mercredi 26 avril 2017

Gramscien(s)

Relire Antonio Gramsci. Et passer de la révolution passive à la révolution active.
 
Passif. L’«après», en tant que moment déjà derrière nous, a-t-il toujours une fonction cathartique? Ou n’est-il qu’un instant de reprise de souffle, quand la déception, mâtinée d’espoir, vient nourrir nos réflexions? Nous parlons là, vous l’avez compris, du remarquable score de Jean-Luc Mélenchon et de l’immense frustration d’échouer si près d’un renversement politique pour l’Histoire. Deux méthodes pour sortir de cet état d’excès de sensibilité. Primo: marteler le surgissement de «l’événement» en question, le fracasser à la réalité, le déconstruire. Secundo: prendre de la hauteur en puisant dans le référencement le plus symbolique qui soit. À la faveur de ce numéro spécial consacré aux quatre-vingts ans de la mort d’Antonio Gramsci, choisissons ici cette dernière option. Avec pour point de départ une phrase, une seule, piochée dans les nombreux écrits du philosophe André Tosel, mort le 14 mars 2017 et à qui ce bloc-notes est dédié. Cette phrase, la voici: «Passer de la révolution passive à la révolution active suppose un alignement des planètes assez rare.» Ce grand spécialiste de Gramsci n’eut qu’une obsession: traduire, à la lumière de l’actualité, la pensée gramscienne de l’émancipation à hauteur de notre temps. Ainsi, ce qu’il nommait «la révolution passive» comme concept s’avère, aujourd’hui-et-maintenant, d’une rare pertinence dans la mesure où il caractérise notre période par laquelle les classes dirigeantes, débarrassées enfin de leur antagoniste d’héritage («ancien régime théologico-politique, privilégiés de la rente foncière») affrontent désormais leur antagoniste fondamental qui est leur condition d’existence, à savoir la classe des travailleurs, producteurs de survaleur et de profit. André Tosel expliquait clairement: «Ces classes dirigeantes signifient aux travailleurs qu’il ne sera jamais question de dépasser une politique de redistribution du surplus social, de justice distributive, et que ne sera jamais franchi par elle le seuil de gestion de la production, de l’innovation technologique et de la direction d’ensemble de la société et de ses institutions économiques, politiques et culturelles.» Comprenons bien. La reproduction des contraintes et des consensus, par la stricte rhétorique de la force et de la persuasion active ou extorquée, permet aux classes dirigeantes, devenues des castes, de reproduire et d’élargir leur direction et leur domination au risque de la désassimilation croissante de masses vouées à la subalternité…
 

lundi 24 avril 2017

Au nom de la gauche

Le score de Jean-Luc Mélenchon n’a pas suffi, certes, mais il s’avère assez remarquable. Il démontre que la vraie gauche n’est pas morte. Et que son dynamisme porte loin, précisément quand elle est vraiment de gauche.
 
Ainsi donc, il aura manqué un peu plus de 600 000 voix pour que Jean-Luc Mélenchon se qualifie. C’est à la fois beaucoup… et si peu. Si peu, oui, qu’une légitime rage continue de marteler nos cerveaux, tant les quelques pas, ceux qui ont manqué pour renverser l’Histoire, se trouvaient là, juste devant nous. L’occasion manquée nous laisse d’intimes et profonds regrets. Tâchons néanmoins de dépasser le seuil de l’amertume, jamais bénéfique par grand vent. Car le ­résultat de Jean-Luc Mélenchon ouvre une nouvelle page dans l’histoire de la gauche: il remet les points sur les «i». Pour l’heure, l’hégémonie du PS n’est plus d’actualité. Et pour la première fois depuis 1969 et les 21,4% du communiste Jacques Duclos, le centre de gravité redevient le pôle de transformation radicale de la société. À regarder attentivement la carte électorale, le paysage à gauche n’est plus le même. Dans les quartiers populaires, dans un nombre considérable de villes, grandes ou moyennes, sans parler chez les jeunes, le peuple du progrès a retrouvé de la conviction et de l’utilité.
 

vendredi 21 avril 2017

Horizon(s)

Et si le vote "surprise" de 2005 se reproduisait le 23 avril, en plus «historique»?
 
