samedi 31 décembre 2011

2012 : deux citations pour une année décisive...

« Il ne peut y avoir de révolution que là où il y a conscience. » JEAN JAURES

« De ce qui occupe le plus, c’est de quoi l’on parle le moins. Ce qui est toujours dans l’esprit, n’est presque jamais sur les lèvres. » PAUL VALERY

Que le voeu ardent d'un à-venir meilleur soit non seulement présent à notre esprit mais puisse s'exprimer sans honte ni crainte, dans la fidélité à nos idées et à ce que nous sommes, dans l'invention sans cesse enracinée d'un horizon possible, et surtout collectivement...

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mercredi 21 décembre 2011

SOS logement !

Se loger n’est plus un droit mais un luxe – et, pour certains, une totale impossibilité. Pourtant, 450 milliards d'euros de profits en 30 ans ont été réalisés par les spéculateurs de l'immobilier...

A qui profite la hausse continue des prix de l’immobilier, 107% en dix ans? A qui profite la hausse des loyers, 42% depuis l’an 2000? En somme, qui s’en met plein les poches alors que l’accès au logement, en ce début 
de XXIe siècle, reste une véritable honte nationale? D’après une étude éloquente que nous publions 
en exclusivité, la Plate-forme logement des mouvements sociaux, collectif regroupant 37 organisations, répond à ces interrogations légitimes. En trente ans, bailleurs, marchands ou administrateurs de biens et autres agences immobilières se sont enrichis à hauteur de 450 milliards d’euros – vous avez bien lu! La spéculation les a engraissés de manière exponentielle. Durant la même période, 
les classes populaires, elles, se sont enfoncées dans 
la paupérisation et la peur du lendemain…

Le croyez-vous? L’an dernier, près de 65 milliards d’euros de «profits monétaires» (sic) ont été réalisés en France par les locations de logements, de locaux à usage professionnel, ou par certaines activités «d’intermédiation sur le marché immobilier» (re-sic). La jungle de la sacro-sainte «loi du marché» a produit son désastre… Jadis facteur d’intégration sociale et d’élévation républicaine, pilier 
du vivre-ensemble 
et de la cohésion familiale, le logement est devenu l’un des marqueurs 
les plus signifiants 
des nouvelles inégalités. Toutes les digues ont été enfoncées et sous les effets de la crise sociale 
qui labourent les entrailles de la société, la situation 
a dépassé la cote d’alerte. Les dernières statistiques, délivrées par la Fondation Abbé-Pierre, ont de quoi nous stupéfier. Environ quatre millions de personnes seraient actuellement des «mal-logées» dans notre pays, dont 700 000 enfants… N’oublions pas d’ajouter à ce constat les deux millions de personnes officiellement fichées 
pour des «impayés», sans parler des quelque 
sept millions en situation dite de «réelle fragilité»…

L’évolution donne le vertige. En moins de dix ans, les Français ont subi plus de 110% d’augmentation du prix de l’ancien, plus de 85% du neuf, plus de 50% sur les loyers à la relocation. Par la force des choses, le logement est devenu, et de très loin, le premier poste du budget des ménages, alors qu’il ne représentait que 13% dans les années quatre-vingt. L’Insee déclare officiellement que, en une décennie, toutes populations confondues, le prix des logements a augmenté de 25,7%, tandis que les revenus des ménages ont baissé de 2%. 
Se loger n’est plus un droit mais un luxe – et pour certains une totale impossibilité sur le long terme. Car le contexte pré-2012 est connu… En décrétant son deuxième plan d’hyper-austérité en trois mois, le gouvernement a décidé de poursuivre son objectif prioritaire : la maîtrise des déficits publics et la réduction des budgets, en faisant porter l’effort sur les salariés. Le logement est l’une 
des principales victimes de ces logiques budgétaires et idéologiques, à commencer par le logement social – il en manque un million ! –, éternel parent pauvre 
des politiques publiques de l’État UMP. D’ailleurs, en 2012, les aides à la construction dégringoleront de 13,2% et les organismes HLM se verront encore ponctionnés de 240 millions d’euros sur leurs fonds propres. L’implacable stratégie néolibérale est à l’œuvre : favoriser les privilèges d’une minorité sur l’intérêt collectif et les besoins cruciaux du plus grand nombre. Pourtant, tous ceux qui vivent dans les quartiers populaires le savent, la situation faite au logement aggrave mécaniquement les politiques d’atomisation sociale… Une véritable insulte à l’idée républicaine !

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 21 décembre 2011.]
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jeudi 15 décembre 2011

Souveraineté(s) : pourquoi il s'agit d'un combat de gauche

Septembre 1792 : la bataille de Valmy...
A cause de la «lepénisation des esprits», il serait dangereux de parler de souveraineté «nationale» ou «populaire». Refusons cette logique absurde !

Hors-sol. Faut-il toujours «se vouer à» pour pouvoir demeurer «dans»? Nous sommes, nous autres Français, héritiers d’une terre ferme martelée par l’histoire. Nous entretenons même avec les limites de cette terre «une et indivisible» un rapport si émotionnel que le symbolique voisine avec le sacré. Les hommes en ont forgé la matrice. Du traité de Nimègue à l’universalité du Code civil, de Valmy au Conseil national de la Résistance, de Robespierre à Jaurès, de Jean Moulin à de Gaulle, de la Révolution au Front populaire, nous parlons depuis «le sol sacré de la patrie» avec au cœur et à l’âme d’autant plus de vulnérabilités que le consommer-monde a remplacé l’esprit de nos cantons et l’horizon de nos clochers. Ce que nous portons, nous les descendants de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ne peut rester encoffré aux Archives nationales avant mise en dépôt au mont-de-piété. Si le hors-sol nous guette, les no man’s land nous troublent. Quand nous ne savons plus qui nous sommes, ce que nous avons fait pour le devenir, ce que nous voulons faire et ce que nous sommes capables de décider pour notre à-venir, sommes-nous encore ce que nous croyons être et, tout aussi grave, sommes-nous déjà «mal» avec tout le monde?

Nôtres. Ainsi, oser parler encore de souveraineté serait «dangereux» car mécaniquement synonyme de «repli national», voire pire. L’éditocrate libéral – qui lui non plus n’a plus de frontières – l’exige. «Souveraineté nationale» : expression interdite. «Souveraineté(s) populaire(s)»: formule à peu près acceptable, mais à usage limité et seulement au pluriel… Et à votre avis, pourquoi serions-nous soumis à cette restriction de langage? En raison de la «lepénisation des esprits», pardi. Comme si la question de la patrie et de la nation devait être considérée désormais comme un sujet préempté par les nationalistes… Ce serait donc cela? Au prétexte que l’extrême droite capitalise sur ce thème, mange à tous les râteliers et n’hésite pas à opérer des virages doctrinaux à 180 degrés (passant de l’ultralibéralisme des années 1980 au tout-social d’aujourd’hui) pour mieux piller (et outrageusement déformer) des idées de la gauche de transformation, il faudrait en rabattre sur nos prétentions?

Refus. Avant de déserter un terrain certes envahi par les lepénistes et afin d’éviter une contradiction performative fatale, n’oublions pas que la référence systématique au FN à propos du drapeau, de la Marseillaise ou de la nation est à coup sûr 
le meilleur moyen de l’installer dans la position de centralité, dont, à juste titre, nous voudrions par ailleurs l’écarter… La souveraineté populaire, qui fraye avec l’émancipation sociale, est un combat de gauche, authentiquement de gauche, comme le furent l’anticolonialisme et le droit à l’autodétermination des peuples. Le FN n’a rien à voir avec cette histoire. Alors cessons de le transformer en arbitre intempestif et pollueur de nos débats et continuons d’imposer les thèmes qui nous intéressent car ils sont nôtres. Et refusons l’alternative absurde: le monde mondialisé et globalisé ou la nation archaïque…

Asservissement. Mondialisation: désigne un état du monde où les externalités ont atteint de telles portées et de telles intensités qu’elles rendent nécessaires des formes de gestion supranationales. Globalisation: désigne le processus de gouvernance mondiale visant à la déréglementation du plus grand nombre de marchés possibles avec la plus grande extension possible. La mondialisation des techniques et des échanges permet l’hégémonie de la gouvernance globale. Question: que signifient aujourd’hui vouloir réduire les flux de marchandises et de capitaux, relocaliser les systèmes productifs, stopper la concurrence entre travailleurs du monde, valoriser la diversité des savoirs et des pratiques sociales, assurer la souveraineté alimentaire des peuples ? Est-ce «démondialiser»? Est-ce «déglobaliser»? Est-ce reconquérir «de la» souveraineté? Et vouloir «produire français», est-ce revendiquer cette souveraineté? Nous le constatons, la modernité de l’idée même de souveraineté, au sens conceptuel du terme, ne peut être balayée du jour au lendemain. Pour toute communauté humaine, être maître de son destin reste constitutif de son horizon historique et politique, l’une des données cardinales. Ignorer cet invariant dans le temps-long ou, plus grave, le bafouer sans autre possibilité que d’assister à la dépossession progressive de son être-collectif sans aucune proposition de re-création (mais laquelle justement?) constitue une forme d’humiliation. Pour ne pas dire un asservissement. Le peuple français, fils des luttes et des places de grève, enfant de Jaurès et d’Hugo, acceptera-t-il encore longtemps de ne plus orienter lui-même ses éléments fondamentaux?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 16 décembre 2011.]
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dimanche 11 décembre 2011

L'Europe risque de tout perdre...

