mardi 30 décembre 2014

Être radical

En 2015, soyons radicalement combatif ! Car ils ne manquent pas, ces combats à mener, pour s’agrandir, pour se hisser, pour travailler à un réel changement.
 
La ''une'' de l'Humanité du 31 décembre, réalisée spécialement pour nos lecteurs par l’artiste Bruce Clarke, résume assez bien ce que pensent et ce que sont les équipes de l’Humanité avant le passage à la nouvelle année et l’esprit rituel des vœux et des souhaits, les meilleurs possibles et envisageables, qui l’accompagne. Par les temps qui courent, avec la peur du lendemain et l’à-venir qui tiraille, une expression, une seule, en effet, pourrait nous déchiffrer au plus juste par sa nécessité et son exigence: «Être radical». Oui, radicalement combatif! Face à la rage de destructions sociales, face à un capitalisme qui ne répand qu’inégalités et pauvretés, face aux divisions, aux haines, aux intégrismes de toutes natures, face aux extrêmes droites néofascisantes, le «combat» redevient l’un des plus beaux mots de la langue française.

lundi 29 décembre 2014

Résistance grecque

Les électeurs grecs sont aux portes d’un changement anti-austéritaire. Le gouvernement Samaras a échoué à faire élire le président de la république héllenique par le parlement. Elections législatives anticipées d'ici un mois.
 
Alexis Tsipras.
Curieux, comme les moments cruciaux de nos démocraties suscitent des interprétations antinomiques. Ce qui se passe en Grèce – pays d’expérimentations devenu champ de ruines – l’illustre de manière assez magistrale. D’ici un mois, donc, des élections législatives s’y dérouleront. Cette perspective d’un nouveau vote populaire a le don de mettre sens dessus dessous l’Europe des puissants, ces derniers n’ayant pas de mots assez durs devant ce qui pourrait ­advenir, à savoir une victoire de la coalition anti-austérité, Syriza, que tous les sondages, pour l’instant, prédisent. Comme ils sont nombreux, les exécuteurs d’infamies. Comme ils se ressemblent et s’assemblent dans leurs désirs morbides. La raison de leur haine déchaînée? Selon le Figaro, «Bruxelles et Berlin observent avec attention», car, voyez-vous, «l’arrivée de la gauche radicale au pouvoir» risquerait «de compromettre les réformes en cours». Le journal de Dassault ne cache pourtant pas la vérité. «Les Grecs ont accepté des sacrifices dont peu d’Européens mesurent la brutalité», si bien que «la troïka des “sauveurs”, Commission, BCE, FMI, a réussi à se rendre aussi populaire que les cavaliers de l’Apocalypse». Bien vu. À un détail près: l’arrivée au pouvoir d’Alexis Tsipras, le leader de Syriza, qui incarne la résistance démocratique, serait une bonne nouvelle et pourquoi pas un moment crucial de notre histoire, que tous les Européens asphyxiés, tétanisés ou révoltés par les politiques d’austérité devraient saisir telle une chance!
 

jeudi 25 décembre 2014

Quelques mots pour Noël ?

Si tu parles à Jésus, c'est que tu es croyant.
S'il te répond, c'est que tu es schizophrène.

Joyeux Noël quand même.

jeudi 18 décembre 2014

Révolution(s): dans le fourre-tout des questionnements actuels

Pourquoi les inégalités de revenu ont des conséquences sur la croissance.
 
OCDE. Regarde ton époque, je te dirai ce que tu vis; regarde le monde, je te dirai comment tu vis… Un matin, vous vous réveillez en sursaut et, sans savoir pourquoi, comme pris d’une lucidité renouvelée, vous constatez que le chemin parcouru s’est transformé imperceptiblement en pente. Réfléchissez un instant. Vous finirez par admettre une réalité à la fois banale et terrifiante: l’époque est à la pente involutive. Puis vous douterez de cette conclusion hâtive, sinon par contradiction, au moins par prudence.
Alors vous déciderez de plonger dans les chiffres et les statistiques. Une étude de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), publiée la semaine dernière, vient à propos. Sobrement intitulé «Tendances de l’inégalité des revenus et son impact sur la croissance», ce document de travail devrait être enseigné en urgence dans toutes les écoles d’économie. La donnée de base est simple: le revenu disponible des ménages a augmenté en moyenne de 1,6% par an dans les vingt à vingt-cinq années qui ont précédé la crise de 2008 dans l’ensemble des 34 pays de l’OCDE. Seulement voilà, cette statistique en apparence positive est à mettre en relation avec une autre: aujourd’hui, le revenu des 10% les plus riches est en moyenne 9,5 fois plus élevé que celui des 10% les plus pauvres. Dans les années 1980, ce ratio était inférieur à 7. Jamais le fossé entre riches et pauvres n’a été aussi prononcé dans les pays les plus «avancés». Nous parlons bien là d’inégalités.

dimanche 14 décembre 2014

Et maintenant, la marchandisation des chômeurs

L’extension généralisée de la mise en concurrence de Pôle emploi permettrait aux agences privées de capter missions de service public pour faire du fric.

Chaque jour sa surprise ; chaque semaine son coup d’épée dans les reins… Connaissez-vous la convention 181 de l’Organisation internationale du travail ? Sans la vigilance de la CGT – qui révèle l’affaire et prouve, si besoin était, qu’elle est un syndicat d’utilité publique –, nous n’aurions pas pénétré si vite les dédales d’un texte dont la dangerosité arrive soudain jusqu’à nous comme une mise en alerte majeure et pour le moins révélatrice. Admettez néanmoins qu’il était temps d’en découvrir ce qui affleure. Car, voyez-vous, cette convention, qui vise à la libéralisation du placement des chômeurs au bénéfice d’agences dites d’emploi (lisez : cabinets de placement, opérateurs en tout genre à but lucratif, etc.), est devenue l’une des priorités du gouvernement, qui souhaiterait la ratifier au plus vite. Tellement vite qu’un projet de loi est déjà rédigé et qu’il doit être soumis au Parlement dès ce jeudi 18 décembre, en procédure accélérée. Cette méthode expéditive du gouvernement, outre qu’elle constitue un véritable déni de démocratie puisque les instances représentatives ont été exclues de toute discussion, en dit long sur les intentions restées volontairement secrètes pour l’instant.

jeudi 11 décembre 2014

Horizon(s): la voix déchirante et déchirée de Bertrand Cantat

Revoir l'ex-leader de Noir Désir sur scène, avec son nouveau groupe, Détroit.
 
