dimanche 29 avril 2018

1er Mai


Ce sera une sorte de 1er Mai des convergences de toutes les luttes en cours. Souhaitons qu’il soit une étape supplémentaire vers un rassemblement encore plus large.

Rarement, ces dernières années, la Fête des travailleurs n’a autant charrié de symboles. À l’évidence, ce 1er Mai ne ressemblera à aucun autre. C’est peu dire à quel point ce printemps 2018 nous tire par la manche et nous pousse dans le dos, avec en toile de fond, bien sûr, les 50 ans de Mai 68, que nous devons regarder avec lucidité, sans dogme, mais comme un point de raccordement avec la tradition française en tant qu’étape décisive de notre modernité politique et citoyenne. La conscience du moment, en somme depuis le début du mouvement des cheminots, a au moins une vertu: face aux choix d’Emmanuel Macron, chacun a pris la mesure de ce que souhaite la noblesse d’État, qui prêche, partout, le dépérissement des services publics au profit du règne sans partage du marché. Laisser faire ne pourrait qu’avaliser le sacre de l’Homo œconomicus et l’extension des normes marchandes à toutes les activités humaines, y compris celles qui concernent le bien commun.

Avec la SNCF, une brèche décisive contre le droit social a été ouverte par l’exécutif. La visée macronienne, soi-disant «complexe», est pourtant d’une simplicité redoutable. L’attaque brutale contre les uns – les cheminots, livrés en pâture – ne sert qu’à préparer et favoriser celle contre les autres, pour que, au fil des contre-réformes et des privatisations, la France tourne le dos à son histoire sociale. Chacun est concerné par les dangers de la précarisation généralisée…

La bataille d’idées, depuis des semaines, est tout aussi violente. Elle ne se mènera et ne se gagnera qu’ensemble. Le bouillonnement social, visible bien au-delà des gares, dans les amphithéâtres, dans les hôpitaux, dans le secteur de l’énergie et ailleurs, doit trouver un prolongement significatif dans ce 1er Mai singulier. Aux côtés de tous les salariés du privé comme du public, des retraités, des privés d’emploi, des étudiants, la manifestation des forces syndicales s’avère un point d’appui essentiel afin de défendre leurs revendications, leurs emplois, leurs services publics… Ce sera une sorte de 1er Mai des convergences de toutes les luttes en cours. Souhaitons qu’il soit une étape supplémentaire vers un rassemblement encore plus large.

[EDITORIAL publié dans l’Humanité du 30 avril 2018.]

jeudi 26 avril 2018

Idéologie(s)

Un « manifeste » mortifère sur l'antisémitisme, signé par 250 personnalités, divise la France en son sens le plus intime, fragmente la citoyenneté par des mots excessifs et des mises en cause irresponsables.

Abject. Le constat nous apparaît chaque jour un peu plus dans son éclatante cruauté: notre République se délite dans des passions qui ne lui ressemblent pas et l’atteint au cœur et à l’âme. Le manifeste publié dimanche dernier dans le Parisien visant à dénoncer les agressions contre les juifs est à peu près tout ce qu’il ne fallait pas faire. Pensez donc. Un texte publié pour défendre les juifs, fort du nombre et de la variété de ses 250 signataires, divise la France en son sens le plus intime, fragmente la citoyenneté par des mots excessifs et des mises en cause déconcertantes, brutales, irresponsables. Initié par l’ex-directeur de Charlie Hebdo Philippe Val et l’essayiste Pascal Bruckner, ce texte nous stupéfie d’autant plus qu’il témoigne – sans en avoir l’air – d’une idéologie française assez rance pour apparaître masquée. C’est le journaliste et essayiste Claude Askolovitch qui l’a exprimé le mieux, cette semaine, dans une tribune admirable, lui, le juif qui n’oublie pas l’histoire. «Enfin, des voix s’élèvent, pour “nous”, et j’en prends ombrage? écrit-il. Ce texte est glaçant pour la vérité dont il émane comme pour les mensonges qu’il induit. Il est terrifiant pour ce qu’il rappelle de la vie et de la mort de juifs, ici, depuis le début du siècle ; et horrible pour ce qu’il nourrit: une mise en accusation des musulmans de ce pays, réputés étrangers à une véritable identité française, sauf à renoncer à leur dignité. Je ne conteste pas la bonne volonté des signataires. Je voudrais, humblement, qu’ils mesurent leur risque et leurs mots.» Et il poursuit en ces termes: «Elle fait de la lutte pour les juifs une composante du combat identitaire français, et cette identité exclut. Elle s’énonce dans un syllogisme. La France, sans les juifs, ne serait pas elle-même? Les juifs, de musulmans, sont les victimes? La France, par ces musulmans, ne sera plus la France.» Claude Askolovitch a mille fois raison. Ce manifeste, par sa lecture attentive, plaque un postulat horrible: pour dénoncer l’antisémitisme, adoptez l’islamophobie! Curieuse méthode, celle de combattre le racisme en incitant à un autre racisme, et, au passage, d’accuser les antiracistes de gauche de pactiser – au mieux – avec des racistes. Le procédé devient abject et déshonorant pour leurs auteurs, dans la mesure où il réduit l’antisémitisme contemporain en France, pour l’essentiel, à l’islam, et à l’appui que lui apporteraient diverses franges du «gauchisme».

