dimanche 29 juin 2014

Féroce(s): la descente aux enfers de la Petite Reine

La destinée tragique du cycliste Frank Vandenbroucke, magnifiée dans un roman exceptionnel.

VDB. Exercice rare. Donc privilégié. Comment évoquer un écrin d’écriture sans en atténuer la majesté, l’importance ni la trace qu’il laissera dans l’histoire du genre? Si la littérature sportive voisine très régulièrement avec la haute performance du style et du récit, défrichant quelquefois cette part d’inventivité propre aux caractères de ces héros populaires, il est quand même assez rare, croyez-nous sur parole, de ressortir d’un livre en titubant, les yeux embués d’émotion et le cerveau enveloppé dans les plis des mots. Avec «Le versant féroce de la joie» (Alma éditeur), Olivier Haralambon enroule devant notre esprit abasourdi un braquet hors du commun, prêtant sa plume, par le biais du roman, au destin tragique d’un des cyclistes contemporains qui a le plus hanté les fins connaisseurs de la Petite Reine: Frank Vandenbroucke, alias VDB, «enfant terrible» du vélo belge dont la classe naturelle a éclaboussé toute conscience légitime au point de susciter de généreux enthousiasmes – comme de sombres fantasmes.

vendredi 27 juin 2014

Jaurès enrôlé de farce...

Selon Manuel Valls, Jaurès aurait « voté en faveur du pacte de responsabilité» parce qu’il avait «théorisé la réforme».

«Notre pays doit sortir de cette dépression nerveuse et reprendre confance en ses forces.» François Rebsamen vocifère sur une chaîne d’info, et nous nous demandons de quel pays parle le ministre du Travail pour accompagner aussi absurdement d’un air de violon le naufrage en cours, visible du tout-venant. Le chômage? Une catastrophe durable. La croissance? En berne. La pauvreté? En explosion. Les investissements? Anéantis par l’austérité. Mais allez donc, qu’importe si l’échec des politiques de l’exécutif actuel est consommé, le ministre assure désormais que la bonne idée, tant réclamée par le Medef, comme par hasard, serait de «suspendre les seuils sociaux». On croit rêver!

samedi 21 juin 2014

Dénaturation(s): mépris du foot, mépris du peuple

Si les intellectuels supposés se posaient enfin la bonne question: pourquoi le Capital moderne dénature méthodiquement les fondements non seulement populaires mais humains du sport?
Naïveté. D’après Héraclite, il paraît qu’« on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». À chaque grande compétition sportive, pourtant, le bloc-noteur éprouve un sentiment de répétition et les souvenirs s’enchevêtrent à la mesure des quiproquos. «Mais comment diantre peux-tu aimer le football et regarder les matchs de la Coupe du monde avec autant d’assiduité?» Ici même, à la rédaction de l’Humanité, l’effort de traitement dans nos colonnes et la place que nous accordons à l’événement au Brésil suscitent doutes, interrogations, controverses, le tout mêlé quelquefois d’une joyeuse indifférence. L’incertitude des compétitions, fussent-elles les plus populaires qu’on puisse imaginer, ne provoque plus le même intérêt. Quant aux méfaits du libéralisme sur la geste sportive, ils ont tellement perverti l’ambition éthique et collective que, en effet, ils ont progressivement ruiné toute défense du professionnalisme poussé jusqu’à l’absurde. Oui, le capitalisme moderne est désormais capable de corrompre de fond en comble n’importe quelle activité humaine dès lors qu’il s’en empare et lui impose sa logique. Croire que le football y échappe procède de la naïveté.

lundi 16 juin 2014

Piège(s): quand Libé pose les mauvaises questions au mauvais moment

Certains osent écrire que le FN a des idées de gauche…

Libé. L’article, publié il y a dix jours dans Libération, nous avait d’abord échappé, mais, depuis, autant dire que sa lecture nous a laissé un goût d’amertume, à moins que ce ne soit déjà un signe d’écœurement avancé qui décidément ne passe pas. Luc Le Vaillant, l’une des « plumes » du quotidien, tient chronique hebdomadaire et, dans l’une de ses livraisons dont il a le secret, moitié provoquant, moitié réflexif, a choisi cette fois de tourner autour de la question du Front nationaliste de Fifille-la-voilà sans aucune précaution d’usage. Au prétexte qu’il convient de donner tort à ceux qui pensent que «le FN prospère uniquement sur les tourments identitaires français», sur «la peur du grand large continental» ou «sur l’angoisse du déclin occidental», l’auteur nous suggère cette question: «Et si le FN était plus à gauche que Hollande, plus social que le PS, plus anticapitaliste que le NPA?» Si la thèse le fait «hurler de colère», comme il l’écrit, le journaliste de Libé argumente néanmoins son propos de phrases définitives. Pour lui, «le FN de Jean-Marie» (sous-entendu le FN actuel n’a plus grand-chose à voir) «était ultralibéral, flingueur des fonctionnaires en surnombre, proche des intérêts des commerçants, artisans et petits patrons», alors que celui de «Marine vient au secours des catégories perdues par la gauche, celle des ouvriers minés par la précarité, celle des déclassés bientôt au RSA, celles des inquiets à la recherche d’un care archaïque».

mercredi 11 juin 2014

Football, sport des peuples...