Conscience. D’abord: quelque chose d’électrique, de sournoisement insomniaque à l’heure où les nerfs lâchent enfin, dans le déroulé furtif de sentiments paradoxaux balayés par l’évidence, arrachés à une longue nuit. Ensuite: l’impression d’avoir à consigner quelques fragments d’un registre sans date, hors du temps. Puis: le besoin de s’alléger, de se désamarrer, de creuser en soi pour trouver la force d’avancer sans jamais perdre la mémoire. Enfin: parvenir au retournement de la conscience quand l’épreuve passée, sinon abolie, devient la possibilité même de nouveaux territoires… Voilà c’est fait, le bloc-noteur a donc revu Bertrand Cantat sur scène, au Zénith parisien. Comment dire au plus près, sans travestir le fond sincère de la pensée, ce qu’il y eut d’émotion et d’impalpables questionnements? ­Comment taire la forme la plus sacrée du plaisir ressenti, quand l’usage de mots brûlants devrait nous investir de prudence et d’une rigueur de langage toute maîtrisée? Pour beaucoup, il sera difficile d’avoir à lire dans cette chronique la passion d’un chanteur maudit, inexcusable, et l’intérêt musical et artistique qu’il suscite encore.

mercredi 10 décembre 2014

Loi Macron : oui, une régression…

François Hollande évoque un texte «de progrès et de liberté». L’exécutif prétendument de gauche ne cherche même plus à écorner les consciences mais carrément à les manipuler.

Scène d’effroi dans l’ordinaire, hier à l’Élysée. Accompagnant de quelques mots la présentation du tristement célèbre projet de loi Macron, François Hollande évoque un texte «de progrès et de liberté». Manuel Valls parle, lui, d’«efficacité» et de «justice». Encore un jour sombre dans notre histoire sociale contemporaine, victime de cet exécutif prétendument de gauche, qui ne cherche même plus à écorner les consciences mais carrément à les manipuler. Une ombre vient de passer dans les couloirs du palais, nous la reconnaissons distinctement, comme nous croyons identifier une voix dominante qui jamais ne se tait. L’ombre: celle du Medef. La voix: celle de la finance. Le chef de l’État et son premier ministre auront beau débiter des phrases enjôleuses, les quatre-vingt-dix articles de la loi concoctée par leur ministre de l’Économie ne font plaisir qu’au patronat et à la droite.

samedi 6 décembre 2014

Ensemble(s): ou la montée des incertitudes

Comment le sentiment d'injustice sociale submerge toute autre considération. La preuve avec le dernier livre de Florence Aubenas.

Incertitudes. Le vivre-ensemble ne s’invite pas, comme la vie, l’amour, la mort, par effraction. Chacun le sait : nous vivons une période tellement inédite – crise de civilisation, crise économico-globalisante, crise morale, crise sociale, crise politique, etc. – que nulle expérience ne peut nous servir de point de repère, encore moins de modèle pour déconstruire ce temps qui est le nôtre et joue contre nous. La montée des incertitudes explose, et avec elle, disparaît peu à peu la manière jadis homogène d’entrevoir un «destin social» et de participer pleinement à l’élaboration d’un «en-commun» dont nous étions tous plus ou moins les légataires, quels que soient nos rôles respectifs, nos statuts, nos classes sociales. Sans oublier que la nouvelle conjoncture du «monde du travail» et de «l’emploi» creuse les disparités et frappe le plus gravement les catégories déjà placées «au bas de l’échelle sociale», accroissant leur subordination, attisant leurs inquiétudes. En découle une multiplication des divisions, comme le montre un sondage réalisé par Ipsos pour le Conseil économique, social et environnemental (Cese), qui organisait cette semaine le 4e Forum du vivre-ensemble. Deux chiffres nous frappent. Le premier effraie: 61 % des sondés considèrent que, aujourd’hui, ce qui sépare les Français est plus fort que ce qui les rassemble. Le second revient au fond: la «violence économique» est le premier ferment des divisions (pour 40%), puis l’accroissement des inégalités (pour 37%), loin devant les extrémismes religieux (pour 29%).

jeudi 4 décembre 2014

CICE: un scandale financier !

La démarche du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi repose sur une illusion grotesque et sur un mensonge éhonté.
 
Certains bilans ont quelque chose d’éloquent et leurs formes, même fragmentaires, révèlent parfois l’illustration d’un scandale à venir. La France est un grand pays et il n’y a rien d’anormal, par temps de crise ou non, d’ailleurs, à ce que les citoyens soient pleinement informés de l’utilisation des fonds publics. Ainsi en est-il de tous les dispositifs accordés au Medef, dont le CICE puis le pacte de responsabilité s’avèrent emblématiques. La démarche du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi repose sur une illusion grotesque et sur un mensonge éhonté: il suffirait d’offrir des dizaines de milliards aux entreprises pour que l’investissement et l’emploi repartent. Rien n’est plus faux. L’ineffable Emmanuel Macron en personne l’a reconnu en parlant d’«un échec», rappelant que les 41 milliards d’euros prévus de réduction des charges et de la fiscalité des entreprises devaient trouver leur contrepartie en termes d’emplois. Un «échec» imputable, selon lui, à Pierre Gattaz. Diable, mais qu’aurait-il fallu attendre du Medef? Un respect de la parole donnée? Un vrai pacte? Et une sincère responsabilité? Le croire (ou le faire croire) relève d’une complicité coupable. Une de plus.
 

Semonce(s): les mots pour dire le monde tel qu'il est

La poésie est encore vivante, combative. La preuve avec Gérard Mordillat.
 
Recueil. «Vous m’aurez connu / Dans le temps qui s’enfuit / Telle que m’érige enfin / la Révolution. (…) Je suis l’Incorruptible / Aux yeux froids / Un soleil d’ironie / Me gouverne/Dans la débâcle du sang/Je suis la boule à cris/La main qui brise/L’absolu, l’éternel.» La poésie aurait-elle, quelquefois, souvent, toujours, un rapport particulier avec la forme la plus sincère de l’engagement? Rares sont les écrivains de l’audace, voleurs de feu, capteurs d’énergie vitale, qui saisissent l’époque à bras-le-corps et laissent un goût d’encre sur chaque phrase pour vous aider ou vous contraindre à ne pas passer votre tour. Gérard Mordillat est l’un des tout derniers à s’inscrire dans la haute tradition de ceux pour qui la littérature ou l’art en général restent un moyen unique de dire le monde et, déjà, vouloir le transformer, utilisant toute l’amplitude des genres — cinéaste, réalisateur télé, écrivain…

jeudi 20 novembre 2014

Pluralité(s): quand l'immigration tourne rond

Le football français, 
héritier de l’immigration. Le documentaire magistral 
d’Éric Cantona.

