Tendance. Quand les malins de l’ordre économique et de la morale dominent, il devient vital de s’interroger, prendre l’empreinte du paysage. La victoire «surprise» et «écrasante» de François Fuyons, l’homme lige de la réaction traditionaliste, «devenu tendance» au fil des semaines, nous instruit autant sur lui que sur le moment que nous vivons au pays des grands retournements. L’ex-premier ministre de Nicoléon a toujours été catholique assidu, libéral conservateur dans la ligne dure, très méprisant à l’endroit de ceux qui pensent la société dans ses bouleversements familiaux et «sociétaux»: à en croire les commentateurs, longtemps ce positionnement conformiste et figé dans l’ardeur d’une vieille-France-rance l’a «handicapé», le rendant même «inaudible» et carrément «démodé». Mais par quel miracle ce type étriqué de Sablé-sur-Sarthe, où les Fuyons possèdent leur manoir, a-t-il réussi à écraser toute la droite jusqu’à incarner cet homme-programme providentiel qui, censément, ferait fuir n’importe quelle personne de bonne volonté, fût-elle gaulliste ou du centre droit ? Son directeur de campagne, Patrick Stefanini, qui fut le chef d’orchestre machiavélique du triomphe, répond simplement: «Est-ce que c’est lui qui a changé? Non. C’est le monde qui a bougé.» Ce serait donc l’époque qui accréditerait cet ultradroitier doublé d’un ultralibéral. Que doit-on comprendre? Que les mutations de notre société, au lieu de nous projeter, nous tirent vers l’arrière? Est-ce si évident? François Fuyons le pense. Comme en témoigne sa conclusion face à Alain Juppé: «Il n’y a pas de victoire sans victoire idéologique.» Tous ses proches confirment. Cette phrase, ils l’ont entendue des centaines de fois dans sa bouche, depuis des années. Victoire idéologique?
Réveil. «Cette fois, on ne fera pas de l’eau tiède», clame Fuyons à ses amis, à commencer par le premier d’entre eux, Igor Mitrofanoff (sa «plume»), issu d’une famille de Russes blancs, auteur d’une biographie de Jacques Bainville, ce journaliste de l’Action française transformé depuis peu en héros des penseurs de droite. Si Fuyons hait tant le projet républicain d’émancipation, qui ne possède, à ses yeux, aucune noblesse, il appuie sa doctrine à la fois barrésienne et thatchero-blairiste dans ce qu’il appelle personnellement le «récit national», puisant dans le «malaise de civilisation» des armes d’autorité associées à tous les piliers de notre organisation politique et sociale. Il cite la Dame de fer régulièrement: «La meilleure des protections sociales, c’est l’emploi.» Et il a même passé de nombreux jours au 10 Downing Street, en 2005, au cœur de l’équipe de Tony Blair, où il trouva, répète-t-il à souhait, une méthodologie de travail pour imposer ses réformes… Difficile de croire, à l’étape actuelle, que les Français dans leur masse accepteront le coup de force que constitue son «plan» de casse sociale généralisée, inédit depuis les Trente Glorieuses. Cette figure classique du réactionnaire prêt à tout parle pour l’instant à cette droite longtemps ensevelie par les évolutions sociologiques, qui n’est pas celle de la France périphérique des «petits Blancs» relégués, ni celle, bien sûr, des territoires frappés par les inégalités, encore moins celle des derniers bassins ouvriers, remisés à plus grand-chose. Fuyons-le-classique a juste réveillé la France des cathos réacs et des familles tradis qui craignent absurdement de voir leur identité – revendiquée chrétienne, d’abord et avant tout – se diluer dans cette France-qui-vient, tolérante et pourvoyeuse de plus de protection. Pour tout progressiste qui sommeille, le réveil peut paraître brutal. L’hypothèse Fuyons est en effet sérieuse. Car sous le gaulliste faussement mâtiné de séguinisme, l’homme reste un authentique danger capable d’assumer – jusqu’au bout, lui – une contre-révolution culturelle et sociale de très, très grande ampleur.
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 2 décembre 2016.]
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