mardi 24 avril 2018

Peut-on critiquer la politique israélienne?

Gaza...
Parce qu’il critique les agissements du pouvoir israélien, Pascal Boniface est accusé d’antisémitisme. Cette qualification se veut infâme et déshonorante. Il n’est pas le seul. Combien d’élus français de gauche, singulièrement des communistes, ont-ils été refoulés d’Israël en raison de leur soutien à la campagne BDS? 

Peut-on dire ce que l’on pense du gouvernement israélien sans être taxé d’antisémitisme? La question, ces temps-ci, hante opportunément le débat public. En témoigne l’agression que vient de subir le directeur de l’Iris, Pascal Boniface, à l’aéroport de Tel-Aviv. Crachats, bousculade violente. Insultes: «Suceur de bite d’Arabe, sale fils de pute.» Menaces: «On va te crever les yeux.» Invité en Israël par l’Institut français de Jérusalem pour une série de conférences, Pascal Boniface a été mis à l’abri par la police, qui s’est bien gardée d’interpeller ses agresseurs. L’affaire n’a l’air de rien. Elle illustre au contraire l’ampleur des cabales dont sont victimes tous ceux qui, de près ou loin, expriment leur opinion – souvent leur indignation – sur la politique israélienne. Parce qu’il critique depuis des années les agissements du pouvoir israélien, Pascal Boniface est accusé d’antisémitisme. Cette qualification, en contradiction totale avec ses combats personnels, se veut infâme et déshonorante. Il n’est pas le seul. Combien d’élus français de gauche, singulièrement des communistes, ont-ils été refoulés d’Israël en raison de leur soutien à la campagne BDS? 

Critiquer l’extrémisme des pouvoirs israéliens = antisémitisme… Il y a quelques décennies, cette formule paraissait absurde, sauf dans quelques cercles jusqu’au-boutistes. Cette idée devient aujourd’hui un lieu commun, que répètent en boucle et sans nuances, jusqu’à lui faire perdre tout son sens, les supporters les plus aveugles du premier ministre Benyamin Netanyahou, sur la base d’un obscur procès d’intention qui pose comme présomption irréfragable que la moindre critique ne serait en réalité que le masque d’une haine antijuive sournoise et inavouable, relevant à ce titre de la catégorie fourre-tout de l’«antisionisme», et donc… de l’antisémitisme. Nous conjurons les humains de bonne volonté d’élever les consciences! Est-ce un délit de répéter que c’est la volonté du gouvernement israélien d’occuper la Palestine et de transformer Gaza en prison à ciel ouvert? Qui osera nous accuser d’antisémitisme, nous, antiracistes de toujours, parce que nous écrivons pour la énième fois que l’exécutif israélien viole tous les chapitres du droit international, ce que chacun sait pourtant, à l’ONU comme dans le reste du monde?

[EDITORIAL publié dans l’Humanité du 25 avril 2018.]

jeudi 19 avril 2018

Étreint(s)

Face à la terre brûlée de Mac Macron, façon table rase, un vertige nous étreint, à moins que ce ne soit une maudite intuition: si l’Antisocial gagne, sera-t-il trop tard?