Ouvriers. «L’immigration est un sujet qui me touche. J’ai voulu me servir du football pour regarder l’histoire, bref, raconter l’immigration à travers ce sport.» Éric Cantona parle, posément, il se veut concis et direct – nous l’aimons aussi pour sa franchise, son intelligence et la fermeté de ses convictions. Il n’a rien à vendre, ne souhaite surtout pas se justifier ; il s’en moque d’ailleurs. Ce qu’il veut, avec autant de relatives et d’incidentes que nécessaire, c’est expliquer de fond en comble ce qui lui tient à cœur. Le bloc-noteur doit ainsi l’avouer: le documentaire que l’ex-king de Manchester a réalisé (avec Gilles Perez), intitulé Foot et immigration, 100 ans d’histoire commune, diffusé dimanche dernier sur Canal Plus, fut un tel bonheur qu’il n’est pas inutile d’y revenir pour le promotionner encore et encore et inciter tous ceux qui le peuvent à le visionner, par tous les moyens disponibles, replay et autres. Les quatre-vingt-cinq minutes débutent par une idée simple, que nous pourrions résumer ainsi et décliner à nos enfants: au départ, le football était aristocratique, il fallait dribbler pour aller marquer, seul, un but ; après, les clubs ouvriers sont arrivés et le football est devenu un sport d’équipe et de solidarité ; en France, les fils d’immigrés du football ont perpétué cette tradition. Voilà. L’essentiel est dit. 


lundi 17 novembre 2014

Un Etat palestinien !

Plus de 130 pays ont déjà reconnu unilatéralement la Palestine comme État, depuis sa proclamation en 1988 par Yasser Arafat. Le 28 novembre, les députés français devront se déterminer clairement.

Tous les commentateurs médiacratiques devraient aujourd’hui lire l’Humanité et bien choisir, dans le ronflement sournois de l’actualité, entre l’écume des choses et l’imagination du monde qui ne renonce pas. Il n’est pas si fréquent d’avoir à tutoyer l’histoire, pour prendre date, cela va de soi, mais aussi et surtout pour la convoquer. Dans nos colonnes, cinq grandes voix israéliennes, parmi 660 autres, dont Élie Barnavi en personne, l’ex-ambassadeur d’Israël en France, exhortent l’Europe, et singulièrement notre pays, à se prononcer «pour» la reconnaissance d’un État palestinien. Il n’y a pas de hasard et nous voulons croire que le moment porte en lui quelque chose d’inédit pouvant arracher aux ténèbres la lumière attendue par tout un peuple. Une lumière capable de nous sortir de cette guerre de Cent Ans, qui n’en est qu’à mi-course et qui a ensanglanté des générations et mis plusieurs fois en péril la paix de toute la région.

vendredi 14 novembre 2014

Chant(s): la haute ambition de la langue

Zidane comme vous ne l’avez jamais lu, dans un roman de Philippe Bordas.
 
Puissance. Ceux qui voient vite sont rares; ceux qui écrivent plus loin qu’eux-mêmes aussi. Avec son roman "Chant furieux" (Gallimard), Philippe Bordas vise à hauteur des dieux, comme souvent avec lui, et s’il a décidé de célébrer l’un de ceux du football, Zinedine Zidane, il nous livre un monument de prose de près de 500 pages qui touche à l’exception, comme miroir des exploits d’antan du champion du monde 1998. La trame de l’histoire est simple: Mémos, un photographe (tout comme Bordas), suit la star de l’équipe de France durant trois mois, à la demande d’un éditeur. Cent jours en apnée et en chorégraphie footballistique, à la conquête éperdue d’un personnage singulièrement médiatique. Voici le récit romanesque d’une figure en chevalier, à la croisée de destins en apparence dissemblables mais qui deviennent, par la force de la littérature, la Chanson de Roland moderne et épique d’une aventure à perdre le souffle tant la puissance du verbe et des mots dribble tout ce que vous avez déjà lu sur le sujet. Bordas nous avait déjà stupéfié par son génie de la langue, en 2008, avec "Forcenés" (Fayard), dans lequel il livrait à la légende moribonde du cyclisme l’un des plus beaux textes jamais écrits, œuvre de mémoire à nulle autre semblable. L’ambition s’avère encore une fois identique, tant et tant que certains critiques disent avoir ressenti quelque chose d’étouffant dans cette lecture qui ne laisse pas indemne par son exigence et son intensité.

L’intégration sociale bientôt privée de logements?

Les HLM sont en danger, face aux tentatives de privatisation et de marchandisation.
 
L’entreprise de démolition est là, sous nos yeux, et nombreux s’amusent encore à détourner leur regard, non par simple esprit de pudeur, ce serait au moins pardonnable, mais par goût cynique des commodités d’usage. La réalité devrait pourtant s’imposer à tous, révélant ce qu’il y a de plus cru à voir et à constater: jamais dans notre histoire récente, disons depuis plus d’une génération, la France n’a connu une telle crise du logement. Année après année, les indicateurs, quels qu’ils soient, continuent d’afficher le rouge vif. Tous les organismes référents, toutes les associations concernées n’en finissent plus de tirer les signaux d’alarme. Près de quatre millions de personnes sont actuellement mal logées dans notre pays, parmi lesquelles 800 000 enfants. À ces premiers chiffres essentiels, ajoutons en deux autres vertigineux: près de deux millions de nos concitoyens se trouvent en situation d’impayés; sept millions sont officiellement en situation de «réelle fragilité», pour reprendre la terminologie consacrée…
 

dimanche 9 novembre 2014

Gauche: du bon usage d’une catastrophe?

Une seule solution d'urgence: engager un processus permettant d’en finir avec Valls...
 
Inutile de se revendiquer prophète de légende pour noyer le malheur passé ou futur par l’étalement dans le temps du mystère et de la cruauté en politique, qui, souvent, cassent le cœur des hommes. Chacun sait exactement ce qu’il est en train d’advenir de notre pays, et singulièrement de la gauche, si l’on ne change rien. Nous parlons là de cette gauche vraiment de gauche que souhaiteraient voir disparaître Hollande et Valls mais à laquelle des millions de Français n’ont pas renoncé. Pour une raison simple. Ces citoyens, qui savent encore se hisser plus haut que l’horizon, n’ont pas disparu depuis deux ans et demi. Ils sont juste meurtris, sidérés, écœurés et/ou découragés par les politiques qui ont tourné le dos à la gauche ferme sur ses principes en pariant sur sa décomposition, non sa recomposition. La République elle-même, atteinte dans le primat universel de son projet collectif, se délite plus vite que jamais, aspirée elle aussi par la machine à broyer l’espérance et les alternatives crédibles.
 

vendredi 7 novembre 2014

Non-lecture(s): quand une ministre nous afflige...

