mardi 31 mai 2011

Bientôt la pénurie de profs ? SOS pour l'éducation !

«On ne manque pas de profs.» Et Luc Chatel ne manque pas de toupet… Derrière des rondeurs qui ne sont qu’apparentes, notre ministre de l’Éducation nationale a de quoi faire pâlir de jalousie les pires politicards de sa classe. Dans une interview donnée hier au Journal du dimanche, l’homme manie le mensonge et la mauvaise foi à tous les temps. Ainsi ose-t-il rappeler que Nicolas Sarkozy, en 2007, avait promis que pour «revaloriser la fonction publique, il fallait moins de fonctionnaires mais mieux payés». Et il ajoute: «On a l’impression que l’éducation est laissée pour compte. Mais regardons autour de nous. En Angleterre, en Grèce ou au Portugal, des professeurs sont licenciés, leurs rémunérations baissent.» Les Français n’ont donc pas à se plaindre. Pour Luc Chatel, grand expert en sermons de «principe de réalité», qu’importe justement la réalité vécue. Les chiffres sont pourtant têtus : entre 2007 et fin 2011, près de 55 000 salariés de l’éducation nationale auront été sacrifiés, comme le seront bientôt 1 500 classes...

Les projets «éducatifs» des quatre dernières années composent un vaste puzzle destructeur dont on peut aisément reconstituer les morceaux : moins de moyens et moins de personnels, des professeurs inégalement formés pour des écoles aux objectifs différents… Et puisque Luc Chatel n’est plus à une provocation près, lui qui fut jadis DRH chez L’Oréal avant devenir cost-killer à l’UMP, il annonce qu’il va lancer ce mercredi une grande campagne de pub dont le coût devrait s’élever à 1,3 million d’euros. De la com pour vanter les mérites d’un plan de recrutement lancé par le ministre… alors qu’il maintient la suppression de 16 000 postes! Face à un tel degré d’aplomb et d’effronterie, alors qu’à Pôle emploi vient de se dérouler un surréaliste «prof dating» pour pister d’éventuels enseignants remplaçants, les mots doivent manquer aux personnels de l’éducation pour dire au plus près leur colère ou leur dégoût devant un tel cynisme politique. Car la situation des profs se dégrade à grande vitesse. Élèves qui ne les respectent pas et renvoient sur eux une part de la violence que subissent leurs familles ; hiérarchie qui les infantilise, ignore la détérioration de leurs conditions de travail, les sous-effectifs, etc.

Dans un contexte de grave crise des vocations, il n’est pas anodin de savoir que le nombre d’enseignants songeant à démissionner, jadis dérisoire, atteint désormais près de 35 % d’entre eux, que 49 % parlent d’un «manque de reconnaissance», que 75% expriment leur «ras-le-bol»... Les politiques libéralo-néoréactionnaires faites de «méritocratie», d’«internats d’excellence», d’«individualisation des parcours», d’«autonomie» nous programment une catastrophe absolue, faite de pénurie (de profs, de moyens, etc.) et d’inégalité à tous les échelons de la scolarité… Le sarkozysme n’aime pas l’égalité républicaine : pourquoi devrait-elle continuer de s’appliquer à l’école ? Même l’Association des maires de France, par la voix de son président, le député maire UMP Jacques Pélissard (!), vient de lancer un SOS. «Les maires font part de leur vif mécontentement», déclare-t-il, précisant que l’AMF allait «saisir le gouvernement pour demander qu’une analyse objective des besoins scolaires soit effectuée préalablement à toute décision de réduction d’effectifs». Malgré des départs à la retraite qui seront massifs dans les cinq ans, malgré le baby-boom de l’an 2000 à venir, Luc Chatel vient de confirmer le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Et l’on nous parle encore d’«égalité des chances»?

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 30 mai.]

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vendredi 27 mai 2011

Alternative(s) : deux livres pour contester notre époque...

Dandysme. D’abord? «Le poids d’un monde sur la poitrine.» Ensuite? «Dans l’histoire, les restaurations sont toujours des affaissements : plus rien ne va droit ; les dindons nihilistes tiennent la rampe et démolissent les colonnes vertébrales.» Et puis? «“Ici Londres : Les Français parlent aux Français.’’ Ce n’est pas qu’une métaphore bien sûr: ce n’est qu’un soulèvement de l’esprit.» Enfin? «Pour la défense du style, de la forme, de la tenue, de la droiture, de la dignité, de l’élégance, (...), ce bouquet de fleurs des champs au printemps, qui dessine le tableau du “ pur génie français”.» En publiant Éloge de la vulgarité (éditions du Rocher), Claude Cabanes, ancien directeur de la rédaction et toujours éditorialiste de l’Humanité, n’a pas décidé par hasard de se placer sous la tutelle de Coco Chanel, elle qui définissait ainsi son travail: «Certains croient que le luxe est le contraire de la pauvreté, alors que c’est le contraire de la vulgarité.» Claude Cabanes est comme nous. Énervé par l’air (pestilentiel) du temps. Révolté par les conditions de domination plus puissantes que jamais. Atterré par l’orgiaque et obscène spectacle de ceux qui nous représentent par les sommets, comme pouvait l’être Victor Hugo, en son temps, lorsqu’il apostrophait un quarteron d’adversaires politiques en ces termes : «J’observe le néant en ces crétins augustes.» Lassé aussi par cette influence crasse de l’esprit du Fouquet’s, histoire de ne jamais oublier qu’un des personnages de cette odieuse fête avait lancé dans le brouhaha de la victoire de Nicoléon dans le fameux restaurant bling-bling des Champs-Élysées: «Ce ne sont pas les enculés qui manquent, c’est l’argent.» Ou encore Jean-Claude Darmon, affairiste du football et présent ce soir-là lui aussi, qui affirmait sans se cacher: «Je gagne un million par jour, je n’ai pas le temps d’être généreux.» Claude Cabanes, en pamphlétaire hors pair, exprime sa désolation que «la fête du luxe» soit finie et qu’un infâme théâtre puisse reprendre «sous les chapiteaux des vulgarités». Ainsi demande-t-il: «Et si le plus puissant missile contre la vulgarité, c’était la vérité?» Revendiquant un dandysme non de tradition mais d’excellence, à la fois intellectuel et don-quichottesque, il conclut par Baudelaire : «Le dandysme est le dernier éclat d’héroïsme dans les décadences.» Qui dit mieux?