Peuple. Chacun est l’héritier actif du présent; contemporains nous sommes. Alors, humblement mais sereinement, le bloc-noteur doit passer aux aveux. Les urnes étant des boîtes à multiples fonds, électoral, funéraire, et remplies d’espoir, elles recueillent – et depuis trop longtemps – nos rêves les plus fous et nos cendres emportées par les vents. À l’heure d’un vote si important, une forme de tétanisation nous gagne, une peur d’échouer si près du but, si près d’un basculement. Le miroir du temps et des déceptions accumulées incitent donc autant à l’utopie qu’à la prudence raisonnée. Instruits par les générations antérieures, nos désarrois de promeneurs solitaires nous préservent des croyances aveugles. Et, puisque l’histoire n’est pas l’étude du passé mais de l’homme dans sa durée, avec ses changements et ses mutations, plantons là l’ego-histoire: allons à l’essentiel. Précisément, à quel point en sommes-nous de l’histoire de France, si ce n’est pas là pour nous tous un non-sujet, et du peuple dit de gauche, si le mot ne paraît pas trop rétro? Le peuple? Oui, le peuple, en tant que destin long, ou plus exactement l’unité de ce destin. Les déboussolés de gauche, sans faire le détail de ses groupes et avec tous ses aggiornamentos, ont dans leur ADN un pacte avec la durée, parce qu’elle est transmission, transport d’une information rare au fil du temps, parce que le goût de l’aventure collective ne nous est pas tombé dessus tout cuit. Nous avons une créance. Une longue tradition nous pousse dans le dos. Et nous savons, mieux que quiconque, que nous ne nous en sortons pas tout seuls: les hommes se sauvent ensemble ou pas du tout. Voilà pourquoi nous devons mesurer ce qui se passe et ce qui sera possible, pourquoi pas, ce dimanche 23 avril.
 

mercredi 19 avril 2017

La visée...


Ne lâchons rien aux éditocrates et aux chiens de garde qui trouvent Jean-Luc Mélenchon «totalitaire» de vouloir convoquer une Assemblée constituante pour rompre définitivement avec la monarchie présidentielle.

Que le temps passe vite… à J-3, tandis que personne ne se risquerait à prédire dès aujourd’hui quel sera l’ordre d’arrivée entre les quatre candidats dont vous connaissez les noms, nous savons que la démesure du combat des dernières heures ne doit pas nous abandonner, surtout si près du but, sachant que ce qui semblait impossible nous apparaît désormais clairement à portée de vote et de conviction. Nous le savons d’autant plus que, à l’image des dix derniers jours, la campagne de haine, de calomnies, de caricatures et de mensonges qui s’abat en tirs nourris sur Jean-Luc Mélenchon ne s’estompera qu’à la toute fin de la campagne officielle – et encore! Après avoir été affublé de tout et son contraire à longueur d’antennes et de tribunes publiques, voici maintenant le candidat des Insoumis, des communistes et de tant d’autres accusé de velléité «totalitaire». Face à des propos si affligeants, gardons – et chérissons – notre sang-froid. Cultivons l’intelligence des circonstances. Bref, ne lâchons rien aux éditocrates et aux chiens de garde qui trouvent «totalitaire» de vouloir convoquer une Assemblée constituante pour rompre définitivement avec la monarchie présidentielle. Passons… Hier, même l’ineffable Laurent Joffrin a osé écrire que Jean-Luc Mélenchon sombrait en pleine doctrine molletiste. Vous avez bien lu: Mélenchon comparé à Guy Mollet ! Rigolons, chers lecteurs, pouffons même de bon cœur, le rire étant parfois le plus efficace des mépris…

Cette stratégie du dénigrement permanent – vieille comme le monde des idées – cache mal en vérité l’état de panique provoqué par la percée du candidat et l’incroyable dynamique observée autour des idées fortes de son programme, le seul à porter l’ambitieux projet de lancer le processus d’un changement d’existence et de sortir des crises accumulées (sociale, économique, politique, morale, etc.). Si la peur a changé de camp, autant se le dire néanmoins : accompagner simplement ce vent porteur, qui souffle déjà sur les origines d’un nouvel à-venir, peut ne pas suffire. Autour de nous, autour de vous, il reste trois jours de luttes de tous les instants pour que l’espoir se transforme en une réalité qui «fasse société». Nous parlons là d’une visée qui dépasse chacun d’entre nous.

[EDITORIAL publié dans l’Humanité du 20 avril 2017.]

jeudi 13 avril 2017

Repentance(s)

Si, la France est coupable de la rafle  du Vél’d’Hiv.
 