S’il était imposé aux peuples, le pacte conçu par l’axe Berlin-Paris vendredi 9 décembre consacrerait l’Europe «austéritaire».

«Et si le pire était derrière nous?» Depuis l’accord conclu par le Conseil européen, vendredi à Bruxelles, quelques commentateurs de la médiacratie n’hésitent pas à prendre leurs désirs pour des réalités. Ainsi donc, à l’issue du seizième sommet «de la dernière chance» depuis le début de la crise, les Européens pourraient pousser un «ouf» de soulagement… La bonne blague! Même Angela Merkel, à qui l’on prête l’hégémonie morale sinon technique de l’accord, ne le cache pas: «On ne réglera pas la crise en un seul sommet.» Une conviction bien pertinente. Car si le pacte intergouvernemental imposé par l’axe Berlin-Paris devait aboutir dans quelques semaines, avec son ultrarigueur budgétaire et un rôle de pare-feu accru confié au FMI, autant dire qu’il signerait une nouvelle victoire des marchés sur les peuples tout en consacrant l’Europe «austéritaire» qui nous conduit tout droit à la catastrophe. Vingt ans après la signature de Maastricht, le «traité» de Bruxelles graverait dans le marbre l’union économique. Pas n’importe laquelle: celle de la génuflexion devant les dictateurs de la finance!

L’enjeu est absolument majeur. Tandis que les puissants de ce monde œuvrent activement dans l’ombre pour reféodaliser les États-nations et anéantir définitivement ce qu’il reste des souverainetés populaires, l’OPA hostile des financiers sur les démocraties est d’autant plus insupportable que la Sainte-Alliance entre Merkel et Sarkozy contre les peuples ne vise précisément qu’à «rassurer les marchés», comme s’il s’agissait désormais de l’unique pierre philosophale de toute vision politique au XXIe siècle! «Merkozy», ce couple infernal issu de l’ordo-libéralisme, mettra tout en œuvre pour passer outre l’anticonstitutionnalité de leurs propositions, en France comme en Allemagne. Leur ligne de conduite? L’opacité. Leur stratégie? Un 18 brumaire à l’échelle de l’UE. Leur but? L’inégalité. Et leur principale victime? L’Europe, dont le rêve se meurt. Soumis au diktat de l’internationale de la finance qui installe son propre personnel à la tête des gouvernements, bientôt les Européens eux-mêmes en détesteront jusqu’à l’idée. L’Europe risque de tout perdre, mais sachez-le.
Nous n’avons pas à nous excuser d’avoir eu mille fois raisons depuis l’acte unique, comme nous avions aussi raison, en 2005, d’anticiper les conséquences dramatiques du traité constitutionnel, ripoliné en traité de Lisbonne. Et cette fois encore, nous n’avons pas tort d’affirmer avec force que les décisions prises vendredi à Bruxelles ne vont pas résoudre la crise: elles vont l’aggraver! La négation de l’opposition capital-travail est une impasse tragique – les socialistes feraient bien d’y réfléchir – et l’austérité constitutionnalisée va plonger les peuples dans la misère, risquant de déboucher sur une crise sociale aux multiples scénarios. Récession économique se conjugue souvent avec régression démocratique…

Petit rappel pour l’histoire. En 1945, la France affichait une dette de 145% de son PIB. Moins de trente ans plus tard, notre nation s’enorgueillissait d’en avoir remboursé le dernier franc. Cet effort sans précédent fut possible par une politique de croissance soutenue, par le lancement de grands programmes industriels et infrastructurels, par le rôle pivot et actif de la Banque de France, etc. Précisons que cette ambition ne se réalisa pas par la réduction des prestations sociales mais au contraire par leur généralisation, arrachée de hautes luttes! Et l’on voudrait aujourd’hui nous faire avaler l’inflexibilité de la BCE, la poursuite de la libéralisation sauvage et des privatisations, voire l’inéluctabilité de notre déclin social? Qu’on se le dise. Il n’en est pas question!

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 12 décembre 2011.]

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jeudi 8 décembre 2011

Surveillance(s) : quand les libéraux deviennent fous...

Qu'y a-t-il de commun - ou de skyzophrène - entre les larmes d'une ministre italienne et les agissements d'une agence de notation ?

Larmes. Se souviendra-t-on des sanglots d’Elsa Fornero, ministre italienne des Affaires sociales? Au côté du nouveau président du Conseil, Mario Monti, cette dame d’apparence austère aux cheveux droits tirés sur les oreilles, par ailleurs vice-présidente de la banque Intesa Sanpaolo (sic), présentait dans le détail le nouveau plan de rigueur. Un à-venir social terrible pour ses compatriotes, dont elle semblait prendre la mesure à chaque énumération, comme une sorte de révélation progressive mise en abyme, comme si, derrière la froideur des chiffres et la pâleur des mots, des êtres prenaient soudain forme humaine dans le désarroi d’une matérialisation enfin palpable. Alors, sans prévenir, la voix de cette femme s’érailla, dérailla… La tentation fut grande de croire à un stratagème, à une comédie, à une tragedia dell’arte faussement surjouée à destination d’une vox populi y perdant son latin. Dans cette désarmante scène de la vie politique, une ministre a gémi – et les marchés ont souri. Triste à pleurer. Les apparences sont-elles trompeuses?

Fin. Connaissez-vous le très sérieux et influent Conseil européen des relations étrangères, élu «meilleur nouveau think tank dans le monde sur les cinq dernières années»? Basé à Londres et disposant d’antennes en Europe, cette structure a pour but de favoriser une perspective paneuropéenne dans les débats économiques et politiques. Cette semaine, la représentante d’un de ses bureaux les plus influents, celui de Berlin, a décidé de sortir de l’ombre en nous adressant une missive sur le thème : «Français, à vous de jouer!» Ulrike Guérot, auteur d’une thèse sur le Parti socialiste français, diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris avant de partir enseigner dans le privé aux États-Unis, prône ouvertement une harmonisation fiscale et politique des deux côtés du Rhin. 
Mais cette dame n’a ni le temps ni le goût de la nuance. «Que ce soit clair, déclare-t-elle. Oui, ce sera la fin des 35 heures, la fin de la retraite à soixante ans, la fin de “travailler moins pour vivre mieux”. Et ce n’est pas la faute des Allemands, mais parce que nous sommes en train d’intégrer quelque deux milliards de personnes dans le marché global du travail.» Et elle ajoute: «L’Europe le vaut.» Moralité, écoutons toujours attentivement les technocrates, ils expriment très consciemment la pensée stratégique inconsciente de ceux qui nous gouvernent.

Allemagne. Ces mêmes technocrates n’hésitent pas à affirmer que la crédibilité de l’euro ne peut se jouer que sur le terrain de l’apolitique. Est-ce l’ambition de l’Allemagne? Doit-on y voir une politique bismarckienne? Ou plutôt le retour d’un des courants les mieux établis du libéralisme, l’ordolibéralisme, né dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres et théorisé sous le nom «d’économie sociale de marché»? Et est-ce si incongru d’établir un parallèle entre la posture idéologique d’Angela Merkel et celle suivie au moment de la grande dépression par Heinrich Brüning, chancelier (trop méconnu) de 1930 à 1932? Le trouble historique a de quoi imposer la réflexion. Car Brüning, contournant le Parlement de l’époque, imposa par décret d’urgence une politique absolument radicale d’austérité qui lui valut le surnom de «chancelier de la faim»: baisse des salaires, réduction des indemnités, coupes drastiques dans les dépenses publiques, politique monétaire restrictive par peur de l’inflation, démantèlement de l’État social, affaiblissement de la République de Weimar, etc. Inutile ici d’en réécrire les conséquences… Et aujourd’hui, au nom de doctrines libérales quasi fanatiques,
il faudrait masquer toutes similitudes avec les années trente?