Combat. «Je suis allé partout dans le pays. Tous posent la même question : où allons-nous?» La citation de John Steinbeck (les Raisins de la colère) trône en ouverture du livre de Gérard Mordillat et de Bertrand Rothé, Il n’y a pas d’alternative (Seuil). Ce titre est la réplique exacte d’une phrase célèbre de Margaret Thatcher, ressassée et bêlée par différentes personnalités politiques, qui, depuis trente ans, nous abreuvent de la même rhétorique du renoncement. «Il n’y a pas d’alternative à la pause» (Delors). «Il n’y a pas d’alternative au plan de rigueur» (Mitterrand). «Il n’y a pas d’alternative aux privatisations» (Chirac). «Il n’y a pas d’alternative aux Restos du cœur» (le Conseil d’État, qui les reconnaît d’utilité publique). «Il n’y a pas d’alternative à payer les jeunes en dessous du smic» (Balladur). «Il n’y a pas d’alternative à la baisse de la fiscalité des stock-options» (DSK). «Il n’y a pas d’alternative à la baisse de la fiscalité des entreprises» (Fabius, succédant à DSK). «Il n’y a pas d’alternative à la disparition de l’entreprise Moulinex» (Pierre Blayau, PDG de l’entreprise qui la quitte avec 2 millions d’euros de prime). Longue liste… Dans cet essai vif et mordant, véritable réponse à la fondation Terra Nova et à ses tentatives de dés-ouvriériser la gauche, l’écrivain Mordillat et l’économiste Rothé partent sur les traces de la plus vaste entreprise de désidéologisation impulsée par les classes dominantes, pour lesquels «la mise en place de l’État-providence est un crime». Même en France? Les auteurs demandent: «Comment le village gaulois insoumis a-t-il pu devenir une province de l’empire néo-libéral ?» Étape par étape, ils montrent comment, de la Fondation Saint-Simon aux sphères de la gauche dite «moderne», l’accommodement au capitalisme libéral a été la norme imposée à tous. Ils écrivent: «Au rythme des "Je crois qu’on va dans le mur ” à “ Il n’y a pas d’autres moyens que de…” de Michel Rocard, il ne reste plus à la gauche que la fête, la lutte contre le sida et l’antiracisme.» Ou encore: «Une page noire de notre histoire est tournée. Le Nouvel Obs a pris sa revanche sur l’Humanité.» On pourrait croire à un livre nostalgique ou désemparé. Eux répondent : «Penser une révolution possible en France relèverait de l’utopie, voire d’une hérésie semblable à celle qui conduisit Giordano Bruno ou Galilée au ban de la société. Pourtant l’histoire leur a donné raison.» Alors? «Ne cherchons pas plus loin l’alternative.» Un livre de combat. Pour penser le monde autrement qu’en termes de concurrence et de profit. Qui dit mieux?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 27 mai 2011.]

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mercredi 25 mai 2011

Espagne : révoltes d'à-venir ?

Tandis que «l’affaire DSK» continue de tweeter l’actualité en rendant hystériques les éditocrates au moindre gazouillis provenant de la résidence du 71, Broadway, à New York, où se sont installés des dispositifs médiacratiques surréalistes, la vie des peuples ordinaires continue avec les difficultés que l’on sait, plus que jamais menacée et précarisée par les décisions d’austérité du FMI et de l’Union européenne. Car pendant qu’on nous occupe à autre chose, la vraie vie se poursuit et avec elle, implacablement, la catastrophe sociale progresse chaque jour un peu plus. En Grèce, où l’économie a reculé de 7,4% en un an. Au Portugal, où la saignée s’annonce dramatique. En Espagne, où les électeurs viennent de s’exprimer, mais où, surtout, vient d’émerger un mouvement de fronde aussi jeune qu’enthousiasmant…

