mardi 28 février 2023

Objectif 7 mars !

L'exécutif a perdu la bataille de l'opinion...

Alors qu’Emmanuel Macron entame une tournée africaine en annonçant vouloir faire du neuf tout en activant les vieilles recettes de la Françafrique – s’adapter pour perdurer, en somme –, l’explosif projet de loi sur les retraites est désormais en discussion au Sénat. Entre vacances et rentrée scolaire, le pays, en état d’extrême tension, semble comme suspendu dans l’attente des jours prochains, à la manière d’une sorte de «trêve» durant laquelle chacun retient son souffle pour mieux préparer le retour de la grande bataille. Une date occupe déjà tous les esprits: le 7 mars.

Ce jour-là, les mobilisations devraient prendre une tout autre forme et sans doute s’installer dans la durée. Des transports au secteur de l’énergie (raffineurs, EDF, etc.), la volonté de «bloquer le pays» n’est pas qu’un affichage, mais bien une réalité sous la forme de grèves reconductibles, d’ores et déjà annoncées çà et là. Ainsi, à la SNCF, l’ensemble des syndicats appellent à l’action dès le 7 mars. Nous connaissions la position de la CGT cheminots et de SUD rail. L’Unsa ferroviaire et la CFDT attendaient de consulter leurs adhérents. Les résultats de « la base » sont sans appel: plus de 80% d’avis favorables! Tous les cheminots rejoignent donc les grévistes de la RATP, qui avaient déjà annoncé, mi-février, participer au durcissement du combat.


Rien n’est écrit à l’avance. Mais l’affaire risque de se compliquer pour le couple Macron-Borne. D’autant que les sondages ne montrent aucun essoufflement, bien au contraire. Dans la dernière livraison de l’Ifop, seules10 % des personnes interrogées se déclaraient « tout à fait favorables » à la réforme. Du jamais-vu! L’exécutif a définitivement perdu la bataille de l’opinion. L’ampleur du mouvement de contestation nous prouve par ailleurs que la lutte sociale, quand elle redevient centrale, modifie le paysage et instaure en profondeur un nouveau rapport de forces. Toucher aux retraites a joué en point d’accroche, révélant une colère fondamentale et légitime: l’inaltérable exigence d’égalité, celle qui secoue les citoyens et élève les consciences. À rebours de l’histoire, Macron et ses premiers de cordée ont osé envoyer un message mortifère aux générations futures: «Après nous, le déluge!» Le rejet des Français est à la hauteur de ce mépris.


[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 1er mars 2023.]

vendredi 24 février 2023

Constituante(s)

Mac Macron, le monarque de la Ve République.

Institutions. «Penser sans peur», disait Descartes ; «vivre pour la vérité», ajoutait Spinoza. Tout républicain digne de ce nom, qui tient à l’universel de sa patrie en agissant ici et partout à l’échelle du monde, doit désormais se poser une question simple mais lourde de signification: la Ve République a-t-elle vécu? Parvenu à ce point de crise démocratique et institutionnelle, regardons la vérité en face. Le régime du monarque-élu se trouve totalement à bout de souffle et, depuis l’arrivée de Mac Macron I et II, du haut de sa verticalité jupitérienne poussée jusqu’à la caricature, le sentiment de fracture entre le chef de l’État et les citoyens a connu une aggravation si inquiétante que tout retour en arrière paraît impossible. Autant le dire, la défiance croissante n’atteint plus seulement l’Élu des urnes, quelles que soient les circonstances du suffrage, mais bel et bien «la» politique en général – donc, en quelque sorte, tous les élus eux-mêmes, percutant de plein fouet cette sacro-sainte « représentation » qui leur est légitimement conférée. Ne soyons pas naïfs, Mac Macron en personne y réfléchit. Raison pour laquelle, si l’on en croit les dernières consultations au Palais, il songerait sérieusement cette fois à une «réforme des institutions», comme l’assurent certains conseillers. Un chantier lancé à bas bruit. Mais pas moins explosif que celui des retraites…

