vendredi 29 octobre 2010

Quand Pierre-André Taguieff insulte Stéphane Hessel…

On trouve décidément de tout sur les « murs » de Facebook. Il y a peu, sur celui de Pierre-André Taguieff, philosophe, historien et directeur de recherche au CNRS, nous avons eu le déplaisir de lire des propos qui, cette fois, ont dépassé les bornes – loin s’en faut. Coupable à ses yeux de se montrer « hostile » à Israël en ayant récemment appelé à la campagne de boycott des produits israéliens fabriqués dans les territoires occupés, Pierre-André Taguieff a osé paraphraser un texte de Voltaire pour évoquer la figure de Stéphane Hessel, diplomate, ambassadeur, ancien résistant français et l'un des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Je cite Pierre-André Taguieff :

« Un soir au fond du Sahel,
un serpent piqua le vieil Hessel,
que croyez-vous qu'il arriva,
ce fut le serpent qui creva. »

Vous avez bien lu… Et Taguieff d’ajouter, sans ambiguïté :
« Quand un serpent venimeux est doté de bonne conscience, comme le nommé Hessel, il est compréhensible qu'on ait envie de lui écraser la tête.»

Aussi incroyable que cela puisse paraître, ces mots n’ont provoqué que très peu de réactions, si ce n’est celle du MRAP, en la personne de Mouloud Aounit, qui, dans un court entretien donné au JDD.fr, a jugé ces propos «inacceptables de la part d'une autorité scientifique du CNRS» et «offensants à l’égard de celui qui avait partiellement rédigé la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948».
Pierre-André Taguieff a depuis refusé de réagir, renvoyant ceux qui tentent de le contacter à la lecture du dernier commentaire posté sur son « mur » Facebook concernant Stéphane Hessel : «Il aurait certainement pu finir sa vie d'une façon plus digne sans appeler à la haine contre Israël joignant sa voix à celle des pires antijuifs.»

Rappelons que Stéphane Hessel, qui est l’une de nos consciences occidentales, n’a jamais, absolument jamais, appeler à « la haine contre Israël », bien au contraire. Réclamer aujourd’hui le boycott des produits israéliens fabriqués dans les territoires occupés – et non pas tous les produits israéliens – est un devoir pour tous les citoyens soucieux de justice internationale et favorables à une solution de paix au Proche Orient. Chacun sait que la situation faite aux Palestiniens ne peut plus durer… Stéphane Hessel a raison !

Mais ce n’est pas tout… Interrogé il y a une semaine sur Radio J, Pierre-André Taguieff a d’abord tenté de relativiser cette polémique en indiquant que «Facebook n’est pas une publication CNRS» : «On ironise, on lance des formules sarcastiques», a-t-il indiqué. Comme si tout y était autorisé… Mais ça ne suffisait pas. Taguieff n'a pas hésité à profaner la propre histoire de l'homme : «Si Stéphane Hessel a bien été déporté politique - triangle rouge - à Buchenwald et à Dora, sa maîtrise de la langue allemande lui a permis d'obtenir rapidement un emploi au sein de la hiérarchie au service des gardes-chiourmes du camp et il n'a partagé en aucune manière le sort des détenus juifs- triangle jaune- voués quant à eux à des tâches exténuantes jusqu'à leur extermination. Donc quand on le présente comme un rescapé de la Shoah c'est une imposture.» Et Taguieff d’ajouter : «Son identité juive inexistante, il l’utilise quand ça lui sert pour légitimer ses appels à la haine contre Israël.»

Voilà ce dont a été capable Pierre-André Taguieff. Pour lui, Stéphane Hessel serait donc un imposteur qui se serait mis au service des gardes-chiourmes des camps de la mort… Pour lui, Stéphane Hessel ne serait pas même juif et usurperait le monde… Pour lui, critiquer la politique xénophobe des dirigeants israélien revient à se montrer anti-israélien – et pourquoi pas antisémite tant qu'on y est ?

Inutile de dire que nous sommes solidaires de Stéphane Hessel et il serait bien que l’indignité des propos de Monsieur Taguieff soit reconnue. Par le CNRS d'abord, d’ordinaire sourcilleux des agissements de ses membres. Par la justice ensuite, si nécessaire.
Depuis des années, Stéphane Hessel a mis sa notoriété et son prestige personnel au service de la reconnaissance des droits des Palestiniens. Plus que jamais, nous sommes à ses côtés.

(A plus tard…)

mercredi 27 octobre 2010

Bête(s) : quand Angela Merkel fait du sarkozysme...

Dérives. Jusqu’alors nous n’avions jamais osé l’écrire – les circonstances nous y poussent. Depuis 2007, les occasions d’indignations anti-Nicoléon se sont tellement présentées 
à nous, que, parfois, nous avons songé à quelques phrases-chocs. Leur symbolique même, empreinte de références historiques exagérées, nous avait souvent maintenus dans 
la prudence. Mais pas toujours. Ainsi les mots « pétainisme » 
ou « dérives vichystes » ont pu, de-ci de-là, se glisser dans 
les aléas bousculés des commentaires d’une actualité brûlante et/ou nauséeuse. Un jour, n’en pouvant plus d’entendre parler « d’identité nationale », du « ministère » qui s’y rapportait, de « bons patriotes », de « valeurs chrétiennes » et autres relents maurrassiens aux échos glaçants, heurté par ce climat plus proche de l’Action française que de la République, le bloc-noteur prononça cette phrase en conférence de rédaction : « Que ne dirait-on pas si ce n’était pas la France mais l’Allemagne qui parlait ainsi ! » L’argument valait ce qu’il valait. C’était il y a un an.

Allemagne. Puisque « l’avenir est rare » et que « chaque jour qui vient n’est pas un jour qui commence », comme l’écrivait Maurice Blanchot, nous fûmes donc, cette semaine, rattrapés par la réalité. Et le coup est venu… de l’Allemagne. D’où on ne l’attendait pas. La chancelière Angela Merkel, devant les Jeunesses conservatrices des chrétiens-démocrates (tout un programme), a en effet enfoncé une barrière morale en affirmant que le modèle d’une Allemagne « Miltikulti » avait « échoué, totalement échoué ». Entendez par « Miltikulti » : multiculturelle, multireligieuse, hétérogène, tolérante, etc. Un concept qui 
a toujours servi d’élément fédérateur et presque fondateur sur 
les ruines du IIIe Reich. D’où notre malaise, notre très grand malaise, au point de considérer cet événement comme 
un moment de basculement symbolique important. Car, dans cette Allemagne toujours hantée par son passé nazi et si peu laïque que l’expression n’y a quasiment aucun sens (n’oublions jamais que la référence à « Dieu » figure dans son préambule constitutionnel), les dirigeants s’emploient d’ordinaire à manier les sujets sur les « étrangers » et les « minorités » avec une infinie prudence, et pour cause. Angela Merkel, fille de pasteur, jusque-là restée sur la réserve idéologique, a-t-elle tout fait voler en éclats ? « Nous nous sentons liés aux valeurs chrétiennes, a-t-elle ajouté. Celui qui n’accepte pas cela n’a pas sa place ici. » Traduction. « Nous » : les chrétiens. « Celui qui… » : les musulmans.