«Si vous nous empêchez de rêver, nous vous empêcherons de dormir!» Les cris de cette r-évolution citoyenne de la jeunesse espagnole tonnent dans le ciel européen comme une bonne nouvelle. Une sorte de soulèvement d’un nouveau genre a ainsi pris corps un peu partout en Espagne et jusqu’au cœur symbolique de Madrid, sur la Puerta del Sol, sous la forme d’un campement permanent comme nous le vîmes de l’autre côté de la Méditerranée. Un tournant majeur? À en croire le nombre de manifestants, fédérés par les nouveaux réseaux générationnels, tout porte à le croire. D’autant que la déroute électorale des socialistes, au profit d’une droite revancharde (alors que communistes et progressistes de la Gauche unie progressent dans tout le pays), n’atténue en rien la détermination des Indignés : ils ont reconduit le mouvement visant à dénoncer le contexte social désastreux. En cause, un taux de chômage exponentiel (21%), qui frappe essentiellement les jeunes : 45% des moins de vingt-cinq ans… Sans parler bien sûr des bas-salaires, qui forment l’essentiel des salariés actuels. C’est donc la jeunesse ultra-précaire qui se lève. Pour la première fois depuis le début de la crise financière en 2007, le précariat entre sur la scène politique en Europe!

Deux questions légitimes. L’événement 
peut-il avoir une saveur historique? Et puisque le cas espagnol dépasse de loin le strict contexte électoral et ses résultats pour le moins ambivalents, cette démonstration citoyenne aura-t-elle valeur d’exemple? Les mots d’ordre sont en effet sans ambiguïté. Ils disent le ras-le-bol général qui découle de la mauvaise gestion de la crise, ils rejettent les banques et la corruption, mais également les grands partis politiques et le gouvernement, accusé d’avoir aveuglement opté pour une politique d’austérité inefficace et impopulaire. «Vous prenez l’argent, nous prenons la rue !» Les Espagnols en mal d’à-venir montrent le chemin de l’insurrection pour se dresser contre le pillage des banksters du FMI, de l’UE et de la BCE, qui se servent de la Grèce comme d’un cadavre exposé sur un gibet pour intimider les autres peuples européens. Seulement voilà, la rébellion espagnole s’étend d’ores et déjà au-delà des frontières : des rassemblements se déroulent devant les ambassades d’Espagne à Londres, à Bruxelles, à Rome, à Paris…

À ce propos. Et si les jeunes Français, qui ont montré le bout de leur nez lors du mouvement social sur les retraites, prenaient le relais ? Ils rappelleraient que, actuellement, un certain Nicolas Sarkozy préside le G20 et devrait proposer très bientôt sa propre ministre de l’Économie pour diriger le FMI, afin de remplacer celui qu’il avait personnellement placé à Washington…

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 24 mai 2011.]

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lundi 23 mai 2011

DSKgate(s) : de la descente aux enfers à la mise en abîme...

Questions. Un malaise diffus et sournois, que toutes les questions du moment, venues en entrechoquer bien d’autres non moins urgentes, ne parviennent à atténuer malgré leur rudesse libératrice. L’idée de présomption d’innocence a-t-elle été mise de côté par certains? Fallait-il publier ou diffuser les images de Dominique Strauss-Kahn menotté? Le sort infligé à l’homme-DSK par la justice américaine doit-il nous faire penser que, décidément, nous n’appartenons pas à la même civilisation? Et puis encore… Existe-t-il oui ou non une forme d’omerta française sur la morale en politique, sur les éventuelles dérives directement imputables à des positions dominantes? L’«affaire» en question ne concerne-t-elle que la personne privée? Est-elle un fait politique majeur qui menace d’engloutir un pan entier du Parti socialiste? Et la gauche, toute la gauche, est-elle sévèrement blessée par la secousse mondiale de cette descente aux enfers stupéfiante? Et nous, que pensons-nous, que devons-nous penser? Devons-nous nous intéresser moins à la vertu qu’au progrès, ou rappeler que toute action publique ne saurait se dispenser ni de vertu ni de progrès?