Adieu la Culture, Fleur Pellerin n’a pas lu un livre depuis deux ans.
 
Temps. Fleur Pellerin n’a donc «pas le temps» de lire. Sous-entendu: «À quoi bon lire quand on manque de temps.» Ou pire: «Aucune place pour le livre dans un agenda surchargé.» Bienvenu chez les énarques en politique, capables de répliques spontanées d’autant plus sincères (sic) qu’ils ne voient jamais où est le problème et pourquoi certains de leurs comportements ou propos «disent» quelque-chose de pourri au royaume de notre époque. Avez-vous lu le dernier Modiano? Bah, non… Quel est le livre du prix Nobel que vous avez préféré? Euh… Et le coup de grâce: je n’ai pas ouvert un livre depuis deux ans… Pensez-donc, avec toutes ces responsabilités, il faudrait en plus se disperser en énergie dans la littérature, dans les récits, dans les essais? N’y pensez même pas, chassez définitivement les paroles frémissantes, le souffle puissant, la carcasse immense, celle du poète ou du romancier qui donnent de la matière et de la chair aux mots, des ailes à l’esprit, toujours en avance d’un horizon, jamais à court d’invention, donc d’espoir. Pas le temps, cela ne se discute pas; pas le temps, cela ne se négocie plus; pas le temps, d’ailleurs à quoi bon en perdre.
 
Songes. Frères de livres, séchez vos larmes. C’était bel et bien la ministre de la Culture qui avouait ainsi ne pas avoir lu un livre depuis deux ans, préambule surréaliste à la semaine des principaux prix littéraires distribués dans ce pays si singulier, la France. Vous vous souvenez, la France?

vendredi 31 octobre 2014

Ravage(s): Emmanuel Macron, ou la «googlisation» technocrate de l’esprit

Le ministre de l'Economie, né en 1977, est-il ivre 
de sa jeunesse libérale?
 
 
Macron. Et si l’exaltation de la jeunesse, parfois, était le contraire de ce que nous croyons ? Une supercherie. Un enfermement. Un contresens pour les fracassés de la crise qui confondent l’«ancien-âge» avec le «bel-âge», révéré l’an dernier par Régis Debray dans un essai tonitruant publié chez Flammarion. L’autre jour, alors que le ciel bleu-gris ombrait le drapeau tricolore d’une teinte de plomb devant l’entrée d’un ministère régalien, un conseiller ayant quitté Matignon pour Bercy s’épanchait, et en une seule phrase le bloc-noteur sentit le poids d’une désillusion aussi permissive que mortifère: «Ce Macron, il veut déjà remplacer Valls, alors qu’il n’a rien à voir avec notre histoire de gauche, avec nos mots, nos références, alors qu’il ne comprend rien au peuple, rien au mot “social” et encore moins au mot “socialisme”…» Et l’homme d’ajouter: «Seule la folie de sa jeunesse lui vaut ce sauf-conduit octroyé par Hollande, seule son immaturité politique lui permet de se placer sur le marchepied libéral sans se poser de question.» Diable! La jeunesse de Macron, né en 1977, bien après le choc pétrolier et la mort de Pompidou, ne serait déjà plus une qualité dans les arcanes du pouvoir, mais la forme plus ou moins avouée d’une précipitation pro-capitaliste irréfléchie et aveugle? La critique tient lieu de paradoxe.
 

jeudi 23 octobre 2014

Humilié(s): dans les ténèbres des années 80

Le roman coup de poing de Stéphane Guibourgé. Lisez "Les Fils de rien, les princes, les humiliés" et vous comprendrez ce que signifie un «choc» littéraire qui accouche, oui, de ce possible-impossible si rare à atteindre en tant que récit... 


Skinhead. Écrire et encore écrire; dire et surtout ne pas se taire; témoigner du possible-impossible littéraire, lorsque l’émotion vous saisit et que, pour en découdre vraiment avec ce que vous ressentez, il vous faut respirer bien fort pour affronter des pensées ambivalentes, les braver comme on monte sur un ring. Il est des romans qui laissent des traces ineffaçables et vous secouent l’esprit et l’âme des jours durant. Lisez "Les Fils de rien, les princes, les humiliés", de Stéphane Guibourgé (Fayard, 200 pages), et vous comprendrez ce que signifie un «choc» littéraire qui accouche, oui, de ce possible-impossible si rare à atteindre en tant que récit. Celui-ci débute par ces mots terribles: «Nous choisissons la haine.» Le décor est planté; il ne se figera jamais totalement. Le roman de Guibourgé, ramené à l’os, souvent magistral dans la construction et le choix des mots qui vous percutent sans sommation dans des séquences heurtant toute intimité en vous, est construit sur un va-et-vient entre passé et présent.

mercredi 22 octobre 2014

Le dernier masque est tombé

Manuel Valls ne se déclare plus socialiste. Et il le dit !

Un autre temps...
«La politique de l’exécutif menace la République et prépare un immense désastre démocratique.» Les mots de Benoît Hamon, prononcés hier, viennent claquer dans le paysage agité du Parti socialiste non comme une provocation mais bien comme une mise en garde du plus strict intérêt et d’une sincère lucidité. Nous ne le contredirons pas sur ce point. Il y a tout lieu de penser, en effet, que le triumvirat Hollande-Valls-Macron, dans son entêtement à pousser les feux d’une folie libérale, nous conduit au désastre. La forme peut surprendre les godillots de service, mais le fond, pour le coup, n’est qu’un réquisitoire légitime contre les politiques conduites par le chef de l’État. Puisque la forme, c’est souvent du fond qui remonte à la surface, ces propos ne passent pas. Au point de créer une tension paroxystique. Dans le rôle du porte-flingue et de la parole gouvernementale, Stéphane Le Foll: «Si c’est ça, qu’il quitte le Parti socialiste alors.» Voici un fâcheux précédent qui n’a sans doute rien d’instinctuel. Le gouvernement demande aux socialistes contestataires de quitter le PS. Début de rupture irréconciliable?
 
Manuel Valls, lui, va beaucoup plus loin et plus vite dans la destruction commune.

vendredi 17 octobre 2014

Suicide(s): l'odieux histrion

Eric Zemmour veut réhabiliter Pétain. Tout est dit.
 
