Dans quel pays vivons-nous? En général, les décisions des tribunaux devraient être des moments de consolidation de la République dans ses fondations les plus essentielles, habitée qu’elle est, censément, par la justice et l’égalité de traitement. Vous connaissez la formule, rabâchée par les pouvoirs successifs: «On ne discute pas les décisions de justice.» Non seulement nous pouvons les commenter, mais nous sommes même en droit de les contester vivement quand elles viennent heurter nos consciences et témoignent de marques d’infamies et d’injustices insupportables. Voilà notre devoir de citoyen. Or, au lendemain de ce qui s’est noué au tribunal de Bobigny, tous les citoyens un peu instruits du dossier disposent d’arguments solides pour exprimer leur indignation devant le jugement rendu dans l’affaire dite «de la chemise arrachée», en octobre 2015, au siège d’Air France. Trois salariés ont en effet écopé de trois ou quatre mois de prison avec sursis, dix autres d’amendes. Les deux seuls relaxés de cette «affaire», solidaires de leurs collègues, ne nous démentiront pas: ces condamnations sont scandaleuses! D’autant que le président du tribunal en personne a reconnu que les images utilisées comme preuves contre les manifestants, venus contester les orientations de leur direction, ne pouvaient «être qu’interprétables»…
Le symbole est lourd. Et inquiétant. En se rangeant du côté
des puissants, le tribunal assume une décision forcément politique, déjà
interprétée comme telle. Plus grave, les peines prononcées constituent une
reconnaissance en bonne et due forme de la criminalisation de l’action
syndicale qui fera le lit des pires pratiques patronales et réjouira tous les
conservateurs libéraux déchaînés contre les libertés syndicales. Traités de «voyous»
par Manuel Valls, insultés par toute la droite et les grands médias, les
salariés d’Air France paient une addition démesurée pour la vulgaire chemise
d’un cadre. Déjà lourdement sanctionnés au sein de l’entreprise, ils subissent
au passage une double peine. Quand un pays confond justice exemplaire et
justice pour l’exemple, transformant les vraies victimes en boucs émissaires,
la justice elle-même n’est plus la justice. Juste un instrument de violence au
service des dominants.
[EDITORIAL publié dans l’Humanité du 1er décembre
2016.]
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