Domination. Arrêtons là l’énumération sans fin. Non sans avouer que la séquence médiacratique et politique que nous vivons depuis dimanche dernier nous a embarqués sur des terrains aussi complexes qu’ambivalents, puisque les scènes d’exhibition vulgaire de cet homme déchu en quelques heures resteront à jamais gravées dans notre conscience collective. Non pas uniquement pour ce qu’elles montrèrent crûment ; mais bien pour ce qu’elles nous suggèrent comme mise en abîme d’une époque accommodante pourquoi pas révolue. À condition de préciser un point fondamental : nous fallait-il pré-instruire le procès d’un séducteur? Car enfin, entre des avances trop pressantes et une accusation de viol avec séquestration, il y a tout de même un monde… Comme bien d’autres, en effet, nous détenions et détenons toujours des informations assez étayées concernant les mœurs de DSK (et quelques autres), mais, à aucun moment jusqu’à ces faits, nous n’avions entendu parler de «violences». Pour autant, devrait-on se placer du côté des proches de l’ex-directeur du FMI, dont beaucoup se sont étonnés d’accusations «contraires» au «profil» de leur ami. Pierre Moscovici : «Je n’imagine pas Dominique forcer les choses.» Si la réalité dépasse souvent l’imagination, la plupart de ces prises de parole ont entretenu de nombreuses idées reçues autour des violences faites aux femmes. Non, il n’y a pas de profil type d’auteur d’agression sexuelle! Et si nous avions besoin d’une preuve que le modèle patriarcal mâtiné de machisme reste dominant, relisons avec attention l’une des phrases de Jack Lang prononcées soixante-douze heures après les faits : «Ne pas libérer une personne qui propose de payer une importante caution ne se fait jamais aux États-Unis, car enfin, il n’y a pas mort d’homme !» Vous avez bien lu: «Il n’y a pas mort d’homme.» Si la présomption d’innocence est sacrée, qu’en est-il alors de l’intégrité de la victime supposée? Jack Lang ne sait-il donc pas que le viol ou la tentative de viol sont d’abord inqualifiables moralement, mais, surtout, qualifiables dans le droit pénal. Pour les États-Uniens comme pour les Français, il s’agit d’un crime. Et pour tout dire d’un crime pas comme les autres, en tant qu’il demeure une implacable «machine» à indignité, conséquence directe de la domination (physique et/ou sociale) d’une personne sur une autre.
Personnalisation. Les images ont valeur de piloris modernes et la pseudo-transparence du temps qui est le nôtre – lécher, lâcher, lyncher – ne peut que nous donner la nausée. Seulement voilà, à l’heure où l’«exception sexuelle» française vient de subir un rude coup, on voudrait nous faire croire que s'éteint sous nos yeux éberlués l’opposition quasi philosophique entre une Amérique du «sexuellement correct» qui confondrait vie publique et vie privée, et la France «républicaine» attachée à les séparer… Mais n’oublions pas que l’essentiel est ailleurs. À sa manière, DSK incarnait toutes les dérives idéologiques socialistes. Or, jusqu’à maintenant, il n’avait été l’objet que d’analyses très élogieuses des éditocrates coalisés – et pour cause, «ils» pensent la même chose. Pourquoi n’avons-nous lu que très rarement (sic) des enquêtes en éthique des idées? Ce DSKgate illustre la personnalisation à outrance de la vie politique, accentuant au-delà de toute raison le caractère dramatique de cet événement. Ultime question: sera-t-il désormais aisé pour ceux qui rêvent de représenter le peuple de prétendre approcher les hautes fonctions sans afficher une grande modestie et, surtout, sans revendiquer une certaine fidélité au serment de leurs engagements?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 20 mai 2011.]

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dimanche 22 mai 2011

Antoine Blondin et… Laurent Fignon, honorés à Saint-Germain-des-Prés

L'écrivain Antoine Blondin, mort il y a 20 ans, a été célébré durant tout le week-end, à Paris, lors d’un Festival organisé à Saint-Germain-des-Prés, le quartier où il vécut et dont il fut l'une des célébrités - pas seulement accoudé aux zincs. Ce Festival autant festif (sic) que littéraire et journalistique était intitulé «Singe Germain», clin d'oeil au roman d'Antoine Blondin Un singe en hiver, passé à la postérité grâce au film éponyme d'Henri Verneuil, avec Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo. Durant deux jours, expositions, concerts et compétitions sportives «détournées» (re-sic) ont animé le quartier devant une foule de badauds étonnés mais plutôt coopératifs.

Jeune journaliste (très jeune même, puisqu’en juillet prochain je participerai à mon 22e Tour de France), j’ai croisé l’Antoine cinq ou six fois dans ma vie, dont deux fois longuement lors de repas absolument mémorables qui ne ressemblaient en rien à des beuveries aveugles et stupides, mais nous embarquaient dans un monde poétique et surréaliste jusqu'aux petits matins (fallait être solides)... Blondin en figure tutélaire? Chroniqueur de la Grande Boucle vingt-sept fois pour le quotidien sportif L'Equipe, l'écrivain (1922-1991) avait en effet imaginé une étape qui passerait à Saint-Germain, son antre, son fief. Et puisque «l’homme descend du songe», les organisateurs du Festival de ce week-end avaient donc prévu de réaliser une étape fictive du Tour passant dans les rues de Saint-Germain, au fil d’une boucle d'environ un kilomètre et demi que les participants ont emprunté quinze fois.

Vincent Barteau (maillot jaune).
Samedi 21 mai, toute l’après-midi, ce fut aussi l’occasion pour tous les amis de Laurent Fignon de rendre un hommage au double vainqueur du Tour, disparu il y a neuf mois après avoir lutté contre la maladie. Plusieurs équipes composaient ce peloton insolite: d'anciens coureurs cyclistes, des compagnons de route de Laurent Fignon, des miss France…. Autour de Valérie Fignon, qui, elle aussi, a enfourché le vélo en mémoire de son mari, j’étais aux côtés de Cyrille Guimard, Bernard Hinault, Alain Bondue, Joop Zoetemelk, Jean-Marie Leblanc, Christian Prudhomme, Vincent Barteau, et bien d'autres, ainsi que de quelques journalistes (rares) ou de personnalités. Imaginez, même Yvette Horner avait fait le déplacement: elle n’a - hélas - pas sorti son légendaire accordéon, mais, néanmoins, elle n’a pas hésité à prendre place dans l’une des voitures suiveuses, comme au temps de sa gloire sur les routes de juillet, soutenu joyeusement par notre confrère et coorganisateur Jean Cormier, plus truculent que jamais…

Cyrille Guimard (toujours en tête).
Dimanche 22 mai, changement de décor (encore que). Le traditionnel «marathon des leveurs de coude» a été organisé, comme depuis 24 ans. Le principe? Une vingtaine d'équipes, réunissant des sportifs, des journalistes, des chefs et des germanopratins de tout poil ont fait escale 42 fois dans les cafés du quartier pour y boire à chaque fois un «taste-vin» (2 à 3 cl). Le matin, Un singe en hiver avait été projeté dans la crypte de l'Eglise Saint-Sulpice. Choc des lieux. Choc des émotions. Choc des époques. Comme les ultimes visions d'un monde qui s'évapore.
Aux dernières nouvelles, la fête se poursuivrait tard, ce dimanche, dans la soirée. Que certains se rassurent, personne n’a officiellement osé reprendre le volant. Pour une fois que je me suis senti un peu germanopratin, moi, j'ai pris le métro... Blondin et Fignon méritaient bien une sortie de route, douce, rêveuse et mélancolique.
Vive le vélo ! Même de moins en moins nombreux, vive le vélo ! Plus que jamais, vive le vélo !

