lundi 28 novembre 2016

Nicoléon(s): l'un part définitivement, les autres restent

L’ex-petit bonapartiste de Neuilly disparaît, pas son héritage… Les fossoyeurs de l’égalité sont toujours là. Ils ont juste changé de visages.

Lucidité. Les crépuscules des monstres de la vie publique ont toujours un côté pathétique qui réclame, d’ordinaire, de la compréhension suggestive sinon une petite dose de compassion. Pas là. Le bloc-noteur, qui a consacré depuis plus de quinze ans des dizaines et des dizaines de chroniques à la personne de Nicoléon et à ses folies (une anthologie à lui tout seul), ne pleurera pas sa mort politique. Et s’il convient plutôt de s’en réjouir en levant le verre place de la Concorde pour trinquer à l’effacement du petit bonapartiste de Neuilly – bon débarras! –, la lucidité nous commande un minimum de réserve et de prudence. En devenant un ex, un vrai cette fois, Nicoléon laisse derrière lui le pire des héritages qui se puisse imaginer depuis la disparition du gaullisme, une sorte de spectre mortifère qui hantera longtemps encore les lambris de la République: le «sarkozysme» et ses pratiques d’affaissement généralisé. Inutile, chers lecteurs, de revenir sur le mal engendré par l’homme, le ministre et le président dans ses différentes fonctions, vous savez tout de lui et à quel point il fut le symptôme édifiant d’un des basculements les plus dramatiques de la société française. D’un côté, la longue archéologie du désastre de la gauche. Et de l’autre côté, profitant précisément du vide idéologique, la marque d’un temps nouveau, le bling-bling et le Fouquet’s, la survenue immonde de l’accélération de l’écroulement «de la» politique même, martyrisée par les désorientations d’un vieux monde symbolique durablement frappé. Ainsi Nicoléon, depuis le yacht d’un milliardaire, pouvait-il affirmer sa guerre de classe et ses pulsions identitaires et réactionnaires, façon de dire: «La gauche ne fait plus peur à personne, vivent les riches, à bas les pauvres!» 


mercredi 23 novembre 2016

Primaires de droite: pauvre France...

Fillon, Juppé? Bonnet blanc, blanc bonnet? Quoi qu’il advienne, c’est bien une contre-révolution conservatrice de choc qu’ils nous préparent tous à plus ou moins brève échéance.
 
Les danses macabres sur le squelette de la République ne nous intéressent pas, d’autant moins que la folie médiacratique – en tant que genre mineur, exécrable – qui accompagne passivement la fameuse «primaire de droite» nous instruit sur la teneur affligeante du débat public actuel. À quoi sont donc conviés les Français, à longueur d’antenne, prisonniers malgré eux d’un abrutissement idéologique à sens unique? À réfléchir comme la droite et ses «champions», à penser à droite toutes, à répondre mécaniquement et uniquement à des questions de droite, bref, à ingurgiter, sans controverses véritables, le pire du pire des projets de la nouvelle droite ultra ou extrême qui s’avance, avec ses armes de destructions massives. «À des nuances près», diront les bonnes âmes, tout étant dans la nuance bien sûr, qu’on s’appelle Fillon ou Juppé, que l’un souhaite aller le plus loin possible dans toutes les régressions en préconisant des piqûres de cheval, ou l’autre, plus présentable, des suppositoires en série. Bonnet blanc, blanc bonnet? Quoi qu’il advienne, c’est bien une contre-révolution conservatrice de choc qu’ils nous préparent tous à plus ou moins brève échéance. Pauvre France… 
 

lundi 21 novembre 2016

Soulèvement(s): l’imagination, les peuples, les poings dressés…

L'art de la révolte: une expo magistrale au Jeu de paume...
 
Imagination. Les tempêtes ne se lèvent pas seules. Avec elles, la pesanteur se renverse et, en se renversant, nous sommes nous-mêmes cloués au sol, puis, une fois au sol, deux attitudes s’offrent à nous pour le meilleur ou pour le pire: la résignation, disons une forme de soumission; ou la révolte, que nous pourrions nommer «soulèvement». Se soulever: comme une tempête se lève. Se soulever : pour renverser les tempêtes. Se soulever : pour inverser l’ordre des choses, mettre le monde sens dessus dessous, extirper le temps hors de ses gonds, pour que l’histoire, de Hugo à Einstein, change de base, que ses éléments se déchaînent… Chers lecteurs, courez voir «Soulèvements», au musée du Jeu de paume, à Paris (jusqu’au 15 janvier 2017), et vous comprendrez que, parfois, l’art conceptuel bien pensé peut toucher à l’intelligence progressive de façon assez magistrale. Le commissaire de cette exposition étonnante n’est autre que le philosophe et historien de l’art Georges Didi-Huberman, qui nous propose une sorte d’atlas poétique de la révolte au fil d’un parcours initiatique séquencé en cinq chapitres à l’impact visuel considérable, mêlant des médiums de toutes origines – photographies, films, sons, dessins, affiches, textes, collages… –, de la Révolution française aux printemps arabes, en passant par la Commune de Paris, le combat des Mères argentines de la place de Mai, les luttes anti-apartheid ou encore, bien sûr, Mai 68, etc. Pourquoi se soulève-t-on? Et comment? Georges Didi-Huberman se gardera bien d’affirmer que l’exposition répond à ces questions. Pour lui, néanmoins, le soulèvement procède d’«un geste sans fin, sans cesse recommencé, souverain comme peut-être dit souverain le désir lui-même». Le soulèvement naît de l’imagination personnelle ou collective, fût-ce dans «ses caprices ou ses disparates», disait Goya. Dès lors, depuis un désastre réel ou une envie profonde de changement, l’imagination subversive soulève des montagnes. Car l’imagination, c’est du désir. Et le désir, c’est de la vie. Et la vie, c’est toujours la réouverture des possibles.
 
