mardi 30 janvier 2018

17 ans !

Ahed Tamimi, qui aura 17 ans le 31 janvier et qui, par la grâce des réseaux sociaux, a cessé d’être une simple résidente du village de Nabi Saleh, en Cisjordanie, croupit dans la prison militaire d’Ofer, en territoire occupé par les Israéliens...
 
Elles et ils n’ont que leurs mains pour se défendre. Et même projetées en oriflammes, emplies de colère et de rage, ce ne sont pas des armes, mais des cris assourdis par les humiliations subies dont les échos nous parviennent chaque jour. Depuis leur pays occupé par les troupes israéliennes, femmes et hommes de Palestine témoignent à leur manière. Il y a même, parmi eux, les nouveaux visages de la résistance, des visages poupons à peine sortis de l’enfance, dépourvus de rire et de joie, comme si leurs traits affichaient déjà les souffrances d’une lutte sans repos, comme si leurs yeux se muraient dans le désastre.
 
C’est cette jeunesse palestinienne que le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, veut briser coûte que coûte, quitte à entraver toutes les règles du droit international en assumant d’enfermer dans ses geôles des prisonniers politiques mineurs. Des gamins, des gamines. Comme Ahed Tamimi, qui aura 17 ans aujourd’hui et qui, par la grâce des réseaux sociaux, a cessé d’être une simple résidente du village de Nabi Saleh, en Cisjordanie. Depuis un maudit jour de décembre dernier, elle a intégré l’iconographie héroïque, avec sa frimousse d’adolescente, son regard accusateur et ses longs cheveux bouclés. Arrêtée pour avoir bousculé deux soldats israéliens avec sa petite cousine, elle croupit et attend son procès dans la prison militaire d’Ofer, en territoire occupé. Ce sont ces mêmes militaires qui avaient tiré à bout portant dans la tête de son cousin de 15 ans, Mohammed, miraculeusement vivant mais défiguré.
 
Le procureur a requis douze chefs d’inculpation contre Ahed Tamimi, elle encourt sept ans d’emprisonnement! Le zèle punitif de l’armée à son endroit rappelle que la jeunesse paie un lourd tribut. Entre 500 et 700 jeunes sont ainsi jetés en prison chaque année en Cisjordanie. Actuellement, au moins 350 mineurs restent emprisonnés dans les cachots de Netanyahou, la plupart accusés d’avoir lancé des pierres. Ils subissent des violences physiques lors de leur arrestation, transfert ou interrogatoire, ils sont soumis à la torture, à l’isolement. Autant de crimes contre les droits humains… qui s’ajoutent à tous les autres.
 
[EDITORIAL publié dans l’Humanité du 31 janvier 2018.]

jeudi 25 janvier 2018

Invention(s)

Nous sommes  en guerre. Économique et sociale.
 
Règne. Le monde risible –celui qui nous afflige– s’évertue à nous mortifier, à nous inquiéter, à nous bousculer jusques et y compris dans nos raisonnements. De nos yeux irisés, nous contemplons le macronisme ambiant avec d’autant moins de détachement que pour le contrer (le combattre vraiment), au regard de l’ampleur des modifications en cours, les mots et les méthodes anciennes ne suffisent plus. Il y a les rêves. Et la réalité. Dans nos songeries ambulatoires et par mégarde altruistes –toute flânerie se prête à contresens–, nous imaginons que ceux qui tiennent la boutique en notre nom, tombant un beau jour sur un Jaurès pour les nuls, soient saisis d’un retour sur image digne des origines de la République et se mettent à reconsidérer leur toute-puissance de «sachants». Nous n’ignorons pas les facteurs déterminants qui ont conduit à fusionner les sphères du pouvoir et de l’argent: la libre circulation des capitaux, l’écart croissant des rémunérations, les privatisations des entreprises publiques, etc. Un haut fonctionnaire du Conseil d’État nous le glissait récemment: «Nous nous sommes dit, enfin, on nous a fait comprendre, que la finance était le vrai champ de bataille et que là se jouait désormais la partie. Et puis, un jour, tout a été mis en place pour faire d’un banquier anciennement énarque le président de cette entreprise France afin d’accélérer la mutation. C’était le bon tempo, le moment de bascule… quitte à bazarder plus ou moins en douceur des pans entiers de notre histoire sociale.» L’homme parlait bien sûr de Mac Macron, à qui il reconnaissait une seule qualité: «On affirme que nul ne règne sincèrement ; que le faire-accroire relevait de notre savoir-faire “politique’’. Lui, ce n’est pas son cas. Il avance et nous savons où il va. Il veut rompre avec ce qui a fait la grandeur de la France, à la Libération.» Comprenez: celle du Conseil national de la Résistance.

