Avignon, après avoir abandonné le Tour et mis fin à sa carrière, le coureur délirait encore dans son lit et hurlait devant ses proches : "Ferdi, il est trop vieux. Il a mal. Ferdi s'est tué ! Ferdi s'est tué dans le Ventoux !"

" J'y ai emmené mon fils avec la R 16. Fallait qu'il voit ça une fois dans sa vie. C'était sous Giscard, je crois... "
" Moi, j'ai vu Indurain s'y envoler comme un ange et laisser Eros Poli franchir le sommet en tête, puis gagner à Carpentras. "
" Moi, je n'y ai vu qu'une stèle avec "Tom Simpson" marqué dessus. "

1967. Le 13 juillet, 13e étape. Là où les arbres disparaissent, là où le Ventoux ressemble à la Lune, bien après Chalet-Reynard, il n'est plus que désert de caillasse illuminée par une blancheur chaude. Roger Pingeon grimpait avec un groupe en tête sans savoir qu'il serait vainqueur à Paris quelques jours plus tard. Ce sont ces derniers kilomètres, ceux qui répondent par la violence à la violence des hommes, qui ont tué l'Anglais Tom Simpson.

Le journaliste Pierre Chany l'a écrit : "Simpson monte au ralenti, le regard perdu, la tête inclinée sur l'épaule droite selon une attitude qui lui est familière." La chaleur conjuguée aux produits dopants vont précipiter un collapsus cardiaque qui le jette à terre. Chany : "Deux à trois cents personnes forment un cercle, ignorant sans doute qu'un homme est en train de mourir. Sur la route, une trentaine de coureurs attardés passent sans un regard, trop préoccupés par leur propre souffrance." Point final.


" Devant la stèle, j'ai vu de drôles de boyaux recroquevillés, laissés par des cyclotouristes. "
" Certains y déposent des abricots séchés. "
" On dit que Jacques Anquetil y a pleuré, longuement. Mais c'était Anquetil. "

Pour Raphaël Geminiani, "volonté et maîtrise de soi" sont les deux seules armes pour "gravir la bête". "C'était mon col fétiche, explique-t-il. Bobet et moi, on partait du principe que si c'était dur pour nous, c'était encore plus dur pour les autres." L'homme sait de quoi il parle, pour l'avoir toujours à peu près dompté, en 1951 comme en 1952, ou en 1955, et en 1958, année où il prit le maillot jaune au terme d'un contre-la-montre de légende remporté par Charly Gaul. "Bien sûr, poursuit-il, le Ventoux par Bédoin, c'est terrible car dans les huit premiers kilomètres, on se sent comme un poisson hors de l'eau. Une fois qu'on quitte le bois, on se dit : ouf ! ça va mieux... sauf qu'au sommet le soleil du Vaucluse brûle tout ce qui se présente."

Et que peut en dire Eddy Merckx ? 1970 encore : le " cannibale " s'écroule sitôt la ligne franchie. Comme une vengeance. Le plus beau palmarès de l'histoire de la petite reine avait oublié qu'on ne peut s'octroyer une chose inestimable sans en payer le prix. Victoire, mais plus de souffle pour le Belge. Il chute de l'estrade. Se relève. On le place sous une tente à oxygène, tout comme son dauphin Martin Van Den Bossche.

Les statisticiens diront qu'il tournait les jambes trop vite : 74-75 tours par minute (que dire d'Armstrong, alors ?). Les mystiques diront, moins modestes, que le Géant, humilié par cette jeunesse arrogante, s'était rebellé. "Le feu, j'avais le feu dans la poitrine", pleurera longtemps Merckx, comme s'il fallait que ce souvenir-là et nul autre hante ses sommeils.

Et Thévenet de témoigner : "Moi, j'étais cinquième, c'était ma plus belle place depuis le départ et je m'étais donné à bloc. J'étais sans voix, sans respiration. Moi aussi, je n'aurais pas dit non au masque, mais c'est lui qui a tout eu."

" Mon grand-père a voulu monter avec la Traction : le moteur a explosé à six bornes du sommet."
" J'ai vu des plantes qu'on ne trouve qu'au Groenland. Enfin, il paraît. "
" Au début du printemps, la route lisse est bordée de pylônes jaune et rouge encore couverts de résidus neigeux. "

Et tout là-haut, alors, qu'y voit-on ? Et pourquoi ? Et qu'y ont vu les Jean Robic, Louison Bobet, Raymond Poulidor, Bernard Thévenet, Jean-François Bernard, Marco Pantani et tous les autres, lorsque, seuls, insolents et miraculés, ils ont bénéficié de la clémence du mont ? Lorsqu'il affronta le " géant de Provence " pour la première fois, Louison ne l'avait jamais monté et disait : "Celui-là, il ne faut pas aller le voir !"

Le Ventoux prend. Le Ventoux dispose. Peu importe le statut et les honneurs, le rang et les victoires, là comme ailleurs rien ne remplace les soupirs d'effroi des anonymes. Vertiges.

P.S. Ce n'est peut-être qu'une rumeur, mais à l'endroit même où la stèle dédiée à Tom Simpson se dresse, on dit que le coeur des coureurs augmenterait soudainement de quelques pulsations. Les scientifiques cherchent des explications.


vendredi 24 juillet 2009

L’étonnant mea culpa de Carlos Sastre…

Le vainqueur du Tour 2008, l’Espagnol Carlos Sastre, 34 ans, s'est livré à une surprenante confession ce soir, non pas lors d’une conférence de presse comme il est de coutume, mais dans un communiqué diffusé auprès des suiveurs, reconnaissant en termes touchants avoir été injuste et maladroit envers la presse et ses coéquipiers. « Je veux demander publiquement des excuses, indépendamment de celles que j'ai déjà demandées en privé, aux professionnels de l'information, à mes coéquipiers et à tous mes supporteurs que j'ai pu choquer. »

Soyons précis. Sastre a décidé de s'excuser auprès de tous... sauf auprès des organisateurs du Tour, auxquels il continue manifestement de reprocher de ne pas lui témoigner le respect dû à un vainqueur sortant (ce qui, entre nous, n’est pas totalement faux).

L'Espagnol, plutôt touchant, explique que « ce n'est pas la sagesse qui m'amène à m'excuser mais la conscience de mes propres erreurs ». Et il ajoute : « Depuis le début du Tour, quelque chose n'allait pas. Et j'ai commis l'erreur de m'enfermer en moi-même et de faire porter aux autres mon malaise. J'ai aussi commis l'erreur de m'adresser aux médias lors de la conférence de presse de mon équipe lors de la deuxième journée de repos (lundi) et de proférer quelques opinions peu opportunes. »

De deux choses l’une. Ou Sastre tente de chasser quelques démons très personnels, après ce Tour raté, et il se confesse non sans émotion, prenant le risque d'une introspection rare. Ou les responsables de son équipe (son sponsor par exemple ?), irrités par ses résultats depuis trois semaines, l'ont contraint et forcé à réviser sa position, qui, de fait, avait pu isoler l’équipe Cervelo au sein du peloton…

Ce n'est pas tout. Sastre va encore plus loin dans l’auto-flagellation : « J'ai commis l'erreur de généraliser mes critiques, alors que tous les journalistes, comme tous les cyclistes, ne sont pas à mettre dans le même sac. Beaucoup de journalistes m'ont souvent traité correctement, voire excellemment, notamment lors de ma victoire sur le Tour 2008. De même, je ne crois pas non plus que mon attitude envers mes coéquipiers et le personnel de l'équipe ait été la bonne, parce qu'ils se sont efforcés de m'aider, tandis que je n'ai pas toujours été ouvert pour recevoir cette aide. J'espère avoir appris de cette situation pour qu'elle ne se reproduise pas dans l'avenir… »

Situation rare, celle de voir un sportif se mettre à ce point à nu...

A plus tard…

Di Luca et un toubib perquisitionnés...

Voilà. C’était attendu. Les carabiniers italiens, spécialistes es-dopage depuis une bonne dizaine d’années d’affaires en tout genre, ont mené ce vendredi des perquisitions aux domiciles du coureur Danilo Di Luca (33 ans, deuxième du dernier Giro où il remporta deux étapes et porta le maillot rose une semaine), contrôlé positif à l'EPO Cera, et du docteur Carlo Santuccione, médecin au coeur de l'affaire « Oil for drugs », selon plusieurs médias transalpins.

Les perquisitions, sur ordre du parquet de Rome, ont été menées à Pescara (centre), où réside le coureur, et à Cepagatti, dans la même région, au domicile du médecin. Depuis l’annonce de ses contrôles positifs, le cycliste italien nie avoir pris le fameux produit dopant et a indiqué qu'il s'en remettait désormais aux résultats des contre-expertises à venir.

Rappelons que le Dr Santuccione, lui, s'est vu interdire à vie en 2007 d'avoir un rôle ou une mission au sein du Comité olympique italien (Coni), d'une fédération sportive ou d'une discipline associée, ainsi que de fréquenter les enceintes sportives italiennes…

Lancée en 2004 par le parquet de Rome, l'enquête pénale « Oil for drug », portant sur un présumé réseau de dopage à l'EPO ressemblant trait pour trait à « l’affaire Puerto » espagnole, s'est concentrée sur les relations de plusieurs athlètes avec ce médecin. Di Luca, qui figurait parmi ces athlètes, avait déjà été suspendu trois mois dans cette affaire…

Selon nos propres informations, Di Luca avait déjà échappé de peu à une perquisition (déjà à son domicile), au printemps dernier, après avoir été dénoncé par « une personne du milieu », affirme un témoin proche du dossier. Depuis cette date, le cycliste était officiellement « ciblé » par l’UCI.