Malsain. La suspicion des « étrangers » dans la bouche de sa principale dirigeante a-t-elle sa place en Allemagne, pays où vivent quelque 4 millions de musulmans et où, voilà dix ans, l’accès au droit à la double nationalité avait bousculé le sacro-saint droit du sang germanique ? Et Angela Merkel, prise en flagrant délit de radicalisation conservatrice anti-immigration, vient-elle de rejoindre le club très fréquenté d’un populisme d’un nouveau genre à l’échelle du continent : l’ultra-libéralo-nationalisme ? Poser la question, n’est-ce pas déjà y répondre… D’autant qu’à l’origine de ce débat malsain, la lecture d’un livre, intitulé L’Allemagne court à sa perte, avait choqué de nombreux Allemands, car son auteur, Thilo Sarrazin, n’est autre qu’un des ténors du Parti social-démocrate (vous avez bien lu) et, accessoirement, l’un des membres du directoire de la Banque centrale, contraint depuis à la démission. 
Ce pamphlet aux accents xénophobes, écoulé à près de 700 000 exemplaires, dénonçait le déclin de « l’identité culturelle » allemande et « l’invasion islamique », le tout mêlé à l’une des peurs les plus enfouies dans l’inconscient du pays en ce début de XXIe siècle : le déclin démographique. De quoi frémir.

Dangers. Pour une fois qu’un sujet de consensus le rapproche de la chancelière, le national-libéral Nicoléon ne se plaindra pas de ce renfort inattendu. Depuis son discours de Grenoble et la stigmatisation infâme des Roms, qui valut à la France une mise en demeure de l’Europe, les chiens sont lâchés et, après la déchéance de la nationalité, quelques députés UMP n’hésitent pas à évoquer la suite du programme : la suppression du droit du sol ou de la double nationalité… Une enquête révélait cette semaine que 37 % des enfants de naturalisés français déclarent « ne pas se sentir reconnus comme tels ». Comment s’en étonner, quand on tient à distance le « Maghrébin » ou « l’Arabe » au point qu’à la quatrième génération on parle encore de l’« origine des beurs » ? Qu’en pense Nicoléon, pourtant fils direct de l’immigration ? « La France, tu l’aimes chrétienne ou tu la quittes ? » Ce serait donc ça, la République d’aujourd’hui ? Oublieuse qu’elle s’est aussi construite en rupture avec la France chrétienne, délivrant un message républicain universel, par-delà ses frontières et reconnu comme tel ? Et l’Europe ? « Tu l’aimes chrétienne ou tu la quittes ? » Elle aussi ? Du Nord au Sud, de l’Ouest à l’Est, la crise sociale attise la haine de l’autre. En 2010, entre 20 
et 30 % de l’électorat du Vieux Continent se déclare ouvertement opposé à la diversification culturelle. Il est un peu tôt pour (re)parler de la bête immonde, mais il est un peu tard pour totalement l’ignorer. Il n’y a pas si longtemps, nous disions, exténués et à bout d’argument : « Que ne dirait-on pas si l’Allemagne parlait ainsi ! »

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 23 octobre 2010.]

(A plus tard...)

samedi 23 octobre 2010

Retraites : les citoyens dressent un mur de lucidité...

«Lorsqu’il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit.» Le rappel est un peu aisé, mais la solennité de certaines phrases se retourne parfois contre leurs auteurs. Personne n’a oublié – et n’oubliera – ces mots de Nicolas Sarkozy, prononcés le 5 juillet 2008. Tout transporté qu’il était encore par l’exposition de sa propre gloire, le monarque-élu n’imaginait pas qu’une saillie verbale inspirée par un scribe bien connu se transformerait en illusion qui pèserait des tonnes sur son dos – si ce n’est sa conscience... Bien qu’il serait imprudent de prédire l’avenir du conflit social qui laboure la France jusque dans ses entrailles, ensemençant de fertiles espoirs, nous savons au moins une chose à la veille des vacances de la Toussaint : la fuite en avant autoritaire du pouvoir ne bride en rien l’énergie du mouvement. Au contraire.

Malgré les coups de force contre le droit de grève, comme à la raffinerie de Grandpuits, réquisitionnée manu militari, malgré les coups de force antiparlementaires, comme au Sénat, où le déni de démocratie y a atteint des sommets de césarisme, la solidité de l’intersyndicale, son esprit de responsabilité forcent le respect. Les appels à participer aux deux nouveaux rendez-vous de mobilisations s’élargissent encore, d’autant que, n’en déplaise aux éditocrates germanopratins, les salariés en masse qui se mobilisent avec les jeunes ne puisent plus uniquement les raisons de leur combat dans le caractère injuste de cette réforme emblématique. Non, c’est aussi le discours gouvernemental et les actes dans leur ensemble, qui, progressivement, ont alimenté les révoltes et l’ampleur d’un ras-le-bol plus idéologique qu’on ne l’imagine. Si personne dans ce combat ne doit perdre de vue le dossier des retraites, pointe avancée de la destruction sociale, nous devons reconnaître aujourd’hui que la contestation va bien au-delà. Le climat actuel nous livre une indication stratégique : une majorité de Français refuse l’idée qu’on puisse nous imposer une régression sociale généralisée… Nous en avions rêvé. Nous y voilà.

Car il s’agit bien d’une « régression sociale ». Jusque-là, les membres du gouvernement l’admettaient en privé non sans délectation. L’un d’eux, l’obscur secrétaire d’État au Logement, Benoist Apparu, vient de le faire en public et l’on ne sait si l’on doit au courage ou à la naïveté cet excès de sincérité. Ledit M. Apparu vient en effet de déclarer que le relèvement à 62 ans de l’âge légal du départ à la retraite était « une forme de régression sociale » et qu’il fallait « l’assumer ». Quand le discours de défi et de mépris s’ajoute à celui du cynisme, au moins nous savons à quoi nous attendre… Seulement voilà, les citoyens disent « non ». Hier, une enquête BVA a confirmé la tendance. Le soutien global au mouvement social est toujours massif (69 %), tout comme l’approbation des grèves dans les transports, soutenues par 52 % (+ 2 points). Vous avez bien lu !

Sans fantasmer on ne sait quelle r-évolution populaire, au moins pouvons-nous suggérer que le long travail de propagande ultralibérale se heurte dorénavant à un front du refus. Dressé, ce mur de lucidité fait vaciller bien des croyances. Non seulement Nicolas Sarkozy a définitivement perdu la bataille de l’opinion, mais il a, peut-être, perdu celle des idées… Hier, Jean-François Pillard, patron des patrons de la métallurgie, la toute-puissante UIMM, a osé ruer dans les brancards : « Il y a un problème de méthode : la concertation n’est pas “je dis ce que je veux, j’obtiens ce que je veux”. » Ces temps-ci, la peur n’est plus le privilège des dominés…

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 23 octobre 2010.]

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mercredi 20 octobre 2010

Révolté(s) : les citoyens n'ont jamais tort d'avoir raison...

Souffrance. «Et moi, vous croyez que je suis un citoyen “normal” ?» Soir de manif(s) au coin du zinc. L’œil de notre interlocuteur, rougi par des effluves de lacrimo, vira au sombre très sombre, comme l’expression tout en rage d’une formulation ayant du mal à s’affirmer. Nous sentions là tout le mal intellectuel qu’il lui avait fallu pour oser énoncer cette question le concernant, en vertu de quoi, il s’obligea à préciser son propos. «Pensez-vous vraiment qu’un chômeur de longue durée, ce qui est mon cas, qu’un allocataire du RMI, bref qu’un jeune qui galère depuis des années soit reconnu et traité comme un individu à part entière ? Non !» Bientôt vingt-cinq ans, plus de trois ans sans emploi stable, pas de perspectives rapides. Quant à la retraite : «Si on ne se bat pas aujourd’hui pour sauver nos derniers droits, après ce sera trop tard… et moi je serai mort bien avant 65, 67, voire 70 ans !» Face à ces mots de souffrance portés par une émotion si sincère, le chronicœur se demanda deux choses. Que dire qui ne soit que compassion, quand tout nous invite à l’insurrection ? Par quel miracle ces victimes de l’insécurité sociale traduisent encore leur colère par les voies ordinaires, alors qu’ils ressemblent tant aux exclus de la société préindustrielle ou aux prolétaires du début de l’industrialisation ?