Fous. Pendant ce temps-là? Croyez-le ou non, mais l’agence de notation Standard& Poor’s a annoncé qu’elle plaçait sous «surveillance négative» la note du Fonds européen de stabilité financière (FESF), lui-même mis en place pour venir en aide aux États… Cherchez l’erreur. Plus incroyable encore. Le fameux Fonds monétaire international (FMI), qui, par dogme économico-libéral, lorgne depuis toujours sur la gestion des États et tond les populations à la première occasion, cherche lui-même de l’argent auprès des institutions bancaires européennes. Vous avez bien lu. L’institution de Washington serait à court de liquidités. Problème, la BCE n’étant pas membre du fonds, son intervention auprès du FMI semble impossible. Alors? Pour lever au moins 100 milliards d’euros le plus rapidement possible, le FMI devra se tourner vers les banques centrales nationales, comme la Banque de France ou la Bundesbank, qui, comme vous le savez, ne peuvent plus prêter à leurs propres États… Et la boucle est bouclée. Conclusion de ce circuit financier schizophrénique ? Ils sont tous devenus fous. Et comme la plupart des fous, ils ne s’en aperçoivent pas…

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 9 décembre 2011.]
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jeudi 24 novembre 2011

Récidive(s) : quand le deuil et l'horreur du deuil servent à des récupérations

Ou comment le meurtre de la petite Agnès est utilisé par la clique des aboyeurs du Palais...

Agnès. D’abord? Nous souhaiterions laisser vibrer les silences, les encourager, les chérir comme le bien précieux d’une humanité assumée, pour que la gravité due à l’accablement ne se transforme en show médiacratique, pour éviter les écarts et les fausses pistes, pour que, surtout, l’intelligence philosophique des hommes empêche l’apparition répétitive des tribunaux émotionnels. Ensuite? Devant la détresse de la famille de la petite Agnès et l’émotion de tous face à ce meurtre, nous imaginerions de la sérénité, une forme de calme que la douleur impose, pour que l’incompréhension face à des gestes abominables n’accélère pas une irrationalité d’autant plus irruptive qu’elle débouche inlassablement sur l’implacable rhétorique des poujadistes de service et autres escouades de politiciens hyèneux prêts à déverser leurs «éléments de langage» devant les dépouilles de victimes pas même inhumées. Terrifiant signe des temps. Une fois de plus, le deuil et l’horreur du deuil servent à de viles récupérations. Quand des récidives suivent d’autres récidives: Nicoléon ne changera jamais. Un fait divers tragique? Sa clique d’aboyeurs réquisitionne micros et plateaux télés pour nous expliquer que les cas particuliers, pour ne pas dire rarissimes (0 à 1 par an), doivent influencer les règles générales. Tout le reste s’en trouve balayé… Quand les faits divers font la loi et les multiplient sans parfois attendre leurs applications, que deviennent la légitimité et l’autorité de la loi? La mort d’Agnès n’était pas assez horrible comme cela? Il fallait qu’ils en rajoutent comme de vulgaires lepénistes? Les trois mots de cet épouvantable drame – violée, tuée et brûlée – ne leur suffisaient donc pas? Leur instinct de chasseurs de voix (électorales) était le plus fort… Bien sûr, il est tout à fait normal que la société en son ensemble s’interroge sur la nature de ce crime, sur les réponses à apporter, et cherche à savoir si des erreurs ont été commises. Mais il est anormal et aberrant que le pouvoir politique apporte une réponse en quarante-huit heures! Ce procédé, insupportable, constitue à nos yeux une entorse irrémédiable à l’idée que nous nous faisons d’une république éthique sachant apaiser les passions haineuses et non les attiser à la moindre occasion. Nous réclamons de ceux qui nous gouvernent –comme de ceux qui commentent leurs agissements – un minimum de pudeur au moment où nous nous interrogerons tous et sans relâche pour tenter de comprendre l’insondable: comment un homme peut massacrer un autre être humain.

Minority Report. Les mots du père d’Agnès devraient inciter à la réflexion commune. «Nous sommes attristés que tout le monde essaie de polémiquer et de récupérer cette affaire sur le plan politique, a-t-il confessé. Notre fil conducteur sera l’espoir –peut-être illusoire?– que tout cela ne recommence jamais.» Le courage de l’intelligence ; l’intelligence du courage. Mais c’est trop demander aux maurrassiens qui peuplent le Palais, pour lesquels le tout-répressif est plus qu’une tentation, un but. Ces fanatiques de Big Brother voudraient que l’évaluation de la dangerosité devienne une science exacte, que les psychiatres et autres analystes muent en experts de l’avenir, que leur «science» consiste à prévoir et prédire les actes futurs d’un individu. Bienvenue dans Minority Report, le film de Steven Spielberg (l’un de ses meilleurs), où la police arrête les citoyens avant qu’ils aient commis leurs crimes. Dans ce no-futur, plus de libre arbitre, plus d’actes vécus en liberté, plus d’émancipation, plus d’individus agissant par eux-mêmes avec cette part d’imprévisibilité qui caractérise le génie humain comme sa puissance destructrice… Qui voudrait vivre dans un monde où n’importe qui peut être arrêté non pas pour des actes commis mais pour des actes éventuellement commis un jour? Un monde sans deuxième chance, sans rééducation. Un monde ultrasécuritaire où des logiciels catalogueraient la «dangerosité» des individus, en classes et sous-classes, en fonction des premiers gestes de leur vie. Un monde où tous les délinquants et tous les criminels seraient considérés comme de potentiels délinquants et criminels à vie. Ce monde est-il seulement le fantasme de quelques illuminés fascisants?

Espoir. L’État, seule force qui «fasse la liberté de ses membres» (Rousseau), devrait plus que jamais revendiquer haut et fort les fondements nés du Conseil national de la Résistance, qui, par son ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs, garantissaient le primat de l’éducation sur la répression. L’idée universelle de civilisation jetée par-delà les générations. Ce que résumait en d’autres temps Jean Jaurès d’une formule magistrale: «L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’invincible espoir.»


[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 25 novembre 2011.]
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lundi 21 novembre 2011

PSA : les mensonges de Sarkozy

L'exemple de PSA est l'illustration flagrante des complicités entre le gouvernement et le patronat dans le déclin de l'industrie.
Refuser de voir la réalité procède souvent du péché d’orgueil. Mais rejeter la réalité, au point de lui nier la vérité des faits, s’apparente à un mensonge impardonnable. Dans le genre, Nicolas Sarkozy joue dans la catégorie des champions tout-terrain, et s’il fallait un jour mesurer l’hypocrisie à l’aune du vice, son quinquennat servirait sûrement de maître étalon. Le dernier exemple en date aurait de quoi nous faire sourire, s’il ne s’agissait d’un sujet tragique pour l’avenir de milliers de salariés. L’autre soir, faisant dialoguer l’incompréhensible à la mystification verbale, le prince-président a osé déclarer: «Je peux vous annoncer qu’il n’y aura pas de plan social chez PSA.» La suppression de 6 800 emplois en Europe, dont 5 000 en France, serait donc un pur fantasme ? À cinq mois d’une présidentielle dont l’épicentre s’annonce économique et social, Sarkozy a reçu le patron de PSA, Philippe Varin. Une belle occasion pour l’Élysée d’alimenter ses plans de com. Même le Figaro y va de son couplet: «Le chef de l’État veut s’assurer que les constructeurs automobiles n’utiliseront pas l’emploi comme “variable d’ajustement”.» On croit rêver. Rappelons que le groupe Peugeot-Citroën vient d’annoncer un chiffre d’affaires en hausse de 3,5% au troisième trimestre par rapport à 2010, à 13,4 milliards d’euros…

Ces chiffres, qui pourraient résumer à eux seuls le paradoxe de l’industrie dans notre pays, ont de quoi nous révolter. D’autant qu’un monde sépare les discours officiels prônant un État «stratège» en la matière et ce qui se produit depuis des années. Ce secteur a encore perdu près de 600.000 emplois en moins de dix ans et, malgré l’excellence de certaines filières, ses salariés ne représentent plus que 13% de la population active et 16% seulement du PIB… Face à l’extension planétaire de l’économie marchande, ce qui provoque une nouvelle division internationale du travail, les racines du mal sont connues: politiques de financiarisation ; préférence accordée à la rémunération des actionnaires sur l’investissement et les salaires ; délocalisations décidées par les seuls actionnaires ; fin des politiques sectorielles ; exonération sur les bas salaires, au grand bénéfice des services… Néanmoins, comme si de rien n’était, le Medef vient de dévoiler ses propositions économiques : baisse massive du coût du travail, instauration d’une TVA sociale, limitation des indemnités chômage, suppression des 35 heures – tout cela au nom de la «comparaison» avec l’Allemagne, érigée en modèle… Par contre, pas une ligne sur les 172 milliards d’euros d’aides accordées par l’État aux entreprises en 2010, encore moins sur les contreparties envers l’emploi ou les engagements pour l’avenir. Le PDG de PSA, qui gagne 9.000 euros par jour et a perçu trois milliards d’aide en 2009, connaît pourtant bien le dossier: il vient de s’essuyer les pieds dessus. Il s’était engagé à ne pas licencier? Il licencie. Et l’essentiel de ces suppressions d’emplois concerne 
la recherche et le développement…

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 21 novembre 2011.]
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jeudi 17 novembre 2011

Histoire(s) : Libye, quand BHL devient le porte-plume de Nicoléon...