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jeudi 19 mai 2011

La métaphore DSK...

Petit message d’un ami écrivain. Je ne résiste pas à l’envie de vous le communiquer quasi tel quel :
«Ce matin, je pensais que sur le plan métaphorique l'affaire DSK était exemplaire... Que fait le FMI sinon s'en prendre aux peuples les plus pauvres pour les livrer aux prédateurs les plus riches? Sur le plan économique, la pierre angulaire de la pensée de DSK et de ses semblables n'est-elle pas de réduire, réduire encore, réduire toujours les salaires... Or, qui fait tomber DSK? Une salariée originaire d'un pays d'Afrique! Et le drame se joue dans une suite d'un hôtel de luxe, métaphore parfaite du monde où nous vivons. C'est la revanche de ceux qui brossent les tapis rouges sur ceux qui les foulent.»
Rien à ajouter.

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samedi 14 mai 2011

Renoncement(s) : du 10 mai 1981 à la trahison de 1983-1984...

Mitterrand. Rester fidèle, est-ce se sacrifier ? Se sacrifier, est-ce rester fidèle à son esprit de militant, dans toute l’acception du terme ? L’esprit militant, est-ce renoncer à la tyrannie de l’individu, combattre le monstre de l’individualisme, refuser d’exercer sa domination (quelle qu’elle soit) aux dépens de la société ? Pour le dire autrement : aujourd’hui encore, sommes-nous fidèles à la promesse de nos engagements ? Que de points d’interrogation, n’est-ce pas, à l’heure grave où l’on «regarde» droit dans les yeux Mai 81, apologie d’une date lige jusqu’à l’overdose. Avouez. Vous aussi, en sondant le passé, vous en avez profité pour interroger les promesses d’à-venir à la manière d’un cri poussé dans le désert de notre époque : «Peuple de gauche, qu’a-t-on fait de toi?»

Monarque-élu. Le droit d’inventaire ne mérite que devoir d’invention. Car, la «tontomaniaque» actuelle, parfois délirante, ne s’expliquerait pas en authenticité si elle ne racontait le roman d’une histoire nationale plus vivante que jamais. Non pas les circonstances d’une lente et fascinante accession personnelle vers le pouvoir suprême, mais bien cette inexpugnable aspiration à «changer la vie» qui, dans ce vieux pays, nous vient du fond des âges. Ainsi, cette espèce de commémoration datée d’un homme ne nous fera pas occulter qu’elle honore d’abord et avant tout, quoique enfouie dans nos inconscients, la victoire d’une gauche unie par la trace-sans-trace d’un programme commun, bref, quoi qu’on en pense, une référence pour la gauche contemporaine bien au-delà des socialistes eux-mêmes, dont l’idolâtrie sommaire devrait, sinon les inquiéter, du moins les inciter à un sérieux aggiornamento. Trente ans après, en effet, tout semble pour eux re-commencer par l’apparition du spectre, comme dans Hamlet, le prince d’un État pourri… La comparaison s’arrête évidemment là avec notre Nicoléon, dont les réflexes de parrain cocaïné-de-la-haute et les manières de nouveau riche outrancièrement médiacratique ont atténué, estompé, effacé la fonction derrière le voile du bling-bling et des apparences… Longtemps, avec Mitterrand, tout se déroulait dans «l’attente» de l’apparition du spectre. Et le revoilà revenant, plus vivant que mort. Non plus aux «frontières», aux «marges», «à-côté de», mais en réapparition immanente de l’homme «hors» politique mais indissociablement «en» politique «par» et «pour» la politique, en figure de monarque-élu se glissant dans les plis d’institutions qu’il vomissait. Comme s’il fallait renvoyer nos propres impuissances sur Mitterrand lui-même, sur sa personnalisation du pouvoir, sur sa fin de règne, sur sa responsabilité quant à l’évaporation du rêve socialiste (au sens de l’idéal), sur sa maladie érigée en calvaire commun, lui, le dernier Florentin en politique de digne tenue sous les lambris dorés, qu’il nous faut pourtant «rabaisser» au rôle fantasmé de dernier suzerain républicain d’avant la mondialisation… Comment oublier que Mitterrand renonça au discours d’Épinay, abandonna les classes populaires, installa «l'ère» Bernard Tapie et laissa, sans ciller, s’installer l’oligarchie financière caviardée. Et il faudrait encore se taire ?