Constitution. Aussi incroyable que cela puisse paraître eu égard au climat social et politique (sans parler de l’affaiblissement de la majorité au Parlement), Mac Macron voudrait en effet montrer qu’il n’a pas renoncé à un projet censé «redonner de la souveraineté populaire» (sic), idée qui figurait dans son programme. Après avoir consulté Nicoléon et Normal Ier il y a quelques semaines, le prince-président réfléchirait au retour du septennat, au calendrier électoral, à la proportionnelle, voire à un nouveau redécoupage des super-régions. Mi-janvier, lors d’un dîner avec des éditocrates triés sur le volet, Mac Macron avait précisé sa pensée en ces termes: «Il faut se donner pour ambition de faire quelque chose de grand, sinon je ne suis pas pour le faire.» Dilemme. Si le chantier ne saurait se résumer à un simple toilettage de la Constitution, comment le concevoir alors que le pays est sens dessus dessous et que les conditions à réunir pour une modification de la Constitution (qui doit être approuvée par les deux Chambres en vote identique, puis à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés par l’ensemble du Parlement réuni en congrès) semblent inatteignables. Sauf par référendum. Solution improbable, évidemment, puisque l’auteur de la question deviendrait la cible – et sans doute la victime – de toutes les attaques.


Crise. Mac Macron s’apprêterait donc à assumer un big-bang institutionnel? Attention aux mots, soyons sérieux. Il s’agirait au mieux d’un «accommodement». Car, de toute évidence, la Constitution, l’organisation des pouvoirs publics, la démocratie et donc la République ne correspondent plus aux attentes ni aux exigences de solidarité, de justice et à l’aspiration croissante à un nouveau mode de développement. Nous voici parvenus à un point de non-retour dangereux pour les équilibres fondamentaux de la nation. Nous sommes au bout d’un cycle, celui d’une démocratie représentative pensée à la fin du XVIIIe siècle, qui ne reconnaît au citoyen que la compétence d’élire des représentants qui vont vouloir pour lui. Un autre cycle s’ouvre et il ne réclame pas de demi-mesures: il a pour principe la compétence normative des citoyens, à savoir leur capacité d’intervenir personnellement dans la fabrication des lois et politiques publiques. À l’approche de son soixante-cinquième anniversaire, le régime fondé par le général de Gaulle est en voie de battre le record de longévité détenu jusqu’à présent, dans l’histoire constitutionnelle française, par la IIIe République (1870-1940). Un réajustement juridique soumis à une représentation nationale contestée, serait insuffisant pour rénover la Ve République. Seule une (r)évolution citoyenne pourrait permettre le vrai big-bang salutaire, par l’élaboration d’une Constituante, pleine et entière. Tout autre chemin nous conduit au chaos. 

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 24 février 2023.]

jeudi 16 février 2023

Mensonge(s)

Retraites: le mensonge originel des 1200 euros...

Langage. Et soudain, le surgissement de l’événement imprévisible… Il a donc fallu attendre des semaines et de longs jours de quiproquos et de polémiques, puis le début du débat parlementaire, pour connaître – enfin – la vérité. Pour ne pas dire l’arnaque, pensée, voulue et relayée par les principaux éditocrates de notre cher et beau pays. Souvenez-vous. Peu après la présentation par la première sinistre du projet de loi de réforme des retraites, qui constitue une sorte de clef de voûte du quinquennat de Mac Macron II sans laquelle tout pourrait s’effondrer autour de lui, nous avions entendu cet argument: «Pas de retraite en dessous de 1 200 euros.» Combien de ministres et autres thuriféraires ont-ils répété cet « élément de langage », jusqu’à y croire eux-mêmes sans doute, comme si défilaient sous leurs yeux des paysages imaginés servant une unique cause: convaincre le bon peuple, forcément crédule et prêt à gober n’importe quoi. Sauf que l’arnaque était là, nichée dans l’énoncé. La pension à 1200 euros brut minimum ne concerne que… 0,002% des salariés, avec une carrière complète au Smic ! Précision : en toute logique, parmi les 20% des retraités les plus pauvres, 9 sur 10 n’ont pas eu une carrière complète. Vous avez bien lu.

Privilégiés. Au fond, tout s’explique dans cette rhétorique « mobilisatrice » de la Macronie : voler deux années à tous les travailleurs et travailleuses, en moyenne 36210 euros par personne, et augmenter de moins de 100 euros une personne sur 50000. Joli calcul. Au résultat tangible: 93% des Français rejettent son projet. Équilibre, justice, progrès: derrière les mots de la première sinistre, une entreprise de communication. Appelons cela le «service avant-vente». Nous imaginons, sous les lambris de la République, les soirées à phosphorer pour trouver le slogan passe-partout. Décryptons-le sommairement. Équilibre: contraindre les citoyens à travailler plus longtemps afin de soi-­disant «combler» un déficit qui n’existe pas, ou pas vraiment. Justice: toutes les classes populaires – l’ultramajorité de notre société – travailleront deux années de plus pour financer les sympathiques longues années de retraite à profusion des plus privilégiés. Progrès: le minimum retraite à 1200 euros. Nous y voilà.