La guerre en Libye racontée par Bernard-Henri Lévy. Ou comment le "moi-je" devient la trame d'un récit d'aventure - tout le contraire d'un livre d'Histoire. Et si on lisait plutôt un bon Badiou?

BHL. Toute victoire individuelle sur l’esprit collectif étant une régression, ne prenons pas l’exercice qui suit à la légère. Lorsque Bernard-Henri Lévy veut jouer un rôle politique, le chemisé de blanc n’hésite pas à sortir sa plume, quitte à la confronter à l’ironie des canons ; le philosophe n’en est pas moins médiacrate. Une guerre se déclare ? BHL prépare son sac de voyage et prévient son éditeur. Cette fois, il aurait fallu s’exiler sur Mars pour ne pas remarquer son activisme lors 
du conflit entre l’Otan et la Libye de Kadhafi. Résultat, sitôt l’ultime «coup de feu» tiré, un pavé de 640 pages au titre évocateur, la Guerre sans l’aimer (Grasset), récit ultra-«bhlien» qui aurait dû s’intituler «Ma campagne de Libye». L’homme, plus narcissique que jamais – quel autre héros que lui-même? –, met en scène ce qu’il souhaiterait être sa posture romantique dans l’Histoire quand il ne s’agit trop souvent que de l’histoire de sa propre posture. N’est pas Malraux ou Chateaubriand qui veut. Voici le contraire d’un livre d’histoire : un récit d’aventure… Pour un écrivain, les commencements sont toujours magnifiques – mais attention à ne pas prendre ses désirs pour des réalités.
S’il nous donne l’illusion d’entrer de plain-pied dans 
les coulisses de l’Histoire, alors que son «je» figure à chacune des pages – un jour mangeant du mouton au riz graisseux dans le désert avec des chefs de tribu, le lendemain dînant dans 
un restaurant chic parisien, etc. –, nous restons confondus lorsqu’il lance cette adresse au peuple réuni à ses pieds sur 
la corniche de Benghazi: «Jeunesse de Benghazi, libres tribus de la Libye libre, l’homme qui vous parle est le libre descendant d’une des plus anciennes tribus du monde…» L’effet comique ne suffisant pas, il ajoute: «Je suis un philosophe !» 
Et il ose: «Mais qu’y puis-je si, quand je dis l’Autre, on entend Moi?» Qu’on ne s’y trompe pas. Pour BHL, «tout» est relaté et «tout» est réel dans cette chronique, que ce soient les tractations avec ceux qu’il nomme «les révolutionnaires», ou, dans les coulisses du pouvoir, lors de ses entrevues à l’Élysée, son évidente maîtrise à convaincre Nicoléon que celui 
qui a raison, c’est lui, et personne d’autre! D’ailleurs, le philosophe et le prince-président paraissent ici à l’unisson, sans qu’on ne sache plus bien qui devient le concierge 
de l’autre au cœur de cette hystérie de prises de décision. Au moins le porte-plume a-t-il un nom et trois initiales: BHL.

Influer. Nicoléon serait-il devenu son nouveau maître? Le philosophe dresse de lui un portrait pour le moins flatteur, «faisant mentir ainsi bien des idées reçues le concernant» (dixit). Et il insiste: «Je ne juge pas, j’observe.» BHL se veut-il pour autant reporter de guerre? Il réfute l’expression. Il l’assure: «Je prétends, moi, faire davantage que du reportage que rapporter ce qui advient, (…) je suis dans un rôle où il ne s’agit plus ni de commenter, ni de célébrer, ni, encore moins, de s’extasier, mais d’influer.» À la toute fin du livre, il dénonce – enfin – le lynchage de Kadhafi. Mais il ne s’interroge ni sur les curieux rebelles qu’il a soutenus, ni sur la légitimité de cette guerre de type néocoloniale, ni, encore moins, sur les racines de son propre discours de «justesse» et de «justice» de cette guerre comme façade idéologique: celle d’un moralisme politique, versus celle d’une authentique «morale politique» (Kant), qui condamne a priori la guerre, respecte le droit des nations et ne saurait varier en fonction des appétits des hommes et des États – et encore moins des intellectuels qui se revendiquent de toutes les guerres sans jamais avoir participé à aucune. Pathétique orgueil de vouloir jouer un rôle dans l’Histoire immédiate.

Badiou. Préférez plutôt la lecture d’un essai vivifiant, qui vous permettra de confronter vos présupposés à la question lancinante de toutes les générations de progressistes voulant se mêler des affaires du monde : comment entretenir l’enthousiasme des premiers jours ? Le philosophe Alain Badiou publie le Réveil de l’histoire (éditions Lignes) et n’hésite pas, confronté aux évolutions des peuples arabes, à distinguer l’émeute immédiate, «localisée dans le territoire de ceux qui y participent», de «l’émeute historique» qui, selon lui, offre par sa localisation même une expression dans le temps long. L’un des exemples emblématiques : la place Tahrir... Pour Badiou, la possible démonstration des critères qui nous permettent de «mesurer l’ampleur du réveil historique», en tant qu’il provoque le surgissement du «peuple en personne», doit nous conduire inévitablement à la seule question anti-ethnocentrée, pour ne pas dire anti-BHL: les révoltes ou révolutions arabes, comme en Égypte, sont-elles réductibles à un «désir d’Occident»? Est-il nécessaire de préciser que Badiou répond par la négative…


[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 18 novembre 2011.]
Lire également l'article de Sébastien Crépel publié dans l'Humanité du 22 novembre 2011.
(A plus tard...)

mercredi 16 novembre 2011

Les boucs émissaires : quand Sarkozy parle des "fraudeurs" sociaux...

La stratégie de division du chef de l'Etat, dont le but ne vise qu’à ressouder l’électorat ultradroitier, éloigne les Français de l’essentiel.

L’énormité du procédé, pour ne pas dire sa grossièreté, n’a échappé à personne. Pourtant, Nicolas Sarkozy nous ressert inlassablement le pire de ce qui constitue sa matrice politique: la désignation du bouc émissaire, du fautif, la dénonciation du grand coupable, en un mot, la chasse aux plus faibles en tant que cible de classe, les plus petits, ceux déjà largement victimes de l’atomisation sociale… Derniers exemples? Les pseudo-fraudeurs de la Sécu. Et les salariés qui abuseraient des arrêts maladie. Ces concitoyens sont accusés de tous les maux et quasiment mis au ban de la nation par le chef de l’État: «Voler la Sécurité sociale, c’est trahir la confiance de tous les Français, c’est la plus terrible et la plus insidieuse des trahisons de l’esprit de 1945, c’est la fraude qui mine les fondements mêmes de la République sociale.» Un nouveau plan de communication contre les pauvres, doublé d’une chasse aux fonctionnaires – et ces chasseurs-là, croyez-nous, sont des tueurs!