On peut juste regretter qu’il ait fallu attendre sa participation au Giro, dont il disputa jusqu'au bout la victoire finale (battu par Menchov), et finalement des contrôles positifs, pour le mettre hors d’état de nuire…

A plus tard…

1989-2009 : mes détours du Tour (chapitre 7)

La grande et glorieuse famille du cyclisme n’a pas que des avantages. Car, pour passer « de la » famille à « la » famille, il n’y a parfois qu’un boyau. On l’a vu, la victoire peut se transformer alors en aliénation. Je me suis vite aperçu que la nuance philosophique était peu partagée par mes congénères suiveurs, qui ne manquent pas de qualités par ailleurs, qu’ils soient coureurs, patrons d’équipes, masseurs, mécanos, ou simples journalistes.

Que voulez-vous, on trouve plus de préservatifs que de livres, dans les valises des équipes.

Je n’oublierai jamais que, en 2005, Claude Simon était mort pendant le Tour, et l’annonce de sa disparition, que ses admirateurs-lecteurs attendaient avec angoisse depuis des mois, m’avait plongé dans un océan de douleurs assez peu partagé par ceux qui m’entouraient sur la caravane.

Le lendemain de cette cruelle information j’avais, dans un compte rendu d’étape pour le moins singulier, osé mêler le récit de la course du jour avec quelques impressions glanées au fil d’années de lecture sous la férule du pape du Nouveau Roman, ce qui donnait à cet article un ton volontairement décalé, hors limites, défricheur de juxtapositions, qui me valut le haut-le-cœur de deux trois confrères définitivement rangés dans la case « sport ».

Peine perdue ?

A plus tard...

1989-2009 : mes détours du Tour (chapitre 6)

Lors de mon premier Tour, je me souviens qu’Émile Besson m’avait présenté à Pierre Chany. Résistants l’un et l’autre, l’un communiste comme moi, l’autre gaulliste, je me sentais bien au milieu de ces deux hommes, témoins d’une histoire que j’admirais au plus haut point. Leur camaraderie n’était pas du bidon. Les souvenirs du maquis dépassent toujours les contingences ordinaires.

— Salut gamin, avait dit Chany en tendant une main ferme.
— Je suis honoré, avais-je répondu sans savoir s’il s’agissait des bons mots, moi si jeune, lui si glorifié.

À mes yeux il n’y avait pas de hasard. La témérité de leurs engagements comme leur fidélité à une certaine idée de la solidarité me mettaient en joie : mon admiration envers eux n’a pas varié, bien au contraire. Le cyclisme était un joli point de raccordement, un croisement de valeurs qui dépassait le strict cadre sportif. Je n’ai jamais vu le Tour de France autrement.

En serrant la main de Pierre Chany à l’invitation d’Émile Besson, j’étais comme adoubé. Doublement adoubé par les seigneurs d’un âge d’or nourris d’esprit chevaleresque, de démesure et de simplicité. C’en était trop pour un jeune homme qui devait tout apprendre et qui n’en demandait pas tant, j’en étais conscient. Mais, en acceptant la symbolique du geste, je savais que leurs figures ne me quitteraient plus et que chaque acte témoignerait de leur présence. On appelle ça la « transmission », « la trace-sans-trace », le « passage de témoin ».

On dira que c’est la « famille », le « clan », la « mafia » ; on dira ce qu’on voudra. Ce qui comptait, pour moi, c’était de faire partie « de la » famille. Non pas « la » famille, mais « de la » famille. D’assumer au fond cette trace-sans-trace, de la prendre pour ce qu’elle était, de me l’accaparer, de la faire mienne, bref, de me rendre à l’héritage non passivement mais activement, pour l’emmener au-delà de l’héritage, dans la fidélité-infidèle. Ce qui donne vie aux idées, ce sont les actes. Eux témoignent seuls de l’héritage. Ce ne sont pas les choses qui comptent, mais l’attachement aux choses.

Chaque père doit accepter que son fils aille plus loin que lui. Chaque fils doit assumer la possibilité d’aller plus loin que son père.

A plus tard...

jeudi 23 juillet 2009

Contador n’aime pas certaines questions…

Scène assez significative, ce jeudi soir, lors de la conférence de presse du vainqueur de l’étape du jour, et probable futur héros du Tour 2009, Alberto Contador, qui, comme chacun l’aura compris, grimpe, roule et écrase la Grande Boucle.

Avant de raconter la fameuse scène, remettons-nous dans le contexte de cette journée, marquée par la publication, dans les colonnes du quotidien du soir, Le Monde, d’une chronique de l’Américain Greg LeMond, qui, depuis le départ de Monaco, avec un talent certain et un goût prononcé pour la liberté de pensée, s’emploie chaque jour à griffonner de sa plume le cyclisme actuel. Précisons qu'il le fait sans aucun cynisme mais avec une intelligence et un amour du vélo indiscutable…

Ainsi, dans sa dernière livraison, l’Américain ose-t-il s’interroger ouvertement sur les performances d’Alberto Contador. Rien que ça. Prenant comme point de référence sa prestation dans la montée de Verbier, dimanche dernier, LeMond écrit que l’Espagnol y a établi ce jour-là un « record de vitesse », parcourant les 8,5 km de montée (7,5% de pente moyenne) en 20’55’’. LeMond s’est donc gratté la tête et l’assure : « Jamais un coureur du Tour n’avait grimpé aussi vite. (…) Le coureur espagnol aurait eu besoin d’uneVO2max (2) de 99,5 pour produire cet effort. A ma connaissance, c’est un chiffre qui n’a jamais été atteint par aucun athlète, dans aucun sport. »

LeMond se permet ensuite d’ironiser : « C’est un peu comme si une belle Mercedes sortant d’un salon automobile s’alignait sur un circuit de Formule 1 et remportait la course. Il y a quelque chose qui cloche. Il serait intéressant de savoir ce qu’il y a sous le capot… »

Voilà pour le contexte. Lors de la conférence de presse de ce jour de Contador, le journaliste du Monde, justement, Mustapha Kessous, a tenté de poser la question à l’Espagnol : « Greg LeMond met en doute vos performances, que répondez-vous ? » Aucune réponse de Contador, sinon celle-ci : « Question suivante. » Nullement impressionné, notre confrère, attendant de nouveau son tour, demanda au cycliste de répondre à sa question antérieure… Contador, irrité, refusa de répondre.

Juste après, un journaliste étranger prit alors son courage à deux mains et demanda : « Monsieur Contador, quelle est votre VO2max ? » Là, il n’y eut pas d’incident notoire à signaler. Sauf qu’Alberto Contador se leva et quitta la salle de presse, tout simplement. Fin de conférence.

Nous pensions que le cyclisme avait changé et que poser une question, même dérangeante, appelait nécessairement une réponse – quelle qu’elle soit. Contador, gêné, a choisi la fuite. Attitude d’autant plus ridicule que, ce soir, tout le monde ne parle que de ça, chacun cherchant à connaître le chiffre exact de sa VO2max, d’aujourd’hui, d’hier, d’avant-hier, quand il était plus jeune…

A n'en pas douter, la question reviendra en conférence de presse d'ici dimanche soir...

A plus tard…

1989-2009 : mes détours du Tour (chapitre 5)

En 1989, je voyais donc le Tour comme une entreprise florissante en pleine croissance, ce qui n’était pas faux. Mais ce développement économique, qui ne cesserait plus depuis, n’était qu’une illusion d’optique. Pendant les affaires, il faut continuer l’« à-faire ».

Or le Tour, tout occupé qu’il était à l’exaltation de son propre développement, ne voyait pas une chose élémentaire, une chose pourtant éclatante que le premier intellectuel de passage aurait distingué au moindre coup d’œil : loin de poursuivre la longue ascension de son prestige, le Tour vivait son apogée. Ses derniers feux brûlaient, donc. Si j’avais eu la lucidité de tendre l’oreille, j’aurai perçu son chant du cygne.

L’honnêteté m’oblige : j’ai mis au moins dix ans avant de le comprendre. Et quelques années supplémentaires à l’admettre. C’est un peu comme le bonheur. On aspire tous au bonheur. On ne cherche que ça d’ailleurs. On court après. On s’essouffle. On transpire. On formule des rêves qu’on tente de ne pas perdre de vue, histoire de se fixer un cap, une direction, un sens.

Un jour, on définit son idée du bonheur. On l’intellectualise. On la « fixe » dans le temps et l’espace, on la programme presque, on la construit même en concepts – avant déconstruction. On se dit qu’on est sur le chemin, mais loin du but. Et puis on s’aperçoit que c’est déjà trop tard. Alors on se souvient, ému, de ces jours où l’on cherchait le bonheur, traquant dans ce passé perdu l’énergie qu’on y mettait, sans savoir qu’on le vivait pleinement, qu’on perdait du temps à le chercher alors qu’il était là. Devant nous.

Nous sommes toujours responsables du temps perdu.

À la fin des années 1980, je n’étais pas parvenu à ce stade de la réflexion. Pourtant je ne voulais pas perdre mon temps. Si suivre le Tour était un rêve absolu à assouvir, être accepté en tant que tel dans la « famille du vélo » m’apparaissait sinon une tâche impossible, du moins un souhait audacieux. Le journalisme me prouva que non.

Être de L’Humanité ne suffisait pas, certes, mais l’hono­rabilité du titre, créé en 1904, un an après le Tour, constituait une sacrée carte de visite pour tout nouveau postulant. Rien d’étonnant à cela. Albel Michéa et Émile Besson, mes illustres aïeux, donnèrent en effet au journal de Jaurès, dans des styles différents, ses lettres de noblesse en matière cycliste, politique et même littéraire. À tel point que L’Huma, dans la mémoire de la Petite Reine, compte pour certains tout autant sinon plus que L’Équipe ou Le Figaro.