Que cela plaise ou non, le football s’élève périodiquement au rang d’art universel.
À l’heure de la grand-messe en Mondovision, pour peu que la passion populaire parvienne à absoudre temporairement les contradictions dans le cœur et la raison des hommes, il arrive qu’un ballon rond fasse flamber nos énergies sous un ciel étoilé. Cette fois plus que d’ordinaire. Quand ils ne font qu’un, le Brésil et le football nous troublent, parce qu’ils nous parlent d’un pays proche et d’un monde familier qui inventent des personnages à hauteur de légende et une exigence collective qui défie l’imagination et inspire les philosophes – du moins ceux qui savent regarder. Que cela plaise ou non, le football s’élève périodiquement au rang d’art universel.

dimanche 8 juin 2014

Socialisme(s): et si le foot était aussi une affaire politique?

Quand le philosophe Jean-Claude Michéa nous invite à une réflexion sur le sens du jeu et à quoi il peut servir...

Michéa. Le retour des terrains – nous parlons là, bien sûr, de la Coupe du monde de football – offre pour les uns la vision crépusculaire d’un monde de déjantés ahuris et dominés par leurs pulsions dignes d’une déification sportive abjecte, pour les autres l’expression maximaliste d’un art collectif porté si haut par les peuples qu’elle continue d’inventer un monde en réduction qui crée des personnages et des équipes à sa démesure. Le philosophe Jean-Claude Michéa, passionné lucide et penseur de cette complexité même, a depuis longtemps tranché la question, posée çà et là, de manière souvent pédante, par certains « intellectuels » qui nous la jouent « indignés » qu’on puisse « réfléchir » et « aimer » et partager la passion populaire du football et même, diablerie, se transformer quelquefois en «supporter», hérésie suprême. Dans "Le plus beau but était une passe" (éditions Climats), titre lumineux et évocateur emprunté à Éric Cantona, Jean-Claude Michéa précise d’emblée: «Il ne s’agit pas de nier le fait que l’industrie du football contemporain fonctionne de plus en plus à la manière d’un “opium du peuple’’, mais il apparaît tout aussi important de souligner que le football moderne constitue aussi et encore – selon la formule célèbre d’Antonio Gramsci – un “royaume de la loyauté humaine exercée au grand air”.»

mardi 3 juin 2014

Europe des Régions: sortie programmée de notre histoire?

Le chef de l’État a redessiné la France institutionnelle en quelques heures au nom de «l’Europe des régions», par lesquelles les territoires et les métropoles s’extraient des processus citoyens en privilégiant les logiques marchandes et la compétition économique.
 
Comment décider au nom du peuple en tournant le dos aux citoyens? À cette question assez surréaliste dès qu’il s’agit d’évoquer la démocratie (posons-la aux épreuves du prochain bac philo !), François Hollande et sa cohorte de charcutiers ès redécoupages ont répondu par l’absurde et le cynisme, deux mots très souvent associés ces temps-ci au pouvoir. Ainsi l’ont-ils décidé lors d’un de ces comités restreints dont la Ve a le secret: le «big-bang» territorial tant rêvé par la droite et le Medef est donc lancé. Plus rien, pensent-ils, ne l’arrêtera. Mais l’affaire est sérieuse et grave… Quatorze régions, soit ; pourquoi pas douze, seize.
 

dimanche 1 juin 2014

Affolement(s): qui a abandonné la «souveraineté-populaire» et la «nation-citoyenne »? 

Le FN n’est plus seulement une question de droite posée à la droite, mais bien, désormais, une question philosophique et sociale posée à la gauche.
 
FN. Une carte des résultats électoraux ne ressemble pas toujours à un territoire. Ou alors il faut s’y reprendre à deux fois, parfois. C’est à peu près ce qui nous est arrivé, lundi matin, en découvrant l’ampleur des taches brunes symbolisant les scores du parti de fifille-la-voilà, sur les infographies officielles livrées par le ministère de l’Intérieur. Après le chaos d’une soirée (celle de dimanche) menée à cent à l’heure dans les affres d’un journal à fabriquer, le retour à la réalité du lendemain a toujours quelque chose du traumatisme, quand l’effroi devient soudain concret et le temps de l’analyse plus proche d’une perception réelle de la réalité. Là plus encore que d’ordinaire. Pas mal de chiffres dansaient devant nos yeux, les tasses de café ne suffisaient pas à ordonner nos pensées et la fenêtre ouverte n’aérait plus rien : le Front nationaliste était bel et bien arrivé en tête dans 71 départements sur 101. Certains scores laissaient songeurs.