mardi 23 janvier 2018

Capital-travail

Le capital décide, le travail subit. Macron est le héros des multinationales: dans le partage des richesses, il veut accélérer le processus en cours depuis trente ans au nom de la fable du «ruissellement». Le bénéfice au capital, plus jamais aux travailleurs.
À Versailles, loin des journalistes, incapables sans doute de saisir la complexité de sa démarche, Emmanuel Macron a donc régalé les milliardaires, se chargeant d’incarner le lien avec 140 PDG de l’hyperpuissance capitalistique mondiale en route sur le chemin pavé d’or de Davos, où ils se retrouveront tous, main sur le cœur, afin de tracer la bonne marche de la finance globalisée. L’ancien banquier n’est pas le moins légitime pour mettre en cohérence son attention portée aux «premiers de cordée» et une opération de com de prestige, fût-elle quelque peu gênante pour le peuple, assez convaincu que ce président des riches fait-ce-qu’il-dit-et-pense, mais qu’ils resteront, eux, les derniers maillons de la chaîne. Demandez aux salariés de Carrefour. Le géant de la distribution réalise 1 milliard de profits en 2017, mais supprime 4500 postes… Le capital décide, le travail subit. Macron est le héros des multinationales: dans le partage des richesses, il veut accélérer le processus en cours depuis trente ans au nom de la fable du «ruissellement». Le bénéfice au capital, plus jamais aux travailleurs. Tout pour certains, rien pour les autres. Un choix de classe, non?
 
À propos de capital-travail, les idées marxistes et communistes pourraient «retrouver une nouvelle jeunesse», passer «d’une image surannée à un retour progressif», car elles seraient désormais «portées par les nouvelles générations». Un sondage Viavoice pour la Fondation Gabriel-Péri en témoigne et éveille notre curiosité, sinon notre (prudent) enthousiasme. L’institut révèle en effet «un clivage générationnel important et non dénué de sens»: 26% des 18-24 ans et 21% des 25-34 ans déclarent avoir une «image positive» de Marx. Dans la même étude, les trois quarts des Français disent qu’il existe toujours des classes sociales dans la société (76%) et, pour une majorité d’entre eux, que la «lutte des classes» reste d’actualité pour décrire les rapports sociaux actuels (56%). Intéressant, non? «Toute classe qui aspire à la domination doit conquérir d’abord le pouvoir politique pour représenter à son tour son intérêt propre comme étant l’intérêt général.» C’est du Karl Marx. On croirait pourtant lire une définition du macronisme…
[EDITORIAL publié dans l’Humanité du 24 janvier 2018.]

vendredi 19 janvier 2018

Transformation(s)

À la recherche du «nous» contre  le «je».
 
Changer. Telle une obsession, pour ne pas dire le point aveugle le plus essentiel de la société française, la question du «nous» taraude tous les esprits de bonne volonté, ces temps-ci. Nous ne parlons pas là du «nous autocentré», cette espèce de «nous» faussement «social» inventé par Facebook et les réseaux, qui n’ont adapté leurs interfaces qu’au désir de voir et d’être vu, zoomant jusqu’à l’extrême l’échelle individuelle – et ce changement de point de vue est fondamental. Vous l’avez compris, le «nous» qui importe aujourd’hui ne signifie pas «qui suis-je» mais «qui sommes-nous» collectivement, en tant que sacrifice du «je» afin de se définir dans la poursuite de l’adéquation entre l’action personnelle et la recherche de l’intérêt général, même au plus petit niveau. Cédant à l’irrépressible attrait du trou de serrure – propre à la situation politique actuelle, confuse et cruelle –, piochons dans Proust: «Chaque fois que se produit un événement accessible à la vulgarité d’esprit du journaliste philosophe, c’est-à-dire généralement un événement politique, les journalistes philosophes sont persuadés qu’il y a quelque chose de changé en France» (La Prisonnière). Cet excès, avec les médias, est à son comble. Aux yeux des journalistes dominants, tout ce qui se permet encore une critique acerbe des temps qui courent est aussitôt taxé de «laudator temporis acti» (qui fait l’éloge du temps passé). Nous voilà attribués du «c’était-mieux-avant», même si notre antienne serait plutôt «eadem semper omnia» (tout est toujours pareil, rien ne change sur le fond), tirée du physicien Lucrèce. Comprenez bien: le fait que nos aïeux se soient toujours plaints de leur présent doit bel et bien obéir à quelque forte raison, et n’en constitue pas une, en tous les cas, pour nous arrêter de déconstruire ce qui nous entoure et ranger nos colères. Piratons Sartre: «Décrire le monde, c’est déjà vouloir le changer» car «être une conscience, c’est s’éclater vers le monde».