Marécage. Tout homme, avant bilan, est homme du passé et déjà homme du passif. L’avantage de l’âge n’exonère pas l’état récapitulatif des pertes et profits, côté salut public et nobles causes ; nous avons même le droit d’anticiper la catastrophe à-venir. Continuant de miser – pour ce qui nous concerne – sur le renouveau d’une République sociale à la française, nous voyons prendre ses aises, à marche forcée et sans complexe, une démocratie à l’anglo-saxonne, la relation client remplaçant un à un les services publics. L’ancienne «embêteuse du monde» qu’était la France (formule de Régis Debray dans un livre à paraître début mai, à suivre…), cette fille aînée de la Révolution, rétive à l’alignement, s’enlise désormais dans le marécage de l’Euroland, capitales Berlin, Strasbourg ou Bruxelles, et devient fer de lance des Gafa en leur déroulant le tapis rouge à Versailles, plus bel avatar ensoleillé de la monarchie républicaine. Le bloc-noteur s’égare-t-il? Pas tant que cela. Le monde de Mac Macron, qu’il pourrait nommer «le train du monde» à défaut de «nouveau monde», est là, sous nos yeux, en projets et en application effective. Il tourne le dos au Conseil national de la Résistance et renvoie nos humanités comme en dépôt, dans les tiroirs de bouquinistes avec d’inutiles cautions de papier. Qu’il est difficile de ne pas s’étonner d’en être là, d’assister sans y avoir prise – ou presque – au tapage nocturne des nouveaux managers, arraisonnés que nous sommes par le langage de la gestion comptable et financière, quand « l’entreprise France » se substitue progressivement à la France des Lumières, celle qui, par sa trace au moins, continue de nous pousser dans le dos en nous efforçant de ne pas renoncer. Allez, croyez-le, ces mots n’ont rien de romantique. Ils ne visent qu’à soupeser les risques, réveiller les consciences (les nôtres aussi d’ailleurs) et favoriser les initiatives, d’où qu’elles viennent en quelque sorte. Soyons honnêtes. Face à la terre brûlée de Mac Macron, façon table rase, un vertige nous étreint, à moins que ce ne soit une maudite intuition que nous ne pouvons taire: si l’Antisocial gagne, bref, s’il liquide tout du sol au plafond en moins de temps qu’il ne le faut pour en anticiper toutes les conséquences, sera-t-il trop tard? Mais vraiment trop tard cette fois? Qui peut répondre à cette question, sans peur et sans crainte de se tromper?


lundi 16 avril 2018

La forme et le fond

Si vous avez vu le président Macron interrogé par Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel, sans doute vous êtes-vous frotté les yeux pour vous demander ce qui se produisait dans le paysage médiatique de grande écoute, plus prompt à passer les plats et à servir de faire-valoir à la toute-puissance du monarque républicain. 

Pendant que certains tombaient des nues, Jupiter est un peu tombé du ciel… Il suffit de pas grand-chose, dans la vie d’une démocratie, pour changer de paradigme. Et s’apercevoir qu’une interview politique peut devenir, parfois, une vraie interview politique. Si vous avez vu le président Macron interrogé par Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel, sans doute vous êtes-vous frotté les yeux pour vous demander ce qui se produisait dans le paysage médiatique de grande écoute, plus prompt à passer les plats et à servir de faire-valoir à la toute-puissance du monarque républicain. On prêtera volontiers du crédit au chef de l’État d’avoir pris une sorte de risque en acceptant ce «format» atypique, soit un véritable entretien de presse, qui requérait autant d’écoute pour les réponses que… pour les questions. Ce devrait être la «norme», l’«ordinaire». Sauf que la stupéfaction est là.

Beaucoup de partisans du président – et même des journalistes – se sont agacés du ton jugé trop impertinent des deux journalistes, regrettant par exemple que le chef de l’État soit appelé par son prénom et son nom, ce qui ne serait «pas à la hauteur de la fonction présidentielle». Ne rêvez pas: il leur a également été reproché l’absence de cravate… Ce changement inédit dérange. Tant mieux. Il marque un tournant bienvenu en la matière: il y aura un avant et un après cette interview du palais de Chaillot, qui dessine avec une certaine précision les diverses figures d’accomplissements possibles. Nous sommes déjà curieux de voir comment les cravatés pourront, après cette séance, revenir poser leurs petites questions et servir la soupe.