Pathétique. Tromperie totale. Même le montant a été avancé comme un ­mensonge. En réalité, du moins pour ceux qui sont concernés, il s’agit de 1 193 euros brut, donc 1150 euros net… En d’autres occasions, nous aurions pu en rire. L’affaire s’avère trop sérieuse pour sombrer dans la désinvolture. Prenez l’ineffable Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, pris en flagrant délit de mensonge originel et dénoncé publiquement, comme ses collègues à portefeuille, par l’économiste Michaël Zemmour en direct dans la matinale du 7 février de France Inter – notons au passage la « déontologie » à géométrie variable de la coprésentatrice Léa Salamé. Interpellé un dimanche matin sur les mêmes ondes, mais par un autre présentateur, M. Véran fut dès lors mis au pied de ses contradictions. Plusieurs jours après, Léa Salamé devait admettre l’approximation coupable, sans aucune vérification ni travail en profondeur, reconnaissant finalement que «même nous, journalistes, on doit balayer devant notre porte». Dont acte. Question: le mensonge ainsi dévoilé l’aurait-il été sans l’intervention salutaire de Michaël Zemmour? Il y eut d’ailleurs plus grave. Selon l’économiste, avant que le débat parlementaire ne débute, «les députés étaient privés des données du débat», puisque le gouvernement avait sciemment omis de présenter aux élus les statistiques, pourtant connues, qui leur auraient permis d’estimer l’impact dudit projet, singulièrement sur les prévisions de croissance et l’emploi des seniors. Il ajoutait: «L’étude d’impact ne disait pas qu’environ une femme sur quatre serait concernée par un décalage de deux ans pour une pension quasi inchangée.» Avant de préciser: «Les chiffres présentés par l’exécutif, ou au contraire absents, étaient systématiquement sélectionnés non pas pour éclairer la réforme, mais pour en faire la réclame.» Au matin du mercredi 15 février, toujours sur France Inter, le ministre en charge, Olivier Dussopt, des trémolos dans la voix, dut finalement tout admettre en bloc. En y mettant les formes. Trop tard: l’homme fut pathétique. Ce n’était plus le surgissement de l’événement imprévisible, mais bien le surgissement de l’événement nécessaire…

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 17 février 2023.]

jeudi 9 février 2023

Valeurs(s)

Retraites : un essai décapant de Bernard Friot. 

Pension. Dans son dernier livre, un essai revigorant et formateur intitulé Prenons le pouvoir sur nos retraites (éd. la Dispute), le sociologue et économiste Bernard Friot expose une interrogation bien dérangeante: «Pour une classe dirigeante qui tire tout son pouvoir de son pouvoir sur le travail, qui a le monopole de la décision sur la production et qui l’impose aux travailleurs, que ceux-ci soient indépendants ou dans l’emploi, sans qu’ils puissent décider rien de fondamental sur le travail, la question absolument vitale est la suivante: les retraités sont-ils d’anciens travailleurs retrouvant dans leur pension le différé de leurs cotisations et libérés du travail?» Ceux qui connaissent les travaux essentiels de Bernard Friot pourraient anticiper la suite. «La réponse, non moins vitale, de la bourgeoisie capitaliste est évidemment que les retraités sont d’anciens travailleurs.» Et il ajoute aussitôt que, selon lui, le drame viendrait du fait que «leurs opposants» auraient la «même réponse», précisant ce petit point d’Histoire: «Drame d’autant plus lourd que les opposants à la réforme sont les héritiers de celles et ceux qui, à la CGT et au Parti communiste surtout, ont construit au cours du siècle dernier la pension comme continuation d’un salaire de référence, sans que soit tenu compte des cotisations, ce qu’elle est toujours dans sa large majorité.»