Irréparable. La pensée profonde de Fifille-la-voilà s’exprime donc périodiquement. Nous parlons bien là de son corpus idéologique d’extrême droite fascisant, qu’elle camoufle si mal derrière ses mots stratégiquement ripolinés qu’il lui arrive souvent de se révéler (amen!) au-delà de ce qu’elle souhaiterait. En affirmant, dimanche 9 avril, que «la France n’était pas responsable du Vél’d’Hiv», la patronne du Front nationaliste rappelle bruyamment – du moins à tous ceux qui en doutent encore – qu’elle n’a en rien rompu les liens idéologiques et filiaux avec son père. Sans surprise, en vérité, tous deux refusent en effet l’implication de la France dans l’arrestation par la police française et la livraison aux Allemands de 13 000 juifs, dont 4 000 enfants, acheminés dans les camps d’extermination nazis. Contre le «devoir d’histoire», contre le «travail de mémoire», Fifille-la-voilà réactive le pire passé, en pleine campagne électorale, et laisse croire que seuls les décisionnaires de l’époque, à savoir Pétain et Laval, à la tête du gouvernement de l’État français installé à Vichy, seraient les responsables de cette rafle et de cette déshonorante page de l’histoire. En somme, vous avez compris le message: arrêtons avec la repentance, toutes les repentances, quelles qu’elles soient, y compris celles qui permettent de mettre des mots sur l’innommable, au regard du temps long. Le surgissement de cette polémique minable est non seulement stupide et inutile, mais il s’avère surtout un contresens avec l’évolution opérée depuis plus de vingt ans par nos dirigeants, dans le prolongement des travaux des historiens eux-mêmes. Après cinquante ans de refus de repentance par de Gaulle et Mitterrand, qui reflétaient l’un comme l’autre l’attitude assumée par la génération de la Seconde Guerre mondiale, il a fallu attendre 1995 et le discours de Jacques Chirac lors de la commémoration (oui, Jacques Chirac!) pour que, enfin, la France assume. Nous n’oublierons jamais notre émotion quand le président déclara que «la France, ce jour-là, commettait l’irréparable». La formule était lâchée: «La France». Depuis, aucun de ses successeurs, aucun premier ministre, n’a contesté cette position devenue officielle. Même Nicoléon, pourtant jamais avare dans les récupérations historiques, parfois odieuses, avait estimé dans l’exercice de ses fonctions qu’il n’avait «rien à retrancher et rien à rajouter à ce beau discours» de Jacques Chirac. Autant dire que l’histoire de France avait tranché, en quelque sorte. 
 

lundi 10 avril 2017

L'implication

La bataille d’idées se gagne dans la capacité à mobiliser les familles politiques en leur noyau, et pas sur leur marge.

A J-13, il ne s’agit plus seulement d’arithmétique plus ou moins calqué sur les risques aléatoires des logiques sondagières. Autant le dire clairement, nous n’en sommes plus là. Ce qui se passe autour de la candidature de Jean-Luc Mélenchon – au point qu’il soit devenu auprès de quelques grands médias un phénomène reconnu pour sa dynamique et son talent – dépasse de loin sa propre personne et mériterait une analyse sérieuse des soubassements contemporains de la politique. La vague qui semble se soulever offre en effet un espoir nouveau, tandis qu’elle pourrait balayer bien des doutes et des réflexes, à commencer par le célèbre «vote utile». Chacun sait désormais que Mélenchon n’est pas le moins bien placé de ses adversaires pour battre franchement Le Pen en cas de second tour! S’il faut se méfier des sondages, qui brident parfois les votes d’adhésion au profit de votes «utilitaires», ne boudons néanmoins pas notre plaisir du moment. Sachons constater froidement que l’opinion publique frémit, et que ce frémissement provoque la mutation des consciences et l’implication qui va avec. Et si c’était possible ? Oui, réellement? Et si les indécis se disaient eux aussi qu’ils ont à portée de mains la capacité de renverser la table? Et si nous ne rêvions pas ? Les sondages restent l’une des armes des puissants ; pour une fois, utilisons cette force jadis à leur disposition pour la retourner contre eux!

vendredi 7 avril 2017

Héritier(s)

Rendons son noble art à la politique: Sapere Aude.
 
Penser. Une campagne électorale – étouffante et éprouvante – vaut bien des sports de combat entre penseurs. Y mettre des idées, du nerf, du courage et de l’esprit. Surtout de l’esprit. Non comme une flânerie désinvolte, mais bien comme une philosophie de vie appliquée à la matière vivante, la plus belle qui se puisse imaginer, même par les temps qui courent : la politique. Dimanche dernier, en regardant le meeting de Jean-Luc Mélenchon, à Châteauroux, par-delà l’émotion des mots choisis et des thématiques empreintes de fraternité et de cette envie d’en découdre, le bloc-noteur se prit à rêver que toute citoyenneté dans l’ordre de la transmission des concepts et des représentations devienne assez semblable. Un orateur, des gens pour écouter la structuration d’un programme, jusque dans le détail du réel existant et possible. L’intelligence du propos au service de démonstrations où l’«émetteur» transforme les «récepteurs» en êtres conscients de ce qu’on leur propose, sans que la théorisation ne se veuille jamais ni parfaite ni définitivement achevée. Et même si nous pouvons ne pas être d’accord sur tout, cette envie de bouffer les idées les unes derrières les autres ressemblent à s’y méprendre à un parcours initiatique référencé que tout individu souhaiterait visiter pour se grandir à l’heure des choix démocratiques. En vérité, une formule tutélaire flottait ce jour-là dans cette salle éveillée, une formule à laquelle personne ne songeait vraiment, pourtant elle était là, frappante d’évidence, car elle rendait son noble art à la politique: Sapere Aude (Osez penser).