Global. Lisons attentivement Edgar Morin. Non pour puiser quelques paroles sacrées. Mais comme simple mise en garde que le vieux sage, en responsabilité, reverse à la disposition de tous : «La mondialisation, loin de revigorer un humanisme planétaire, favorise au contraire le cosmopolitisme abstrait du business et les retours aux particularismes clos et aux nationalismes abstraits dans le sens où ils s’abstraient du destin collectif de l’humanité.» Et il ajoute : «Le déchaînement techno-économique du développement provoque une dégradation de la biosphère qui menace en retour l’humanité.» Voilà de quoi alimenter notre pessimisme sur le cours de l’histoire placé en Bourse : la face sombre. Mais y aurait-il une face plus lumineuse, positiviste, qui nous éviterait la promesse d’une indifférence globalisée ? Morin ne l’exclut pas : «Le meilleur est que pour la première fois dans l’histoire humaine sont réunies les conditions d’un dépassement de cette histoire faite de guerres s’aggravant jusqu’au point de permettre le suicide global de l’humanité.» Et il précise, comme pour nous réhabituer à cette conviction que tout marxien comprend aisément : «Le meilleur est qu’il y ait désormais interdépendance accrue de chacun et de tous, nations, communautés, individus sur la planète Terre, et que se multiplient symbioses et métissages culturels en tous domaines, en dépit des processus d’homogénéisation qui par ailleurs tendent à détruire les diversités. Le meilleur est que les menaces mortelles et les problèmes fondamentaux communs aient créé une communauté de destin pour toute l’humanité. Le meilleur est que la globalisation ait créé l’infratexture d’une société-monde.»
Paradoxe. Piste audacieuse : l’ambition internationaliste, prenant des formes inédites, aurait de beaux jours devant elle… Cette possible société-monde, assumant les conditions d’une communauté de destin, peut-elle rendre crédible la fin du capitalisme parvenu à son apogée, comme l’avait pronostiquée Marx? Là encore, une singulière dialectique nous tenaille. Si les circonstances le réclament (plus que jamais), les conditions semblent l’exclure. Les pouvoirs d’argent-monde et d’occupation mentale nous empêchent a priori de croire raisonnablement que la mondialisation puisse être l’ultime chance de l’humanité. Confrontés au paradoxe du possible-impossible, nous vivons cette époque incertaine où se mêlent des germes progressifs et régressifs. A-t-on assez conscience que la situation dans le monde s’est plus modifiée dans les quarante dernières années qu’entre le XIIe et le milieu du XXe siècle? Les transmutations exponentielles comme leurs conséquences nous dépassent totalement. La transition entre le Paléolithique et le Néolithique fut bien peu de chose comparée à notre postmodernisme – expression bien faible au regard de la réalité.
Émancipation. Le constat d’Edgar Morin doit nous alerter : «La marche vers les désastres va s’accentuer dans la décennie qui vient. La mort de la pieuvre totalitaire a été suivie par le formidable déchaînement de celle du fanatisme religieux et de celle du capitalisme financier.» Pour réfléchir à cette crise de civilisation et oser une refondation anthropologico-politique, malgré les tragédies des traitres et les aggiornamentos des peureux, il faut se convaincre que les bifurcations de l’histoire existent dès que le public redevient un peuple. Morin y croit : «Les décompositions sont nécessaires aux nouvelles compositions, et un peu partout celles-ci surgissent à la base des sociétés. Partout, les forces de résistance, de régénération se multiplient, mais dispersées, sans liaison, sans organisation, sans centres, sans tête.» S’il s’agit d’abandonner le rêve prométhéen de maîtrise de l’univers, désormais trop vaste, les Tunisiens viennent de nous rappeler que l’urgence et l’essentiel sont les deux matrices de l’émancipation humaine. Morin cite souvent ce proverbe turc : «Les nuits sont enceintes et nul ne connaît le jour qui naîtra.» On comprend pourquoi…
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 22 janvier 2011.]
(A plus tard...)
2 commentaires:
Les consciences sont rares. Morin est l'un des derniers. Alors oui, écoutons-le un peu! Lisons-le!
Avant de lire et d'interpréter les dires d'un auteur, avant d'analyser sa philosophie spontanée, il conviendrait de dire quelques mots sur sa position de classe, de dire de quelle place il parle et pontifie. Morin est un de ces nombreux intellectuels nourris et grassement entretenus par l'État théologien et ses multiples institutions de veille au conformisme, à l'assignation de la philosophie à un statut de simple interprétation du monde. Mais pire, le discours de Morin adressé à la jeunesse est un discours de désarmement de la pensée. En proclamant à la cantonnade que le monde est d'une telle infinie complexité, qu' il est vain de chercher à le comprendre, et pire à le maîtriser, à le transformer collectivement et qu'il vaut mieux le laisser tant qu'à faire, tel un cadavre se décomposer, Morin se fait le complice de la pensée nihiliste qui envahit, et pour causes, le monde occidental et propagandiste de son état actuel de déréliction.
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