La mécanique est huilée ; la dialectique, machiavélique, se veut savante ; le propos reste ordurier et insupportable. Voici le résumé en trois phrases du dernier livre d’Éric Zemmour, le "Suicide français" (Albin Michel), phénomène d’édition qui surclasse désormais dans les ventes tout ce qui s’est publié depuis la rentrée littéraire, les textes d’Emmanuel Carrère (magnifique) et de Valérie Trierweiler (digne d’intérêt) compris, c’est dire si l’éventail livresque est large. Quatre soirées d’intense lecture pour que le bloc-noteur vienne à bout des 530 pages et que s’impose une conclusion évidente. Porté par des vents crépusculaires qu’il sent favorables, le polémiste Zemmour a l’ambition qui enfle, il voudrait devenir le Maurras contemporain, mais il n’est qu’un Pauwels en peau de lapin fripé par l’air du temps qui pue la xénophobie et la revanche poujado-nationaliste. Il ne le cache pas : «Maurras exalta jadis les quarante rois qui ont fait la France ; il nous faut désormais conter les quarante années qui ont défait la France. »
 

mardi 14 octobre 2014

Reconquérir la Sécu !

Le principe universel de protection sociale, pilier de la République, est menacé.
 
Puisque les membres de l’exécutif ne donnent pas dans la demi-mesure ni dans la moitié d’un reniement avec ce qu’ils ont appelé un jour «la gauche», rien n’échappe aux décisions mutilantes. Ainsi en est-il de la protection sociale «à la française», qui fut érigée en pilier de la République ayant pour vocation de couvrir les risques qui affectent l’existence des personnes. Ce principe universel, adossé à la redistribution des revenus sur la base des valeurs de solidarité et de justice, garantit la sécurité économique au moyen de prestations compensatoires et évite aux familles de plonger dans la misère. Croyez-le ou non, ce principe aurait quelque chose de dépassé. Alors que débute la discussion budgétaire au Parlement, certains voudraient en effet laisser croire que la philosophie même de ce «conquis social» majeur, en tant qu’objectif d’organisation de société, serait devenue obsolète... N’ayons pas peur des grands mots: c’est une certaine idée de la France qu’on tente de renvoyer dans les catacombes de l’histoire !
 

Déconstruction(s): à la mémoire "du" philosophe

Croyez-le 
ou non. 
Dix ans après, Jacques Derrida n’est pas mort.
 
Commençons d’abord par l’inacceptable: notre incapacité chronique mais assumée, dix ans après, à élever notre voix devant la mort surgie un 8 octobre 2004, devant le non-pensable, le non-compréhensible, quand l’orgueil du refus se mêle encore ici-et-maintenant à la douleur qui exige à penser sans fin, à ouvrir les yeux et à tendre l’oreille pour lire et comprendre ce qui continue de résonner à travers son nom, Jacques Derrida, parce que la mort de l’Autre en tant qu’Unique reste « la mort première », si l’on en croit Lévinas.
 
Poursuivons immédiatement par l’acceptable: ce que l’Absent continue de nous transmettre ne semble pas s’atténuer et au contraire se renforce, se gonfle, se bonifie à chaque évocation, chaque lecture, témoin et maître de toujours, lequel, par une cinquantaine de livres, parcourut l’acuité du penser indissociable d’une écriture d’un raffinement prodigieux, presque inouï et (jalousement) inaccessible. Derrida en philosophe absolu, mais aussi en écrivain total, moins hermétique qu’annoncé.

jeudi 9 octobre 2014

Conteur(s): on achève bien les poètes...

La mésaventure "administrative" d'Yvon Le Men. Ou comment assassiner la création.

«Tout une histoire  / à cause d’un mot / les mots qui fondent les histoires / pour nous / font des histoires / entre nous.» Connaissez-vous Yvon Le Men? Auteur, poète, conteur, le Breton parcourt depuis quarante ans les réunions publiques, les festivals, les écoles, les médiathèques. Par la voix et le talent, partout il divulgue l’art majeur d’une langue noble et rare, et transmet tant de mots qui soufflent dans l’encoignure de nos heures sombres que leur musique se transforme en fragments intemporels d’autant plus importants qu’ils peuvent nous libérer des entraves du quotidien. À Lannion où il vit, il a créé, en 1992, les rencontres intitulées « Il fait un temps de poème ». 

Étonnant voyageur de son état, et fier de l’être, il travaille au festival du même nom avec son ami l’écrivain Michel Le Bris et, de Saint-Malo à Bamako, de Sarajevo à Sao Paulo, il s’est imposé en passeur des poètes et des écrivains. Pas un seul village breton où il n’ait pas dit de la poésie : Yvon Le Men traîne avec lui un bout d’humanité indispensable par les temps qui courent. Mais il arrive que l’histoire – avec un petit « h » – rattrape parfois à coups de crocs ceux qui n’ont rien demandé. Nous parlons là d’« histoire », certains écriraient plutôt l’« administration », sauf que, par principe, nous refusons de dénigrer l’administration en tant qu’institution, car ce n’est pas l’institution elle-même qui est en cause mais bien ce qu’il est advenu d’elle au fil des contre-réformes successives. Dans une France tourmentée par la violence et l’atomisation sociales, le verbe est souvent la plus magistrale expression du courage. C’est exactement ce qui a été reproché à Yvon Le Men. 

mercredi 8 octobre 2014

Ces "sacrifices"...

La question des retraites se situe au point de convergence de toute notre organisation sociale…

«Rêver, c’est le bonheur ; attendre, c’est la vie», disait Victor Hugo. Qui mieux que les retraités sait le prix du rêve et de l’attente? Qui mieux qu’eux connaît, jusqu’aux sacrifices les plus intimes, l’ampleur des gestes contraints qui s’engrènent tant bien que mal dans le bonheur rarement accessible d’une vie si difficile qu’elle en devient fardeau. Ce qu’ils furent ne compte pas. Ce qu’ils ont fait pour la collectivité, ce qu’ils ont aidé à bâtir, ce qu’ils ont inventé, créé par leur travail ou dans le secret de leurs familles, se trouve dévalorisé, nié ou oublié. Ils vivent mal, ils sont sous-payés, souvent très pauvres. Voilà le constat, douloureux, d’un pays en déliquescence sociale qui n’offre plus à ses anciens la tranquillité qui devrait leur être due. La société de droits a glissé dans celle du «minimum», minimum vieillesse, minimum vital, tous synonymes d’impossibilités. 

dimanche 28 septembre 2014

Chrétien-athée(s): ce que l'écrivain peut encore nous dire

Emmanuel Carrère est accusé, dans le Royaume, d’abuser du « je».
 