Nous connaissons la formule: la forme, c’est du fond qui remonte à la surface. Le président des riches s’y est pas mal embourbé. Surtout quand le fond a ressurgi. À quatre reprises, il a d’ailleurs utilisé l’expression « ordre républicain », une formule qui n’a aucun contenu juridique précis, contrairement à «État de droit». Évoquer une politique «d’ordre», donc autoritaire, c’est l’habiller des faveurs de la République. «L’ordre est une tranquillité violente», disait Victor Hugo. Tout le monde a compris: l’ordre macronien, c’est le passage en force. Et passer en force, c’est toujours faire usage de la force…


[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 17 avril 2018.]

jeudi 12 avril 2018

Laïc(s)



Mac Macron affirme que le fameux «lien» entre l’Église et l’État a été abîmé et qu’il conviendrait de «réparer» quelque chose. Affaire sérieuse. Comment ne pas croire que, en l’espèce, la ligne rouge de la sécularisation de l’État est franchie? Comme disait Jaurès: «Démocratie et laïcité sont deux termes identiques.»

Initiés. Posons une question: Mac Macron veut-il rompre avec l’un des principes laïcs qui cantonnent les cultes dans la stricte intimité de la vie privée? En s’exprimant devant le «monde catholique», sous la nef gothique des Bernardins, le président a donc exposé sa conception de la place de la religion dans le débat public et, singulièrement, celle de l’Église, lui, l’ancien jésuite. Passons sur les aspects de la «pensée symbolique» de ce discours-fleuve, destinés en grande partie aux initiés, passons également sur sa stratégie politique (installer un pseudo-mouvement démocrate-chrétien en vue des européennes), concentrons-nous sur certaines arêtes restées coincées en travers de nos gorges de républicains. La pensée de l’hôte de l’Élysée peut se résumer de la sorte: l’État est laïc, mais la société ne l’est pas. Rien de scandaleux, d’autant que l’Église ne saurait être «injonctive», selon sa propre expression. Mais, contrairement à ce qu’il propose par ailleurs, dans une République laïque, il ne peut y avoir aucun «lien» entre les religions et l’État, sauf à contrevenir à l’article 2 de la loi de 1905: «La République ne reconnaît (…) aucun culte.» En évoquant ce «lien», que devient la neutralité de l’État, pierre angulaire de la laïcité française? Et accorde-t-il une fonction de «centralité» au catholicisme en octroyant ainsi à l’Église une sorte de «privilège de représentation»?

Démocratie. Ce n’est pas tout. Mac Macron affirme que le fameux «lien» entre l’Église et l’État a été abîmé et qu’il conviendrait de «réparer» quelque chose. Affaire sérieuse. Comment ne pas croire que, en l’espèce, la ligne rouge de la sécularisation de l’État est franchie? La faute, inexcusable, est double: politique et morale. Non seulement, il tord la réalité historique en ne tarissant pas d’éloges sur l’apport des catholiques à la saga républicaine, mais il gomme l’essentiel en passant sous silence les conflits que l’Église a eus avec la République. Impossible de taire le combat fanatique du catholicisme officiel contre ladite République jusqu’à la loi de séparation? Et comment oublier les résurgences et les complicités sous le régime de Vichy, alors que Mac Macron, dans son discours, n’évoque que les «résistants catholiques de 40», dédouanant l’épiscopat de son soutien à Pétain? L’amnésie a ses limites. 


samedi 7 avril 2018

Combat(s)

 
La colère est là et bien là, en ce "printemps social" dont on ne sait ce qu'il deviendra, à la mesure de l’éclatement du monde, de sa précarisation. Un mouvement d’ampleur peut donc naître du sentiment général d’humiliation.
 
