lundi 26 mai 2014

Absence(s): et Jean-Luc Godard, dans tout ça...

Mais au fait, comment écrire sur «le» monstre sacré en fuyant les banalités d’usage et, surtout, en ayant «quelque chose» à dire?

Chronique. Quand les mots se bousculent en vrac, l’équivoque, donc le choix, se prête à l’hésitation. «Quel est le sujet de ta chronique, cette semaine?» Scène de la vie ordinaire à la rédaction. «Sans doute les élections européennes.» L’incertitude s’entend, se comprend. «Tu vas dire quoi, qu’il faut aller voter Front de gauche? Ça, tous nos lecteurs le savent!» La plaisanterie amuse deux minutes. Et puis: «Tu n’as pas un autre sujet?» Apparaît soudain la forme la plus bénigne de la difficulté de se comprendre. «Si je pouvais, j’écrirais bien quelque chose sur Godard.» Alors: «Qu’est-ce qui t’en empêche?» Et voilà le bloc-noteur bien embarrassé.

Pensée. Le cinéma – façon Jean-Luc Godard s’entend – aurait-il un rapport particulier avec la forme du malentendu? Car tout de même, comment écrire sur «le» monstre sacré en fuyant les banalités d’usage et, surtout, en ayant précisément «quelque chose» à dire? Oui, mais quoi? Rien au fond, en tous les cas rien que ne connaissent les spécialistes de la spécialité, et tous ceux qui, à des degrés divers, ont été un jour ou l’autre littéralement fascinés ou subjugués par le personnage en son ampleur, tellement complexe et intelligent qu’avec lui les moments d’ivresse ressemblent toujours à des cours de philosophie appliquée à la vie quotidienne – donc à l’art dans tous ses genres et ses acceptions.

mercredi 21 mai 2014

Traité transatlantique: un sondage fait-il le printemps?

Les citoyens restent ultra-lucides dès qu’il s’agit des échanges commerciaux entre les États-Unis et l’UE.

Bornons-nous à prendre l’empreinte du paysage, ce qui a l’avantage au moins de nous donner de la hauteur. À cinq jours des européennes, alors que le climat paraît plutôt «mauvais» pour la démocratie française comme pour une grande partie du continent, les résultats d’un sondage nous arrivent comme une bénédiction, au moins pour ce qu’il nous laisse espérer – ce qui est déjà énorme. Selon l’institut CSA, non seulement les citoyens restent ultra-lucides dès qu’il s’agit des échanges commerciaux entre les États-Unis et l’UE, mais, pour ceux qui connaissent les enjeux du maudit traité transatlantique, ils se montrent carrément inquiets et réticents à l’idée que le libre-échange généralisé ne se transforme encore un peu plus en domination sans partage du grand capital sur les êtres humains et l’environnement. Notons au passage, sans surprise, que ce sont les sympathisants du Front de gauche qui connaissent le mieux les dangers du fameux TTIP, ce sont d’ailleurs les mêmes qui le contestent le plus. L’Humanité n’y est pas pour rien. Nous sentons même, à l’instar du traité constitutionnel de 2005, qu’un mouvement citoyen d’ampleur peut naître dans les semaines qui viennent. Tôt ou tard, les peuples devront s’exprimer directement pour contrer la main invisible du marché, qui a déjà provoqué tant de ravages, et pour éviter qu’elle ne bride définitivement le droit des parlements. Imaginez par exemple ce que constituerait l’instauration d’une justice privée qui pourrait empêcher, à la demande des grandes entreprises, les États de fixer leurs priorités politiques…

Alors, ce sondage fait-il le printemps ? Certainement pas. Mais comment ne pas s’en réjouir, à défaut de s’enthousiasmer ? Car l’élection de dimanche, dont on nous dit qu’elle est déjà scellée, est une étape primordiale pour « bloquer le missile transatlantique », comme le dit Patrick Le Hyaric, tête de liste du Front de gauche en Île-de-France. Et contester l’hégémonie de la finance en Europe.