Vous êtes précaires ou fonctionnaires? Vous êtes forcément des fraudeurs! La vieille ficelle pue le moisi, mais à quelques mois des élections, les escrocs de l’Élysée et consorts s’en donnent à cœur joie pour aiguillonner les sentiments les plus vils. Souvenons-nous. Laurent Wauquiez, alors ministre des Affaires européennes, avait déjà ouvert le ball-trap en comparant «l’assistanat» au «cancer de notre société». Sarkozy enfonce donc le clou sur des plaies béantes et, au passage, il doit réjouir la présidente du FN qui, pour l’occasion, n’a pas manqué d’imaginer un parallèle entre les fraudes sociales et l’immigration. Depuis des mois, les mensonges se succèdent en effet, puisque seulement 1% des allocataires seraient en fraude. Vous avez bien lu: la grogne de Sarkozy ne s’adressait hier qu’à 1% des allocataires! Et celui-ci se garde bien de distinguer, et pour cause, d’une part les fraudes aux cotisations sociales dues aux assurés, d’autre part les fraudes aux cotisations sociales que doivent régler les entreprises. D’un côté, quelques centaines de millions d’euros (458 millions exactement en 2010, selon les services de l’administration), alors que la fraude aux prélèvements des entreprises représenterait plus de 15 milliards d’euros… Et si l’on ajoute la fraude fiscale, l’addition du grand patronat voyou atteindrait environ les 65 milliards d’euros! Et pendant ce temps-là? Sept Français sur dix s’estiment «inégaux» face à la santé, et plus d’un sur deux juge notre système de soins «trop inégalitaire». Sarkozy sait-il que 38% des personnes interrogées disent avoir renoncé à consulter un médecin généraliste, 58% un spécialiste ?

Puisque rien décidément ne semble étouffer
le chef de l’État, il n’a rien trouvé de mieux, hier, que de s’ériger en «protecteur» du modèle social français (on croit rêver), annonçant un grand débat pour changer son mode de financement (de quoi trembler). Puis, comme si de rien n’était, il n’a pas hésité à prononcer ces mots: «Ceux qui ont trahi le Conseil national de la Résistance, ce sont ceux qui depuis des décennies ont refusé toute réforme par lâcheté politique ou par opportunisme.» Que le principal responsable de la plus grande rage antisociale contemporaine ose se revendiquer du CNR constitue, à nos yeux, une insulte envers tous les signataires de ce texte historique. Car cette aliénante stratégie du bouc émissaire, dont le but ne vise qu’à ressouder l’électorat ultradroitier, éloigne les Français de l’essentiel et donne à voir la nature profonde du régime qui ne dit pas son nom. Celui d’une droite maurrassienne et ultralibérale, prônant la division et l’exclusion, l’incitation à la haine et l’injustice sociale…

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 16 novembre 2011.]

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jeudi 10 novembre 2011

Pourquoi Michel Onfray participe-t-il au lynchage de Guy Môquet ?

Le philosophe reprend à son compte la thèse odieuse d'un livre publié il y a deux ans.

Je n’ai pas pour habitude de polémiquer sans raison avec le philosophe hédoniste. Mais ce n’est pas parce qu’il vient d’appeler à voter Front de Gauche pour les prochaines échéances de 2012 que je dois refouler cette interrogation désormais légitime: qu’arrive-t-il à l’inventeur génial de l’université populaire de Caen? Après sa charge contre Freud, après l’éloge de Charlotte Corday, après avoir honni Jean-Paul Sartre dans un article donné au Monde dans lequel il exhumait des phrases de l’inventeur de l’existentialisme arrachées à leur contexte – procédé qui laissait à désirer –, après avoir suggéré la possibilité d’une gestion «libertaire du capitalisme», assurant «ne pas être contre le capitalisme», Michel Onfray vient de s’assigner un nouvel adversaire pour le moins inattendu: Guy Môquet…

Dans sa chronique mensuelle publiée sur son blog, intitulée cette fois « Guy Môquet, le contraire d’un résistant » (lire), Michel Onfray reprend argent comptant les thèses stupéfiantes d’un livre grossier, L’Affaire Guy Môquet, Enquête sur une mystification officielle, publié en décembre 2009 par Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre. Onfray dit «bravo» aux deux auteurs. Sans aucun recul. Ni travail historique. Au passage, il épouse la théorie selon laquelle le Parti communiste français se serait «réjoui de la défaite de juin 40». Onfray écrit: «Selon eux (les communistes), elle (la défaite) signe l’échec de la démocratie parlementaire, du capitalisme juif, de la bourgeoisie d’affaire. De plus, elle prépare la France à la révolution bolchevique ardemment souhaitée. L’Allemagne peut donc envahir la Pologne, puis la France, l’URSS ne bouge pas, les communistes français approuvent.» Avant d’être arrêté et emprisonné, le père de Guy Môquet aurait ainsi soutenu cette ligne… Onfray poursuit: «Les tracts distribués par Guy Môquet n’appellent pas à la résistance: ils épargnent les nazis, accablent les capitalistes français, justifient le pacte germano-soviétique, attaquent l’Angleterre et les Anglais, insultent de Gaulle, font de l’URSS le pays de la liberté et de la démocratie. Guy Môquet est arrêté par la police de Vichy le 13 octobre 1940, non pas comme résistant, mais comme communiste stalinien appelant à pactiser avec l’occupant nazi. Il est interrogé, mais pas torturé. Il vit dans le camp sous un régime qui n’est pas concentrationnaire.»

Inutile de rappeler que le gamin fut fusillé à Châteaubriant, le 22 octobre 1941… Mais Onfray insiste: «Guy Môquet fut un moment idéal dans le dispositif légendaire communiste : ce jeune homme stalinien qui défendait l’union des communistes avec les nazis contre la démocratie parlementaire, autrement dit le contraire de la Résistance, devint la figure emblématique d’une résistance communiste totalement inexistante à cette époque.»
Faut-il en rire? En pleurer? Michel Onfray affirme en conclusion de son article que «le déni de l’histoire constitue et nourrit le nihilisme». Nous ne saurions mieux exprimer ce que nous ressentons à la lecture des affirmations sommaires du philosophe…

Mais revenons pour conclure au livre des deux compères Berlière et Liaigre, L’Affaire Guy Môquet, Enquête sur une mystification officielle. Voici ce que j’en écrivais dans un bloc-notes, le 30 janvier 2010, après l’avoir lu attentivement:

- Les temps sont donc durs et les mauvaises nouvelles n’arrivent jamais seules? Ainsi, un livre dont nous avions entendu parler et pour lequel on nous prédisait «le pire», a fini par atterrir entre nos mains. Sachez-le, le résultat est bien au-delà de ce que nous redoutions: ni plus ni moins qu’une deuxième mort de Guy Môquet! Cosigné par Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, professeurs et surtout spécialistes en anticommunisme lucratif, ce torchon s’appelle L'Affaire Guy Môquet, enquête sur une mystification officielle. Le titre résume à lui seul le contenu. D’ailleurs, le supplice du jeune Guy n’est qu’un prétexte. La quasi-totalité du livre n’existe que pour dénoncer toute idée d’engagement plus ou moins communiste. Le parti pris, qui se base en totalité sur la parole policière de l’époque (sic), vise autant à plaquer un «point de vue» sur l’histoire qu’à sa falsification. Nos deux grands «enquêteurs» doutent en effet que Guy Môquet ait été résistant en quoi que ce soit, puisque, affirment-ils, il n’a jamais tué le moindre Allemand. Leur sentence est donc contresignée: vivant ou mort, Môquet n’était pas un héros. Mais tenez-vous bien. Berlière et Liaigre légitiment les arrestations des députés et autres militants du PCF, ce «parti de l’étranger». Pourquoi les justifient-ils? Parce qu’elles étaient conformes à la loi! Vous avez bien lu.
Il aurait fallu par la même occasion passer de Gaulle par les armes et tous ceux qui refusaient le régime de Vichy, l’Occupation. Forcément, que vient faire un gamin de dix-sept ans fusillé en 1941, un titi parisien qui n’aurait même pas été torturé lors de son passage à la préfecture de police, sauf «une gifle peut-être», osent-ils écrire. N’en jetez plus. Môquet, Timbaud, le député Charles Michels et les martyrs de Châteaubriant, tous les suppliciés du Mont-Valérien sont-ils donc morts pour que, soixante-dix ans plus tard, un débat de démagogues sur l’«identité nationale» remette au goût du jour une vision ethnicisée de la France empruntée à Maurras, Barrès et Pétain, rouvrant la voie à tous les extrémistes? Après l’agression faite à la mémoire de Môquet par Nicoléon, on aimerait franchement connaître les commanditaires de ce livre qu’il ne faut surtout pas acheter. Le nôtre a fini dans la poubelle. -

Question simple. Comment Michel Onfray peut-il, presque deux ans plus tard, adhérer à ce genre de propos?

A lire également, une tribune de Jean-Paul Piérot publiée dans l'Humanité du 11 novembre.
Lire aussi la réaction de l'historienne Annie Lacroix-Riz.


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vendredi 4 novembre 2011

Cinoche(s) : pourquoi je n'ai pas aimé Tintin et Polisse...

Que retenir de ces deux films «événements», l'un blockbustérisé par Spielberg, l'autre adulé par la critique ?