Envie. Donc, se soulever: ou jeter au loin les fardeaux qui nous entravent. Essayer du moins. Briser le présent, le tordre. À coups de marteau, comme le voulait Artaud. Tendre les bras ouverts côté futur. Résister. Espérer. Donner un crédit idéologique, au prix de sacrifices…

mardi 15 novembre 2016

Erdogan, dictateur

L’accélération du processus antidémocratique en Turquie est telle désormais qu’Erdogan devrait être mis au ban des nations, frappé de toutes les sanctions possibles et imaginables en droit international.

Recep Erdogan.
Recep Erdogan règne donc sur le chaos, la répression, la sauvagerie à tous les étages de la société turque, et tout le monde ou presque détourne son regard, comme si ce peuple martyrisé juste là, aux portes de l’Union européenne, devait souffrir inéluctablement, sans que rien ne se passe. Ces dernières années, la Turquie a traversé une période autocratique propre à toutes les dérives: nous y sommes. Comme cela était hélas prévisible, sous l’autocrate Erdogan sommeillait le dictateur, un vrai de vrai, digne des pires périodes des juntes militaires dont il emprunte toutes les méthodes fascisantes. Depuis le coup d’État avorté de juillet dernier, le président – qui n’en porte que le nom – continue d’un côté à entretenir une complicité mortifère, directe ou indirecte, avec certaines organisations djihadistes, et d’un autre côté, il use de tous les pouvoirs d’une dictature, qui, elle, porte bien son nom. Il emprisonne des journalistes. Il pourchasse des intellectuels. Il arrête massivement des démocrates et des militants politiques et syndicaux. Il suspend des dizaines de milliers d’enseignants. Il alimente sa machine de guerre meurtrière contre le peuple kurde, et singulièrement le PKK en Turquie même ou à l’extérieur, en Syrie et en Irak. Et il active toujours les réseaux ultranationalistes à sa botte, certains coupables de véritables pogroms. 

mercredi 9 novembre 2016

Urgence(s): la santé, notre bien commun

Les blouses blanches ont crié leur colère noire et, avec elles, grâce à elles plutôt, ce fut une certaine idée du service public de santé que nous défendions solidairement, puisque leur combat est également le nôtre.
 
Et pendant ce temps-là, comme des ombres projetées dans le miroir du temps qui incite au désarroi et/ou à l’action, les personnels hospitaliers craquent et le font savoir bruyamment. Hier, un peu partout en France, les blouses blanches ont ainsi crié leur colère noire et, avec elles, grâce à elles plutôt, ce fut une certaine idée du service public de santé que nous défendions solidairement, puisque leur combat est également le nôtre. Qui n’a ou n’aura besoin de l’excellence de ceux qui travaillent dans nos hôpitaux, jadis jalousés dans le monde entier et qui restent toujours une référence, notamment pour l’universalité des soins donnés. Qu’ont donc exprimé les milliers d’infirmiers et d’aides-soignants réunis à l’appel de dix-sept syndicats (FO, CGT, SUD, CFTC, etc.) ou associations, mais aussi, fait rare, d’une vingtaine d’organisations infirmières, salariées, libérales ou étudiantes, ce qui constitue un mouvement unitaire absolument inédit depuis 1988. Juste la réalité, rien que la réalité de leur quotidien. Ils dénoncent les cadences infernales, le manque de personnels et de temps passé auprès des malades, l’accroissement de l’activité, la course à la rentabilité… et accessoirement, ces femmes et ces hommes qui sauvent nos vies réclament une meilleure reconnaissance. «Il nous faudrait quatre jambes et quatre bras», raconte l’une. «Dans mon service, c’est le travail à la chaîne, pourquoi croyez-vous que nous assistons à une vague de suicides?», assure une autre. Ces mots d’exaspération témoignent tous du refus de briser l’esprit de corps, de trahir les règles de l’art médical et l’éthique personnelle. Au fond, ces mots ne disent qu’une chose: l’exigence du service public, notre bien commun.

jeudi 3 novembre 2016

Pauvreté(s): montée de l'intolérance?

L’hostilité envers les démunis s’exprime de plus en plus en France…
 
Scène I. Un homme tend une main, un autre passe et dit: «Encore? Et en plus, il pue!» Derrière l’église de la Trinité, dans le 9e arrondissement de Paris, sous un soleil généreux et inventif qui pénètre les âmes avant la venue de l’hiver, quelques hères attendent une distribution de soupe chaude. Le passant désinvolte passe sans honte, gratifiant le bloc-noteur d’un sourire qui découvre toutes ses dents ainsi qu’un bout de langue rose posé sur le bord de ses lèvres. Pour un peu, le type s’exprimerait comme un mémo de direction: «Vous êtes pauvres, ne l’oubliez pas.» Une désagréable impression de détestation indifférenciée parcourt les rues de la capitale, en ce matin de grand pont de la Toussaint. Comme si, l’air de rien, cette aversion diffuse se partageait au-delà des frontières de la connerie ordinaire contre tous ceux qui, frappés par le malheur, errent dans nos rues, d’où qu’ils viennent, d’ici ou d’ailleurs, avec leur passé de caillasse, de ronces et de poussières, avec pour tout héritage leurs trajectoires en eaux profondes. Les regards se détournent mécaniquement du petit attroupement d’affamés. Plus besoin de mots pour comprendre le message: «Qu’ils y restent.» Voire: «Qu’ils nous foutent la paix.»