Trahison. «Le vrai savoir est sédentaire», disait l’élu du 10 mai, qui, dans sa jeunesse, ne détestait pas lire Barrès et Maurras, avant de vénérer, au crépuscule de son existence, Nerval ou Stendhal. La revanche est souvent le moteur de l’histoire. Comment la France insoumise, avec ses «exceptions» nées de la Révolution, du Front populaire et de la Libération, a-t-elle pu se transformer elle aussi en porte-avions de l’empire néolibéral, singeant Reagan et Thatcher dans l’orgie du marché-fou et de la destruction du service public jadis érigé en vision de civilisation ? Et lui ? Comment ce grand initié des Arts et des Lettres, qui méprisait l’argent pour son «capital de destruction de la beauté de la vie», a-t-il pu choisir le coup de frein brutal au changement sous les traits du «tournant de la rigueur»? Ce qui fut présenté comme une «pause», en 1983-1984, enterrait en vérité la volonté de rupture avec le capitalisme, refermant le couvercle sur quelques valeurs fondamentales. Trente ans plus tard, peut-on, doit-on dire que cette «parenthèse libérale» ne s’est pas refermée au cœur de cette gauche-là, qui ne parvient toujours pas avouer que ce chavirement synonyme de tous les renoncements n’était pas qu’une entorse à l’idéal des Mai (68 et 81), mais bien un crime mortel vis-à-vis du peuple de gauche? Le Mitterrand d’Épinay lançait : «Réforme ou révolution ? J’ai envie de dire “ oui, révolution ”!» Et il ajoutait : «Celui qui n’accepte pas la rupture – la méthode, cela passe ensuite –, celui qui ne consent pas à la rupture avec l’ordre établi, avec 
la société capitaliste, celui-là, je le dis, il ne peut pas être adhérent du Parti socialiste.» Malheur, aux scrupuleux qui aiment l’Histoire. Malheur aux fidèles, surtout.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 13 mai 2011.]

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lundi 9 mai 2011

Venise(s) : la lagune et le Grand Canal en compagnie de Philippe Sollers...

Sollers. Là, sous nos yeux embués d’un soupçon d’émoi, le privilège rare d’un livre entrouvert sur une ville elle aussi ouverte, tellement béante et offerte d’ailleurs qu’il convient parfois de soustraire mentalement les pièces rapportées (nommons-les «touristes») d’un paysage qu’aucune beauté – sauf celle de l’amour ? – ne saurait amoindrir, effacer et encore moins impressionner. Le dernier et somptueux livre de Philippe Sollers, Trésor d’amour (Gallimard), devait être lu et dégusté avec patience et volupté sur les lieux mêmes de sa propre folie, Venise. Cette fois l’heure était venue. Comme une obligation qu’il nous faudrait enfin honorer. Manière de célébrer la littérature incarnée, de fêter la pérennité de la Sérénissime, pas à pas, au détour des ruelles et des impasses, à la recherche des ombres et des présages, guidé par les odeurs des canaux bruissants, perdu par les silences des égarements volontaires, à l’écart des foules piétinantes, là où les habitants, les authentiques, tiennent en respect ceux qui ne font que passer et regarder, sans jamais rien ressentir. Les cordes à poulie où sèche le linge, qui zèbrent un peu partout les fines artères d’une ville labyrinthique, nous rappellent la vie, la vraie vie à l’improbable nonchalance. Oui, Venise est une épreuve à ceux qui l’enlacent et s’y laissent dominer – seule manière pourtant de comprendre qu’ici rien n’est décor, que tout y est mémoire et à-venir dans l’apesanteur d’un autre temps-qui-dure. Sinon, mieux vaut en rester là.

Liberté. Puisque la littérature semble s’ensommeiller 
et que les lecteurs s’y rendent désormais massivement comme ils vont au cinéma, ouvrant des livres pour voir des films (!), Philippe Sollers a choisi le chemin le plus légitime : l’insoumission à l’air du temps et aux codes en vigueur… Se plaçant sous la figure tutélaire de Stendhal, spécialiste du «temps» par excellence, Sollers-et-plus-que-Sollers nous narre l’Amour, le sien, avec une dénommée Minna, et dépeint le Lieu qui hante son existence, Venise, sa Venise, son intime Venise, celle méconnue d’où l’on ne réchappe pas à condition d’y vouloir s’y risquer. Sollers excelle, jubile. Car il n’écrit pas sur Stendhal, il le cite, avec ardeur et dévotion, pour mieux se raconter en romancier en train d’écrire sur Stendhal-et-lui. Magistral tour de force, qui réunit l’amour et les amours – et la littérature comme point d’orgue de la liberté chèrement acquise.

Aller-retour. Stendhal : «L’amour est la seule passion qui se paye d’une monnaie qu’elle fabrique elle-même.» Sollers : «L’amour est une galaxie multiplicatrice d’observations et de sensations, minuscules détails terrestres, poussière et soleil, astronomie ouverte.» Stendhal : «La plus belle moitié de la vie est cachée à l’homme qui n’a pas aimé avec passion.» Sollers : «Comment faire comprendre, au début du XXIe siècle, qu’un homme et une femme peuvent vivre, parfaitement détendus et heureux, dans le plus grand silence ?» Stendhal : «C’est 
un malheur d’avoir connu la beauté italienne. Hors de l’Italie, on devient insensible.» Sollers : «Il y a plusieurs Venise, mais la plus dérobée et la plus secrète est la mienne depuis toujours.»