dimanche 14 janvier 2018

Déni d’humanité

De Pasqua à Sarkozy, les pires droitiers n’avaient pas osé. Emmanuel Macron y va. Et au pas de charge.
 
Pinçons-nous bien fort pour y croire. «C’est un projet de loi totalement équilibré», déclare Gérard Collomb dans le Parisien d’hier. Il parle, vous l’avez compris, du projet de loi sur l’asile et l’immigration, dénoncé par toutes les associations afférentes et bien au-delà, puisqu’apparaissent de plus en plus clairement des dissensions au sein de la majorité parlementaire. Si l’on peut dire, le ministre de l’Intérieur passe même aux aveux en confiant: «Il n’est jamais agréable de passer pour le facho de service.» Et pour cause. Doublement de la durée de rétention, raccourcissement des délais de recours, intention affichée d’accroître sensiblement le nombre des expulsions, instauration du contrôle des migrants résidant dans les structures d’accueil, etc.: les majorités conservatrices n’avaient pas pris de mesures aussi contraignantes, qui bafouent l’esprit de notre République et ses traditions multiséculaires, qui entrent en contradiction avec un statut de la convention de Genève datant de 1951 et nous renvoient loin en arrière dans les références abjectes. De Pasqua à Sarkozy, les pires droitiers n’avaient pas osé. Emmanuel Macron y va. Et au pas de charge. Oubliant au passage ses engagements de candidat, quand il louait l’action d’Angela Merkel qui, clamait-il, «a sauvé notre dignité collective en recueillant des réfugiés en détresse».
 
Dans ce dossier ultrasensible et potentiellement ravageur pour le pouvoir, où est précisément la dignité de l’exécutif? Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, ne le cache pas: «La volonté des pouvoirs publics actuels de considérer qu’il existe des bons et des mauvais migrants, des migrants accueillables et d’autres rejetables par une sorte de tri, est une erreur absolue.» Tout comme le prix Nobel de littérature Jean-Marie Gustave Le Clézio, qui pousse un cri de colère dans l’Obs: «Comment peut-on faire le tri? Comment distinguer ceux qui méritent l’accueil, pour des raisons politiques, et ceux qui n’en sont pas dignes? Est-il moins grave de mourir de faim, de détresse, d’abandon, que de mourir sous les coups d’un tyran?» Les migrants maltraités d’aujourd’hui sont nos parents ou nos frères d’hier. Qui peut assurer qu’il ne sera pas lui-même un migrant de demain?
 
[EDITORIAL publié dans l’Humanité du 15 janvier 2018.]

jeudi 11 janvier 2018

Narcissique(s)

Un peu plus d’un an de Facebook. Bilan d’étape.
 
Facebook. Voilà plus d’un an désormais que le bloc-noteur expérimente le réseau social créé par Mark Zuckerberg, l’ayant boycotté jusque fin décembre 2016, moins pour des raisons politiques que philosophiques, arguant du simple fait qu’une production humaine – donc sociale – ne pouvait passer par le digital comme acte privilégié et s’affranchir des rapports physiques, du langage, du parler, de l’échange, du débat, de la controverse face à face, de l’écoute aussi, qui permet toujours de s’élever intellectuellement. Une évidence d’abord, correspondant aux impressions des premières semaines: chacun utilise «l’outil» Facebook à sa convenance, bien qu’il soit aisé de percer les personnalités de ceux qui s’en jouent quotidiennement. Nous trouvons évidemment de tout, d’ego surdimensionnés à de volontaires et saines mises à distance, et, bien malgré nous, notre regard de «sociologue» et/ou d’«anthropologue» voisine souvent avec l’évidente curiosité afférente à tout journaliste, qui y trouve peu son compte en vérité. Parfois un rappel vaut conseil. Ainsi, afin d’éviter autant que possible le tout et n’importe quoi, disons pour s’en prémunir (bien que cela soit illusoire), deux principes avaient guidé le bloc-noteur dans sa volonté de rejoindre cette communauté d’un genre évolutif, qui ressemble la plupart du temps à un monstre froid. Primo: s’astreindre à un profil «public» et à des publications du même type, de telle sorte qu’aucune «interprétation» ou aucun «quiproquo» ne soit acceptable. Secundo: ne jamais rien «poster» de personnel, d’intime ou de «familial», ni photo ni récit, la sphère privée étant sacrée et, de notre point de vue, inaliénable par un réseau social. Le résultat dans les bras de la pieuvre peut paraître probant: plus de 3000 «ami-e-s» en treize mois. Sauf que vous le savez, personne n’échappe à la règle. Les amis, les vrais, se comptent sur les doigts des deux mains. Avoir des «contacts» serait un terme plus approprié. Le bon usage des mots évite quelquefois les fausses pistes et les illusions. 