Ils. Rassurez-vous, le bloc-noteur ne défendra pas ici toutes les excroissances de la littérature en tant qu’exception (culturelle) totale sinon définitive, même si le romancier seul possède sans doute cet art coutumier d’utiliser la «clé des portes closes» (Louis Aragon), aptes à dévoiler la réalité, puisque, chacun devrait le savoir, «il n’y a pas de vérité, il n’y a que des histoires» (Jim Harrison). Pour répondre à la question, à laquelle il ne s’était peut-être pas assigné : où est la frontière entre la littérature et le réel?, Emmanuel Carrère a donc décidé, dans le Royaume (POL), d’entretenir l’ambiguïté. S’agit-il d’un roman? D’un essai? D’une enquête? La réponse importe peu, sauf pour de nombreux commentateurs qui souhaitent absolument faire la distinction entre ce que l’auteur «imagine», verbe fréquemment usité dans le livre, ce qu’il pense, et son souci, presque comme «un historien», de «démonter les rouages d’une œuvre littéraire», comme l’écrit Emmanuel Carrère lui-même.  

dimanche 21 septembre 2014

Ami(s): éloge des artistes de la Fête

La compagnie Lubat et tous ceux qui l’accompagnent anticipent cette mémoire collective d’un monde réinventé qui universalise l’écoute.
 
Vérité. Quelque chose dans l’air avait cette transparence et notre goût du bonheur partagé séchait nos larmes, tant et tant que nous savions, déjà, que cette abondance au cœur de l’essentiel coulerait aussi longtemps que possible, tel un ruisseau. La Fête de l’Humanité, qui n’entretient pas le culte du patrimoine mais l’art majuscule d’être-des-vivants-ici-maintenant, n’est jamais l’étude d’un passé tôt regretté (encore que), mais celle des hommes dans leur durée, ceux qui patiemment s’attellent à leur propre dépassement… Chers lecteurs, vous l’avez compris. Les lendemains de Fêtes se prêtent volontiers aux boursouflures de style rehaussées du soupçon légitime d’en rajouter dans l’allégresse et le pathos. Non, l’esprit laudateur ne nous habite pas. Si le bloc-noteur s’arroge le droit – et pour le coup le devoir – d’user de phrases pour dire sa passion du «peuple de la Fête» et de ceux qui s’y produisent, c’est que l’heure de vérité a sonné. Car, voyez-vous, l’effort librement consenti rend libre.

mardi 16 septembre 2014

Déliquescence(s): doit-on parler de socialistes non-socialistes?

Avec certains socialistes, il y a tricherie autant sur l’intime-en-politique que sur l’idée-en-politique.

Vice. Lorsque les puissants – les vrais, ceux qui se considèrent au cœur et aux commandes du monde – acquièrent la certitude, consciemment ou non, qu’ils ont perdu en centralité une partie de leur pouvoir, ils procèdent souvent eux-mêmes à un étonnant tête-à-queue: ils donnent des leçons à la terre entière alors qu’ils ont définitivement épuisé tout sens de l’intérêt général. La plupart des socialistes au pouvoir nous donnent cette impression. Chaque semaine qui passe offre le spectacle écœurant d’une déliquescence d’autant plus spectaculaire qu’elle révèle un double vice de forme: il y a tricherie autant sur l’intime-en-politique que sur l’idée-en-politique, de sorte que la nature même de l’engagement paraît, sinon suspecte, du moins problématique. Ainsi pouvons-nous sérieusement nous interroger sur les raisons qui, un jour, en ont poussé certains à devenir «socialistes», à le revendiquer, à prendre une carte estampillée PS, puis, c’est souvent là l’essentiel, à vouloir coûte que coûte représenter le peuple, à devenir élu sous cette étiquette «de gauche» et un jour pourquoi pas ministre. Être socialiste ne serait donc qu’une affaire d’aiguillage? Quel bon quai faut-il prendre? Tiens, pourquoi pas le PS? Comme le dit souvent Régis Debray «Jadis on voulait faire quelque chose, aujourd’hui on veut être quelqu’un.» De quoi expliquer qu’on puisse être premier ministre «socialiste» et préférer Clemenceau à Jaurès…


La confiance, mais quelle confiance?

Le premier ministre Manuel Valls va donc réclamer la «confiance», lors d’un vote qui ne devrait réserver aucune surprise. Pressions et basses manœuvres n’ont pas manqué depuis des jours pour empêcher que la défiance, écrasante dans tout le pays, s’exprime pleinement jusqu’au Parlement.

Parce qu’il diffuse de la mémoire vigilante et du «partage» qui nous hisse au-delà de nous-mêmes, l’après-Fête est notre meilleur allié pour trouver la force du grand retournement de la conscience collective. Trois jours de succès populaire et d’espoir revisité, durant lesquels la liberté, l’authentique liberté, a tenté de chasser la paralysie et la peur. Dans le contexte de désarroi dramatique du peuple de gauche, sidéré et exaspéré par la politique libérale de Hollande-Valls, le rendez-vous de La Courneuve, terre défrichée du «nulle part ailleurs où il faut être», a peut-être marqué un tournant politique.

jeudi 11 septembre 2014

Pauvreté, miroir des échecs politiques

Méfions-nous de certains chiffres. Et plus encore de leur éventuelle interprétation. Selon des statistiques publiées hier par l’Insee, la pauvreté toucherait légèrement moins de Français. Il y aurait tout lieu de croire que la situation s’améliore. Grave erreur ! Cette statistique n’est qu’un trompe-l’œil. Entre 2008 et 2011, près d’un million de personnes supplémentaires étaient passées en dessous du seuil de pauvreté. Si cette tendance a subi une «pause» en 2012, les auteurs du rapport ne cachent pas que la pauvreté «gagne en intensité», d’autant que le niveau de vie médian a, une nouvelle fois, baissé de 1%. Les plus pauvres sont de plus en plus pauvres ; les plus riches, de plus en plus riches. Quant au principal chiffre, il donne le vertige: 8,5 millions de Français, près de 14% de la population, vivaient avec moins de 987 euros par mois en 2012. Comment ne pas croire que, depuis, cette situation s’est encore aggravée? Résumons donc la réalité d’une simple formule: la majorité des Français continue de s’appauvrir, dans des proportions qui signent l’état d’urgence absolue.

vendredi 5 septembre 2014

Anachronisme(s) : à propos d'un ministre banquier

Avec Emmanuel Macron, le libéral reste d’abord libéral. Socialiste ou non. Ou plutôt non-socialiste.
 