Gifle. D’un côté la lagune, avec, au loin, la mer et l’évanescent infini pour creuset paternel. De l’autre côté le Grand Canal, avec, en son cœur, les hommes et l’histoire pour cocon maternel. Indissociabilité des extrêmes. Unicité des contraires. Ou comment les Vénitiens, loin des féeries et des gondoles, transformèrent en joyaux ces médiocres îlots et ces bandes de terre aspirées par la vase où les eaux douces des fleuves alpins se mêlent aux flots salés de l’Adriatique. Curieux miracle de la nature forcée par l’ingéniosité de l’homme. D’une magnificence l’autre… Et puis Sollers-Stendhal, comme une joyeuse obsession. Puisque «le beau d’une passion est la quantité d’émotion» (Stendhal), nous découvrons que l'héroïne Minna «ressemble tellement à sa ville qu’elle en est devenue le cœur observable et caché» (Sollers). Et ces mots pour clore l’œuvre : «On sort, on marche un peu dans la nuit, on prend le bateau, l’eau nous enveloppe, tout est velours, tout est gratuit.» Voilà. Tout est verbalisé, signé à l’encre céleste. Rajoutons juste le bonheur simple d’un petit vent frisquet et d’un soleil d’avril ; l’un venant lécher la décontraction apparente et feinte du chronicœur, comme une gifle d’espoir-désespoir ; l’autre s’amusant à réchauffer une âme emportée par la majesté 
d’un monde en miniature qui continue de créer des personnages à sa démesure. Venise. La Venise. Ou plutôt les Venise, pour s’accorder avec Sollers, qui n’a pas d’équivalent pour redire que les amoureux peuvent rompre à Venise – ou se sceller à jamais d’une union dépassant l’intelligence humaine. Au moins, Sollers est révolutionnaire en amour et en littérature, en tant qu’il invente un nouveau monde. Le génie d’un livre et d’une ville.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 6 mai 2011.]

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mercredi 4 mai 2011

Abandon(s) : quand les salariés veulent "disparaître" à eux-mêmes...

Suicides. Nous aimerions tous avoir cette faculté prodigieuse d’apprécier que chaque jour soit «comme une grosse goutte de temps, une goutte de soleil bleu et d’encre» pour parvenir à raconter notre «vie de “viveur”», comme l’écrit Philippe Sollers dans son dernier livre (Trésor d’amour, chez Gallimard, dont nous reparlerons la semaine prochaine). Si l’ambition de la tristesse s’avère parfois une condition sine qua non pour savourer les rares moments de grâce de nos fulgurantes existences, il existe autour de nous, souvent muettes et invisibles, des souffrances extrêmes qui en disent plus sur l’état réel de nos sociétés que toutes les analyses sociologiques. Le «monde du travail», puisqu’il faut encore le nommer ainsi, continue de labourer nos consciences. Ainsi le dernier suicide en date chez France Télécom – écrivons désormais Orange, pour ne plus cacher le groupe derrière l’entreprise! La symbolique du «mode opératoire», le geste (l’immolation par le feu) et le lieu (le parking d’un des sites de son entreprise), nous a bouleversés et choqués. Les violences au travail, psychologiques, morales, humiliantes, avilissantes, ont tué Rémi L., lui la victime du désespoir meurtrier, blessure mortelle, suicide du cœur… Chacun, dans son rapport à son activité professionnelle, entretient un lien singulier aux outils, à la répétition de ses gestes, aux espaces topographiques qui tiennent lieu de vie imposée, à ses collègues, à la temporalité même, voire à la finalité des actes plus ou moins consentis et/ou assumés, face à sa propre histoire, à ses connaissances et ses acquis, ses repères, ses références, sa conscience, sa volonté, ses doutes, etc. Les suicides sont-ils autre chose qu’une certaine traduction de cette osmose? Le travail est le «lieu» (parfois hors-sol) du «pacte» passé avec sa propre activité, une espèce de message scellé dans son propre corps, comme «faire corps» avec son activité dans une liaison «amoureuse», nécessairement «amoureuse». Alors? Le suicide est la signature d’une rupture de ce pacte. Dès lors le suicide n’est plus «vouloir mourir» mais bel et bien «vouloir disparaître». Dit autrement : si mon activité meurt (parce qu’on la violente, parce qu’on la dévalorise, parce qu’on la nie), je meurs. Si je ne peux plus m’aimer (au cœur de ce que je suis, de ce que je sais faire, de ce que je connais des règles de l’art du métier), alors je ne suis plus rien.

Culture. Chaque suicidé paraphe par son sang l’arrêt de mort d’une certaine idée du monde. Véritable tournant historique : le travail peut tuer non seulement par accident ou par maladie professionnelle, mais il peut aussi contraindre à se tuer soi-même. Sinistre retournement du travail contre la civilisation, la culture et la vie… Chaque souffrance au travail nous parle d’un monde axé sur la gestion et la rentabilité, où la sauvagerie 
du chacun-pour-soi tend à effacer la qualité fondée sur la coopération. Souvenons-nous: «La vie, la santé, l'amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ?» disait avec cynisme Laurence Parisot. La patronne du Medef signait sa feuille de route. En cette époque nicoléonienne où tous les salariés sont menacés d’être dissous dans l’acide financier, le déséquilibre régente tout et avec lui la conception immanente et mercantile des apprentissages humains, livrés au bon vouloir d’une domination libérale versatile, au profit d’un système culturel global et hétérogène d’une immense et perverse ampleur… Car cette culture (en tant que mode de vie) guide chacun de nos choix, sociaux, politiques, esthétiques, spatiaux, émotionnels, amoureux, etc. Paul Valéry voyait juste: «Le corps social perd tout doucement son lendemain.»

