Éditions du Bailli de Suffren, 650 pages, 59 euros.
«Le sport est un phénomène de civilisation tellement important qu’il ne devrait être ni ignoré ni négligé par la classe dirigeante et les intellectuels.» Pier Paolo Pasolini savait de quoi il parlait. Et s’il préférait les tribunes des stades – et leurs infinies métaphores sociologiques et sociales – aux ambiances parfois électriques de ses propres tournages, il n’imaginait pas que la mémoire populaire, qui a élevé celle du sport comme du cinéma, célébrerait un jour deux des passions de sa vie. Les auteurs de Sport & Cinéma, Julien et Gérard Camy, père et fils, n’ont pas choisi par hasard de glisser, en exergue, cette citation du grand écrivain et réalisateur italien. Elle résume à elle seule l’état d’esprit et l’ambition de ce livre monumental, unique en son genre, qui réconcilie enfin, dans un même ouvrage, l’art sportif et le 7e art. Presque six cents pages de texte et d’images pensées «comme une discussion d’après-match ou un débat d’après-séance» qui visent «à regarder ces films de sport différemment», écrivent les auteurs. Sous notre regard éberlué, défile ainsi plus d’un siècle d’histoire entre le sport et le cinéma, avec ses hauts et ses bas, au fil de centaines de films de fiction, les plus grands, les plus rares, les plus sensibles, de chefs-d’œuvre référencés en nanars mémorables. Rien ne manque, dans cette espèce d’anthologie des corps et des esprits. Une fresque de plus de 1000 films, au prix de plusieurs années de visionnage…
Pour notre plus grand bonheur, personne ne s’étonnera que le préfacier s’appelle Thierry Frémaux. «Le sport au cinéma est un mélange singulier d’hybridation sociale et d’invention romanesque», écrit le directeur de l’Institut Lumière (à Lyon) et délégué général du Festival de Cannes. Cet amoureux fou de la geste sportive et de toutes ses déclinaisons, à l’écran comme en littérature, ajoute opportunément: «Né le premier –et sans remonter aux Grecs–, le sport, territoire infini de récits épiques sans scénarios prévisibles, a été investi d’emblée par le cinéma. En 1896, le Cinématographe de Louis Lumière est allé filmer la boxe, le cyclisme, le football, la gymnastique et la montagne. (…) Ludique, technique, encyclopédique, élégant, ce beau livre se veut réconciliation de deux publics que les coutumes et les cultures “à la française” ont trop souvent séparés.»
La pellicule fut donc un point de jonction bien plus vaste et plus prolixe qu’on ne l’imagine. Un immense territoire que personne, jusqu’alors, n’avait inventorié. Car les caméras se sont non seulement braquées sur la boxe, l’athlé-tisme, le foot ou l’automobile –ses champs de prédilection–, mais aussi sur le bobsleigh, le curling, les échecs, le bodybuilding, le cricket, la pétanque, autant d’expériences mues par des condensés intenses d’humanité, souvent contradictoires. Si le cinéma substitue à nos regards un monde qui s’accorde à nos désirs, le sport, lui aussi, nous raconte tout, le conflit, la solidarité, le dépassement de soi, l’effort, l’argent, l’amour, la gloire, l’humilité, etc. Avec pour fonctions essentielles l’émotion et la catharsis. En toute logique, sport et cinéma vont de pair. Même si certains pensent que l’un précède l’autre, comme ce sacré Ken Loach: «Le football est plus important que le cinéma.»
[ARTICLE publié dans l’Humanité du 1er décembre 2016.]
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