Tintin. Tout ça pour ça. Après neuf années de travail acharné, de scénarios réécrits, démembrés, reconstruits puis retissés pour un formatage collant au plus près de la «demande» des consommateurs d’images en temps de mondialisation, Steven Spielberg nous a donc livré un Tintin blockbustérisé façon Coca, pop-corn et jeu vidéo, à la fois proche du personnage créé par Hergé (son androgyne déshumanité de blanc-bec bien de chez nous) et lointain de la figure fantasmée du journaliste belge (celle construite par les rêves de gosses). Évitons les quiproquos. Pour le bloc-noteur scribouillard, Tintin n’a jamais été et ne sera jamais un héros. De ses aventures au Congo à ses exploits dans quelques pays inventés, le «bon» Tintin d’Hergé, celui qui «vient en aide aux faibles» selon la rhétorique officielle, n’est qu’un trompe-l’œil. L’ethnocentrisme occidental de son créateur n’est plus à démontrer et nous tremblons encore à l’idée que des générations de francophones aient pu puiser quelques-unes de leurs «valeurs» à cette source-là. Sans être ni un militant ni un tribun, Hergé était, dès ses débuts, d’extrême droite, antisocialiste et anticommuniste, conservateur et moralisateur. Très jeune, il travailla pour la presse catholique belge qui soutenait ouvertement le fascisme italien de Mussolini. Il devint l’ami de l’abbé Wallez, antisémite notoire, qui dirigeait le Vingtième Siècle, journal catholique intégriste. Hergé fit ses débuts dans le Petit Vingtième, le supplément jeunesse du journal, où Tintin apparaît pour la première fois.
D’abord Tintin au pays des soviets (sans commentaire), puis Tintin au Congo, dont on a suffisamment souligné le contenu raciste et colonialiste… Hergé copina même avec Léon Degrelle, qui, dans les années 1930, fut à la tête du principal parti fasciste belge francophone… À la même époque, le papa de Tintin réalisa la couverture de deux livres de Raymond De Becker, qui, sous l’occupation allemande, dirigea le Soir nazi. L’un d’eux s’intitulait Pour un ordre nouveau, terme qui désignait le projet politique des fascistes... Qu’on ne se méprenne pas. Toute sa vie Hergé a suivi de près l’actualité et il a toujours su où il mettait les pieds. En 1973, il confia à un journaliste néerlandais qu’il avait cru à l’«ordre nouveau». Pour de nombreux historiens, l’album l’Étoile mystérieuse n’est-il pas considéré comme antisémite et proallemand?

3D. Mais revenons brièvement au film de Spielberg. La débauche technologique dite de la «performance capture», qui consiste à emprisonner des acteurs dans une redéfinition ordinateurisée, n’apporte rien. Nous voilà en effet livré à un monde désincarné, dépourvu d’émotion, une humanité niée pour un spectacle à plat, sans relief – sauf celui de la 3D, qui détruit les yeux et donne la nausée (au sens propre comme au figuré). «Derrière chacun des personnages, il y a des acteurs», se défend Spielberg. Pour ne pas lui être désagréable, nous pourrions sauver les scènes d’action, surabondantes, qui transportent le porteur pâle Tintin chez le génial Indiana Jones. Mais comment sauver ce qui n’existe pas: une histoire et des personnages?

Polisse. Puisqu’une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule, évoquons en passant l’un des derniers succès salués quasi unanimement par la «critique». Le fameux Polisse, de Maïwenn, nous laisse une impression de dévastation cinématographique et de froide colère. Le scénario? Un condensé de clichés pour série télé. L’histoire? La vie quotidienne de policiers de la brigade de protection des mineurs de Paris-Nord, tous caricaturaux jusqu’aux extrêmes, alcooliques, mal mariés, anorexiques, déprimés. L’alibi de ce scénario? Des gamins victimes de toutes les misères sociales, violés, battus, contraints au travail forcé, au mariage, tous renvoyés à l’arrière-plan de «l’existence» (c’est un grand mot) des flics eux-mêmes, comme s’il fallait agrémenter leur va-et-vient et leurs états d’âme, leur livrer une justification.
Leur désaffiliation effective et affective, narrée par une sorte de voyeurisme assumée caméra-à-l’épaule, donne à voir la vraie nature de ce film : un style et une forme, au service d’un genre qui se veut «réel» mais sombre dans un ultranaturalisme fictionnel. Car ce que nous ne voyons pas, et pour cause, c’est bien la violence vécue par les enfants, réduite à un accessoire de cinéma, à un chiffon rouge agité pour instrumentaliser les spectateurs et donner vie à quelques personnages si marginaux qu’ils en deviennent ridicules… Le cinéma, selon une formule consacrée (surtout sacrée), «substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs». Avec ces deux films «événements», que devinrent nos regards et comment s’évaluèrent nos désirs? Kubrick, réveille-toi ! Ils sont devenus fous…

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 4 novembre 2011.]
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lundi 31 octobre 2011

Kadhafi(s): que faut-il retenir d'une exécution sommaire ?

Le voilà donc le nouveau visage de la « Libye libre » surgissant d’une intervention de type néocolonial...

Barbares. Un lynchage. Du sang. Une exécution sommaire… Vous aussi, vous êtes restés confondus devant les images de «l’interpellation» à Syrte du «guide» libyen, éprouvant tout au fond de vous ce mélange d’émotions qui témoigne, ça et là, de l’ambivalence de nos caractères de citoyens engagés? Comment s’émouvoir en effet de la mort de Kadhafi. Et comment ne pas éprouver un minimum de compassion devant la puissance des peuples quand ils se dressent et renversent l’ordre établi. Seulement voilà, n’en déplaise à Nicoléon et Bernard Henri Lévy, Kadhafi n’est pas Louis XVI et la Lybie n’est pas la France de la Révolution, celle de la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen. Pour s’en convaincre, sans doute suffisait-il de regarder en boucle le fameux plan séquence du colonel arrêté avant mise à mort. Qu’y vit-on précisément? Qui dirigea qui, dans cette scène vox populi ponctuée par le fracas d’armes automatiques et de cris? S’agissait-il de soldats? De civils? De miliciens? Avaient-ils des ordres? Etaient-ils livrés à eux-mêmes, ivres de furie?

Photo. Avez-vous vu comme nous l’odieuse et implacable interprétation libre et furieuse d’une mise à mort peu conforme à l’idée que nous nous faisons du Droit en ce début de XXIe siècle? Qu’y voir d’autre, sinon la stricte réalité: celle d’un homme sans défense lynché par des barbares? Même les hurlements de joie, accompagnant les fragments d’un corps traîné à même le sol, avaient de quoi nous glacer l’âme. Qui filma ces images? Comment les médias se les sont-ils procuré? Certains ont-ils monnayé pour leur diffusion, ajoutant une valeur marchande à un document que l’histoire n’oubliera pas de sitôt? Sachez-le, non seulement nous ne pouvons répondre à toutes ces questions, mais, même à l’Humanité, un débat entre nous s’est engagé il y a quelques jours concernant une photographie publiée dans nos colonnes au lendemain de la mort de Kadhafi. Un gros plan un peu flou, celui du visage ensanglanté d’un ex-dictateur exhibé tel un trophée. Une photo «choquante» pour plusieurs de nos lecteurs, démonstration comme une autre de ce spectacle de sauvagerie auquel nous avons tous été confrontés. Le sanguinaire y devenait sanguinolent, forcément «humain». Etait-il seulement envisageable de ne pas publier cette image, preuve que le tueur venait d’être lâchement tué? Poser la question n’est pas une manière d’y répondre, mais verbalise une sincère interrogation…

Guerre. Le voilà donc le nouveau visage de la «Libye libre» surgissant d’une intervention de type néocolonial? La voilà donc la « future espérance démocratique », rétablissant charia et polygamie, aidée par la propagande mensongère des chefs d’État occidentaux, de l’ONU, de l’OTAN, de l’immense majorité des responsables politiques comme des dirigeants militaro-industriels, tous partisans des «guerres justes»? Ne cherchez pas pourquoi tous ces braves gens redoutaient tant une arrestation en «règle» et l’organisation d’un grand procès du tyran. Réduit au silence, comment juger un homme, ses pratiques, ses meurtres, comment comprendre l’ampleur de la compromission des occidentaux durant des décennies, comment analyser, comment en tirer les leçons? C’est toujours la même histoire. En notre nom (et de nos « valeurs de justice »), nous avons attaqué, bombardé et écrasé avec des pluies de missiles guidés la Bosnie serbe (1995), la Serbie (1999), l’Irak (1991 et 2003), l’Afghanistan (2001) et la Libye (2011). Les populations iraient mieux – et le monde avec. Quel bilan? Quel vertu «pédagogique», puisque personne ne rend des comptes, ni les «coupables», ni ceux qui les ont mis au banc des nations après avoir commercé avec eux, après les avoir armés? Milosevic? Mort dans sa prison. Saddam Hussein? Pendu sitôt arrêté. Ben Laden? Liquidé par les forces spéciales et largué en pleine mer. Kadhafi? Lynché par la foule et déjà inhumé dans le désert. Les tyrans et autres terroristes avaient manifestement des choses à dire. Mais les accusateurs n’avaient aucun intérêt à ce qu’elles soient dites.