R-évolution. Chacun aura compris l’importance – la gravité – de la dernière question posée. Dans cette société de l’excès marchand, où les bornes «classiques» de l’injustice nous paraissent toujours plus éloignées, où le mot «crise» en cache tant d’autres, où la course effrénée contre la précarisation de nos vies épuise tous les recours au calme, il semble que l’expression même «luttes dures» ait été une bonne fois pour toutes bannie. Nous ne parlons pas là de «violence», encore que sa possibilité même, au-delà de la peur qu’elle suscite légitimement, ne saurait être exclue, en général, et plus particulièrement lorsqu’un conflit social de grande ampleur se cherche un point d’aboutissement. Les «luttes» font peur quand elles deviennent «dures». À qui la faute ? Comment les éviter ? Qu’est-ce qu’une action de «droit» et une qui ne l’est plus ? Et qui le décrète quand l’État lui-même, moins républicain qu’il n’y paraît, octroie la légitimité des pensées et desdites actions selon que celles-ci se soumettent non plus seulement au droit mais au diktat de sa volonté d’airain ?

Régime. Poussons le bouchon et notre avantage théorique : qui dit «luttes sociales dures» dit «révoltes» ; qui dit «révoltes» peut très bien dire «révolution» (qu’elle soit «citoyenne», «populaire» ou orthographiée «r-évolution»). Pas de procès d’intention : qui se laisserait tenter aujourd’hui par une r-évolution au point de penser qu’elle doive en passer par la violence ? Question : puisque beaucoup d’observateurs depuis une semaine craignent une «ambiance pré-Mai 68», voire carrément «un climat pré-révolutionnaire» (ce que nous ne croyons pas, cela va sans dire), n’est-ce pas significatif du fait qu’ils se sentent tous plus ou moins dans une sorte d’Ancien Régime ? Le révolté aurait-il tort d’avoir raison ? Revenons aux victimes de l’insécurité sociale et à leur «statut», non plus de citoyens, mais d’individus, puisque paraît-il le citoyen serait désormais une valeur désuète… Le processus de promotion (version pub) de l’individu, en effet, se prolonge et s’intensifie à mesure que l’égocentrisme et le chacun pour soi devient la dernière valeur refuge du consumérisme.

Conscience. Alors ? Ces individus précarisés dans la masse sont-ils encore des individus ? La réponse 
est non. S’ils ont certes des affects, des désirs, des angoisses 
et des envies, qu’ils éprouvent de l’amour et des plaisirs 
de vie (la vraie richesse), il leur manque ce que la République soi-disant soucieuse de l’intérêt général devrait leur devoir : les ressources pour pouvoir conduire leurs projets et être maîtres de leur avenir. La vie au jour le jour dans la dépendance 
du besoin n’est pas une vie, au point qu’on peut se demander si ces exclus involontaires de la communauté républicaine appartiennent oui ou non au «régime commun», à des années-lumière de la conception de l’individu libre et responsable que nous célébrons dans la lignée de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ! Alors que faire face à cette société dans laquelle l’incertitude augmente d’une manière exponentielle parce que les «régulations» collectives sont au mieux défaillantes au pire pulvérisées ? Ici-maintenant : participer activement au mouvement social, dont la puissance et la sérénité ont de quoi effrayer Nicoléon. Et dans le même temps : ne surtout pas renoncer à notre histoire sociale commune en participant à la prise de conscience politique (c’est le mot), pour que peur et violence potentielle se transforment en objectif collectif capable de renverser les dominants, qui, eux, contrairement aux classes populaires, n’ont pas besoin de manifester pour accroître leur condition. Ne l’oublions jamais. Les puissants ne formulent qu’un rêve immuable à travers les âges : que l’effondrement des consciences et la soumission des peuples soient massifs. Les occasions de le contester tout aussi massivement sont trop rares – pour ne pas en profiter.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 16 octobre 2010]

(A plus tard...)

lundi 18 octobre 2010

Retraites : ce peuple debout !

L’exceptionnel n’est pas non-réel mais plus-que-réel… En refusant d’admettre cette simple vérité, Nicolas Sarkozy donne à voir sa vraie nature : il nie, avec un acharnement digne d’une guerre de classe, la possibilité que des êtres-révoltés puissent avoir raison et même gain de cause. Le symptôme témoigne de l’ampleur du mépris que le chef de l’État renvoie à ceux qu’il est censé représenter, et qui, depuis des semaines, avec une force de conviction admirable et un soutien de l’opinion grandissant, lui réclament de renoncer à son funeste projet de destruction de nos retraites.

À la sortie d’une nouvelle journée de mobilisation, rappelons ce fait incontournable : près de trois millions de personnes ont de nouveau arpenté les rues de nos villes pour dire «non» à l’infamie de la loi Woerth. Les tripatouillages sur le nombre de participants, de même que le tir de barrage médiatique des ministres tout le week-end, façon artillerie lourde, n’y changeront rien… Non seulement la base du mouvement s’élargit, mais la structuration des manifestants, qui se comptent par millions, est la preuve d’une solidité et d’un enracinement rarement vus dans l’histoire sociale contemporaine. Avant même la journée de demain, qui s’annonce considérable en défilés et en grèves, tous les ingrédients sont réunis pour faire céder le gouvernement. Face à deux Français sur trois, le pouvoir se trouve en effet au pied du mur. S’il ne retire pas son projet, il prend le risque de plonger le pays dans une impasse. Qui est irresponsable ? Qui choisit les intimidations et les coups de force ? Qui insulte la jeunesse ?

À ce propos. Non, les jeunes ne sont pas des débiles manipulés ni une «classe dangereuse». Voyez-vous, en Sarkozye, un adolescent de treize ans peut avoir une responsabilité pénale, un autre de seize ans peut même prétendre devenir un «créateur d’entreprise»... mais il leur serait interdit de descendre dans la rue ! Ils peuvent être humiliés, se prosterner devant le consumérisme globalisé, vider leurs cerveaux de temps disponible et attendre passivement les miettes d’un marché du travail précarisé… mais revendiquer, jamais ! Ces dérives verbales sont à l’image des actes de violence de quelques policiers précurseurs : misérables et pathétiques... De la loi Devaquet (1986) au CPE (2006), sans oublier le spectre de Mai 68 qui rôde dans bien des têtes affolées, l’histoire reste implacable : lorsqu’un pouvoir cherche à infantiliser les jeunes, à les considérer comme des sous-citoyens incapables de raison, il ne récolte que colère et révolte. Oui, osons dire que nous sommes fiers de ces jeunes qui se mêlent du futur, du nôtre comme du leur, avec au cœur cette solidarité générationnelle qu’on veut leur rogner – au moins prouvent-ils qu’ils se reconnaissent dans le pays de Jaurès et d’Hugo...

