mardi 19 juillet 2011

Tour : pour Alain Gallopin, « sans Armstrong, ce n’est pas pareil »...

Avec mon collègue Eric Serres, nous avons longuement rencontré le directeur sportif de l’équipe américaine Radioshack. Ami et ancien masseur de Laurent Fignon, il nous explique les raisons de sa fascination pour Lance Armstrong… et le quotidien du Tour en son absence.

Alain Gallopin.
Depuis Gap (Hautes-Alpes).
-Quel regard portez-vous sur ce Tour de France. Thomas Voeckler en jaune et les favoris qui se regardent en chien de faïence ?
Alain Gallopin. Les Schleck jouent normalement sur du velours, en montagne, ils sont au dessus et le dernier chrono du Tour de France se fera sur l’état de fraîcheur. Quant à Cadel Evans, il a un problème quand les pourcentages sont trop forts. Il plafonne. Mais pour l’instant, il est bien là, alors nous verrons. Thomas Voeckler, il marche très fort cette année. C’est très bien pour la France.

-Avez-vous une explication sur le fait que les Pyrénées aient été escamotées par les favoris ?
Alain Gallopin. On a attaqué la montagne à la moitié du Tour et il n’y a eu qu’un chrono par équipes que les organisateurs ont voulu petit pour qu’il n’y ait pas d’écarts. Ce contre-la-montre par équipes ne rimait à rien avec 6 équipes en 10 secondes. En plus ce genre d’épreuve amène beaucoup de stress car si un équipier tombe c’est toute l’équipe qui tombe. Nous, par exemple nous n’avons pris aucun risque. D’autres l’ont fait mais pour quel résultat ?

-Que faudrait-il faire pour redynamiser la course d’après vous ?
Alain Gallopin. Depuis quelques années, les organisateurs ont supprimé le chrono individuel au bout de la première semaine, il est vrai qu’avec des Indurain, Hinault, Armstrong ca bloquait le Tour. Mais il n’y a plus de mec comme cela aujourd’hui, alors pourquoi continuer ? Si aujourd’hui tu mets un contre-la-montre en fin de première semaine un Cadel Evans un Martin vont être devant et ça change la physionomie de la course. Les frères Schleck et les grimpeurs en général se doivent du coup d’attaquer dans la montagne sinon ils ne reprennent jamais du temps dans la montagne. Alors que là, qu’est ce que l’on voit. Une course d’attente où ils contrôlent.

-Votre équipe a été décimée pendant ce Tour, on imagine que vos ambitions sont moindres ?
Alain Gallopin. Tant qu’il restait Andreas Klöden (avant qu’il n’abandonne), franchement nous avions de l’ambition. C’était très bien en plus personne ne parlait de nous et cela nous favorisait. Si Klöden avait été là, il aurait fallu le larguer dans la montagne et dans le chrono il est excellent. On pouvait faire le podium. Ce Tour de France me rappelle le Tour de France 1988. Avec un Eric Boyer 5e à Paris. Il aurait du faire dans les 12 premiers, mais pas 5e. C’est l’hécatombe sur ce Tour.

Laurent Fignon, en 1989.
-Vous avez été directeur sportif de Lance Armstrong que ce soit chez Astana puis Radioshack. Comment se passe un Tour de France sans lui ?
Alain Gallopin. Il y a moins de monde sur les routes ! L’expérience avec Armstrong, je ne suis pas prêt de l’oublier. Je l’ai côtoyé de l’extérieur puis de l’intérieur et forcément, tu comprends très vite pourquoi il a tant gagné. Il était juste le plus fort, le plus malin ! L’an dernier quand on me demandait ce que je faisais dans l’équipe Radioshack, je répondais toujours que j’avais deux boulots : les courses avec Lance et les courses sans Lance. Ce n’est pas la même chose ! Les courses sans lui sont des courses normales, comme le Tour de cette année. Quand il est là, c’est une autre dimension. Il faut toujours être au top et savoir gérer tous les à côtés. Avec Lance, il y avait toujours du monde autour. A l’hôtel, autour du bus, c’était inimaginable et c’était rarement des gens qui s’y connaissent en cyclisme. Ils étaient juste attirés par la notoriété de l’homme.