Pouvoir. Non sans une douce provocation, le décor est planté. Ou presque. Reste à préciser l’essentiel, avant d’en débattre sérieusement. «Un tel salaire de la libre activité, déconnecté de l’emploi, met en cause le monopole de la bourgeoisie sur la définition et l’organisation de ce qu’elle produit, écrit Bernard Friot. Les réformateurs capitalistes sont évidemment vent debout contre ce salaire de la libre activité, puisque leur puissance de classe repose sur l’absence de réelle liberté au travail des travailleurs.» Pour l’économiste, «c’est en défendant la retraite comme “hors travail” et en posant eux aussi les retraités comme “anciens travailleurs” que les opposants à la réforme perdent», car «ils sont alors sur le terrain des réformateurs». La salve, volontaire, s’applique-t-elle à nous remettre en cause sur la forme, ou à revisiter le sens profond de l’ambition héritée, par exemple, du programme du Conseil national de la Résistance? Les deux, vous avez compris. Le travail ne devrait donc pas être considéré comme «la fin du travail» mais comme «un levier formidable pour conquérir le pouvoir sur le travail» qui inviterait «à une passionnante mutation de ce que sont le salaire, le travail, le travailleur et la travailleuse». Le mode d’emploi? «Remplacer la prétendument nécessaire “avance en capital” par l’avance en salaires et mettre la production sur ses pieds: les travailleurs. Prendre le pouvoir sur nos retraites, c’est prendre le pouvoir sur le travail.» Inventer le salaire à vie, en somme.


Civilisation. Le bloc-noteur ne l’oublie pas, le travail est la part de nos activités réputées productives, puisque le travail produit de la valeur économique à l’occasion de la production de valeur d’usage. Bernard Friot le confirme, «dans le capitalisme, l’objet exclusif du travail est de produire de la valeur pour la valeur, pour mettre en valeur du capital dans une folle fuite en avant qui instrumentalise les valeurs d’usage : elles n’ont pas de fin en soi, la valeur d’usage n’est pas l’objet du travail. L’activité qui devient productive perd son objet de valeur d’usage.» Anthropologiquement, affirmons dès lors que, plus que la contrainte ou la pénibilité, cette «absence d’objet propre» pour ceux qui exercent une activité «caractérise le travail dans le capitalisme», puisque la finalité ne repose que sur la production de survaleur au profit de la bourgeoisie capitaliste. Le geste de Croizat qui consistait à supprimer le lien entre le niveau de pension et la somme des cotisations, déliant salaire et emploi, ne fut qu’une première étape. Près de quatre-vingts ans plus tard, n’est-il pas temps de passer à la seconde étape en supprimant les annuités, mais en préservant un âge légal de départ? Petite indication: en 1982, 75% des Français se disaient «persuadés» que la retraite se prendrait bientôt à 55 ans pour tous. C’était une évidence de «civilisation». Aurions-nous renoncé à tout?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 10 février 2023.]

mardi 7 février 2023

Combat pour nos vies en héritage

Sortir de la dérive libérale ouverte dans les années 1980 n’est pas un rêve impossible.

Ainsi donc, l’exécutif ne cherche même plus à convaincre une opinion publique perdue, mais tente de ­bidouiller des aménagements afin d’attirer dans ses filets la droite parlementaire. En essayant de passer en force à tout prix, Macron et Borne assument une sorte de « rupture » avec le pays, à rebours de ce que le peuple leur montre depuis des semaines. Ce mardi, et peut-être plus encore le samedi 11 février sous la forme de mobilisations monstres, le mouvement populaire contre la « réforme » des retraites devrait encore s’élargir. L’équation de la Macronie paraît invraisemblable. Rendons-nous compte. Sept Français sur dix refusent ce maudit texte de loi, pas moins de neuf salariés sur dix, et les syndicats demeurent unis… Nous n’assistons plus seulement à un bras de fer, mais à un combat pour nos vies en héritage, à une bataille capable de renverser les équilibres de la nation. Tous les scénarios, même les plus optimistes, deviennent crédibles.


Incapable de justifier rigoureusement son projet en termes d’équilibre financier face aux contre-propositions de la Nupes, le gouvernement crée une fausse diversion pseudo-«civilisationnelle» en arguant des prévisions de mortalité dans les décennies futures. Sauf que, dans la plupart des pays développés, les statistiques sont têtues: nous observons une décélération, voire un début de baisse de l’espérance de vie. Voici la logique implacable, partout, du «travailler plus longtemps»…


Alors que s’ébranle dans les tréfonds de la société un inextinguible désir de justice, affleurent çà et là des références évidentes, celles de 1936, des «Jours heureux» et de 1968. L’histoire ne se répète pas, mais elle trace ces sillons par lesquels chaque génération plante ses désirs et espérances. Dans ce moment si particulier de notre aventure politique et sociale, tandis que les injustices explosent et que les richesses phénoménales se concentrent dans quelques mains, il n’est pas inenvisageable d’inverser la vapeur du «thatchérisme» brutal. Sortir de la dérive libérale ouverte dans les années 1980 n’est pas un rêve impossible. Le chemin de la France, sur le temps long, possède toujours quelque chose de singulier – souvent en tant qu’exemple.