Les petits «réalistes» de la haute feraient
bien d’y réfléchir. L’éloge des vanités, le triomphe du friable, la vulgarité pipolisée du fric, les conflits d’intérêts, les injustices installées dans toutes les politiques publiques : tout cela n’est pas la France des travailleurs. Nous avons toujours été les premiers à dénoncer la société française qui se fragmente, où le chacun pour soi remplace le bien commun, où l’on devient consommateur de la République plutôt que citoyen. Depuis des semaines, le mouvement social affiche un autre visage, celui du peuple debout qui réaffirme ses prérogatives dans le temps du confit retrouvé, avec une grille de lecture sociale qui nous faisait tant défaut depuis des décennies. Nous mesurons donc l’importance et la gravité du moment qui est le nôtre. Exceptionnel.

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 18 octobre 2010.]

(A plus tard...)

vendredi 15 octobre 2010

Ame(s) : ce que nous dit le climat social...

Domination. Il faut parfois (toujours ?) choisir son camp. Entre un carnet d’insomnies et un journal de résistance, entre l’aiguillon tragique et la plume élimée, notre résolution est totale… Puisque nous ne nous lassons pas de déconstruire les contradictions économiques et sociales d’un temps dont le nôtre s’avère totalement dépendant, les jours qui s’écoulent comme les ruisseaux affolés nous laissent une impression désordonnée. Comme si l’époque se prêtait aux atermoiements fictifs et autres remises de dettes morales. Habitués jusque-là aux rigueurs théoriques de notre double culture républicano-marxiste (ou l’inverse), fondus dans le creuset des solidarités populaires, nous avions jadis appris que les dominés, prisonniers des solitudes, ne pouvaient s’émanciper par eux-mêmes du mode d’être et de pensée que le système de domination leur assigne. Du fer dans l’âme des travailleurs. Beaucoup croyaient qu’il était impossible de briser la symbolique d’une organisation dominée par des puissances prétendument supérieures. La vieille fable : celle du peuple tout à sa condition, croyant au mythe de son infériorité…

Droit. Schizophrénique, notre époque hésite et se frotte sur une ligne de crête instable. Elle voit s’affronter des classes si dissemblables (à nouveau) que le conflit paraît inévitable. De quel côté basculerons-nous? Le fer? L’âme? La connaissance des raisons de la domination a-t-elle un «pouvoir» capable de renverser ladite domination? Ne faut-il pas – déjà – avoir commencé le processus de subversion pour en renverser son existence même, ne pas lui faire droit comme le firent jadis les révolutionnaires avec le droit divin ? Mais que peut-il y avoir de commun entre les prisonniers des miroirs de l’argent et ceux qui, vaille que vaille, redécouvrent le goût de la révolte et s’affichent dans les rues, non sans fierté retrouvée : «Je lutte des classes»? Nous mesurons l’importance de la séquence sociale qui se joue ici-maintenant dans la rue, dans les entreprises et dans les foyers, tandis que les salariés des grands secteurs publics s’interrogent sur leur participation massive et durable, par les moyens de la grève reconductible. Déjà, nous entendons les railleurs et autres apôtres de «l’économie de marché» dénoncer par avance l’action de «privilégiés peu concernés par les problèmes de l’emploi et des retraites».

Privé. Souvenons-nous de 1995. Et du climat anti-service public de pseudo-républicains qui s’arrogeaient le privilège du nom. Souvenons-nous surtout que Pierre Bourdieu et bien d’autres avaient magistralement pris parti pour ces grévistes, qui, «par procuration», prenaient la tête d’une révolte gagnante (socialement) mais inaboutie (politiquement). La construction d’un «intellectuel collectif», avec et pour les travailleurs, demeura un objectif à peine esquissé. Au moins pour une raison : alors que «l’éclatement du monde du travail» s’accélérait au milieu des années 1990, ladite «grève par procuration» avait tellement été efficace que les salariés du privé ne s’en étaient pas mêlés, du moins pas assez… 2010 : la réussite pleine et entière du mouvement social actuel dépend en grande partie de l’implication ou non des exploités du privé. Qui dira le contraire? En France, environ 85% de ceux qui travaillent sont salariés ; à peine un sur dix est syndiqué ; plus d’un salarié sur deux n’a toujours pas de délégué… et le taux d’emploi en CDI est récemment passé sous la barre des 50%… Le triomphe (temporaire) du Medef tient parfois en quelques statistiques. Seuls les courageux sont aujourd’hui capables de rappeler haut et fort que la détérioration de la situation est due structurellement à la sauvagerie intrinsèque du néocapitalisme.

Vivants. Libération, cette semaine, a commis 
un contresens coupable et significatif. Ces temps-ci, le journal devrait se féliciter qu’une grille de lecture «sociale» reprenne peu à peu force et vigueur après deux décennies d’aphonie. Une belle occasion lui était d’ailleurs donnée, mercredi 6 octobre, avec le début de la diffusion de l’exceptionnelle série de Gérard Mordillat, les Vivants et les Morts, en prime time sur France 2. Mais non. Le quotidien dit «de gauche», plus libéralo-prêcheur que jamais, a vu dans cette grande fresque sociale «des airs de saga d’été socialo-sentimentalo-mièvre». Le bloc-noteur eut peine à lire ces mots, si loin de la réalité qu’ils en devenaient plus que suspects, grossiers – Sartre, réveille-toi ! Le mal intellectuel premier n’est pas l’ignorance mais le mépris – 
le mépris induit l’ignorance. Puisque Libération a décidément tout bazardé par-dessus bord, à commencer par le traitement de la question sociale, concluons par une citation de Jacques Rancière, qui, dans son livre le Philosophe et ses pauvres, écrivait : «Si le sociologue peut apporter quelque bien à celui qui est assis en face de lui, ce n’est pas seulement en l’éclairant sur les causes de sa souffrance mais en écoutant les raisons et en les donnant à lire comme des raisons et non comme l’expression d’un malheur. Le premier remède à la “misère du monde”, c’est la mise au jour de la richesse dont elle est porteuse.» Il faut toujours choisir son camp.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 9 octobre 2010]

(A plus tard...)

mardi 12 octobre 2010

Retraites : un mardi 12 octobre, comme une vague...

Près de 3,5 millions de citoyens dans les rues ! Avant toute autre considération, il faut d’entrée de jeu signifier haut et fort l’importance de cette date : ce mardi 12 octobre 2010 restera, en effet, comme un moment particulier dans l’histoire sociale contemporaine de notre pays, en plus d’être un jour probablement décisif dans le conflit contre le projet de loi de destruction de nos droits de départ à la retraite. L’ampleur des mobilisations tient en un mot : énorme ! Autant le dire, les tripatouillages gouvernementaux sur le nombre de manifestants (qu’un syndicat de police dénonce lui-même publiquement) n’y changeront rien. La journée d’action unitaire, puissante, diversifiée, déterminée, est une preuve éclatante que le mouvement social a la force de contraindre le gouvernement à renoncer à son funeste projet. «Pourquoi allons-nous gagner?», demandaient de nombreux manifestants, «parce que nous sommes forts et unis», répondaient-ils en cœur. Tout un symbole.