A plus tard...

mercredi 22 juillet 2009

Nicoléon comprend-il l'italien ?

« Le cyclisme est un sport difficile, arrêtons de ne parler que du dopage. » Nicoléon vient de parler au micro de France Télévision, devant des journalistes complaisants. Aucun n’était alors assez courageux pour délivrer au chef de l’Etat l’une des informations du jour : le dopage continue, la preuve !

En effet, nous avons appris ce beau jour de grande étape alpestre que l'ineffable Italien Danilo Di Luca, l'un des plus beaux escrots de ces dernières années, avait bel et bien été contrôlé positif à l’EPO Cera, à deux reprises tenez-vous bien, lors du dernier tour d'Italie disputé en mai, qu'il avait terminé à la deuxième place.

« L'UCI a informé aujourd'hui le coureur italien Danilo Di Luca du fait qu'il était provisoirement suspendu », écrit d’ailleurs l'UCI dans un communiqué. La décision a été prise après la réception d'un rapport « indiquant des résultats d'analyse anormaux (présence d'EPO recombinante, Cera) dans des échantillons de sang prélevés sur ce coureur lors du Giro d'Italia, les 20 et 28 mai derniers. »

A 33 ans, Danilo Di Luca avait remporté deux étapes et lutté jusqu'au contre-la-montre final à Rome contre le Russe Denis Menchov, finalement vainqueur. Il avait gagné le Tour d'Italie en 2007, juste après sa victoire dans Liège-Bastogne-Liège. Il avait aussi remporté le classement du Pro-Tour en 2005.
Les responsables de l'UCI, assez malicieux pour une fois, soulignent que l'Italien a été contrôlé positif après avoir été « ciblé par les autorités de lutte antidopage, grâce notamment au passeport biologique ».

Rappelons pour ceux qui ne le sauraient pas que Di Luca avait déjà purgé une suspension de trois mois fin 2007 pour ses relations scabreuses avec le médecin Carlo Santuccione, accusé d'approvisionner des coureurs en produits dopants. Dans le milieu, aucun suiveur sérieux n’accordait plus la moindre crédibilité sportive à cet Italien sans foi ni loi. Le voilà hors jeu. Définitivement, espère-t-on.

A ce propos : Nicoléon comprend-il l'italien ?

A plus tard…

Quand France Télévision oublie les coureurs…

Scène télévisuelle totalement improbable, ce soir, peu après l’arrivée des tout premiers échappés sur la ligne, au Grand-Bornand. Les frères Schleck avec Contador venaient d’en finir, une caméra s’attarda, un peu plus deux minutes après, sur la chevauchée terminale du Texan, flanqué de Nibali et de Klöden, pas loin, et puis… et puis plus rien !

Six coureurs seulement avaient alors atteint le but de la « plus belle étape alpestre » de ce Tour 2009, que, déjà, Gérard Holtz tendait son micro à notre chef de l’Etat, alias Nicoléon, venu là « par passion », dit-il, à la fois pour le Tour mais aussi - et surtout - pour Lance Armstrong.

Près de sept minutes d’entretien…

Pendant ce temps-là, une bonne quarantaine de coureurs avaient eu la chance et le plaisir d’arriver au bout de leur effort, exténués. Mais pour eux, pas d’image. Pas de son. Pas de commentaire. En somme, aucun respect pour eux. Seul comptait la parole présidentielle. Quelques rires, d'abord, éclatèrent en salle de presse. Suivi de quelques signes de désaprobation venant plutôt des rangs des confrères étrangers.

On hésite dans notre appréciation. Le retour de l’ORTF ? Ou l’apparition d’une Pravda version UMP ?
Vive le sport sur France Télévision !!!

A plus tard…

1989-2009 : mes détours du Tour (chapitre 4)

Depuis ma prime scolarité, mon calendrier personnel, à peine entrecoupé par un service militaire, s’est toujours calqué sur celui du Tour. Il y a la perspective de juillet, et la mémoire de juillet. L’avant, l’après, puis vite, l’avant. Bio­rythme singulier du suiveur qui ne s’attarde pas à en raconter la prédominance de peur d’être incompris ou raillé.

Trop simple et trop compliqué à la fois. Il suffit juste de savoir et de comprendre que le Tour sert de fil conducteur pour dater les grands événements de la vie du suiveur. Chaque date historique s’associe immanquablement au nom d’un vainqueur. On ne dit pas « le retour du général de Gaulle au pouvoir », mais l’année « de Charly Gaul ». On n’affirme pas que 1989 fut l’année de « la chute du mur de Berlin », mais celle de « la victoire de Greg LeMond sur Fignon ».

Depuis 1903, le Tour est une sorte de calendrier de la mémoire, un agenda de sa propre histoire, un mémento universel.

Quant à moi, je ne dis pas 1999, première victoire de Lance Armstrong, mais bien l’année où je ne fis pas le Tour comme suiveur, la seule fois… Une année marquée au fer rouge. Maudite année.

Quand l’amour se transforme en aliénation, nous passons de l’onirique (la littérature et le temps-long) au prosaïque (la télévision et le temps court).
Sauf qu’en 1989, justement, je m’étais trompé. Croyant vivre le début de mon aventure avec la Grande Boucle, je ne pouvais évidemment pas imaginer que, en fait, j’en vivais la fin. Disons une « certaine » fin. Le « début » de la fin. La banalisation était en marche et, accessoirement, la banalisation de ma propre passion, aux yeux des autres : qui l’eut cru ?

L’épreuve se mondialisait, Jean-Marie Leblanc en prenait les commandes, le fric commençait de couler à flot (Tapie était déjà passé par là), les ordinateurs surgissaient et les suiveurs, comme une lente gangrène, délaisseraient peu à peu le suivi des étapes chaque jour dans les voitures au cul des coursiers, au profit de la télévision, bien installés dans les salles de presse, choyés par les villes accueil, petits buffets, boissons à volonté et cadeaux de bienvenue en prime.

A plus tard...

1989-2009 : mes détours du Tour (chapitre 3)

J’ai toujours aimé les passions tristes. Et j’adulais trop le cyclisme depuis l’enfance pour ne pas savoir, ne serait-ce que par intuition, que ces histoires d’hommes héroïques, derrière cette sensibilité imaginée, cachaient leur part d’ombre.

De tout temps on se dopait, on achetait des courses, on mutualisait les coups tordus avec la complicité de tous. Et au sommet de la hiérarchie, quelques dirigeants, pour la plupart d’anciens champions, mettaient de l’huile dans la marmite pour que la cuisson soit bien répartie, avant partage.

Chacun recevait son compte. Les leaders gagnaient, les grégarios travaillaient et les équipes offraient à leurs sponsors quelque chose de bien supérieure aux temps d’antenne indispensables, quelque chose d’incalculable : un supplément d’âme, une reconnaissance symbolique, un surcroît d’identification. Au vrai, une raison d’être qui se passait de définition.

En effet, aimer le champion cycliste, c’est s’aimer soi-même, quelle que soit sa condition sociale ou morale. Le grand public ne se trompe jamais. Sur la route du Tour, il applaudit et acclame les premiers comme les derniers, sans distinction. Et dans les cols, les coureurs à la dérive, largués par les meilleurs, continuent de nous tirer des larmes d’émotion.

Quand elles sont clairement définissables, les vraies passions n’ont pas de hiérarchie. Ni patrie.

En 1989, la magie du Tour était si forte encore que, dans ma grande naïveté, je croyais sincèrement vivre le début d’une aventure qui durerait toute la vie. Comment pouvait-il en être autrement ? Immuable depuis 1903, grand et grandiloquent, mythique et mystique, le Tour, pour moi, ne pouvait se concevoir autrement que dans un temps long, immensément long, à l’image de ces repas de famille de mon enfance qui s’étiraient du midi au soir avec pour seules pauses des arrêts pipi, un jeu de carte ou une discussion politique enflammée, et puis, grand-mère et tantes au fourneau, on remettait ça sans même s’apercevoir qu’on avait remis ça, mais en se disant « mince, on a remis ça ».

Le Tour, c’était pareil. Début juillet ça commençait, mais fin juillet ça ne s’arrêtait pas vraiment. Quant au reste de l’année, il était partagé en deux : fin d’été/début de l’automne on pensait encore à son dernier Tour ; et dès novembre, avec la présentation officielle du nouveau tracé, on repérait les lieux, les hôtels-restaurants où il faudrait nécessairement faire escale, les villes-étapes inédites, les cols à découvrir, les étapes décisives.

Je suis de cette école-là : pourquoi alors utiliser l’imparfait, source de renoncement, comme si l’histoire s’écrivait déjà au passé ?

A plus tard...

mardi 21 juillet 2009

1989-2009 : mes détours du Tour (chapitre 2)

Ma première accréditation date de 1989. Je suis resté une semaine environ sur les routes du Tour à m’enthousiasmer – comme tous – du duel épique et brutal entre Laurent Fignon et Greg LeMond, que le chronomètre final séparera de huit secondes au profit de l’Américain, lors du célèbre contre-la-montre des Champs-Élysées.

Ce que j’avais découvert à l’époque semblait conforme à mon imagerie très prononcée du geste sportif et de son théâtre, le plus beau qui soit pour quelqu’un nourri d’excellence universelle : la France.

Comment dire ? Tout était nouveau mais rien ne m’était étranger. C’était en tout point semblable au cyclisme découvert dans les livres et longtemps fantasmé. Abel Michéa et Émile Besson, dans L’Humanité, puis Pierre Chany et Antoine Blondin, dans L’Équipe, m’avaient enseigné à distance et par leurs talents conjugués que le Tour, en son ampleur, était bien un monde en réduction qui, de tout temps et malgré les épreuves du xxe siècle, avait créé des personnages à sa démesure, drapés dans l’invisibilité de notre imaginaire.