Ouvriers. Et pendant ce temps-là? L'électorat populaire semble se tourner massivement du côté du Front national. Selon un sondage Ifop, si l’élection présidentielle avait lieu ce dimanche, la fille Le Pen, qui reste l'ennemie mortelle des travailleurs, obtiendrait 36% des voix des ouvriers, soit 4 points de plus que l’UMP et le PS réunis (15% et 17%)… Un désastre prévisible? En 2007, Nicoléon était arrivé en tête du vote ouvrier au premier tour avec 26% des voix, contre 25% pour Royal et 16% pour le père Le Pen. Des électeurs séduits – puis abandonnés. Des promesses sociales – puis une perte de confiance envers 
la politique… Le symptôme ? Cette progression du FN révèle une double réalité : la rupture de la droite avec une série de valeurs républicaines ; l'incapacité désormais chronique de (toute) la gauche de s’adresser aux classes populaires avec crédibilité. Les mots ne suffisent pas pour «parler» au peuple. Dans ce climat d’involution et de retour aux années 1930, le pire est donc possible. Mais le meilleur aussi. Répétons-le : qui aurait parié à l’aube de 1936, en pleine dérive fascisante, sur l’émergence d’un Front populaire massif, dans la rue comme dans les urnes ?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 29 avril 2011.]

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lundi 2 mai 2011

A propos du 1er Mai : de quoi parle-t-on et qui en parle ?

«Omnia vincit amor», clament les vieux sages depuis la Rome antique. Si en effet «rien ne peut vaincre l’amour» à l’heure du muguet retrouvé, n’oublions jamais ce que Bertolt Brecht suggérait aux citoyens du monde: «Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu.» Justement. Près de deux cents cortèges ont sillonné la France en ce 1er Mai, à l’appel des syndicats, avec comme priorité la défense du pouvoir d’achat et de la solidarité. Soulignons d’abord que la mobilisation n’a sans doute pas été à la hauteur des exigences sociales. Regrettons ensuite le fait que FO ait décidé une fois encore de défiler seul de son côté, alors que la CGT, la CFDT, la FSU, l’Unsa et Solidaires appelaient à manifester ensemble…

Mais attention ! Les commentateurs auraient tort, grandement tort, de sous-estimer ce 1er Mai et les cris de colère des salariés, de négliger ce que nous en avons vu hier dans les rues et peut-être tout autant cette «autre chose» moins visible mais tellement présente chez une large majorité de Français, qui, par exemple, montra un peu plus que le bout de son nez lors du mouvement des retraites et dont l’écho hante encore nos puissants… Ne tournons pas autour du pot. Dans l’échelle de l’horreur sociale, notre pays a franchi ces dernières années une étape dramatique. Tandis que les associations caritatives crient famine et assurent ne plus pouvoir assurer les «missions élémentaires» que la société attend désormais d’elles, face à ce qu’il faut bien nommer «l’explosion» de la misère, l’atomisation sociale continue de labourer les entrailles de la société. La France compte près de 8 millions de pauvres. L’écart entre les salaires des «petits» et des patrons atteint désormais 569 smics. Un salarié sur quatre gagne moins de 0,7 smic. Et – le savez-vous ? – la moitié des Français gagne moins de 1 500 euros mensuels… La réalité de la France a des racines profondes et le constat demeure : Sarkozy, au-delà de ses proclamations aussi répétées qu’inopérantes, comme en témoigne l’ersatz de «prime à 1000 euros», n’a que mépris pour les urgences sociales qui montent.

D’autant que, ces temps-ci, la médiacratie a de quoi nous révolter ! Après l’omnispectacle en mondovision d’un mariage princier aussi orgiaque qu’indécent, après la béatification de Jean-Paul II en présence de ministres de Sarkozy (un véritable scandale pour la règle et l’esprit de la République), après l’état de poubelle du foot français où l’on retrouve là aussi les épluchures moisies du climat actuel, vous allez voir que tous les éditocrates, au lendemain du 1er Mai des travailleurs, vont se focaliser sur le pire ennemi de ces mêmes travailleurs, le Front national, surfant sur les démissions de la République… Honte à eux !

Alors que le sarkozysme nous a entraînés vers un nouveau degré d’ensauvagement libéral et néoréactionnaire, la crise philosophique que traverse notre démocratie atteint des profondeurs abyssales. Au point que certains voudraient nous faire oublier le «projet de société» pour, d’ores et déjà, nous diluer dans le débat du non-choix que symboliserait une candidature unique socialo-socialiste. Or, pour répondre à l’invisible révolte populaire contre les injustices – qui peut conduire à un choix de civilisation comme aux fausses solutions –, la gauche doit inventer bien plus qu’une «alternance» en jetant les bases d’un espoir social fondamental qui refonderait la République elle-même. En somme, être à la hauteur d’une ambition suprême, réclamée par des millions de salariés et de chômeurs. Est-ce trop demander ?

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 2 mai 2011.]

(A plus tard...)