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 21 mai 2014.]

lundi 19 mai 2014

Petite analyse psycho-tactique...

Nous entrons dans une semaine décisive pour l’avenir de l’Europe, donc de la France, avec le scrutin des élections européennes dimanche 25 mai.
 
Les «gestes» tardifs laissent toujours une impression d’opportunisme, surtout à quelques jours d’une élection. Ainsi procéderions-nous intellectuellement s’il fallait établir une analyse psycho-tactique de la décision de baisser certains impôts sur le revenu, annoncée par Manuel Valls. Accordons-nous sur le fait qu’il convient plutôt de se féliciter de cette mesure de rattrapage, qui ne fera que réparer une injustice puisque des centaines de milliers de foyers très modestes avaient été mis fiscalement à contribution. Mais ne négligeons pas l’essentiel. Ce «geste» n’ouvre en rien le chemin du combat social. Car cette petite baisse pèsera peu, comparée aux augmentations de la TVA et au blocage des retraites et des prestations sociales qui liquéfieront bientôt la consommation. Ne nous étonnons donc pas des commentaires enthousiastes des éditocrates du business qui ignorent les nécessités vitales du peuple et oublient un peu vite qu’une société humaine comme la nôtre reste un amoncellement de mémoire et de poches à rancune. Et là, ce sera le cas. Des hausses d’impôts bien plus considérables sont encore à venir. Ils le cachent. Et pour cause…
 
Nous entrons en effet dans une semaine décisive pour l’avenir de l’Europe, donc de la France, avec le scrutin du 25 mai. Prenons bien la mesure. Non seulement, nous traversons plusieurs crises majeures – crise de civilisation, crise de l’économie globalisée, crise morale, etc. –, mais tout est mis en œuvre pour nous détourner d’une réelle contestation de la domination de la finance. Peu ou pas de débats, aucune controverse véritable sur les enjeux sociaux. Comme si les élections européennes n’existaient pas, ou à la marge, réduites à un passage obligé. Les libéraux de tout poil espèrent secrètement, sans oser le dire, un fort niveau d’abstention des milieux populaires afin d’échapper à la sanction qu’ils méritent. Eux le savent: plus nombreux seront les députés de la Gauche européenne, avec Alexis Tsipras, plus l’austérité reculera.
 
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 19 mai 2014.]

samedi 17 mai 2014

Zygomatique(s): malaise autour d'un film à succès

Comment des millions de Français, alors que leur pays se trouve en situation d’atomisation sociale, parviennent-ils à se retrouver autour d’un film au titre évocateur, "Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?" et d’un scénario sorti de la tête d’un gamin de dix ans?
Préjugés. Il n’y a aucune honte, parfois, à exprimer des sentiments d’ambivalence. Surtout quand il s’agit de parler sérieusement, très sérieusement même, d’un film à vocation comique qui submerge les salles obscures de rires si consensuels qu’il fallait le voir pour le croire – moins pour juger de la qualité de l’œuvre supposée que pour tenter de percer les secrets d’un « phénomène de société ». Comment des millions de Français, alors que leur pays se trouve en situation d’atomisation sociale, parviennent-ils à se retrouver autour d’un film au titre évocateur, "Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu?" et d’un scénario sorti de la tête d’un gamin de dix ans? L’histoire résumée a en effet tout du gag: un couple catholique de Chinon (Christian Clavier et Chantal Lauby), très vieille France, voit ses quatre filles épouser successivement un juif, un Arabe, un Chinois et un Noir. À l’exposé des faits, vous vous seriez dit d’emblée qu’il était impossible qu’on puisse produire un tel film, en 2014. Non seulement vous auriez eu tort, mais vous seriez passé à côté de ce qui va devenir l’un des plus grands succès de l’histoire du cinéma français.

samedi 10 mai 2014

Mineur(s): à la mémoire des gueules noires de 1948

Quand un gouvernement socialiste usait et abusait de la répression syndicale et faisait tirer sur des ouvriers...