Depuis sa naissance, et plus encore depuis 1936 et les congés payés, les Français font allégeance au Tour, dernier terrain d’expression collective authentiquement populaire. Même de Gaulle ou Mitterrand avaient compris qu’il valait mieux le regarder passer sur le bord d’une route, en quidam illustre, parmi le peuple, que de parader dans la voiture du directeur de l’épreuve avec des Ray-Ban scotchées sur le nez.

Ainsi donc, le Tour comme d(én)ominateur commun ?
Le Tour comme société sans classe ?
Le Tour plus fort que le statut social ?

A plus tard...

1989-2009 : mes détours du Tour (chapitre 1)

(librement inspiré de « Tour de France, une belle histoire ? », éditions Michel de Maule, 2008)
***

À la fin des années 80 – cela ne semble pas si lointain, et pourtant… – tout paraissait encore simplifié. Malgré la Guerre Froide, qui brûlait ses derniers feux sans que nous le sachions, et une organisation mondiale séparée en deux, entre d’un côté les professionnels (l’Occident), de l’autre les amateurs (le bloc « soviétique »), le cyclisme imposait grosso modo ses codes et ses rites, ses manies noires et son esprit fraternel. Y entrer, qu’on soit coureurs ou suiveurs, signifiait s’y plier. Non par soumission mais par attachement sincère. Du moins le croyais-je.

Pour le jeune journaliste que j’étais à l’époque, c’était comme ça et pas autrement. L’histoire et les habitudes héritées des anciens commandaient, et la connaissance des secrets de famille octroyait à ceux qui les partageaient un passeport familial. Surtout, cela va sans dire, s’il tenait leur langue. C’était, selon les expressions, la « famille du vélo », la « bande », le « milieu », la « mafia ».

Après, mais seulement après, lors des nombreuses soirées qui jalonnent son apprentissage lors des classiques ou des courses à étapes, le suiveur pouvait se taper sur le ventre et se vanter de « savoir » certaines choses. L’important n’était alors plus seulement de savoir, mais de pouvoir se vanter de savoir. Et un peu plus tard, lorsque les années avaient usé les derniers mécanismes d’autodéfense, la vantardise de savoir se transformait en raison d’être : la vantardise pour la vantardise, en somme, une gloriole à partager entre mecs, les coudes sur le zinc et les anecdotes plein les lèvres. Un style de vie. Une manière comportementale. Des mots pour le dire (de Blondin au simple scribouillard, l’éventail était large) et des professions pour l’assumer (journalistes, organisateurs, chauffeurs, etc.).

Par glissements successifs, le journaliste n’a alors plus qu’un lointain souvenir de son métier, de son éthique et des raisons pour lesquelles il décida, un jour, de se mettre derrière une machine à écrire pour raconter une échappée en exaltant la puissance souple d’une pédalée ou l’ardeur d’un caractère de champion.

A plus tard...

Sarkozy confond Astérix et Armstrong…

Si l’on en croit Le Point de cette semaine, qui réalise un long portrait de la nouvelle ministre des Sports, Rama Yade, le président Nicolas Sarkozy aurait longuement évoqué le Tour de France lors du Conseil des ministres du 1er juillet. Sujet à l’ordre du jour ? Le dopage ? Les préparations médicales des uns et des autres ? Le passeport biologique, peut-être ? Voire les insuffisances coupables des contrôleurs de l’Union cycliste internationale (UCI) ? Ou encore les silences actuels du groupe Amaury, pour le moins conciliant avec les instances dirigeantes depuis des mois ?

Rien de tout cela. Notre Nicoléon, déjà drapé dans le jaune de juillet, plus prosaïque que jamais, aurait longuement déclaré sa passion de Lance Armstrong, avec lequel, vous le savez désormais, il a eu plusieurs longues conversations téléphoniques depuis novembre dernier, acceptant avec fierté, au nom de la France, l’idée de son retour sur les routes de la Grande Boucle… une espèce de "feu vert" accordé en notre nom au septuple vainqueur...

Revenons à notre Conseil des ministres. Qu’aurait donc dit Sarko ? Ceci : « J’ai de l’admiration pour Armstrong. Ce sont les élites qui le détestent, mais les élites n’ont rien compris. Quand on atteint ce degré de popularité et de performance, ce n’est plus du sport, c’est de la culture ! »

La ministre de la Santé, de la Jeunesse et des sports, Roselyne Bachelot, qui a osé tancer l’équipe Astana la semaine passée, était-elle présente à ce Conseil des ministres, ou distraite, ou au contraire voulait-elle montrer de l’indépendance vis-à-vis de la tutelle élyséenne, comme pour imprimer sa marque, son style ? Allez savoir. Peut-être ne s’agit-il que d’un jeu de rôle entre les uns et les autres, après tout. L'une sortant le fouet. L'autre avouant son idôlatrie primaire...

Toujours est-il que Nicoléon ne s’était pas arrêté là, ce fameux jour. Selon Le Point, il aurait rajouté : « On accuse Armstrong d’être dopé, mais Astérix a bu une petite potion et tout le monde l’adore… » Où vont se nicher les complexes d'infériorité physique, quand même…

Fraîchement nommée secrétaire d’Etat chargée des Sports, Rama Yade sait à quoi s’attendre. Quand elle était aux Droits de l’Homme, elle devait scrupuleusement éviter de prononcer les noms de certains pays. Là, c’est pareil. Si elle évoque le nom d’Armstrong, il lui faudra mesurer ses propos, sous peine de grosse fâcherie avec le chef.
Avec lui, on ne plaisante pas avec les héros de fiction...

A plus tard…

lundi 20 juillet 2009

A quoi sert un journaliste ?

Parfois s’escarpent des mots plus muets que nature. Parfois, il faut s’employer pour défendre ces mêmes mots. Leur donner de la chair. De la consistance. Bref, du sens. Et si possible un sens le plus engagé qui soit…

Sur les routes du Tour de France, la plupart des journalistes ne se considèrent pas comme des
« acteurs ». Ils se disent même « observateurs étrangers ». C’est le point de vue, par exemple, d’un des plus talentueux représentants de la presse quotidienne nationale, pour lequel il n’y a pas à discuter cette position « de principe », dit-il. Nous en parlons souvent avec lui. Mais il n’en démord pas : « Si nous aspirons à devenir des acteurs, d’une manière ou d’une autre, et quoi qu’on fasse, nous sommes au mieux des utopistes, au pire des naïfs. » Vieille argumentation, celle de la posture de "neutralité", voire de "l'objectivité"...

Lui porter la contradiction et même citer Sartre
(« décrire le monde c’est déjà vouloir le changer »), ne change rien, précisément. « Le Tour est un bocal que nous devons raconter, nous n’avons pas d’idées à faire valoir », poursuit-il.
Inutile de préciser que je conteste point par point cette argumentation. Et vous l'avez compris, je la conteste jusque sur les routes du Tour, cela va sans dire !

Le Tour de France est une chose trop sérieuse pour ne le laisser qu’entre les mains de ceux qui veulent, année après année, le transformer en foire commerciale, désincarnée des enjeux sociaux qui s’y nouent et des destins des hommes qui ont écrit et écrivent encore quelque fois sa légende…

Regarder ce monde en réduction en pleine dérive sans y apporter sa pierre, ses idées, ses combats, même modestement, serait pour moi, après vingt années d’expérience souvent douloureuses, une forme de désengagement (que notre interlocuteur reconnaît humblement d’ailleurs), pour ne pas dire un renoncement à tout ce que nous pensons du monde. Bref, une manière de se montrer cynique.
Du genre : « je vous vois, vous êtes tous aussi minables les uns que les autres, mais démerdez-vous, ce n’est pas mon problème »…

Eh bien non ! Eric Boyer ou Jean-René Bernaudeau, pour ne citer que ces deux-là, ne méritent semblable mépris. Car cette attitude, il faut bien le dire, revient à mettre sur un pied d’égalité les pires mafieux du cyclisme et ceux qui agissent, à leur niveau, certes, mais avec courage, pour transformer les choses.

S’incarner dans le journal de Jaurès, c’est décidément une autre histoire. Appelons cela (immodestement, tant pis), une « philosophie du journalisme d’engagement, en toutes choses et en tous lieux, structurée sur une philosophie des idées et des mots ». Voilà. C'est dit. Doit-on en rougir pour autant ? Et est-ce présomptueux de porter ces valeurs ici même sur les routes populaires de la Grande Boucle ?
Certainement pas.

Au passage, je me permets de citer un internaute qui, sur ce blog, laissa ces mots il y a quelques jours : « Il y a deux choses dangereuses. Croire que l’on peut tout changer et croire que l’on ne peut rien faire. » J’adhère parfaitement à cette idée très jauressienne. Toujours tenter de réunir l’idéal et le possible.

Derrière un fait, un exploit, se cachent toujours des questionnements et même des raisons de compréhension des dispositions humaines et des corps sociaux qui les environnent. Refuser de se couler dans les moules conformistes, c’est aussi un acte de résistance. Le cyclisme, lui aussi, n'en a-t-il pas besoin ?

A plus tard…

dimanche 19 juillet 2009

Tom Boonen, la détresse d’un champion…

En ce jour de triomphe pour Alberto Contador, qui vient de mettre la main sur Tour (peut-être définitivement), un fait de course est passé quelque peu inaperçu : l’abandon du Belge Tom Boonen, qui, comme vous le savez, n’était « pas le bienvenu » sur les routes de la Grande Boucle cette année, suite à un contrôle positif à la cocaïne (pour la deuxième fois de sa carrière). Mais, à la demande de son équipe, le tribunal arbitral avait tranché en sa faveur. Et il avait finalement pris le départ à Monaco. Seulement voilà, depuis qu’il s’était élancé, le triple vainqueur de Paris-Roubaix traînait en queue de peloton comme une âme en peine, incapable de participer aux sprints, de jouer le moindre rôle.