[EDITORIAL publié par l'Humanité du 7 février 2023.]

vendredi 3 février 2023

Hypothèse(s)

Retraites: Mac Macron a-t-il déjà perdu?

Échec. Et si Mac Macron avait déjà perdu la partie? La question peut paraître saugrenue, sauf qu’elle se pose désormais. Et la réponse s’y trouve, en quelque sorte. Souvenons-nous que le prince-président, dans son livre-programme au titre ronflant, Révolution, entendait tout changer en politique et qu’il incarnait à lui seul, au moins par sa jeunesse, cette ambition. Il voulait dynamiser les pratiques, responsabiliser, échanger, jusqu’à octroyer du pouvoir au terrain. Six ans plus tard, malgré sa réélection (dont nous connaissons les circonstances), le bilan s’avère catastrophique et mortifère pour la politique elle-même. Sa volonté de passer en force sur les retraites en est le symbole le plus ultime. Certes, l’Histoire pourrait lui donner raison, comme le rap­pelait cette semaine le chroniqueur politique Thomas Legrand: «Il existe encore dans la Macronie ce petit fantasme sarkozien selon lequel une réforme passée, malgré plus d’un million de manifestants à chaque défilé, serait une preuve de courage et de ténacité politiques.» N’oublions pas, en effet, que le seul échec des libéraux reste la victoire des cheminots contre la mise en cause de leur régime de retraite par Juppé en 1995, sachant que Nicoléon allait imposer la même réforme en 2008. Depuis trente-cinq ans, toutes les «réformes» entreprises ont ainsi été réalisées, sauf celle de 2019, barrée par le Covid et le confinement.


Bilan. 2023 ne ressemble en rien au passé, fût-il récent, et quelque chose dans l’air nous laisse à penser que la marge de manœuvre de Mac Macron est si réduite qu’aucun des scénarios possibles ne pourrait lui convenir. Primo : la loi est votée, en échange de «compensations». Mais franchement, face à la colère populaire et à l’ampleur du rejet des mesures phares (64 ans et allongement de la durée de cotisation), nous ne voyons pas quels «gestes» pourraient être assez crédibles pour éteindre le feu sous la marmite. Secundo : Mac Macron et sa première sinistre poussent au coup de force parlementaire jusqu’au bout, le texte est adopté d’une manière ou d’une autre, avec les conséquences sociales que nous connaissons. À l’évidence, ce choix laisserait une telle impression de mépris que ce serait, sans nul doute, l’un des derniers actes du pourris­sement généralisé de notre démocratie. L’hypothèse n’a rien d’impossible. Sauf à s’étonner d’entendre la cheffe du gouvernement marteler que le report de l’âge de départ à 64 ans «n’est plus négociable» ou son ministre de l’Intérieur ironiser sur cette société «sans travail» et sans «effort» que prônerait une gauche composée de «bobos» cherchant à «bordéliser» le pays. Bonjour le niveau, alors que Mac Macron s’était promis-juré d’inscrire cette réforme dans son bilan, quitte à donner l’impression d’avoir raison seul contre tous, lui détenant le savoir (sic), et l’ultra­majorité des autres n’ayant pas la capacité de comprendre la démarche…


Revers. Mais pour le bloc-noteur, il reste évidemment un tertio dans ces scénarios: le retrait du texte, ni plus ni moins, après une mobilisation grandissante et durable. Une victoire du peuple, en somme, qui pourrait même intervenir après le vote de la loi. Un précédent existe: le CPE, adopté au Parlement en 2006, mais jamais appliqué sur décision de l’exécutif en raison des fortes manifestations. Dans ce cas de figure, une formidable crise politique succéderait à cette défaite du prince-président, accusé d’avoir inutilement créé le chaos tout en pulvérisant sa majorité (relative). Dès lors, le second et dernier quinquennat serait lui aussi mort-né, et nous aurions au Palais – souhaitons-le – un astre mort, incapable de gérer les affaires courantes. Une question se pose: peut-il seulement prendre ce risque? Et s’il le prend, ne serait-il pas conduit à dissoudre l’Assemblée nationale, voire carrément à démissionner? Beaucoup de rumeurs circulent ces jours-ci dans les coulisses du pouvoir. Un conseiller d’État nous disait en début de semaine: «C’était déjà vrai avant, mais là il va trop loin en voulant réformer contre le peuple. Il est pris à revers et quoi qu’il se passe, il perd…»

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 3 février 2023.]