Travailleurs. «Le renouvellement de ces attaques sauvages oblige le gouvernement à décider que, à l’avenir, les forces de l’ordre, lorsqu’elles seront ainsi assaillies, pourront se défendre après les sommations nécessaires.» Ainsi parle François Mitterrand. Nous sommes en 1948, la grande grève des mineurs du Nord-Pas-de-Calais vient de s’achever par une répression d’une rare violence, et les «forces de l’ordre» en question, au service du gouvernement socialiste de l’époque, ont répondu aux instructions du ministre de l’Intérieur, Jules Moch, sorte de Clémenceau aux petits pieds, donc plus dangereux encore que son triste prédécesseur. Les «attaques sauvages» évoquées par Mitterrand, alors secrétaire d’Etat à la présidence du Conseil, ne sont rien d’autres que des faits de grève, menés par les ouvriers des mines de France en rébellion contre les décrets signés par Robert Lacoste, ministre de l’Industrie, qui, d’un trait de plume, venait de leur supprimer les acquis sociaux obtenus à la Libération.

mardi 6 mai 2014

Intenable(s): les socialistes au destin de feuilles mortes

La gauche dite "socialiste"? Coincée dans un espace-temps qui confond l’histoire avec les intérêts économiques d’une ultraminorité.

Conscience. Les rêveries de gauche, propres aux commentaires très «égo-histoire» dont raffolent les promeneurs solitaires qui négligent l’essentiel pour se contenter du minimum vital – vous savez, ceux qui s’entendent dire sans y prêter attention: «Ça pourrait être encore pire» – ne sont plus vraiment d’actualité, chassées par les affres de la réalité. Nos pros socialistes de l’action publique, mués en technocrates de la haute, se demandent-ils encore, précisément, s’ils «font» cette histoire en cours, s’ils la «fabriquent» encore, s’ils y «participent» activement, ou bien s’ils la «subissent» si passivement qu’ils connaîtront tôt ou tard le destin des feuilles mortes poussées par les vents? L’autre soir, un conseiller ministériel se lamentait: «Entre 1980 et 2007, le salaire moyen n’a progressé que de 0,82% par an, mais de 40% pour le cadre supérieur et de 340 % pour les seigneurs du salariat.» Et il ajoutait, sans rire: «On comprend pourquoi les classes supérieures ne détestent plus la gauche…»

jeudi 1 mai 2014

Eugénisme(s): les dangers de la biomédecine

En sommes-nous, presque, au marché du bébé à la carte? 

Pureté. Vous souvenez-vous de Gattaca, le film d’anticipation d’Andrew Niccol, sorti en 1998 ? Un cauchemar futuriste y était dépeint avec une telle intelligence et une telle armature philosophique que la préfiguration du monde où l’eugénisme ne serait plus une tentation fantasmée dans la tête de quelques malades mais bien la norme est restée figée en nous aussi fortement que certains chefs-d’œuvre de la littérature. Chaque évocation à ce film nous émeut, en tant que genre supérieur. Chaque mémorisation de scènes – dans l’ambiance vintage et stylée d’une mise en abîme fabuleuse – nous renvoie à nos propres interrogations, comme une mise en alerte permanente, un maintien d’attention éthique. Dans cette histoire glaçante, le projet Gattaca tire son nom d’une combinaison de quatre lettres des nucléotides du code génétique : adénine, guanine, thymine, cytosine. Il consiste à « sélectionner » des individus parfaits par dépistage préimplantatoire, après fécondation artificielle. Le travail des généticiens férus de pureté. Le personnage principal du film, lui, provient, si l’on peut dire, d’une fécondation naturelle, donc d’un mélange de gènes aussi unique qu’incontrôlé. Il est un «dégénéré» et potentiellement «impropre à la vie» et à la «performance parfaite» en toutes choses.