Vous ne le savez peut-être pas, mais sa présence sur le Tour était non seulement ardemment souhaitée par son manager Patrick Lefévère, mais, surtout, par les dirigeants de Quick Step, qui, pour justifier la pression qu’ils ont exercé sur leur coureur, n'ont pas hésité à mettre en avant le « manque à gagner » que constituerait l’absence du Belge sur les routes du Tour… Selon le directeur du marketing Philiep Caryn, le Tour 2007, à l’issue duquel Tom Boonen avait ramené le maillot vert de meilleur sprinter à Paris, avait rapporté « l’équivalent de 25,5 millions d’euros de publicité ».

Vous avez compris. Ce sont donc les dirigeants de Quick Step et personne d’autres qui ont poussé le coureur à faire appel devant le tribunal arbitral. Avec un cynisme absolu. Sans se soucier le moins du monde de la santé mental du coureur, qui, manifestement, avait besoin d'une longue coupure…

Il y a quelques jours, le Belge s’était confessé assez lucidement au journal l’Equipe, s’interrogeant sur ses contre-performances depuis quinze jours dont il ne comprenait pas l’origine. Il disait en particulier : « Je ne veux pas m’apitoyer sur mon sort, il y a des moments dans le cyclisme où rien ne vous sourit. Il faut l’accepter. (…) Je ne sais pas ce qui se passe, je suis pourtant en bonne condition. »

Plutôt souriant depuis le départ de Monaco, mais peu bavard, le champion du monde 2005 reconnaissait néanmoins que, « à chaque nouvelle affaire (le concernant, NDLR), ça devient plus pesant ». Et il ajoutait ces mots, signe évident d’une grande détresse psychologique : « Les limites du supportable ne sont plus très loin. J’adore mon sport et le milieu du cyclisme, mais je ne veux pas sombrer pour lui, et encore moins servir d’alibi. (…) J’ai toujours fait la différence entre mon métier de cycliste professionnel et ma vie privée. Le souci c’est qu’en Belgique, je suis le seul sportif de haut niveau à représenter mon pays. C’est parfois difficile à vivre. Un jour, j’ai droit à des éloges, le lendemain je suis bon à jeter à la poubelle. Il n’y a eu aucune logique dans le traitement qu’on m’a réservé. »

Voilà. Tom Boonen a craqué. Et le Tour continue sans lui. Pour une fois le business attendra. A condition que son état psychologique lui permette de revenir un jour.

A plus tard…

samedi 18 juillet 2009

A bout de souffle...

Pour la deuxième fois depuis le départ du Tour de France 2009, je me dois de vous parler à nouveau de la chronique de Greg LeMond, chaque jour dans Le Monde. Je confirme ce que j’écrivais sur ce blog il y a une semaine : chronique décidément passionnante. En témoigne celle publiée dans l’édition du week-end et intitulée « Bouche bée ».

L’ancien triple-vainqueur du Tour, se référant aux premières étapes de montagne (les Pyrénées), puisque, selon lui, il s’agit « d’un bon indicateur pour mesurer l’état du dopage dans le peloton », a constaté ceci :
« Hormis les leaders des grandes équipes et une formation en particulier, j’ai cru déceler des signes de fatigue sur le visage des coureurs, les bouches de certains étaient même grandes ouvertes. »

Pour LeMond, qui en connaît un rayon, il faut naturellement dépasser le seul aspect visuel, au bénéfice d’un autre « élément un peu plus compliqué à appréhender » : « La façon dont un coureur produit l’énergie nécessaire à le propulser dans les cols. » Et l’ancien coureur, premier américain à triompher sur les routes du Tour, précise : « Comme dans tout sport d’endurance, ce qui fait la différence à haut niveau, c’est la capacité à capter la plus grande quantité d’oxygène possible, le ‘’carburant’’ indispensable pour faire avancer le vélo. (…) Le seul moyen d’aller plus vite, pour un cycliste, c’est d’augmenter sa capacité d’oxygénation. La plupart des sportifs améliorent leurs capacités pulmonaires au cours des trois à cinq premières années professionnelles. Ensuite, les coureurs ne peuvent plus améliorer leurs capacités respiratoires naturellement… »

Greg LeMond entre dans le détail. Et ça devient croustillant. « Si un coureur, explique-t-il, possède une VO2max (consommation maximale d’oxygène) de 78 millilitres par seconde, il lui sera normalement impossible de battre un adversaire qui affiche une VO2max de 90 millilitres. Et aucune charge d’entraînement ni aucun régime diététique ne peut transformer un coureur qui n’a pas une excellente VO2max en champion. »

Je me dois de citer encore LeMond : « Quand je courais encore, poursuit-il, ma VO2max était de 93 millilitres, c’était la plus élevée du peloton. Aujourd’hui, je serai très loin des premiers ! Certains coureurs donnent comme explication à ce bond de performance la perte de poids et un meilleur entraînement. C’est de la poudre aux yeux ! La recette miracle s’appelle EPO et transfusion sanguines. »

Certains anciens ont décidément des choses à nous apprendre. Merci à Greg LeMond…

Evidemment, je profite de l’occasion pour apporter un élément complémentaire. Sachez en effet que la VO2max d’Armstrong, qualifiée d’«exceptionnellement haute», ce qui justifierait pour une bonne part l’ampleur de ses capacités de l’époque, avait été mesurée à 81,2 millilitres en 1993, ce qui la plaçait en effet dans la moyenne haute des sportifs de haut niveau. Seulement voilà, elle fut mesurée à 71,5 millilitres en 1999, année de son premier succès dans le Tour !

Peut-on dès lors parler d’une VO2 Max « exceptionnelle » ? Et comment expliquer qu’elle était au sommet en 1993, quand il était incapable de franchir un col de 2000 mètres, et au plus bas en 1999, quand il lâchait les purs grimpeurs ?

A plus tard…

Du plomb dans l’aile (ou la cuisse)…

Le suiveur tout chiffonné ne sait trop quoi penser. Fait rarissime, on a donc tiré sur le Tour, lors de l’étape de vendredi, entre Vittel et Colmar. L’incident est survenu au 165e kilomètre, dans le petit col du Bannstein (Haut-Rhin) où l'Espagnol Oscar Freire (Rabobank) a été blessé dans le haut de la cuisse, au niveau du fessier, par un projectile en plomb, de même que le Néo-Zélandais Julian Dean (Garmin), touché, lui, légèrement à un doigt de la main gauche.

Selon les informations officielles, les deux coureurs ont vraisemblablement été victimes de deux « jeunes désoeuvrés », comme l’annonce ce samedi le procureur de Colmar, Pascal Schultz. Les tirs « sont sans doute le fait de jeunes en mal de sensation qui ont ainsi agi par desoeuvrement », a-t-il expliqué devant la presse, avant le départ de l’étape. « Nous disposons du témoignage très précis d'un coureur qui a remarqué sur le bas côté droit de la chaussée deux jeunes. Contrairement à ceux qui regardaient le spectacle, ils se sont plutôt réfugiés derrière un arbre lors du passage des coureurs », a-t-il ajouté. Ces jeunes pourraient avoir 16 ou 17 ans, selon ce témoignage.

Le procureur évalue le nombre de tirs « entre trois et cinq », provenant d'un pistolet ou d'une arme à air comprimée en vente libre « pouvant tirer des billes en plastique » ou « des plombs ». On peut le regretter, mais les deux coureurs ont fait savoir qu’ils avaient déposé plainte pour « faits de violence volontaire avec arme ». L'enquête en flagrance a été confiée à la section de recherches de Strasbourg et à la brigade de Colmar. Ils doivent visionner le film de l'étape qui a été réquisitionné aux fins d'enquête.

Présents aux côtes du procureur, le colonel Philippe Furmanek, commandant du groupement du Haut Rhin et le commandant de la gendarmerie de Colmar, Jean-Christophe Le Neindre, ont carrément lancé un appel aux spectateurs « pour pouvoir visionner leurs vidéos ou leurs photos s'ils se trouvaient dans la zone concernée par l'incident ».

Jean-François Pescheux, directeur de la course, a annoncé que la société du Tour avait également déposé une plainte. « On ne peut rien faire contre les quelques fous qui sont sur la route, a-t-il déclaré. Le Tour reste une fête populaire et son déroulement se doit de rester près du public. »

Chers internautes, me vient néanmoins une question que je considère comme légitime - question que je me pose souvent et à laquelle je ne parviens pas à répondre massivement : le Tour est-il encore un espace plus ou moins sacralisé dans la conscience collective, comme il l’était jadis, pour tous, assez naturellement ? Au fond, s’attaquer au Tour, n’est-ce pas s’attaquer un peu à soi-même ?

Longtemps institution érigée en lieu-mémoire du fait même de sa grande Histoire (avec un « H » majuscule), le Tour s’est peu à peu dépouillé non seulement de son caractère onirique mais également de son unicité qui, autrefois, se transmettait de génération en génération. Une certaine idée du respect envers quelque chose de plus grand que soi, en somme...

Quoi qu’on en pense, et même s’il convient de ne pas transformer cette énorme connerie en affaire criminelle (les jeux de gamins peuvent dégénérer, nous sommes tous bien placés pour le savoir), tirer sur un coureur revêt néanmoins une signification inquiétante. Autant se le dire : un ado tirerait-il sur un Géant de la Route s’il était réellement convaincu qu’il s’agit bel et bien d’un Géant de la Route ?