Acteurs. Curieux de constater, tout de même, à quel point le retour d’une forme de «combat social» bouleverse la France dans ses tréfonds et témoigne, si cela était nécessaire, que le climat de conflictualité reste prégnant, quoique, la plupart du temps, confiné dans des ressentiments épars qui ne trouvent que rarement des «débouchés» collectifs. Et si Mac Macron avait ouvert plusieurs boîtes de Pandore? Et que, par accumulation, par addition plutôt, le paysage social craquait de toutes parts? De la fonction publique aux Ehpad, des universités aux hôpitaux, des enseignants aux retraités, des salariés du commerce aux travailleurs «ubérisés», des agents de toutes sortes aux cheminots (non exhaustif), la colère est là et bien là, elle trouve des modes d’action nouveaux, à la mesure de l’éclatement du monde, de sa précarisation, ce qui ne permet plus d’assumer des actions syndicales ou revendicatives. Un printemps social d’ampleur peut donc naître du sentiment général d’humiliation. Et s’il convient de ne pas s’emballer, d’éviter de parler de «convergence des luttes», l’occasion de s’affirmer comme acteurs de quelque chose apparaît possible pour beaucoup de nos concitoyens, pour les milieux populaires, pour tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, refusent l’offensive brutale contre l’État social. Il y eut la vraie droite de Nicoléon, qui ouvrit des brèches béantes. Il y eut la fausse gauche de Normal Ier, qui ne croyait plus au «combat social» et le revendiquait en accompagnant les «réformes» libérales, jusqu’à ce qu’un jour un certain Cahuzac déclare à la télévision: «Je ne crois pas en la lutte des classes.» Il y a désormais, avec Mac Macron, la guerre sociale, celle qui entend abattre l’esprit même des services publics et rogner les droits conquis au travail, à la santé, à la retraite, à la Sécurité sociale, etc. Sa besace est pleine de contre-réformes, quitte à passer par les ordonnances et tuer dans l’œuf l’intelligence collective et le moindre débat public.
 
Vérité. Après le Code du travail, les attaques contre les chômeurs, la super-austérité imposée aux collectivités locales, nous voici, par sa logique implacable, au dépeçage de la SNCF, l’un de nos fleurons nationaux. Tous les moyens sont bons, puisque nous vivons sous la domination massive de l’émotivité, entretenue et fouettée par la magie du live et de l’image-son à gogo.
 

lundi 2 avril 2018

Ensemble !

Manifestations du 22 mars dernier.
Avec la SNCF, une nouvelle et décisive guerre sociale est engagée par Emmanuel Macron.

La conscience du moment a déjà une vertu: nous savons pourquoi il convient de ne pas se laisser impressionner par le matraquage idéologique. Le début du mouvement historique des cheminots, ce 3 avril, laissait bien sûr entrevoir une offensive d’ampleur de tous les libéraux de la noblesse d’État, de la technocratie et de la médiacratie réunies, qui prêchent le dépérissement de l’État au profit du règne sans partage du marché fou et des logiques du privé. En rabâchant à l’infini les connaissances abstraites et mutilées dont ils se prévalent, ils ne se lassent pas de placer la « modernité » du côté de nos gouvernants et des patrons qui les représentent et les honorent, sachant, évidemment, que l’archaïsme se trouve toujours du côté des syndicats et du peuple. Au fond, on en vient à se demander qui a vraiment peur, depuis les manifestations du 22 mars.

Avec la SNCF, une nouvelle et décisive guerre sociale est engagée par Emmanuel Macron. Les citoyens l’ont bien compris. L’attaque brutale contre les uns ne sert qu’à préparer et favoriser celle contre les autres, pour que, au fil des contre-réformes et des privatisations, la France tourne le dos à son histoire sociale. Ne soyons pas dupes. Pourquoi veulent-ils à ce point humilier les cheminots et entraîner dans cette tentative scandaleuse une partie de l’opinion publique ? Pour ouvrir une brèche, et ensuite atteindre la classe ouvrière, le monde du travail et de la création tout entier…

Nous sommes tous concernés par ce mouvement social ; nous sommes tous des usagers. Ce combat, qui s’annonce long et incertain, nous rappelle quelques belles pages dans la mesure où il s’agit d’un combat culturel autant que social : celui des services publics, le pilier de notre civilisation sociale, notre bien commun. Car, les services publics restent la seule richesse de ceux qui n’ont plus rien. Depuis que la grande explication «de texte» a débuté, chacun peut désormais comprendre que les défis auxquels la SNCF est confrontée n’ont rien à voir avec le statut de ceux qui y travaillent et strictement aucune incidence sur la dette du système ferroviaire ou le sous-investissement chronique. Voilà pourquoi cette inédite bataille du rail est la nôtre. Elle ne se mènera et ne se gagnera qu’ensemble, le plus largement possible, tous secteurs confondus. Au nom de l’intérêt  général. Et d’une certaine idée de l’à-venir.

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 3 avril 2018.]