samedi 2 juillet 2011

Millénariste(s) : réponse aux prophètes de l'apocalypse...

Prophètes. Dans Au moment voulu, en 1951, Maurice Blanchot suggère à la quasi toute fin de son récit : «Je crois que c’est là le moment absolument sombre de l’intrigue, le point où elle retourne constamment au présent, où je ne puis plus ni oublier ni me souvenir, où les événements humains, autour d’un centre aussi instable et immobile que moi-même, construisent indéfiniment leur retour.» L’être étant à la fois acte et puissance, donc ontologie dynamiste, allez savoir pourquoi, mais en lisant cette phrase de Blanchot un besoin irrépressible de sentir l’«intrigue» du moment s’imposa à nous. Y a-t-il donc dans l’actualité récurrente quelque chose qui nous ramènerait le présent dans l’instabilité et l’immobilité? Une indication peut-être. Depuis un certain temps, à la faveur de faits inattendus (révolutions arabes, affaire DSK, Fukushima, etc.), nous remarquons le retour en force d’une forme de discours millénariste. Accident nucléaire, tremblements de terre, crise monétaire et sociale durable, surgissements d’événements si imprévisibles que la vie réelle semble plus étonnante que les fictions les plus imaginatives... L’époque prend des chemins bien singuliers. Est-ce une raison pour assister impassiblement à la résurgence des prévisions apocalyptiques?

Debray. D’ordinaire, les paroles et gestes de farfelus annonçant le chaos et la fin du monde provoquent l’hilarité. Seulement voilà, le dernier rapport de la Miviludes – l’organisme chargé d’observer et d’analyser le phénomène des mouvements à caractère sectaire dont les agissements sont attentatoires aux droits de l’homme – met en garde précisément contre les dérives et autres manipulations mentales liées aux prédictions millénaristes. Exemples à l’appui, les observateurs de la Miviludes parlent de recrudescence d’autant plus inquiétante que ce type de référence à l'apocalypse – qui traverse les siècles – subsiste encore dans certaines Églises contestées ayant parfois pignon sur rue... En ces temps de perte de repères (vite dit) où les grandes espérances ont vacillé sous les assauts non pas des rationalismes mais des déceptions en chaîne (vite dit aussi), il n’est ainsi pas inutile de vous précipiter dans la lecture du dernier livre de Régis Debray, Du bon usage des catastrophes (Gallimard), un petit essai virevoltant pouvant dérouter ou fasciner, selon l’usage. L’alchimie de Debray nous emporte en effet dans les plis du monde tel qu’il devient, tel qu’il le redoute, tel qu’il le constate et le décrit. Lire ces lignes ressemble à une longue conversation privilégiée en compagnie du philosophe et médiologue. Avec l’ironie qui sied à son talent et les fulgurances intellectuelles dont il est l’un des maîtres…

Mal. Régis s’attaque donc cette fois aux «pensées magiques» et aux «prophètes de malheur» et nous livre sa vision de la société contemporaine. Il prévient d’ailleurs très vite, sur le mode ironique: «C'est justice que dans une période de tangage comme la nôtre, où un cadre de vie et de pensée s'effrite, où l'horizon se bouche, où quelque chose bascule, même si on ne sait pas trop quoi, il soit tant demandé aux vigies en haut du mât. Les vigilants sont aux aguets, les vaticinateurs en situation.» Portrait au scalpel et allégorique d’un ici-et-maintenant cul par-dessus tête, voici une étude clinicienne de la passion de la catastrophe qui agite notre quotidien et pour laquelle les oiseaux de mauvais augure ne manquent pas. Forcément, puisque tout finit toujours plus ou moins mal – et souvent plus mal que bien. «Questions immémoriales, plus que jamais d'actualité.»

Fin. Pour Régis Debray, qui s’y connaît en croyances en tout genre, notre «vieux tréfonds religieux» n’est pas pour rien dans cette apologie des vendeurs de peurs. Un phénomène impossible à dater, bien que, en l’espèce, le XXIe siècle n’invente rien. De l'Apocalypse selon saint Jean (Ier siècle après J.-C.) à Nostradamus (XVIe siècle), sans oublier le Jugement dernier de Michel-Ange, voire les guignolesques illuminations du couturier Paco Rabanne (1999) ou les prêches de bonimenteurs pentecôtistes américains, disons que le pronostic de la fin des temps remonte à la nuit des temps. Mais comment et pourquoi, en vue de 2012 (sacrée date), cette partie intégrante des références culturelles universelles se transforme-t-elle en phénomène de société? Crise morale? Non-perception d’à-venir? Nihilisme collectif instruit par le consumérisme du capitalisme globalisé? Pour conclure Au moment venu, Maurice Blanchot suggère radicalement : «Comme si je m’étais heurté là non pas à la vérité froide, mais à la vérité devenue la violence et la passion de la fin. (…) Je l’écrirais pour effacer l’éternel : Maintenant la fin.» Mais de quelle fin s'agit-il?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 1er juillet 2011.]

(A plus tard...)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Par définition l'éternel ne saurait s'effacer...au mot fin on peut toujours opposer le mot début....l'homme, un éternel recommencement...les fins annoncées du monde aussi depuis la nuit des temps...ne jamais avoir peur de la fin pour toujours surmonter les handicaps de la vie...ne jamais "acheter" les salades de ces boni-menteurs...PAT