Macron. Surtout, n’y voir aucune improvisation. Si la nomination à Bercy d’Emmanuel Macron fut accouchée lors d’une crise gouvernementale d’été aussi imprévue que spectaculaire, son atterrissage à l’un des postes clés, l’économie, n’a rien d’un anachronisme dans la Hollandie quinquennale. Énarque comme son mentor, proche de Jacques Attali et de Jean-Pierre Jouyet, pour lequel «c’est le meilleur d’entre nous» (sic), l’ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée, qui se rêvait, à trente-six ans, en secrétaire d’État au Budget, arrive donc comme un point d’exclamation au milieu du sauve-qui-peut, répondant, par son seul profil, à l’une des interrogations des socialistes concernant l’identité de l’exécutif: le social-libéralisme de Normal Ier a bel et bien choisi son camp. Sans doute définitivement. Celui de la finance, des banquiers, du libéralisme à tout-va, du pacte avec le patronat, bref, de cette gauche dite «de gauche» et qui se prétend encore «de gauche» en se targuant de « modernité » pour justifier la régression sociale et la réduction constante du périmètre de la République dans ses prérogatives jadis sacrées. Emmanuel Macron explique qu’il «n’est pas interdit d’être de gauche et de bon sens». 

mardi 2 septembre 2014

Autoritarisme social, la porte à droite

Quand François Rebsamen, le ministre de Travail, stigmatise les chômeurs...

Mais à quoi est donc due cette morbide dérive qui signe la trahison à chaque répétition? Il y a, dans les éclats crépusculaires d’un été finissant, quelque chose qui procède de la clarification. Dans le rôle du factotum libéral décrispé, demandez cette fois François Rebsamen, ci-devant ministre du Travail, poste qui, jadis, enivrait d’ambitions sociales n’importe quelle personnalité de gauche. Les temps changent, car voyez-vous, si le chômage continue de progresser, c’est sûrement que les chômeurs eux-mêmes portent une responsabilité. Voilà ce que pense M. Rebsamen, pour lequel la priorité serait de « renforcer le contrôle des chômeurs », puis de radier à tour de bras. Le problème n’est plus le chômage mais les chômeurs. C’est donc ça, un ministre socialiste? Stigmatiser, sanctionner pour faire baisser les courbes, utiliser une rhétorique thatchérienne?

vendredi 8 août 2014

8 août 1914: la Russie pré-révolutionnaire entre dans une guerre qui cherche encore son nom…

(La Grande Guerre, les débuts - 5/5) Joseph Joffre, chef d’état-major, comprend que l’offensive vers Mulhouse est sur le point d’échouer. L’armée devra tôt ou tard se replier « de la Somme aux Vosges ». Les Russes entrent dans le conflit par une offensive. Lénine prépare la Révolution. Les écrivains s’en mêlent.

Mulhouse.
En apparence, les informations qui s’égrènent sous ses yeux s’avèrent contradictoires. Dans le halo d’une lumière jaunie par l’incandescence déclinante des bougies, Joseph Joffre a compris. Nous sommes au petit matin du 8 août 1914 et le chef d’état-major, dans le bureau de son QG installé à Vitry-le-François, en Champagne-Ardenne, n’a quasiment pas dormi. Il farfouille dans sa moustache machinalement, tirant sur ses poils blancs comme pour les arracher un à un. Lui sait que l’offensive vers Mulhouse est sur le point d’échouer. Les comptes-rendus militaires, formels, présentent un tableau assez pessimiste. Alors que l’opinion publique française est entretenue dans la conviction que leurs troupes tiennent la majeure partie du territoire belge, la réalité est plus sombre. Hormis Anvers, qui n’est pas encore occupée par les Allemands, tout le reste du pays va inexorablement tomber aux mains de l’ennemi. Pour Joffre, la Belgique est perdue. Toutes les forces devront se concentrer sur le territoire national.

Joseph Gallieni, qui sera bientôt nommé gouverneur militaire de Paris, puis ministre de la Guerre, commente avec sévérité les actes de son ancien subordonné. Pour lui, pas de doute, la capitale est déjà menacée, il faudra prochainement exiler le gouvernement à Bordeaux. Quant à l’armée, elle devra tôt ou tard se replier « de la Somme aux Vosges » pour défendre l’essentiel et bloquer les Allemands coûte que coûte.

jeudi 7 août 2014

7 août 1914 : l’offensive dans l’est est précaire, le contexte économique a changé…

(La Grande Guerre, les débuts - 4/5) Joffre a de quoi se réjouir. La ville alsacienne de Thann, qui était allemande depuis le traumatisme de 1870, vient d’être libérée par les troupes françaises. Mais l’offensive en Lorraine et en Belgique est bloquée. L’Europe a beaucoup évolué. Les industriels voulaient-ils la guerre?

A peine débutée, cette guerre sent déjà le chaos et le fer. Elle ne ressemble décidément à aucune autre. Au siège de l’état-major, où Joseph Joffre ne quitte plus son bureau, les généraux épluchent les rapports heure par heure, les lisent à haute voix, en décryptent les moindres allusions périphériques. Ils y découvrent des histoires de wagons moroses, la nuit, pour transporter les troupes, des premiers récits de visages blafards sous les lumières des lampes à pétrole, de groupes d’hommes rassemblés là où c’est possible, devant les maisons paysannes, dans les champs, dans des campements improvisés, dans le cœur de certaines villes où les places d’armes ont été réquisitionnées. Partout, les lourds souliers à clous résonnent sur les routes ou les chemins caillouteux, tandis que les hommes, à la moindre halte, mâchonnent du singe filandreux et du pain élastique. Quels que soient les lieux, les conditions de guerre sont identiques. D’abord l’attente, les recensements, les regroupements. Puis les premières escarmouches, au son des canons ennemis. Plus rarement des faces-à-faces au fusil, à la baïonnette.

En cette fin de matinée du 7 août 1914, Joffre a de quoi être réjoui. C’est officiel: la ville alsacienne de Thann, qui était allemande depuis le traumatisme de 1870, vient d’être libérée par les troupes françaises.

mercredi 6 août 2014

6 août 1914 : la France attaque dans l’est, l’artillerie lourde est insuffisante…

(La Grande Guerre, les débuts - 3/5) Les noms des premiers morts arrivent sur le bureau du président du Conseil, alors qu’une loi d’exception vient d’être adoptée en France : tout le pouvoir passe entre les mains des chefs militaires. C’est la suspension de l’Etat de droit. L’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Russie.

Troupes canadiennes à Mons, en Belgique.
Derrière la vitre entrebâillée, le président du Conseil jette un œil sur le ciel lumineux, d’un gris bleuté dur, qui se confond au loin avec les brumes de chaleur d’un été parisien harassant. La confirmation, symbolique, vient d’arriver sur son bureau, ce 6 août 1914. Juste une feuille, des noms griffonnés. René Viviani attendait l’information, comme si l’infortune des premières heures du conflit devrait être incarnée par quelques destins tragiques. Il lut: André Peugeot, caporal, tué par une patrouille de uhlans à Joncherey, près de Belfort, le 2 août. D’après le rapport militaire, il s’agirait du «premier mort français». René Viviani se gratte le menton. Un autre nom est écrit en dessous du premier: Emile Pouget, chasseur, tué à Vitonville, en Meurthe-et-Moselle, le 4 août. Le président du Conseil voulait savoir, il sait.