-Vous avez côtoyé les plus grands dont Laurent Fignon, aviez-vous déjà vu un tel phénomène ?
Alain Gallopin. En ce qui concerne Laurent, il y a eu une énorme différence médiatique quand il a perdu le Tour de France pour 8 secondes. Il y a eu un avant et un après ! Sa popularité est venue de là. Les Français aiment les gens qui perdent, c’est comme cela. Moi, qui le suivait partout, (en aparté : « j’étais avec lui plus qu’avec ma propre femme »), il y avait un engouement pas possible. J’ai vécu aussi cela avec Jan Ulrich en 2003. C’était un phénomène. Sur le Tour d’Allemagne avec l’équipe Bianchi, c’était du jamais vu. A Hambourg, il n’y avait que du vert partout, le vert de la Bianchi et du coup le patron de T.Mobile de l’époque a repris Jan l’année suivante. Mais pour revenir à Lance, ce qui se passait avec lui ça dépasse tous les autres.

-Quelles étaient les caractéristiques d’un Lance Armstrong ?
Alain Gallopin. J’ai fait peu de courses avec lui car c’est Johan Bruyneel (le manager de l'équipe, NDLR) qui s’en occupait en général. Une fois sur le circuit de la Sarthe, je l’ai remplacé car il était malade. Lance était quelqu’un de très pro, très respectueux. Sur le Giro en 2009, j’étais aussi avec lui. Je lui avais dit de prendre son temps pour revenir à son niveau, mais lui voulait gagner le Tour d’Italie. Parfois je le croisais dans les couloirs de l’hôtel et il me faisait venir dans sa chambre pour me demander mon avis sur ses adversaires. Et il ne faisait pas de commentaires sur mes jugements. Cela me valorisait.

-Avait-on peur de lui à l’intérieur de l’équipe ?
Alain Gallopin. Non, j’ai toujours eu l’habitude de vivre avec de très grands coureurs comme Laurent Fignon, ou Jan Ullrich. Ils étaient tous des types agréables à vivre. Dans le bus Lance était aussi un type charmant. Par contre sur la route, il était impossible de le considérer comme un coureur comme les autres. Mais il était totalement intégré au groupe. Au départ du Tour de France à Monaco, je lui ai fait remarquer qu’il fallait être à l’heure pour le départ du bus. Le il est arrivé en courant pour pas être en retard et m’a lancé : « It’s ok ? »

Lance Armstrong, en 2003.
-Mais en quoi était-il si différent ?
Alain Gallopin. Armstrong dégageait une force et un professionnalisme incroyable. Il fallait penser à tout avec lui. Un Ullrich avait sans doute plus de talent. L’an dernier, lorsque Lance est tombé sur le Tour à Morzine. Il était vraiment marqué. Le lendemain, on part à l’entraînement avec toute l’équipe. Nous avions pas roulé 500 mètre qu’il me dit : « C’est le départ de demain ici ? » Il ne quittait jamais la course. Les autres coureurs ne m’avaient quant à eux rien demandé. C’était tout le temps comme cela. Sur le contre-la-montre par équipes lorsqu’il était chez Astana, j’avais tout repéré car quand il y avait tout de même dans l’équipe un Contador, un Klöden et un Armstrong donc il faut tout faire parfaitement. Lors de la reconnaissance j’ai tout détaillé. Il est venu me remercier de la qualité de mon travail. C’était aussi un leader au briefing, il n’avait pas à parler beaucoup, mais il savait insister sur des détails auxquels je n’avais même pas pensé. Il avait une maitrise parfaite. Il voyait tout. La radio finalement ne pouvait servir que lorsqu’il y avait un problème mécanique. Il réagissait au quart de tour.

-Contador-Armstrong, la cohabitation a dû être difficile ?
Alain Gallopin. Avec Armstrong comme capitaine de route, j’ai dit à Alberto qu’il ne pourrait jamais gagner un Tour aussi facilement. L’équipe était forte. Mais l’Espagnol ne m’a pas vraiment écouté. Il avait pourtant le meilleur capitaine de route en cette année 2009.

[VERSION LONGUE DE L'ARTICLE publié dans l’Humanité du 20 juillet 2011.]

(A plus tard…)

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