Chacun l’a constaté. Les mobilisations ont été plus massives que lors des derniers rendez-vous. Le mouvement s'amplifie donc. Et il s'élargit. Plus de jeunes lycéens et étudiants. Plus de salariés du privé. Sans parler des grèves, quasiment toutes plus importantes que la 23 septembre, à la SNCF, à la RATP, dans la Fonction publique, à La Poste, à EDF, dans les raffineries, dans les ports, dans la métallurgie, etc. Nous avons assisté à une nouvelle étape dans l’embrasement social dont on ne sait pas, à l’heure où nous écrivons ces lignes, où il nous conduira et quand il s’arrêtera. Dans de nombreux secteurs d’activité, les salariés votaient massivement pour la reconduction des grèves…

«Nous allons continuer, nous n’allons pas nous arrêter au motif que les sénateurs ont voté», disait Bernard Thibault. «La responsabilité de la radicalisation revient au gouvernement, qui reste sourd», analysait François Chèrèque. Pour la première fois depuis le début du processus de mobilisation, les actions durent et les initiatives propres se multiplient pour faire « le pont » avec le rendez-vous du samedi 16 octobre, date de la prochaine journée interprofessionnelle.

Comme une vague, la révolte monte dans le pays...

Du coup, le contraste entre la colère de rue et l’intransigeance du sommet de l’Etat avait un côté provoquant. Tellement que, au cœur de l’après-midi, il fallut se pincer très fort en entendant les mots de François Fillon d’abord, d’Eric Woerth ensuite, à l’Assemblée nationale. «Je le dis très solennellement, nous sommes décidés à mener cette réforme à son terme, on a été au bout de ce qui est possible», déclarait le premier ministre. «Nous allons gagner la bataille des retraites, il n’y a pas de passage en force», ajoutait le ministre de Travail. L’un et l’autre témoignaient de la totale irresponsabilité d’un pouvoir plus isolé que jamais…

Méprisante, toute la Sarkozie avait misé sur l’épuisement des mobilisations. Mais c’est tout le contraire qui se produit ! Pour une raison simple. Une immense majorité de nos concitoyens ont peu à peu compris la cruauté et l’ineffectivité de ce projet injuste, qui fait reposer l’essentiel de l’effort sur le monde du travail et des retraités, alors que les puissances industrielles et financières en sont quasiment exonérées. Comment le président des riches et des classes dominantes de l’argent pourrait-il se soucier du bien-commun et de l’intérêt général ?
Le voilà aujourd’hui au pied d’un mur érigé par le peuple… «Sarkozy, tu nous vois cette fois?», criaient les manifestants. Ce mardi 12 octobre, le Palais a tremblé. Et ce n’est pas fini…

(A plus tard...)

Retraites : et plus si affinités...

«La retraite à 60 ans, c’était votre époque. On ne gouverne pas avec la nostalgie.» Comme l’un des symboles des indignités du sarkozysme, nous n’oublierons pas de sitôt la morgue d’Éric Woerth, vendredi au Sénat, préférant la violence verbale des lâches au courage des arguments. L’instant, solennel pour le pays, réclamait pourtant qu’il élevât son langage. L’ancien premier ministre Pierre Mauroy venait en effet de prendre la parole pour défendre la retraite à 60 ans que son gouvernement avait votée en 1982. Refusant qu’on efface «cette ligne de vie» et «ce droit», le socialiste témoigna à sa manière du combat de toute la gauche pour le progrès. La haute intensité de son émotion méritait une réponse digne de la République. Mais le ministre du Travail, plus fantomatique que jamais, n’a décidément que le costume et l’orgueil de la fonction.

L’isolement façon Ancien Régime comme l’énervement du gouvernement en disent long sur la gravité du moment. Toute la Sarkozie préfère d’ailleurs se réclamer de l’appui du directeur du FMI – on a les soutiens qu’on mérite – que de regarder du côté de l’opinion. Et pour cause. Un nouveau sondage Ifop vient confirmer et amplifier celui que nous avions publié la semaine dernière. Pas moins de 71% des Français soutiennent les mobilisations. Niveau record égalé ! Mais ce n’est pas tout. Ce soutien gagne en fermeté: 42% jugent en effet la mobilisation de demain «tout à fait justifiée» (+9 points en un mois). Les catégories populaires approuvent massivement les manifestants à 87%. Et ce chiffre monte à 90% du côté des sympathisants de gauche… Sans appel.

Dans ce climat de totale incertitude et de frémissements de révolte que beaucoup d’observateurs qu’on ne saurait qualifier de marxistes comparent à l’avant-Mai 68 (à voir), nous savons bien qu’il s’agit de faire en sorte que la colère collective l’emporte sur les peurs individuelles et que ladite colère s’éclaire à nouveau d’un objectif politique crédible sans lequel la souffrance populaire redeviendra muette et souvent autodestructrice. Le grand mouvement de contre-réforme des années 1980-1990 avait amplifié les tendances de retrait «de la» politique et de l’implication dans la cité, au détriment des espérances d’émancipation des séquences antérieures…
À l’image de Marseille, où convergent toutes les luttes dans un mouvement d’ampleur, une nouvelle séquence sociale vient-elle de s’ouvrir en grand ? Sommes-nous entrés dans un affrontement plus global entre les citoyens, par-delà leurs situations et leurs opinions, et un pouvoir complice des puissances de l’argent ?

L’impatience actuelle du peuple, que nous ressentons partout dans les quartiers populaires, est assurément une source d’espoir en plus d’être une réponse à l’insupportable coup de force du gouvernement. Chacun l’a compris : le sarkozysme pourrissant sécrète de la violence sociale à haute dose. C’est donc ici-maintenant qu’il faut répliquer en masse. Quant à ceux qui se bercent d’illusions en pensant déjà à 2012, il n’est pas vain de leur rappeler que, pour faire reculer cette contre-réforme, mieux vaut se mobiliser aujourd’hui que d’attendre un hypothétique changement dans deux ans, voire une éventuelle mutinerie anticapitaliste au sein du FMI… Non, ce n’est pas par nostalgie que deux Français sur trois soutiennent la lutte pour les 60 ans, mais par esprit du bien commun. C’est l’exigence de cet esprit qui nous pousse à nous engager à fond pendant qu’il en est temps. Mardi 12, puis samedi 16 octobre. Et plus si affinités…

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 11 octobre 2010]
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lundi 11 octobre 2010

Retraites : le pouvoir puise ses idées dans les caniveaux...

«Pour l’instant, j’ai devant moi une muraille de Chine. » Connaissez-vous Raymond Soubie ? Au Palais, ce conseiller très spécial de Nicolas Sarkozy qualifié parfois de « métronome du social » (sic), pilote en personne dans les coulisses le dossier des retraites. Depuis des mois, il œuvre à cette tâche comme s’il dirigeait une entreprise dont rêvent tous les dirigeants du Medef : avec rapidité et mépris. Depuis Voltaire, nous savons que les laquais, en imitant les vices de leurs maîtres, ont toujours l’impression de s’approprier leur puissance. Ainsi, invité hier de RTL, Raymond Soubie a-t-il éprouvé le besoin de verrouiller des portes déjà bien fermées, ce qui en dit long sur l’obscurantisme qui sévit au sommet de l’État : « Rien ne changera dans l’architecture du projet sur les mesures d’âge. Je pense que fin octobre, ce sera quasiment joué. » Les prophéties de valets ne restent souvent que des prophéties…

Tandis que le débat continuait de faire rage hier au Sénat et que le gouvernement tentait de passer en force, notre Monsieur Soubie se montra plus réac que jamais : «Je trouve qu’il est totalement irresponsable que des adultes en situation de responsabilité dans certaines organisations invitent les lycéens à aller dans la rue pour le sujet des retraites.» Sous-entendu : chers parents, vous n’êtes pas dignes de l’être… Mais nous n’avions encore rien entendu. Histoire de racler les fonds de tiroir idéologiques, ce fut au tour de François Fillon en personne d’entrer en scène. Et qu’osa dire notre premier ministre lors d’une visite à l’École militaire, à Paris ? Pardonnez la longueur de la citation, mais il faut le lire pour le croire : «Il y a quelques jours j’ai rendu visite (…) à une dizaine de blessés de l’Afghanistan. (…) Il n’y en a pas un seul qui ne m’ait pas dit qu’il n’avait qu’une seule envie : rejoindre le plus vite possible son unité pour continuer à servir son pays. Dans une société qui parfois donne le sentiment d’être plus revendicative que constructive, ces dix blessés m’ont donné un formidable message d’espoir et une très grande leçon de courage.» C’est clair. Pour Fillon, les millions de manifestants et autres grévistes, à l’image d’ailleurs des 71% de Français qui les soutiennent, sont ni plus ni moins des traîtres
à la patrie !