mercredi 10 janvier 2018

Grand Paris : coup d’État territorial

Le pouvoir actuel, dans la lignée de ses prédécesseurs, veut imposer ni plus ni moins que la sortie de notre histoire républicaine à la française : la suppression de tous les départements, donc de leur compétence. 
 
Loin des regards et de l’attention des citoyens, un big-bang institutionnel et territorial se prépare en silence. Il concerne la plus grande de nos régions, celle dite du Grand Paris, qui, selon la formule consacrée, n’est rien d’autre que «le poumon économique de la France». Cette zone de 131 communes dont le PIB est jalousé par certains États de l’Europe s’apprête à vivre une contre-révolution: le pouvoir actuel, dans la lignée de ses prédécesseurs, veut imposer ni plus ni moins que la sortie de notre histoire républicaine à la française, comme en témoigne une note du préfet d’Île-de-France révélée avant les fêtes qui professe la suppression de tous les départements, donc de leur compétence. Inutile de chercher la «cohérence». Elle porte un unique nom: libéralisme. Et un cadre, soi-disant «libre et non faussé»: l’Europe des régions, par lesquelles les territoires et les métropoles s’extraient des processus citoyens en privilégiant les logiques marchandes et la compétition économique. Résumons: seules les grandes régions, mises en concurrence entre elles, sortiront vivantes du champ de bataille financier…
 
L’affaire est grave, mais loin d’être achevée. Car au départ, le Grand Paris était une idée qui aurait pu déboucher sur un projet mettant en œuvre plus d’égalité, plus de solidarité et plus d’inclusion en tant que réponse politique aux inégalités sociales et territoriales d’espaces urbains en profonde mutation. Le chemin inverse semble privilégié, visant à minimiser les champs d’action des collectivités locales pour réduire au maximum la place des services publics. À l’étape actuelle, la métropole du Grand Paris reste une communauté d’élus et pas assez celle des citoyens. Pourtant, quand on leur donne la parole, les habitants concernés ne taisent pas leurs aspirations, qui oscillent entre espoirs d’égalité et peur du déclassement. Ils savent que l’avenir de leur territoire peut leur échapper et se transformer en relégation territoriale… Chacun doit pouvoir juger sur pièces et s’opposer à la vision libérale de l’aménagement du territoire, donc de nos vies quotidiennes. Ça s’appelle la démocratie.
 
[EDITORIAL publié dans l’Humanité du 11 janvier 2018.]

lundi 8 janvier 2018

Le grand chantier des Amis : l’Humanité

L’assemblée générale de l’association Les Amis de l'Humanité se déroulera le 13 janvier, à la Maison des Métallos. La défense du journal de Jaurès sera l’objectif numéro un pour 2018.
 
Assemblée générale de 2017.
Devons-nous y voir un signe, sinon une bonne nouvelle? L’année 2017 a réservé une bonne surprise aux Amis de l’Humanité: pour la première fois depuis longtemps, l’association a de nouveau franchi la barre symbolique des 1 000 adhérents. Nos efforts payent, en particulier en faveur du développement des comités locaux, désormais une soixantaine en France, dont une trentaine font preuve d’une grande activité. Autant dire que la prochaine assemblée générale, convoquée ce samedi 13 janvier à la Maison des Métallos, dès 10 heures du matin, sera l’occasion de fêter ce petit événement, qui n’est pas que symbolique par les temps qui courent. Car la force collective des Amis, qui essaiment partout sur le territoire et témoignent d’une vitalité renouvelée, doit nous servir de tremplin au service du principal chantier qui nous attend, tous, en 2018: la préservation de l’Humanité. Ou, pour l’affirmer plus clairement: la sauvegarde du journal de Jaurès!