Barbarie. Le saviez-vous? Jusqu’au XIXe siècle, la «barbarie» était le nom utilisé pour distinguer, entre autres, le littoral de la Libye. Depuis une semaine, l’expression surannée s’est en quelque sorte ré-territorialisée par la diffusion d’une ultime séquence vécue en mondovision, d’où ne ressort rien d’autre qu’une spectaculaire barbarie que certains s’obligent à désigner «d’un autre temps», mais qui, chacun l’ayant vue, reste très actuelle. L’acharnement des foules fanatisées n’a ni époque ni frontière. Et les tyrans n’en sont pas les seules «victimes».

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 28 octobre 2011.]

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vendredi 28 octobre 2011

Tunisie : quelques mots concernant le processus démocratique...

La victoire d’Ennahda doit-elle jeter un trouble sur la transition parlementaire tunisienne ?

D’abord, une évidence. Alors que la Tunisie vient de franchir une étape majeure dans l’élaboration de sa propre histoire émancipatrice, comment ne pas saluer la réussite du processus électoral? Et comment ne pas reconnaître que ces élections, par leur ampleur, qui dépasse toutes les espérances, scellent une victoire pour la démocratie tunisienne que peu d’observateurs occidentaux croyaient possible? Dans le calme, avec fierté, les Tunisiens ont ainsi célébré leur toute première élection libre, signant d’une empreinte bleutée un acte politique majeur qui, espérons-le, se traduira un jour ou l’autre par la construction d’une nouvelle Tunisie authentiquement populaire – fruit de leur révolution.

Les 90% des électeurs potentiels qui se sont déplacés sont autant de symboles de la soif de démocratie et de la vitalité de ce peuple. Depuis l’éclosion des printemps arabes, la Tunisie aura ainsi impulsé le tempo de la révolte, jusqu’à imprimer sa marque démocratique, dont l’écho, assurément, se fera sentir sur tout le pourtour méditerranéen. Avec cette envie de liberté et de justice sociale, dans un pays où le taux de chômage atteint les 20%, avec cette volonté d’en finir avec un système corrompu, l’élan ne pouvait être que massif dans cette phase transitoire de l’Assemblée constituante. Comme une manière d’honorer la mémoire de Mohamed Bouazizi, suicidé par le feu pour protester contre la police qui l’empêchait d’exercer un commerce ambulant. Les jeunes révoltés, en masse, avaient pris la relève pour en finir avec le pillage des richesses organisé par le clan Ben Ali-Trabelsi, sous le regard complice de la France de Sarkozy... Les Tunisiens, alors frappés dans leurs chairs, ne sont pas près d’oublier l’attitude cynique des dirigeants français, et singulièrement de Michèle Alliot-Marie, ministre des Affaires étrangères, tellement aveuglée par sa croyance d’un Ben Ali éternel qu’elle avait proposé le «savoir-faire de nos forces de sécurité» pour aider la dictature!

N’en déplaise à certains, c’est aujourd’hui un peuple souverain qui s’est exprimé. Et cette affirmation fondamentale ne nous empêche pas de nous interroger sur les résultats de ce vote. Que retiendra d’ailleurs l’Histoire, avec la majuscule qui sied à sa trace? La date du 14 janvier 2011, jour où Ben Ali fut chassé du pouvoir? Ou le 23 octobre 2011, jour de premier scrutin censé marquer l’an I de la révolution tunisienne? Posons la question autrement : malgré l’émergence d’une opposition assez forte, la victoire d’Ennahda, le parti islamiste, doit-elle jeter un trouble sur la transition parlementaire, puisque l’Assemblée élue sera chargée de l’élaboration de la nouvelle Constitution? Alors que la charia vient d’être brutalement adoptée en Libye, chacun voit bien le danger que peut représenter un groupe parlementaire islamiste tout-puissant, même si les responsables d’Ennahda ont pris soin de se désolidariser des récentes exactions de mouvements islamistes, comme les salafistes. «Ne pas donner sa voix à un candidat tunisien de l’islam est un péché», a pourtant déclaré Youssef Al Qaradawi, le prédicateur cheikh, qui, depuis le Qatar, soutient Ennahda par la grâce de ses capitaux… Ne dit-on pas que les affairistes recyclés du RDC d’hier seraient prêts à s’allier avec les parlementaires islamistes? Le néolibéralisme d’un côté, la religion de l’autre...
Il faudra manifestement du temps – et de la solidarité internationale – pour bâtir un État de droit dans la justice et l’égalité. Un nombre croissant de citoyens pensent qu’ils doivent désormais assumer le principe d’une séparation du politique et du religieux, condition indispensable pour que le monde arabe (re)devienne le creuset d’une nouvelle modernité. Sur le terreau des dictatures, l’idée reste pour l’heure minoritaire.

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 25 octobre 2011.]

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vendredi 21 octobre 2011

Malentendu(s) : à propos de la victoire de François Hollande...

Le «rêve français» du futur candidat socialiste consiste-t-il à accompagner le pays dans son lent et progressif déclin?

Hollande. En cultivant avec bonhomie la lenteur dans l’ascension, un peu contre l’époque, François Hollande s’est-il déjà interrogé sur son propre rapport au temps ? Au royaume de maître lapin et du zapping informationnel généralisé où la prise de décision se doit d’être quasi instantanée, le futur candidat socialiste à la présidentielle apparaît comme une incongruité, une faute de casting, phénomène d’autant plus ressenti que lui-même entretient le doute, depuis toujours. En 1984, lorsqu’il cosigne une tribune dans le Monde intitulée «Pour être modernes, soyons démocrates», ce qui résume assez l’ambition de ce socialiste coincé entre Mitterrand, Rocard et Delors, le jeune Hollande ne comprend déjà pas que le tournant de la rigueur assumé par son parti vient d’anéantir, pour le «peuple de gauche», des années d’espérance et d’engagements. Jamais par la suite François Hollande ne dérogera à cette stratégie, maintenant sa ligne d’Européen social-démocrate, heureux dans l’unité, en permanence à la recherche d’un dénominateur commun – souvent le plus petit.

Centriste. Curieux moment. Et curieux socialistes. L’expérience sondagiaire de 2007 (et autres) n’aura donc servi à rien. Souvenons-nous de la théorie ânonnée sur tous les tons durant des mois : «Ségolène Royal est la seule à pouvoir battre Nicolas Sarkozy.» L’impression de revivre le même film ? Crédité depuis quelques jours d’intentions de vote au premier tour qui atteignent le zénith (jusqu’à 38% !), François Hollande singe l’Édouard Balladur de 1995. Et si la comparaison ne s’arrêtait pas là ? Strauss-kahnisé dès le retrait de qui vous savez (il avait suffi de cinq jours après la sidération provoquée par l’affaire du Sofitel pour qu’un premier sondage permette au vide d’être comblé), le président du conseil général de Corrèze peut-il se balladuriser, comme certains socialistes, en coulisses, l’annoncent déjà ? Pour étayer leur théorie de «l’effondrement programmé», ces amis de trente ans évoquent un «professionnel du consensus» certes «habile à produire de la synthèse» mais surtout «attentif à ne pas brutaliser le système», bref, un «candidat centriste». L’un d’eux nous avouant : «François a d’ailleurs fondé avec quelques amis les “transcourants”, dont on sait qu’ils vont toujours quelque part sans jamais savoir où… Sa capacité à être d’accord avec tout 
le monde est un atout, seulement quand tout va bien.»