À quatre jours des mobilisations du 12 octobre, et alors que l’intersyndicale vient d’annoncer une nouvelle initiative le 16 octobre, l’insulte laisse songeur. Si la fébrilité explique souvent les précipitations verbales, nous ne croyons pas un seul instant que François Fillon se soit trompé d’objectif ni d’auditoire. Impatient d’accrocher une victoire de classe contre un acquis social majeur, tel un trophée de chasse, Nicolas Sarkozy semble en effet aux abois face à une situation plus incertaine que prévu. D’autant que tous les sondages confirment la lucidité des Français. Le dernier en date vient à point nommé : 71% des sondés souhaitent la suppression du bouclier fiscal et 64% d’entre eux se disent opposés 
à la disparition de l’ISF… Les puissants ont raison d’être inquiets. Le ton est donc donné par toute la Sarkozie : puiser dans les caniveaux.

Et pendant ce temps-là ? S’essuyant une nouvelle fois les pieds sur la laïcité, Nicolas Sarkozy a choisi d’aller brûler un cierge au Vatican en compagnie d’un autre conseiller du Palais, le politologue Patrick Buisson, ancien directeur de la rédaction de Minute et de Valeurs actuelles. Commentant devant Benoît XVI sa politique contre l’immigration clandestine, le chef de l’État a parlé d’un «impératif moral». Certains apprécieront…

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 9 octobre 2010]

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jeudi 7 octobre 2010

Conseil de lecture : quand les entreprises françaises construisaient la politique défensive du IIIe Reich...

Le Mur de l’Atlantique, monument de la Collaboration, de Jérôme Prieur. Éditions Denoël, 218 pages, 18 euros.

Plongée dans l’histoire, plus justement, dans la face cachée de l’histoire. Celle de la construction du mur de l’Atlantique. Collier de bunkers, de blockhaus, de batteries qui ont habillé les côtes françaises de Dunkerque à Biarritz, et qui, aujourd’hui encore, sont les haillons de la France occupée, le mur de béton armé cache des secrets que Jérôme Prieur, historien, écrivain et cinéaste, a tenté de percer. Le mur de l’Atlantique est visible, ostentatoire, il continue d’insulter la beauté des plages et des arrière-pays, et pourtant, il fascine.

1942. Hitler, embourbé sur le front Est et redoutant à tout moment une attaque maritime des troupes alliées, décide la construction d’une «muraille» Atlantique. L’Europe de l’Ouest doit devenir une forteresse. Les travaux sont colossaux. Des millions de mètres cubes de béton armé sont nécessaires à l’édification du mur. Des milliers d’ouvriers aussi, de machines, de bétonnières, de grues… Chapeautée par la terrifiante Organisation Todt, dirigée par le petit bras du Führer, Albert Speer, la construction du mur va être le théâtre de ce que Jérôme Prieur qualifie de «plus importante et plus compromettante opération de collaboration économique sous l’Occupation». Voilà donc le secret du mur de l’Atlantique. Si l’on sait qui a accouché du concept, l’histoire en a (sciemment ?) mis de côté les sages-femmes. Qui a construit ce mur ? Et si le titre du livre de Jérôme Prieur est éloquent, le Mur de l’Atlantique, monument de la collaboration, l’étude qu’il renferme est saisissante.

Ultradocumentée, référencée, son analyse éclaire ce que l’histoire a laissé à l’ombre de l’oubli. Coup de projecteur sur cette France de la collaboration d’affaires, sur ces entreprises de construction qui n’ont pas su, pas voulu, pas pu, résister au chant des sirènes de la Todt et de ses contrats juteux. «À l’échelle européenne, il est très difficile d’évaluer le nombre de personnes qui ont travaillé pour l’Organisation Todt. Selon les estimations, les chiffres iraient de 1,5 million à 2 millions pour toute l’Europe.» Tous n’étaient pas allemands. La France devient la sous-traitance du IIIe Reich, et Vichy multiplie les lois et les décrets forçant la collaboration. Primes, salaires, avantages en nature, la Todt «bétonne» sa position, Vichy lèche les bottes allemandes, les entreprises françaises mangent à leur faim. Un équilibre subtil sur lequel repose l’immense chantier, renforcé par une main-d’œuvre forcée (juive notamment), une main-d’œuvre semi-forcée, qui a trouvé dans la construction du mur le moyen d’échapper au Service du travail obligatoire, une main-d’œuvre «libre», collaboratrice. Pourtant, ce qui devait être infranchissable s’écroule enfin, le 6 juin 1944. «L’opération Overlord rend le mur presque dérisoire», écrit Jérôme Prieur, qui, en 220 pages, contribue à faire tomber le voile opaque qui recouvre l’histoire des milliers d’igloos de béton échoués sur nos plages.
[Avec Marion d’Allard]

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mercredi 6 octobre 2010

Les Vivants et les Morts : le choc social de Mordillat... en "prime time"

Puisque l’inhabitable et l’irrespirable nous servent de décor quotidien, glacés que nous sommes par 
la froideur de la marchandisation et l’ensauvagement du monde dit «du travail», il est essentiel que des artistes sachent encore conjuguer horizon et frontière, gravité 
et espoir, engagement et dignité. Après la publication de son roman, les Vivants et les Morts, qui, en 2005, avait rencontré en son ampleur l’écho du peuple, jamais Gérard Mordillat n’aurait imaginé qu’il puisse un jour le porter 
à l’écran. Pensez donc ! De Cellatex à Moulinex, en passant par Metaleurop et tant d’autres exemples aussi macabres les uns que les autres, de nombreux drames sociaux avaient inspiré sa fresque romanesque narrant la fermeture d’une usine. Qui aurait osé financer 
et assumer un tel projet, surtout à la télévision ?

Poser encore la question aujourd'hui, alors que le projet a vu le jour, en dit long sur le petit miracle vécu par Mordillat et toute son équipe. Puisque l’occasion nous est donnée, saluons le courage de Jean Bigot, l’ancien directeur de la fiction à France 2, poussé depuis vers la sortie, grâce auquel cette série de huit épisodes sera diffusée dès ce soir sur France Télévisions. Certains héritages sont plus vivants que d’autres… Car les téléspectateurs doivent le savoir. Ceux qui se retrouveront devant leurs écrans, en prime time (!), vont ressentir un choc télévisuel comme on en voit peu en Sarkozye – et comme on en verra peu d’ici à 2012. À l’heure où l’action publique est profanée, où tous les faire-croire gisent au sol sous les assauts de l’atomisation sociale, les Vivants et les Morts nous raconte une histoire hélas ordinaire. Celle d’une usine et de ses ouvriers dont des lointains groupes financiers ont décidé de se débarrasser après en avoir pillé les actifs, au nom de la sainte rentabilité. La vie telle qu’elle est nous explose alors à la figure. Dans le détail. Jusque dans l’intimité des foyers des salariés, tandis qu’ils iront au bout pour défendre leur emploi. Et leur dignité.