Le matin même, alors que l’Autriche-Hongrie venait de déclarer la guerre à la Russie, il a tenu un conseil des ministres restreint pour apprécier la situation. La mobilisation des hommes dans la force de l’âge, alors que les récoltes ne sont pas encore totalement rentrées et que les villages se vident progressivement mais massivement des forces vives, risque de provoquer de graves troubles.

mardi 5 août 2014

5 août 1914 : Joffre installe son QG loin de Paris, pour une guerre courte…

(Grande Guerre, les premiers jours - 2/5) Le général du génie, nommé chef d’état-major le 27 juillet 1911, a quitté la capitale depuis quelques heures pour s’installer à Vitry-le-François, en Champagne-Ardenne. Tous les Européens imaginent que le temps des guerres longues est révolu. Les départs la « fleur au fusil » sont marginaux.

Joffre, chef d'état-major.
Un observateur attentif aurait pu voir ses talons décollés pivoter nerveusement sur l’avant-pied et faire tressauter ses genoux sous la table. Ce 5 août 1914, le général du génie Joseph Joffre, nommé chef d’état-major le 27 juillet 1911, reste calme devant tous ses interlocuteurs. Pourtant le cortège de ses angoisses devient intérieurement bruyant à mesure que l’échéance, la vraie, approche. Cette fois ça y est. Depuis quelques heures, il a quitté Paris pour installer son quartier général à Vitry-le-François, en Champagne-Ardenne. Il signe des décrets d’urgence, transmet des ordres aux différents corps d’armées et tient informé le président du Conseil, René Viviani, et le président de la République, Raymond Poincaré, qui viennent de décréter « la trêve des partis ». Paris n’est que mélange d’allégresses et d’incertitudes, alors que, dans l’est, sur une ligne de front qui n’est pas encore constituée, les troupes commencent à s’agglutiner, venues de toute la France.

lundi 4 août 2014

4 août 1914: la guerre générale est déclarée le jour où la France enterre Jaurès…

PHOTOS ROGER-VIOLLET
(Grande Guerre, les premiers jours - 1/5)  L’Allemagne envahit la Belgique. Les députés français votent à l’unanimité 
les crédits de guerre. Les députés allemands, sociaux-démocrates en tête, font 
de même au Reichstag. Le Royaume-Uni entre dans le conflit. À Paris, ce sont
les obsèques officielles du tribun socialiste. 

Mais où donc retentit le premier coup de feu? À moins que ce ne soit le bruit métallique et hurlant d’un canon à l’aveuglante visée? Nous sommes le 4 août 1914, il y a tout juste cent ans. Une chaleur moite règne sur la partie occidentale de la vieille Europe, et la tension, qui n’a cessé de monter depuis des semaines entre les dirigeants des empires et des gouvernements, a sombré dans le chaos diplomatique. L’heure du tocsin a sonné et plus rien ne peut arrêter l’engrenage infernal. L’horrible vérité du fer et du sang va parler, sur un théâtre de guerre dont on imagine, déjà, qu’il sera unique dans l’histoire des hommes. En moins de trois jours, l’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie, puis à la France, puis à la Belgique. La France a lancé la mobilisation générale. Le Luxembourg a été envahi par les troupes allemandes, qui viennent de procéder au premier bombardement aérien, à Lunéville, avant de pénétrer en Belgique par la région d’Aix-la-Chapelle. Les combats font rage dans les forts de Liège, mais rien ne semble empêcher la progression des forces belligérantes. 
 

jeudi 31 juillet 2014

Jean Jaurès assassiné : la guerre peut passer sur le cadavre du pacifiste

Le 31 juillet 1914, le directeur de l'Humanité tombait sous les balles d'un nationaliste.

Et le dernier souffle de l’homme, assassiné, renvoie déjà aux sourdes plaintes d’un monde bientôt soumis aux enfers. Les rues parisiennes de ce 31 juillet 1914 exhalaient cette chaleur moite du coeur de l’été qui ankylose les esprits et fatigue les organismes, chacun quêtant, aux terrasses des brasseries ou dans les arrière-cours des immeubles, de rares espaces de fraîcheur partagée. Une heure plus tôt, rue Montmartre, Jean Jaurès et quelques-uns de ses collaborateurs de l’Humanité avaient hésité. Où iraient-ils dîner? «Au Coq d’Or?», avait suggéré l’un. «Non!, avait répondu le directeur d’un ton caressant, c’est un peu loin, et puis, il y a de la musique, des femmes… Allons au Croissant, c’est plus près. » Le tribun socialiste, qui prenait peu soin de lui en règle général, négligeait depuis des jours et des jours tout ce qui s’apparentait de près ou de loin au confort de sa personne. Ses préoccupations s’attachaient toutes entières à l’ordre du monde et à l’avenir des peuples européens, parvenus, il le savait bien, lui, à un point de basculement tragique de leur histoire.

lundi 28 juillet 2014

Tour : Vincenzo Nibali, l’entr’aperçu d’un nouveau monde?

Le leader d’Astana a dominé le Tour de bout en bout, redonnant à l’épreuve cette part de romantisme oubliée depuis longtemps. L’Italien, né en Sicile, vainqueur de quatre étapes, a presque réinventé la course.

Peraud, Nibali, Pinot.
Longtemps, Vincenzo Nibali a couvert de silence cet espace en lui, ce creux de l’épanouissement où s’ébrouait la surpriseréitérée de ses possibilités, de l’audace de son tempérament. De loin en loin, il s’exécuta dans la patience d’une génération de réprouvés, traçant son chemin sans se retourner, puis, par la force d’un caractère un peu antique, disons à « l’ancienne », il combla ce creux par le sentiment à la fois joyeux et tragique d’un destin à accomplir, avec lequel il ne transigea jamais. Difficile de comprendre la trajectoire tranquille et victorieuse de cet Italien de vingt-neuf ans – devenu depuis hier l’un des six coureurs de l’histoire à remporter dans sa carrière les trois grands Tours, de France, d’Italie et d’Espagne – sans percevoir derrière ses mots quelque chose de puissamment élégiaque. Comme si, avec lui, le cyclisme dans son étrangeté contemporaine renouait avec une forme de romantisme. Au fil du Tour et des conférences de presse auxquelles il était astreint quotidiennement, Vincenzo Nibali s’est dévoilé par fragments, donnant à voir l’ampleur de l’amour fiévreux qu’il entretenait avec son sport. «Je ne saurais pas définir mon style, confessa-t-il par exemple. Mais je crois que risquer de perdre une course est parfois la meilleure façon de la gagner.»