Chacun s’en souvient. Depuis l’appel du directeur, Patrick Le Hyaric, au printemps 2016, les dangers qui pèsent sur l’avenir de l’Humanité sont non seulement toujours réels mais plus brûlants que jamais. Cet appel à la solidarité financière a été entendu, l’élan de générosité des souscripteurs reste aujourd’hui encore impressionnant, comme en témoigne la «campagne des étrennes» lancée avant les fêtes. Sans nos lecteurs, dont les témoignages de fidélité et de confiance sont émouvants, le groupe l’Humanité n’aurait sans doute pas survécu. Mais le langage de vérité nous oblige à le dire: le combat continue, il n’est pas encore gagné. Nous avons besoin de toutes les volontés pour cette bataille à la fois urgente et essentielle, de tous ceux qui se battent encore pour la démocratie et préservent dans leur cœur l’idée que l’Humanité demeure indispensable au paysage de la presse française. Dans un texte publié dans nos colonnes en décembre, Patrick Le Hyaric avait d’ailleurs rappelé à nos lecteurs, sans ambiguïté, combien la partie n’était pas jouée. «L’augmentation générale des coûts de production des journaux, la réduction de certaines recettes de diffusion et de publicité prennent l’Humanité, comme d’autres journaux, dans un terrible étau qui pourrait être fatal si nous ne parvenons pas à créer des conditions nouvelles pour obtenir une stabilisation financière, écrivait-il. Malgré plusieurs tentatives, ces dix-huit derniers mois, nous n’y sommes pas arrivés. De nouveaux chantiers sont en cours pour y parvenir.»

mardi 2 janvier 2018

Notre honte

Le pouvoir installe la France dans le macabre cortège des pays murés dans leur indignité. Sans parler de la criminalisation de ceux qui aident les réfugiés...
 
«Étranger, moi-même.» Que reste-t-il, dans la tête et la conscience intime du chef de l’État, de cette conférence donnée en 1997 par Paul Ricœur, quand le philosophe déclarait: «L’hospitalité ouvre sur l’infini»? À voir la logique inhumaine qui prévaut à la réforme du gouvernement sur l’immigration, pas grand-chose en vérité… Depuis la circulaire du 12 décembre, signée par le ministre de l’Intérieur, les associations appellent massivement à la «résistance passive» pour refuser l’instauration du contrôle des migrants résidant dans les structures d’accueil, au nom d’un principe universel: les personnes recueillies sont d’abord des êtres humains, pas des dossiers administratifs. Emmanuel Macron donne la ligne, Gérard Collomb l’exécute avec zèle: traques, accélération des expulsions, allongement de la durée de rétention, etc. L’exécutif installe la France dans le macabre cortège des pays murés dans leur indignité. Sans parler de la criminalisation de ceux qui aident les réfugiés, comme en témoigne le cas exemplaire de Martine Landry que nous évoquons dans nos colonnes. Cette retraitée devenue, par la volonté des pouvoirs publics, l’une de ces «délinquants solidaires». De Menton à Briançon, la chaîne d’humanité continue pourtant de gravir des sommets aux côtés des migrants. Les voilà, les vrais premiers de cordée!
 
Sans tergiverser: solidarité et devoir d’accueil. Ainsi nous ne tairons pas notre honte devant cette obsession qui consiste à vouloir «trier» des humains. Ricœur d’un côté; la schlague gouvernementale de l’autre. Notre honneur à tous s’en trouve atteint. Fermer les frontières n’empêche pas les exils. Qui peut oser posséder droit de vie ou de mort sur des individus dont le pays d’origine ne peut ou ne veut assurer la «protection», comme le stipule un statut de la convention de Genève, depuis 1951? Chaque barbelé sur une route migratoire ouvre un autre chemin, souvent plus périlleux, comme dans le Briançonnais. Le repli a des conséquences désastreuses:  la mort pour les migrants, la prison pour les «aidants», la montée en puissance des nationalismes… Les réfugiés de guerre ou de misère disent le monde réel. Ils sont des messagers de l’histoire. C’est aussi notre histoire.
 
[EDITORIAL publié par l’Humanité du 3 janvier 2017.]