Voilà... Sans vouloir sur-interpréter, admettons qu'une forme de désenchantement se poursuit, plus ou moins confusément. Elle prend parfois des formes inattendues. Et pour le coup assez dramatique, au moins symboliquement.

A plus tard…

La véritable histoire du dopage (chapitre 10 – et FIN)

1996. L’après-midi de Sestrières, donc, nous étions devant les téléviseurs de la salle de presse. Nous traquions du regard non plus l'Espagnol Miguel Indurain, dépassé par les événements, mais cet Evgueni Berzin qui constituait, après tout, un successeur crédible : à la tête de la sulfureuse équipe italienne Gewiss (dans cette équipe, les coureurs se shootaient à l’EPO comme on suce des bonbons à la menthe), n’avait-il pas accroché à son palmarès deux courses parmi les plus prestigieuses du calendrier, le Giro et Liège-Bastogne-Liège ?

Mais là, sous nos yeux, dans cette séquence hors de tous repères, nos « logiques » volaient en éclat. Plus de maillot jaune. Plus de maillot Banesto. Seul s’imposait, dans une danse macabre, celui rouge et blanc du champion du Danemark, Bjarne Riis.

Au plus fort de la pente, ce Danois de 32 ans qui avait annoncé sa prochaine retraite, vieux cheval de retour, entamait l’ère des escrocs au petit cœur, sans foi ni loi, cynique. Il se laissait glisser pour jauger ses adversaires, on le croyait défaillant mais non, il respirait, regardait, transpirait à peine, se dressait sur les pédales et avait fini par s’enfuire comme un bandit vulgaire, tournant le dos à l’Histoire en paraphant de son sang la mortelle surenchère.

Du jamais vu. Dans la salle de presse on entend quelqu’un dire : « N’importe quoi. » Il gagna l’étape, prit le maillot, ne le quittera plus jusqu’à Paris, et nous, pauvres de nous, nous cherchions dans ses précédentes performances des raisons d’y croire. Un coureur de « deuxième plan » transgressait la règle édictée par-delà les âges : nous avions la preuve aveuglante qu’une certaine avance dans l’armement chimique pouvait faire vaciller le Tour de France.

L’étoffe du héros n’était plus une tunique jaune. On la trouvait au fond d’une valise pleine de médicaments.

La triste et terrible prévision de Pierre Chany venait de se réaliser : les bourrins pouvaient désormais détrôner les pur-sang... Depuis, comme vous le savez, plus rien n'est comme avant. Encore combien de temps ?

A plus tard...

vendredi 17 juillet 2009

Méfions-nous des sondages...

Au lendemain de la présentation du premier rapport de la Cour des comptes sur le budget de l’Elysée, me voilà très intrigué, pour le moins, d’apprendre que 15 sondages payés par la présidence de la République auraient été publiés (en "exclusivité", sic !) par certains médias. Qu'apprend-on ? Que nous sommes bel et bien au coeur d’un système d’instrumentalisation de l’opinion et de connivence entre le pouvoir, un institut de sondage, et certains médias. Etes-vous étonnés ?

Dans son rapport, la Cour des comptes a, en effet, relevé que «sur les 35 études (d’opinion, NDLR) diverses facturées en 2008, au moins 15 d’entre elles avaient fait l’objet de publications dans la presse. » Et la Cour d’ajouter : « Pour un nombre très limité d’entre elles, la version remise à l’Elysée contenait des thèmes ne figurant pas dans la version grand public. Pour les autres études, le document remis à la présidence était identique à celui publié par les organes de presse et conduisait donc à mettre en doute l’intérêt de telles commandes. »

Institut visé (rien d’étonnant là non plus ) : Opinion Way, dont les résultats sont publiés dans Le Figaro et par LCI. « En dépit des 392.288 euros facturés » par un cabinet de conseil « à la présidence de la République pour la participation à ces enquêtes (...) la comparaison des résultats publiés dans la presse et ceux remis à la présidence ne faisait pas apparaître de différence », souligne la Cour. D’où ses interrogations « sur l’utilité de ces dépenses ».

Vous êtes prévenus. Si dans quelques jours, un sondage nous annonce qu’Armstrong est le cycliste le plus populaire de toute l’histoire du Tour de France, surtout, vérifiez bien si cette enquête a été réalisée par Opinion Way. Si tel est le cas, vous connaissez le coupable : Sarkozy… N'est-il pas le supporter n°1 du Texan ?

A plus tard…

Francis Huster : chute à l'arrière du peloton...

Au passage, petite perle piochée dans Le Parisien du jour. Lecture d'un entretien avec l'acteur et réalisateur Francis Huster, qui doit autant sa notoriété médiatique à sa passion du football que pour ses activités théâtrales. Huster déclare : "Armstrong, comme un Anquetil ou un Coppi, est béni des dieux. Il a un destin à accomplir et il est revenu pour baisser le rideau en l'accomplissant. Si c'est de gagner en se vengeant de toutes les saloperies qu'on a pu dire sur lui, bravo. Si c'est de faire triompher Leipheimer, chapeau."

Outre que Leipheimer ne risque pas de gagner ce Tour (il a abandonné), ne trouvez-vous pas quelque peu déplacé qu'on puisse associer ces trois noms, même sous le régime (très contestable) des dieux : Coppi, Anquetil, Armstrong ?

A plus tard...

Un article du Monde Diplomatique...

A la demande générale (décidément), voici l’intégralité du petit article consacré à mon livre « Lance Armstrong, l’abus ! » (éditions Michel de Maule) dans les colonnes du Monde Diplomatique du mois de juillet 2009 :

« C’est en amoureux de la Grande Boucle (le Tour de France) que Jean-Emmanuel Ducoin a pris la plume. Furieux de voir la plus grande épreuve cycliste du monde gangrenée par le dopage, dont le retour de Lance Armstrong est le symbole. Le journaliste, fin connaisseur du monde sportif – et rédacteur en chef de l’Humanité -, dresse un portrait peu amène du coureur américain, recordman des victoires dans le Tour de France. Il démonte une à une les grandes périodes de la vie scénarisée du champion. Il rappelle les soupçons accumulés et (rapidement) écartés par la direction du Tour – on ne badine pas avec le spectacle (et les profits qui en découlent). Ducoin met également en garde contre toute banalisation des pratiques médicales douteuses, et notamment l’idée cent fois développée selon laquelle la médecine sportive pourrait échapper à l’éthique médicale courante, au nom des performances. Au total, un pamphlet salutaire. »
MAUD PASCAL

Quand Armstrong critique une ministre de Sarkozy…

Aimant tout régenter, comme à l’accoutumée, l'Américain Lance Armstrong s’est fendu d’une petite sortie verbale, ce vendredi 17 juillet, à Vittel, avant le départ de l’étape. Devant une forêt de micros, le septuple vainqueur a en effet tenu à réagir vigoureusement aux propos de la ministre française de la Santé, de la Jeunesse et des Sports, Roselyne Bachelot, qui avait évoqué un « retard » anormal de l'UCI, samedi dernier lors d'un contrôle antidopage de l'équipe Astana d'Armstrong et Alberto Contador, en Andorre: une heure pour réaliser un prélèvement inopiné…

Que les internautes pardonnent cet excès d’amabilité, la vérité nous oblige : non seulement les faits donnent raison à la ministre, mais, à l’évidence, celle-ci, en visite sur les routes du Tour, était dans son plein droit d’exprimer son inquiétude…

« Trop c'est trop », a néanmoins déclaré Lance Armstrong, ajoutant : « Cette équipe existe depuis longtemps et nous n'avons jamais eu de contrôle positif. » Avant d’estimer, sans rire : « Je trouve cela ridicule. C'est le Tour de France et on ne peut pas réveiller des coureurs à 6 heures du matin le jour d'une étape de montagne. Tout ce que je sais de ce qui s'est passé, c'est que quand ils ont frappé à ma porte, je suis descendu et j'ai donné mon sang. » Tous à la même enseigne: n'est-ce pas la règle ? Lance voudrait-il en revenir à l'impunité d'avant 1998 ?

Donc, jeudi, Roselyne Bachelot, sur le territoire de la République jusqu’à nouvel ordre, avait redit fermement à l’UCI ses devoirs de rapidité pour exécuter les contrôles. « Je veux rappeler chacun à ses responsabilités, et qu'en particulier le regrettable incident qui s'est produit samedi dernier où il y a eu un certain retard à l'allumage de la part de l'UCI lors du contrôle de l'équipe Astana ne doit plus se reproduire pour qu'il n'y ait aucun risque de contestation. »

Lundi, Pierre Bordry, président de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), avait de son côté évoqué la « complaisance » (un mot fort) des inspecteurs de l'UCI chargés de superviser les contrôles antidopage. Encore une fois les faits sont têtus : selon de nombreux témoins présents à l’hôtel ce jour-là, l'encadrement de l'équipe de Johan Bruyneel aurait fait patienter une heure les inspecteurs de l'UCI venus contrôler les coureurs au matin de la 11e étape, Andorre-la-Vieille - Saint-Girons. Et... non seulement ces inspecteurs ne s’étaient pas émus de cette situation, mais ils avaient, en toute amabilité, pris un bon café en compagnie de plusieurs membres du staff des Astana.

Ironie de l’histoire, Armstrong égratigne ainsi une ministre de son « ami » (dixit) Sarkozy, avec lequel il a eu de nombreuses conversations téléphoniques… L’Américain peut toujours causer. Plus il parle, plus la suspicion grandit. A ce propos. Nous avons appris ce jour que deux coureurs espagnols, Inigo Landaluze et Ricardo Serrano, ont été déclarés positifs à l'EPO Cera, a annoncé justement l’UCI. Et pas pendant de petites épreuves : Landaluze (Euskaltel) a été déclaré positif à deux reprises, le 7 juin pendant le Dauphiné, et le 16 juin, lors d'un contrôle hors compétition ; Serrano (Fuji) l'a été pour sa part le 13 juin pendant le Tour de Suisse.