Rêve. Avec le promoteur de la «présidence normale», alias «Flanby» ou «gauche molle», il y aurait donc comme un malentendu ? Comme il y aurait un malentendu avec la gauche dite «de gauche»? Enfant d’HEC et de l’ENA, dont il a gardé l’aisance intellectuelle et l’art démonstratif de la rhétorique, emphatique et léger, sérieux et drolatique, le Normand l’avoue : «Les défauts qu’on me prête sont autant de qualités et d’atouts.» Il parle évidemment de l’époque qui est la nôtre. Celle dont on dit qu’elle aurait besoin de «tranquillité»… Arrêtons-nous un instant sur cette idée. Quels étaient jadis les modèles qui sublimaient l’universelle voracité des rêveurs ? Le saint, le sage, le chevalier, le gentilhomme, l’artiste, le savant, le chercheur d’or, le missionnaire, le révolutionnaire, etc.? Tous reposeraient désormais au musée des souvenirs ? À la rigueur pourrions-nous encore les admirer, mais surtout plus nous en inspirer. Miser sa vie au capital de nos idéaux, dire banco à chaque levée, renverser les tables n’auraient plus cours à l’heure du grand casino mondial et de l’austérité hygiéniste ? Depuis des années, on nous sert comme modèle le financier, le golden boy, le publicitaire et le pitre télévisuel pour lesquels «la réussite» s’autolégitime. Quand le pauvre ne croit qu’à la loi des riches, le mimétisme n’a-t-il pas trop fabriqué de fauves ?

Temps. Les Français ont-ils besoin d’être «rassurés»? Osons le dire autrement. Le «n’importe qui sauf Sarkozy» peut-il constituer sinon un programme du moins une feuille de route pour le printemps 2012? Le peuple de gauche peut-il s’entendre dire pour tout argument que, cette fois, «les socialistes veulent vraiment le pouvoir»? Ce peuple en souffrance se contentera-t-il passivement d’un débat entre partisans de l’austérité et de la superaustérité : «Je suis le plus crédible pour gérer la dette»? Si le «rêve français» de Hollande consiste à accompagner le pays dans son lent et progressif déclin, attendons-nous à quelques jacqueries… Les socialistes semblent heureux. Ils ont un candidat, qui, de son propre aveu, n’a jamais pris qu’«une seule décision d’autorité». C’était en 2004, quand il décida d’appeler à voter «oui» au référendum sur la constitution, avant de poser en une de Paris Match à côté de Nicoléon. On sait ce qu’il advint. En peu de temps.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 21 octobre 2011.]

(A plus tard...)

jeudi 20 octobre 2011

Les fonctionnaires, premières victimes des agences de notation ?

Les premières cibles des plans d’austérité sont les fonctionnaires, puis le peuple dans son ensemble...

Quelques jours à peine après la primaire socialiste, se tient un scrutin dont les médias parlent peu. Pourtant, ce vote concerne près de 3 millions de fonctionnaires,
des enseignants de l’éducation nationale aux infirmières des hôpitaux, en passant par les postiers, les magistrats, les contrôleurs du fisc et même les chercheurs du CNRS… Inutile de dire que le contexte d’atomisation sociale risque de peser très lourd. Originellement, la notion même de service public constitue l’un des remparts essentiels de la République contre le «chacun pour soi», les inégalités, les divisions. Seulement voilà, au royaume de la prospérité pour les financiers et de l’austérité pour les salariés, les valeurs constitutives du bien commun sont progressivement jetées aux orties. Les logiques budgétaires pèsent de manière disproportionnée sur la définition des missions de l’État.

Alors que la paupérisation de la population augmente à une vitesse exponentielle et que les services publics, au sens large, devraient se renforcer pour atténuer les détresses et réduire les fractures béantes d’un pacte social martyrisé, c’est tout le contraire qui se produit. N’en déplaise à la droite sarkozyste, le service public n’est pas désincarné. Des hommes et des femmes le font vivre – et un esprit l’habite. Or ces personnes et 
cet esprit sont aujourd’hui atteints, gravement blessés, victimes des avanies quotidiennes. Une catastrophe pour la société tout entière. Dans leur grande masse, ces salariés sont au bout du rouleau, débordés, accaparés 
par les sous-effectifs, tous plus ou moins confrontés aux «privatisations rampantes», à la précarité croissante, aux CDD rémunérés au lance-pierres, à la flexibilité toujours accrue, à la pression de la «rentabilité», avec son lot de dépressions, de tentatives de suicide… Victimes du talon de fer du gouvernement, des financiers, du FMI, de dirigeants serviles et même de la médiacratie ambiante dévouée pour «vendre» aux populations l’inéluctabilité de l’austérité. Les mêmes mots pour tous, «réduction des coûts», «retraites au rabais», «baisse des investissements publics»… Sans s’interroger – ou si peu – sur les origines de la crise, sur les possibilités de croissance et de développements, sur la manière de résorber les déficits dans un temps long, débarrassée des diktats et des soumissions, en mettant au pas les banksters, en réformant la question du crédit, etc.

Entrer en résistance contre ce monde des marchés financiers – qui doivent leur survie aux États ! – est une urgence absolue. Car les vautours, eux, n’arrêtent pas. Les menaces contre la France formulées par l’agence de notation Moody’s, et la panique qui s’en est suivie, témoignent, si cela était encore nécessaire, de l’incroyable perte de maîtrise de nos destins collectifs. Ne cherchez pas les nouveaux maîtres du monde, qui règnent sans partage sur le juteux marché de la notation financière et s’arrogent le droit de mettre la campagne électorale française «sous surveillance» : ils s’appellent Standard 
& Poor’s, Fitch et Moody’s. Ne cherchez pas les vassaux 
de ces colonisateurs invisibles, jamais les derniers 
à s’agenouiller devant les intérêts du privé : ils ont pour noms Sarkozy, Merkel, Zapatero, Cameron, Berlusconi et consorts. «Notre destin se joue dans les dix jours», a déclaré Sarkozy, volontairement alarmiste. Comme en Grèce, les premières cibles des plans d’austérité 
du gouvernement Fillon sont les serviteurs de la fonction publique, puis le peuple dans son ensemble. Il est temps d’arrêter cette folie. Mais ne le cachons pas : face 
à la plus formidable rage de destruction sociale depuis la Libération, ce n’est pas une simple «sortie de crise» qu’il faudra imaginer et encore moins une «alternance» sociale-démocrate mâtinée de compromissions, mais bel et bien un changement de société radical !

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 20 octobre 2011.]

(A plus tard...)

lundi 17 octobre 2011

Massacre du 17 octobre 1961 : le temps de la reconnaissance !

«Ils jettent les Algériens à la Seine !» Par-delà le temps, ce cri d’horreur retentit encore au cœur d’un Paris humilié à lui-même. «Ils les tuent ! ils les noient !» Une ratonnade en règle, froidement exécutée, lâchement assumée dans les coulisses du pouvoir. Un pogrom en pleine Ville lumière. Et soudain 
la Seine devint rouge sang…
De tous les crimes de la guerre d’Algérie, dont il est impossible d’établir une «échelle» dans l’infamie, le massacre du 17 octobre 1961 est à l’évidence l’un des plus signifiants, l’un des plus honteux, celui dont la France gardera la trace-sans-trace avec, au fond de l’âme, ce spectre du colonialisme et du racisme qui continue de hanter nos consciences. Cette fois, les auxiliaires du colonialisme ne tuaient pas comme d’«habitude», dans les mechtas, ils ne torturaient pas dans les caves sombres d’Alger. Ils assassinaient des centaines d’Algériens directement sur les pavés du peuple parisien... Cette répression policière ne relevait en rien d’une «bavure» ni de la réaction d’une police débordée par l’ampleur d’une manifestation pourtant pacifique, mais résultait d’une véritable «terreur d’État» instaurée par le système de répression postérieure à la Seconde Guerre mondiale que le préfet Maurice Papon, aux mains pleines du sang des juifs, construisit à partir de son arrivée dans la capitale, en 1958. Un crime d’État, perpétré sous la responsabilité du gouvernement de Debré et du général. Une page obscure du gaullisme qui connaîtra un prolongement au métro Charonne, dans la séquence finale de la guerre d’indépendance algérienne.
Il est une constance historique : la République s’abaisse dans la dissimulation et se grandit dans la vérité. N’en déplaise à Nicolas Sarkozy (qui n’aura cette année encore aucun geste, aucun mot), nous n’en finirons pas avec la guerre d’Algérie sans que ses crimes, tous ses crimes, soient une bonne fois pour toutes dévoilés et officiellement condamnés. Plus que jamais, les Français ont aujourd’hui besoin d’une reconnaissance officielle ! Non pour répéter le vague récit 
d’un passé douloureux, mais 
bien pour assumer un acte de mémoire au présent, indispensable pour construire l’à-venir républicain. L’oubli, cette forme
de négationnisme, structure 
les logiques de revanche et participe 
à la production et à la reproduction des discriminations – dont le sarkozysme est directement issu.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 17 octobre 2011.]

L'agenda des commémorations du 17 octobre 1961.

(A plus tard...)