Si la crise économique mondiale nous paraît hors-sol, la misère sociale, elle, a des racines si profondes qu’elles broient les hommes palpitants et hurlants. Cette série majuscule redonne des visages et une âme aux victimes de l’horreur sociale : le pays de Jaurès et d’Hugo dit «merci». Les néocapitalistes aimeraient nous faire croire que la réalité économique est un paysage complexe aux mécanismes financiers trop sophistiqués pour s’en mêler, que la responsabilité des puissants s’évanouit dans une sorte d’opacité légitime… Cette illusion masque en vérité le caractère impitoyable des relations sociales, le cynisme anonyme des détenteurs du capital, la déshumanisation à laquelle sont soumis 
des salariés rendus vulnérables par la précarisation…

Nul ne connaît l’heure ni le lieu, le dernier pont à franchir, l’ultime poing à dresser. Les «morts» abdiquent car ils croient en l’inéluctabilité du monde qu’on veut nous imposer. Les «vivants», eux, ne renoncent jamais, parce que la résistance et la lutte ont une valeur en soi, une valeur suprême qui dépasse le périmètre d’une usine. Sans manichéisme, Mordillat nous parle d’une colère éthique à la hauteur des enjeux de civilisation du XXIe siècle. Car le capitalisme, qu’il soit «financier» ou «paternaliste», n’est pas un conte de fées, il violente et met à nu. Alors, en plein mouvement social, tandis que toutes les luttes actuelles cherchent des points de convergence indispensables pour renverser la table, inutile de préciser que toutes les comparaisons avec l’actualité sont les bienvenues. Et puisque la fiction télévisuelle prend rarement le pouls du monde du travail, osons ce conseil pour le moins singulier : tous ensemble devant la télé !

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 6 octobre 2010.]

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lundi 4 octobre 2010

Moine(s) : à propos du film de Xavier Beauvois, « Des hommes et des dieux »

Lumière. Outre cette plénitude indivise des aurores re-naissantes que nous inspiraient à chaque évocation nos maîtres jésuites – du moins ceux qui osaient traîner sur les bancs de la laïque sans excès de prosélytisme –, comment oublier qu’ils s’assignaient magistralement un devoir de transmission d’autant plus altruiste qu’il se retournait souvent contre la foi qu’ils essayaient de propager… Eux aussi tenaient le guichet de l’avenir, servaient des vers au comptoir des poésies, ouvraient la porte aux émancipations. Ils nous forçaient à penser par nous-mêmes – mais auraient-ils été nos maîtres, sinon ? L’un d’eux citait souvent Baptiste : «… La vie était la lumière des hommes. / Et la lumière luit dans les ténèbres, / et les ténèbres ne l’ont pas reçue» (l’Évangile de Jean). C’était hier, avant-hier peut-être, dans un ici-là tant et tant présent qu’il nous tétanise. Comme si le vieux bonhomme nourri par l’ardeur de la «théologie de la libération» et les incertitudes de Bernanos allait se dresser encore à nos côtés pour répéter aux âmes grises : «L’éternité du silence et le temps de la parole se marient. Leur accouplement enfante des fils de Lumière pour éclairer les siècles silencieux.» Tout apprentissage humain, initiation ou noviciat, réclame son dû. Le message était simple : lorsque la dimension de profondeur n’est pas animée, c’est l’engagement qui fait défaut…

Beauvois. L’embarquement en mélancolie n’a pas que des avantages et peut très vite se transformer en amertume. Mais, puisque la vérité seule nous oblige, autant admettre que le retour en mémoire jésuitique (chacun sa croix) fut provoqué, l’autre jour, par la projection du film de Xavier Beauvois, Des hommes et des dieux. Il fallait le voir enfin, le grand prix du Festival de Cannes, poussé que nous étions par une envie irrépressible, aspirés par le sujet et l’aura grandissante d’un bouche-à-oreille digne des miracles culturels : il dépassera, ce week-end, le million et demi de spectateurs ! Alors, autant l’admettre d’emblée : ce film, retraçant les derniers jours de la vie des moines de Tibhirine, en Algérie, arrachés une nuit à leur monastère et assassinés en 1996, n’est pas «le» chef-d’œuvre annoncé. Il reste néanmoins un film important. Pour une raison principale : il synthétise à lui seul les interrogations et les limites de notre époque, qui hésite entre implication collective et retrait pour anachorètes désabusés de tout…

Foi. Dans la montée au calvaire de ces moines admirables en tout point, filmés sous la neige partant vers leur martyre, sans qu’à aucun moment la mort ne soit montrée, la tentation est grande en effet d’en rester au grand écart entre l’importance du sacrifice dans l’engagement et l’héroïsation de la vie monacale, loin du monde et de ses tumultes. Les cinéphiles attentifs objecteront que le film de Xavier Beauvois pose essentiellement des questions «sur» l’existence. Précisément. Sujet à hauts risques, il aurait pu heurter les athées comme les agnostiques, plus encore les antireligieux, en raison du regard «bienveillant», voire «positif», qu’il pose sur la foi de ces moines. Une foi assez peu ébranlée par la perspective du trépas. Beauvois n’est pas, là, dans le Dialogue des carmélites, dont on sait qu’il insistait plus sur le doute que sur la croyance. Beauvois est ailleurs, et seuls les dogmatiques refuseront de voir qu’il glorifie à sa manière l’engagement des moines, cet engagement majeur qui leur permet de trouver ce courage et cette résistance morale pour affronter la mort, en face.

Silences. En ces temps d’excès-marchands en tout genre, où la verticalité de l’élévation des humains compte moins que l’horizontalité des plaisirs narcissiques et consuméristes, il fallait oser ce parti pris. D’autant que la caméra de Beauvois, pudique et minimaliste, s’en tient à l’esthétisme totalement épuré de la vie monacale, à la légèreté des silences et des paroles sanctuarisées, à l’harmonie du clair-obscur façon le Caravage, qui indique symboliquement la présence invisible de la foi. Une forme d’universalité apaisante. Nous y voyons «de la» sérénité, «de la» réalité, avec, au passage, un regard cru sur la misère humaine des hommes. Mais, au fait. Où est la «vie sublime» de la vie monacale sacralisée ? Où est la transcendance ? Où est l’immanence ? Certains ont vu dans ce film des références à Rossellini ou à Bresson. La fin nous en dissuade définitivement. Au-delà du parallélisme inutile avec la Cène, lors du dernier repas des moines, comment ne pas regretter l’utilisation du Lac des cygnes qui sur-joue et amplifie un sentimentalisme totalement inutile et sollicite notre émotion (le pire des pièges), venant rompre un recueillement intense par lui-même. L’austère composition en tableau des images du monastère et la concorde des chants cisterciens auraient suffi. Effleurer la néantisation suggérait la foi dans l’engagement ; en amplifier les effets affirme l’engagement dans la foi. La nuance n’a l’air de rien, pourtant, elle livre la pierre cachée 
que certains ont cru y dénicher : qu’il soit sacrificiel ou non, l’au-delà est la promesse d’un avenir meilleur, donc, isolons-nous, fuyons, refusons l’altérité… Inutile de dire que nous n’acceptons pas ce mortifère présage ! Le film de Beauvois doit nous proposer le contraire : l’engagement est un combat terrestre, ici et maintenant. La mémoire des moines de Tibhirine nous dit-elle autre chose ?
 