Armstrong peut toutefois respirer. En effet, ces deux coureurs ne participent pas au Tour, où nous attendons toujours notre premier cas « officiel »…

A plus tard…

La véritable histoire du dopage (chapitre 9)

1996. Jusque-là, mon amour immodéré pour le Tour avait survécu à tout. Y compris à ce que je savais. Mais ce 8 juillet 1996, tandis que le peloton s’ébrouait vers l’Italie et la station de Sestrières en improvisant un trajet qu’à l’improviste les organisateurs avait dû raccourcir à 46 kilomètres et à un seul col, en raison de chutes de neige qui avaient condamné l’accès à l’Iseran et au Galibier, nous avons assisté à l’assassinat de notre Tour.

Un lundi. Je m’en rappelle comme si c’était hier. Faute de chaises, j’étais assis à même le sol dans la salle de presse. A mes côtés, l’écrivain Paul Fournel, chroniqueur pour l’Humanité cette année-là, ne manquait rien lui non plus de la retransmission. Nous sortions d’un week-end tragique où l’on devinait confusément qu’on avait bel et bien changé d’époque...

Le samedi, trois kilomètres avant l’arrivée à la station des Arcs, Miguel Indurain, à qui l’on promettait une sixième victoire de rang, avait craqué, d’un coup, dans l’ascension finale, et soudain nous avions ressenti une émotion si vive que cette mémoire est encore douloureuse aujourd’hui - allez savoir pourquoi. Peut-être la noblesse d’Indurain jusqu’au bout de l’effort. La violence d’une défaite devenue trop humaine pour être honnête. J'avoue une faiblesse sans doute coupable...

Dans la simplicité de son visage meurtri, les traits tirés, on lisait non pas la détresse du Navarrais surpris par la brutalité de la défaillance mais bien l’impuissance d’un homme vaincu par des forces surhumaines. Comme si la sagesse de l’Espagnol, et même son respect des autres coureurs qui fit sa légende (il a offert tant et tant de courses), ne suffisaient plus, soudain, à expliquer l’inexplicable.

Le soir, avant de redescendre dans la vallée vers notre hôtel, nous avions vu de loin Miguel Indurain attablé avec les membres de son équipe Banesto. Nous avions vu un homme ordinaire, pas moins souriant qu’à l’accoutumé. Paul Fournel peut témoigner : Miguel avait même bu un verre de vin…

Le lendemain, le dimanche, un improbable Russe du nom d’Evgueni Berzin s’était emparé du maillot jaune à l’issu d’un contre-la-montre surréaliste vers Val d’Isère. Indurain, qui construisait habituellement ses victoires dans cet exercice en solitaire, n’avait fait que limiter sa perte à venir. J’avais titré mon papier : « Le Tour à toute Berzin. » J’étais loin d’avoir tout vu…

A plus tard...

jeudi 16 juillet 2009

La vulgarité de Patrick Lefévère…

Dans le milieu (appellation qui lui colle comme un gant), il est « le coureur de kermesses ». Pour certains (quelques directeurs sportifs dont nous sommes solidaires) c’est une manière de signifier qu’il ne fut qu’un coursier de basses eaux, et que, depuis qu’il est à la tête d’une équipe de haut rang, il continue de naviguer en eaux troubles. Pour d’autres (plutôt les journalistes que nous sommes), c’est justement une façon de ne jamais oublier que pour gagner des kermesses il faut beaucoup « acheter », « magouiller », et que cet état d’esprit originel ne l’a sans doute pas quitté, comme en témoignent ses faits et gestes depuis des années. Quoi qu'il en soit, il reste pour beaucoup l’un des parrains du cyclisme mondial. A ce titre il est tout puissant. Attaquons-nous aux puissants !

Patrick Lefévère, le manager de la Quick Step, n’a pas que des amis. Exemples, les échanges verbaux qu’il vient d’avoir – à distance – avec le directeur sportif de la Française des Jeux, Marc Madiot. Ce dernier, qui, comme chacun le sait, défend mordicus l’idée de la disparition des oreillettes, a déclaré à juste titre il y a deux jours que Patrick Lefévère et Johan Bruyneel (manager des Astana) profitaient grassement du système mais desservaient le cyclisme à la faveur de leur fronde contre la suppression des oreillettes.

Interrogé par l’Equipe ce matin, Lefévère décide de contre-attaquer. C'est du brutal. « Il ne faut pas tout mélanger, déclare-t-il. Moi, je ne gagne pas d’argent grâce au Tour de France mais grâce aux victoires de mon équipe, ce qui n’est pas le cas de Marc Madiot. On est tous d’accord, son palmarès ne m’arrive pas à la cheville (pas son palmarès de coureur !, NDLR). En revanche, ce qui est sûr, c’est que son salaire est bien supérieur que le mien. Je ne sais pas comment il gère son budget. La différence entre lui et moi, c’est que je suis le patron de mon équipe et lui la marionnette de la Française des Jeux. Comme cela, c’est plus facile pour lui de crier que de prendre de vraies décisions pour son équipe comme je le fais. »

Chassez le naturel, la vulgarité ressort toujours… Voilà Patrick Lefévère tel qu’en lui-même. Fidèle à sa morgue habituelle. Un peu plus loin dans l’interview, il rajoute : « Christian Prudhomme (le patron du Tour, NDLR) est venu me serrer la main. Il a beaucoup plus de classe que Marc Madiot, qui ne daigne même pas me regarder quand il me croise. Comme si j’étais un gangster ! »

Le mot est lâché. Et par lui encore ! « Gangster. » Un mot, le concernant, que nous reprenons volontiers...

A la lecture de cet entretien, Marc Madiot a dit sa « déception », défendant sa position concernant les oreillettes, affirmant que cela ne l’empêchera pas
« d’aller reboire une bière avec lui » un de ces jours. Nous ne saurions trop conseiller à Madiot d’user du mépris, meilleure arme face à ces gens-là.

Autant vous l’avouer, chers internautes, je n'ai jamais aimé les méthodes de Monsieur Lefévère, qui, depuis fort longtemps, et à n’importe quel prix (sic), défend la pire famille du cyclisme. Celle des tricheurs et des mafieux capables de tout, croyez-moi.

Allez. Encore quelques années et, un jour, cet homme quittera le cyclisme de gré ou de force. Ce jour-là, oui, nous irons boire une bière. Mais avec Marc Madiot, Vincent Lavenu, Jean-René Bernaudeau, et bien sûr l’ami Eric Boyer !

A plus tard…

La véritable histoire du dopage (chapitre 8)

Le regretté Pierre Chany, le grand journaliste de l'Equipe mort quelques semaines avant le départ du Tour 1996, ne croyait pas si bien dire. A la question : « A quoi ont-ils toujours marché ? », les anciens répondaient invariablement : « Au courage. » Et on les croyait. Non par naïveté mais parce que ce n’était pas faux.

Reconnaissons de bonne grâce qu’Eddy Merckx n’était pas n’importe qui, que Jacques Anquetil était d’une intelligence supérieure, qu’un Bernard Hinault n’avait rien d’ordinaire dans le registre du courage, qu'un Laurent Fignon avait une classe folle...

Bien sûr, les quatre grands champions que je viens de citer ont tous mis les doigts – et souvent le bras entier – dans le pot de confiture vitaminée. Les vivants nieront et attaqueront peut-être même en justice ces quelques lignes (pas Laurent Fignon !). C’est la loi du genre. Mais avouons-le néanmoins, au risque de se faire contredire par mieux informés que nous : leur dopage, empirique et plupart du temps artisanal, n’a jamais vraiment mis en péril le sport qu’il pratiquait à leurs époques respectives.

On pouvait encore clamer : « A dopage égal, la classe l’emporte toujours. » Ou encore : « Un produit ne transformera jamais un cheval de trait en pur sang. » Au début des années 90, ces évidences ressassées n’en étaient plus. Tout a volé en éclat et le Tour de France en fut le témoin passif, en 1996, l’année où le crime fut total et - hélas - presque parfait.

A plus tard...

mercredi 15 juillet 2009

La véritable histoire du dopage (chapitre 7)

1989. C’est donc dans cette période que j’entre en action, comme journaliste. Une question mérite d’ailleurs d’être posée : pourquoi le dopage devient-il très vite une préoccupation et un terrain d’investigation privilégié ? Est-ce une quête de la vérité ? Un goût pervers pour l’envers du décors, où je commençais à mettre les pieds avec l’orgueil de la jeunesse ? Une envie très prononcée de dénoncer inlassablement un système qui ne manquait pas d’ « exploiter » des individus, mis en danger et vassalisés ? Est-ce le devoir de ne jamais être dupe malgré l’enthousiasme des premières fois ?

-Tu as toujours su presque tous les secrets des coureurs, pourquoi n’as-tu jamais rien écrit, ou alors seulement de manière allusive, entre les mots ?, ai-je souvent demandé à Emile Besson, l'ancien journaliste de l'Humanité.
-Ecrire quoi ?, répondait-il. Le dopage existe depuis que le cyclisme existe. Respecter les hommes, c’est aussi savoir qu’ils sont faibles : on ne va pas les brûler pour autant ou les livrer en pâture en place publique !

Me concernant, la réponse est sans doute encore ailleurs. J’aimais déjà trop le cyclisme (et son Histoire) pour ne pas m’en préoccuper, même modestement. Disons que je ne pouvais m’en laver les mains et rejeter d’un bon mot ce qui me revenait aux oreilles, essentiellement par les confrères d’ailleurs. Puis progressivement de la bouche même de quelques coureurs français.

Dès 1991, de lourdes rumeurs nous inquiètent. On parle d’hormones de croissance, d’Erythropoiétine, la célèbre EPO. Mais entre nous on ne dit plus : « Untel est une grosse chaudière. » On dit : « Il est métamorphosé. » Sans vraiment s’en apercevoir, nous changions les mots. Et en changeant les mots, nous changions d’époque. Le dopage « à la papa » cédait peu à peu la place au dopage scientifique. Nous ne mesurions pas alors l’ampleur de cette mutation…

Même Pierre Chany, le grand journaliste de l'Equipe (lui aussi, comme Besson, issu de la Résistance), non par la maladresse des mots mais par l’emploi de formules traditionnelles hélas démenties par l’évolution (de la science) s’avouait vaincu, en quelque sorte, sans le savoir.

Une anecdote raconte bien ce qui se passait alors et la puissance du trouble qui était le nôtre. Dans une conservation privée, en 1996, il répéta ce qu’il avait toujours affirmé : « Le jour où un bourrin détrônera un pur-sang grâce à une piqûre, alors là, oui, et seulement dans ces conditions, nous pourrons affirmer le cyclisme sera en danger de mort. »

A plus tard...

mardi 14 juillet 2009

Les primes du Tour : quelques chiffres...

Suite à la demande d’un internaute, voici quelques chiffres concernant le Tour de France 2009.

2 500 000 euros : c'est à peu près le montant des prix et des primes distribués sur le Tour répartis comme suit :
- Maillot jaune : environ 400.000 euros ; 190.000 euros pour le deuxième du classement général et 91 470 euros pour le troisième.
- Maillot vert du meilleur sprinter : 133 126 euros.
- Maillot à pois du meilleur grimpeur : 98 164 euros.
- Maillot blanc du meilleur jeune : 60 974 euros.
- Prix de la combativité : 50 316 euros.
- classement par équipes : 150 350 euros.

Pour les vainqueurs d'étapes:
- prologue : 3 810 euros.
- étape en ligne et contre-la-montre individuel : 7 620 euros.
- contre-la-montre par équipes : 15 000 euros.

Au total, 502 788 euros de primes sont distribués lors des 20 étapes de la Grande Boucle. A noter que les porteurs de maillot reçoivent une rente quotidienne de 305 euros. Enfin, à cela s'ajoutent 630 000 euros versés aux équipes au titre des frais de déplacement, plus de 180 000 euros de frais de fonctionnement versés à la fin de l'épreuve selon le nombre de coureurs restant dans chaque équipe.

A plus tard...

Bataille des oreillettes : on amuse la galerie...

Ce mardi 14 Juillet, entre Limoges et Issoudun (194,5 km), un dialogue de sourds entre la plupart des équipes et les instances dirigeantes a failli nous priver de son. Alors : oreillette ? Pas oreillettes ? Au risque de subir quelques sanctions des commissaires ? La belle affaire…

Le cyclisme, manifestement, veut s’offrir une crise sans intérêt pour mieux en masquer d’autres volontairement étouffées depuis le départ de Monaco (toujours pas de contrôle positif). Comme nous le disait le patron de l’équipe AG2R La Mondiale, Vincent Lavenu, pendant la journée de repos : « Avec cette histoire d’oreillettes, qui n’a aucun intérêt, on se trompe décidément de priorité. Comme si le problème du vélo en ce moment c’était ça ? Et en plus, ça amuse la galerie et ça occupe les journalistes, c’est ridicule! » Inutile de vous dire que je partage assez le point de vue de Vincent.

Entre les partisans d’un retour à la tradition (Madiot, Prudhomme, etc.), qui réclament la généralisation de la suppression des oreillettes afin de redonner de la liberté et de l’improvisation à la course, et les modernistes qui parlent de « retour en arrière » et « d’archaïsme » (14 managers d’équipes, tous réunis derrière une pétition signée à l’initiative de Johan Bruyneel, le patron des Astana), le conflit risquait de s’envenimer. C’était du moins une hypothèse.

Finalement, tous nos bons hommes durent respecter l’injonction des organisateurs du Tour, qui obtinrent il y a quelques mois de l’UCI que deux étapes (ce sera également le cas vers Colmar, vendredi) soient courues sans liaison radio entre les coureurs et leur voiture d'équipe. Résultat catastrophique aujourd’hui, où l’on vit une évidente mauvaise volonté collective, une sorte de « grève » du peloton, qui décida de roulotter à distance raisonnable d’une échappée condamnée, un peloton ne laissant, comme par hasard, aucune place à l’improvisation...

Bilan. Fiasco total de l’initiative. Sprint sur la ligne d’arrivée. Bref une non-étape, insipide et insignifiante, à endormir le suiveur le plus mordu…
Les coureurs décident toujours de la course. Comment certains peuvent encore l’oublier ?

A plus tard…

Armstrong et sa fondation...

(Librement inspiré de "Lance Armstrong, l'abus !", éditions Michel de Maule.)

Il y a deux façons d’écrire l’histoire, une façon froide et impavide, une façon chaude et prospective : l’une s’attache aux faits et y discerne les marques invétérées des agissements des hommes, l’autre relève de la croyance et lit dans les événements les prémices espérées d’un avenir meilleur. Avec l'Américain Lance Armstrong, il convient de s’inventer une troisième façon. Le harcèlement. Les coups de bordure. Les attaques brutales, répétées et ciblées. Contre l’arrogance du Texan, toute retenue porte en elle l’échec assuré.

« Bénis soient les fêlés : ils laissent passer la lumière », disait Blondin. Lance Armstrong est tout le contraire. Opaque et sombre. Car l’homme a toujours été sans fioriture, assignant à ses victoires un professionnalisme ronflant. Là où d’autres se contentent de la tête et des jambes, lui court avec des médecins, des biologistes, des informaticiens, des stratèges, des spécialistes en tout genre, des statisticiens, des tacticiens, des psychologues. Et surtout des avocats.

Avouons-le. Le septuple vainqueur du Tour est l’Incarnation même du dilemme du dopage : tout le monde se doute qu’il se dopait massivement, mais, à ce jour, aucune instance sportive n’a réussi à le prouver qu’il avait triché. A quelques agissements près, que nous détaillerons un peu plus loin…

Ainsi donc, faisant fi de tous les soupçons, le miraculé bionique avec ses faux yeux d’aigle, qui s’enfilait les cols en apnée sans ouvrir la bouche, ne bronzait pas et transpirait si peu qu’il ne luisait qu’après le bain, a repris les routes du cyclisme mondial comme si de rien n’était. A 37 ans. « Pour redonner un nouvel élan à la lutte contre le cancer, cette tragédie qui touche chaque année des millions de personnes à travers le monde », déclarait en septembre 2008 le cycliste, lui-même revenu d’un cancer des testicules. Valeureux vibrato pour bonne conscience...

Le cyclisme et le Tour de France pour promotionner sa Fondation ? Pourquoi pas. Mais ce n’est pas nouveau. Depuis de nombreuses années, le village-départ comme tous les lieux stratégiques de la Grande Boucle sont envahis de petits bracelets jaunes, symboles de la Fondation mis en vente un peu partout. Ne pas le porter pendant juillet vous range définitivement dans la catégorie des salauds, aveugles au sort des malades – intolérable. Le porter fait de vous un dévot de l’ex-boss – insupportable. Choisir son camp relève de l’anecdote personnelle et de sa propre conscience. Un conseil : l’acheter sans le porter ; penser aux malades sans glofifier le cycliste…

Bien belle Fondation, que la Lance Armstrong Foundation (LAF), plus communément appelée Livestrong. Association caritative américaine fondée en 1997 par le coureur fraîchement sauvé de la maladie, dont le siège se situe à Austin, ville natale du Texan, cette organisation dont le slogan est « unity is strength, knowledge is power and attitude is everything », a pour but officiel d'«inspirer et de rendre plus fort» les malades souffrant d'un cancer et leur famille afin de faciliter les chances de guérison. Elle fournit des informations et pratique des campagnes de levées de fonds pour financer ses programmes, l'aide aux malades, et la recherche dans la lutte contre le cancer.

Là encore on voudrait y croire. Ne croire qu’à ce bien-fondé. Oublier certaines enquêtes récemment publiées sur le caractère pour le moins ambiguë et obscure des buts non-avoués de cette Fondation.

A plus tard...

La véritable histoire du dopage (chapitre 6)

Mais au fil des années 80, rien n’y fait, la magie opère toujours autant et l’image glorifiée du cycliste du Tour de France substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs d’identification. Alors que tout devrait nous alerter sur ce monde de pacotilles et de héros fantoches, dont les mœurs défient l’intelligence, nous continuons d’aduler ces icônes cartons-pâtes. Nous voyons toujours en eux les Forçats de la Route.

Au nom de quoi ? De l’Histoire ? De leur statut qui les range immanquablement dans la catégorie des victimes du système ? Lorsque, en 1988, le porteur du maillot jaune, Pedro Delgado, est contrôlé positif au Probénicide, un produit masquant la prise d’anabolisant, beaucoup s’amusent du vice de forme qui permet de «sauver» l’Espagnol et la réputation du Tour par la même occasion.

Ce produit était certes interdit par le Comité international olympique, mais pas encore par l’Union cycliste international, ce qui sera le cas quinze jours plus tard… Entre temps, Delgado est blanchi et, au même titre que Maurice Garin ou Fausto Coppi, il figure au palmarès de la Grande Boucle… Cherchez l'erreur.

A plus tard...