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 2 octobre 2010]
 
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samedi 2 octobre 2010

Retraites : ne rien lâcher !

«Nous avons le potentiel pour empêcher cette réforme. Il y a eu jusqu’à présent une forte mobilisation des salariés et un large soutien de l’opinion. À nous d’être convaincants.» À sa manière, le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, résumait parfaitement la situation, hier matin, alors que la France entière s’apprête à descendre dans la rue pour dire «non» à la casse de nos retraites, «non» à la privatisation de la France et à la destruction des solidarités républicaines. Ce samedi, les citoyens en colère défileront dans 230 villes : autant que le 23 septembre ! Non seulement le bras de fer s’amplifie, mais la «décélération incontestable» fantasmée par l’Élysée trouve chaque jour des démentis cinglants. La prise de conscience progressive a déjà modifié le rapport de forces.
Partout, les efforts consentis par la population pour amplifier la contestation donnent à voir l’ampleur du temps-citoyen qui est le nôtre, et qui n’est pas sans rappeler les mobilisations ascendantes observées lors du référendum de 2005 ou du CPE en 2006. Dans les deux cas, il avait fallu de nombreuses semaines pour désinstaller la propagande d’État. Il est évidemment trop tôt pour prédire l’issue du conflit actuel, provoqué par une contre-réforme insupportable, autant par son contenu que par les moyens utilisés pour l’imposer à une opinion de plus en plus hostile. Dire que la suite dépend en partie de la réussite des mobilisations d’aujourd’hui, et du succès de celles du 12octobre prochain, est une évidence qui ne s’arrêtera évidemment pas à la ridicule «bataille des chiffres» – à propos de laquelle rarement, dans notre histoire contemporaine, les services de l’Intérieur se seront montrés autant ridicules…

Car, le climat a muté et la vérité creuse son sillon. Tous ceux qui tentent d’analyser avec sérieux le paysage social ne le cachent pas : un durcissement est possible. L’intransigeance idéologique du Palais comme les provocations du chef de l’État lui-même sur le dossier en question constituent autant de points d’appui «naturels» pour subjuguer la colère. À vouloir nier la réalité, le pouvoir affiche un tel mépris qu’il insulte l’avenir, comme si le présent devenait si brûlant qu’il fallait le travestir. Osons une explication : et si la peur avait changé de camp ? Et si la gigantesque entreprise de conditionnement mental des Français organisée par tous les réseaux d’influence de la sarkozye finissait par se retourner contre elle ?

Comme le montre notre sondage exclusif CSA, pas moins de 71% des Français interrogés soutiennent les mobilisations de ce 2octobre. Un record depuis le début du conflit sur les retraites ! La France des luttes, celle qui ne se résout jamais à la domination et aux injustices, peut-elle remporter cette victoire idéologique si importante pour notre avenir commun ? Du haut de sa morgue, Sarkozy ferait bien de se méfier, lui qui vient d’atteindre le seuil plancher de sa cote de popularité : 26% d’opinions favorables. Là aussi, du jamais-vu ! Claquemuré dans sa religion libérale, il vient encore d’utiliser des termes stupéfiants : «Je peux dire aux 15 millions de retraités et aux 700 000 retraités de plus chaque année : vos retraites seront payées.» Le mensonge est si primitif qu’il n’étonnera personne. Grossièreté, monocratisme, injustice : tels sont les fondements du néocapitalisme, dont Sarkozy est l’un de serviteurs les plus zélés. Sa «réforme» des retraites, qualifiée pompeusement de «mère de toutes les batailles», en est la pointe avancée. Raison de plus pour ne rien lâcher.

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 2 octobre 2010]
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vendredi 1 octobre 2010

Alberto Contador : on achève bien les chevaux !

Encore un ? Un de plus ? Un de trop ? Le soupçon pèse désormais sur le roi des courses à étapes, le triple vainqueur du Tour, Alberto Contador, seul cycliste en activité à avoir remporté les trois grands tours... Autant le dire, la déflagration qui risque de se produire si le contrôle positif à un produit vétérinaire (!), le Clenbutérol, est avéré, dépassera de loin le simple cas de ce coureur espagnol doté d’un talent indéniable, mais qui, depuis sa supposée implication (hélas sans conséquence) dans l’affaire Puerto, n’en finit pas de susciter des doutes et des rumeurs. Pour l’heure, le triple vainqueur de la Grande Boucle se dit «victime d'une contamination alimentaire» qui serait due, selon lui, à une viande consommée juste avant le contrôle en juillet dernier… C’est bien connu, le secteur bovin n’est plus ce qu’il était.

Si Contador tombe prochainement pour «dopage» et non plus seulement pour un «contrôle anormal» (sic), on pourra dire qu’il l’aura bien cherché. Car l’époque s’avère pour le moins paradoxale. Depuis bientôt deux ans, la lutte antidopage se voit en effet amputée de beaucoup de ses moyens, par la volonté de l’Union cycliste internationale (UCI) et la complicité de quelques Etats peu scrupuleux, dont la France. Et c’est précisément pendant cette période sombre que le nom du meilleur coureur au monde sort du chapeau obscur. Donc ? L’UCI sait manifestement ce qu’elle fait, ne doutons pas une seconde qu’elle se serait abstenue dans le cas contraire.

Selon nos sources, l'échantillon positif au clenbutérol de Contador contiendrait d'autres traces analytiques dites «exploitables». Il semblerait que les scientifiques du laboratoire de Cologne, qui ont pratiqué le contrôle en question, auraient également retrouvé des «résidus plastiques» semblables à ceux que l'ont retrouve après une transfusion sanguine (provenant de la poche plastique qui recueille le sang prélevé). Ce constat, qui découle de l'application d'une méthode de détection des autotransfusions, mise au point par le laboratoire antidopage de Barcelone, pourrait accréditer l'hypothèse selon laquelle Alberto Contador aurait bénéficié de cette méthode illicite durant la journée de repos du 21 juillet à Pau. L'UCI en serait convaincu. Nous y voilà. Si l'hypothèse de l'utilisation de cette méthode interdite était retenue, cela signifierait que le coureur espagnol aurait prélevé son sang à un moment où il prenait du clenbutérol (par exemple quelques mois auparavant) avant de se le réinfuser le 21 juillet… Ceci expliquant cela.

Ce coup de tonnerre prévisible nous offre une bien triste conclusion. Laquelle ? Malgré la «paix armée» imposée par les parrains du cyclisme, le dopage massif et les comportements pourris n’ont sans doute pas cessé… Deux autres coureurs espagnols, dont le deuxième de la dernière Vuelta, sont d’ailleurs venus grossir les rangs des «positifs»...
Pendant ce temps-là, Jean-René Bernaudeau se démène comme un damné pour sauver son équipe pro Bbox, l’une des rares au monde à consacrer du désir et de l’argent à la formation des jeunes. Le cyclisme, jadis mythique, épique et utopique, ne tourne décidément plus rond.

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